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La Crise de la Masculinité : Autopsie d’un mythe tenace, de Francis Dupuis-Déri

Francis Dupuis-Déri analyse le discours sur la crise de la masculinité. Il montre d’abord que c’est un discours que l’ont retrouve dans plein de contexte, que ce soit la fin de l’empire romain, la Bretagne, le Québec, tout le Canada, les « jeunes de banlieue » français, les hommes africains, les hommes blancs… Visiblement les hommes subiraient une crise de la masculinité permanente. Mais peut-on alors encore parler de crise plutôt que d’état de fait ? Par ailleurs, FDD montre que ce discours est mobilisé le plus souvent dans des contextes où les hommes trustent tous les postes de pouvoirs, économique, politique, représentationnels… Mais les hommes seraient quand mêmes menacés dans leur psyché et leur construction mentale par « le féminisme » et les exigences démesurées des femmes.

FDD montre que bien plus qu’une crise de la masculinité, ce qui se déroule quand on soulève ce concept c’est une crise de la légitimité de la domination absolue masculine. La « masculinité » ne serait pas tant une construction psychique qu’une position sociale de dominant : être un homme, c’est être en haut de la hiérarchie. Et quand les dominées remettent en cause cet état des choses comme n’allant pas de soi, bim, crise de la masculinité.

Globalement 4 phénomènes sont mis en avant comme symptomatiques de la crise de la masculinité : les suicides des hommes, les échecs scolaires des garçons, les jugements de divorces défavorables aux hommes et les hommes battus (qui servent surtout à détourner la conversation portant sur la violence domestiques exercée sur les femmes). Ces phénomènes sont réels, mais les attribuer au féminisme ou aux femmes ne tient par contre absolument pas debout. Les attribuer au fait que l’on ne laisse pas les hommes exprimer leur «  » »agressivité naturelle » » » encore moins (mais les masculinistes aiment beaucoup les théories d’évopsy à la con disant qu’on est déterminés par la répartition des rôles genrés à l’âge des cavernes, même si on n’a aucune idée de ce qu’était cette répartition et que les représentations reprennent en fait les rôles des années 50s en les plaquant sur les humain.e.s préhistoriques, Flintstones-style).

Bref, un fort bon essai féministe et fort clair, j’en recommande la lecture.

Circe, de Madeline Miller

Grosse recommandation. Madeline Miller écrit du point de vue de Circe ce que fut son existence, depuis sa naissance dans le palais d’Helios, le Titan du soleil, jusqu’à la conclusion des ramifications de l’année qu’Ulysse a passée avec elle. Ça explique ce qu’elle fait sur l’île d’Aiaia, parle de sa relation aux autres membres de sa famille, évoque un certain nombre de figures mythologiques, et je n’en dis pas plus pour ne rien divulgâcher. C’est bien écrit, féministe, intéressant, ça donne un point de vue original sur la mythologie grecque. Je vais aller me procurer The Song of Achilles, son autre livre.

On ne naît pas soumise, on le devient, de Manon Garcia

Bon, évacuons d’entrée l’ambiguïté : malgré le titre il ne s’agit pas d’un copycat de 50 Shades mais d’un essai de philosophie féministe, qui entend montrer d’où vient philosophiquement la soumission des femmes (ie leur absence de résistance, voire leur participation) à la domination masculine, et ce en s’appuyant fortement sur Le Deuxième Sexe, de Simone de Beauvoir.

J’ai pas été entièrement convaincu. Ce n’est pas que je pense que les analyses de l’autrice soient fausses, je pense que j’ai un souci avec l’approche philosophique de ce genre de sujet. Je trouve que ça tourne pas mal en rond et que ça invoque de grands concepts et de grands noms pour analyser des phénomènes qui bénéficieraient beaucoup plus d’une approche basée sur les sciences humaines.

En gros ce que dit le bouquin : il y a une réalité de la soumission féminine au patriarcat, pourtant la soumission est un point aveugle de la philosophie, qui considère dans sa grande majorité que ne pas utiliser sa liberté est une faute morale (pour moi là déjà le problème il est avec l’approche philosophique, y’a pas de paradoxe en soi juste les philosophes sont des tocards (N’hésitez pas à me contacter pour des approches nuancées sur des sujets complexes)).

Si on rejette les explications débiles (débiles, mais qui restent bien prévalentes même de nos jours, et qui sont surtout sexistes) du style « Il y a une essence féminine éternelle, et cette essence est d’être soumise », qu’est-ce qu’on peut dire sur cette soumission constatée ?

Là, Garcia reprend les thèses de De Beauvoir : les humain.e.s ne ni sont totalement libres, ni totalement déterminés par leur environnement : iels exercent leur libre arbitre au sein d’un jeu de contraintes extérieures et de normes sociales. Iels sont influencé.e.s par ces normes mais peuvent les influencer en retour de par leur existence (perso ça me paraît trivial, mais bon, j’arrive après que plus de vingt siècles de philosophie et quelques siècles de sciences sociales aient défriché le terrain, peut-être que c’est pas si trivial que ça). Donc parmi ces humain.e.s, certain.e.s, en raison de caractères biologiques que la norme sociale considère déterminants, sont étiquetées « femmes » et élevées puis socialisés selon une norme donnée qui correspond à cette étiquette (je résume, mais en gros le point important c’est qu’on est pas femme de façon innée, on naît avec des caractères biologiques qui font qu’on vous assigne le label, on dit que ce sont ces caractères qui posent une division significative de l’Humanité en genres, mais cette division est arbitraire (on aurait tout autant pu choisir gaucher.e/droitier.e ou la couleur des cheveux. Genre et race n’ont l’air significatif que parce qu’on vit dans des sociétés qui ont décidé que c’était significatif). Ensuite on vous éduque à vous comporter comme une femme doit se comporter, jusqu’à ce que vous correspondiez suffisamment au stéréotype : on ne naît pas femme, on le devient. (Reparenthèse dans la parenthèse : d’où les travaux féministes notamment de Monique Wittig expliquant que les lesbiennes ne sont pas des femmes : la question c’est pas quels caractères biologiques elles avaient à la naissance, mais la non-conformité à la norme sociale de la femme : or cette norme passe fortement par l’hétérosexualité et la relation aux hommes, notamment parce que ce sont les hommes (cishet) qui en tant que dominants édictent la norme et qu’ils sont intéressés à ce que les femmes soient hétéros, disponibles sexuellement, et tant qu’à faire, soumises, on en arrive au titre du livre)).

Or donc, on a des humain.e.s, tou.te.s disposant d’un libre arbitre, tou.te.s influencé.e.s par des structures et contraintes extérieures. Mais dans le tas y’en a 50% à qui on a dit depuis leur enfance qu’ils doivent être indépendants, qu’on a éduqués à oser des trucs et à qui on a dit que le monde était leur terrain de jeu et qu’ils étaient des sujets libres ; et y’en a 50 autres pourcents à qui on a dit qu’elles étaient plus jolies quand elles souriaient et fermaient leur gueule, que leur but dans la vie c’était un beau mariage et l’entretien d’une maison, et de se sublimer dans la maternité, ie mettre leur corps même au service de la croissance d’un organisme étranger pendant 9 mois + allaitement + éducation.
Bref, le jeu des contraintes extérieures est pas exactement le même pour les deux moitiés. Les femmes ont largement plus à perdre à défier le statu quo social pour chercher leur liberté. Et c’est là que la soumission apparaît : la domination patriacale file plein d’avantages aux hommes, mais elle en file de façon mineure aussi aux femmes qui se conforment volontairement aux normes sociales genrées : dans les sociétés occidentales, il n’y a pas de mécanisme coercitif qui oblige les femmes à se maquiller, à s’épiler ou de façon générale à se conformer aux standards de beauté sexistes, mais celles qui le font auront plus de facilité cependant dans leur vie quotidienne, elle n’auront pas à se justifier, à se prendre des remarques, les gens seront spontanément plus sympa avec elles… (Bon, à la fin elles sont quand mêmes perdantes parce qu’elle claquent du temps, du fric et de l’espace mental à se conformer aux standards sexistes, pour y gagner moins que les hommes en termes d’avantages).

Trois points spécifiques qui m’apparaissent intéressants dans le livre :

  • La tradition philosophique dit que la liberté est l’état premier de l’Humain, mais en réalité, tout le monde commence enfant, et soumis à une autorité extérieure : on expérimente d’abord la soumission, aller vers la liberté est un apprentissage, et il faut faire des choix actifs pour atteindre cette liberté. Le « chemin de moindre résistance » c’est de rester passif et soumis aux diverses autorités qui s’exercent sur nous. Dans ce contexte, les femmes bénéficient de moins de leçons de liberté, cette liberté est moins valorisée dans leur socialisation, elles ont moins à y gagner dans un premier temps (elles ont a gagner collectivement à renverser le patriarcat, mais pas individuellement à le contester) : le calcul coûts/bénéfices de choisir la liberté n’est pas le même pour elles et pour les Hommes.
  • Contrairement à d’autres groupes opprimés (prolétariat, racisé.e.s, LGBT), le rapport d’oppression des femmes hétéros passe d’abord par un rapport interindividuel, dans le couple. D’où une plus grande difficulté à se retrouver en groupe d’opprimées, à faire apparaître une expérience commune, à dénaturaliser la domination. Le tout complexifie le fait de lancer une lutte contre la domination que les opprime (je pense que c’est un peu moins vrai de nos jours qu’à l’époque du Second Sexe, mais ça reste en grande partie pertinent).
  • Toute une partie du livre est consacrée au travail de MacKinnon, une philosophe féministe US : les hommes sont socialisés pour apprécier la domination (enfin, la leur) dans tous les domaines et en particulier dans le domaine sexuel : cf la pornographie mainstream, qui met très souvent en scène des rapports de pouvoir genrés et asymétriques : les hommes sont littéralement conditionnés pour être excités par l’exercice de la domination. Logiquement, ça ne se confine pas au domaine sexuel, ça s’étale sur tout le reste des interactions sociales (Bon après j’ai l’impression que MacKinnon donne au sexe une place vraiment plus prépondérante que ce que je lui accorderai perso, mais l’analyse est intéressante). Logiquement le parallèle c’est que la norme de ce qu’est une femme, telle qu’édictée par le patriarcat (qui est celui qui peut décréter les normes, vu qu’il domine) c’est une personne dominée, et qui ne remet pas en question cette domination, voire au contraire qui l’apprécie : une personne soumise (là aussi, exemple de la pornographie mainstream : les femmes mises en scène prennent du plaisir dans leur position inférieure/passive).

Bref, c’était un très long article pour dire que le livre ne me convainquait pas : j’ai quand même viré l’essentiel des références philosophiques et les parties expliquant en quoi la démarche de De Beauvoir était novatrice, parce que c’est pas les éléments qui m’intéressent le plus. Avoir écrit cet article me fait un peu plus apprécier le livre (pratique réflexive FTW), mais je pense quand même qu’il y avait moyen d’expliquer les points intéressants de façon plus concise et euh… moins philosophique ?

Thelma et Louise, de Ridley Scott

Film de 1991. Thelma et Louise sont deux amies, respectivement femme au foyer et serveuse dans un bar. Elles partent en weekend ensemble, mais Louise tue un homme qui tente de violer Thelma. Une cavale en voiture commence, où les deux femmes tentent de rouler jusqu’à la frontière mexicaine alors que la police tente de les arrêter.
J’ai beaucoup aimé, les deux personnages principaux sont très réussis – et en avance sur leur temps – et les personnages secondaires sont cools aussi. Pas trop de surprise pour un film culte, mais je recommande.

Vox, de Christina Dalcher

The Handmaid’s Tale, mais en carrément moins bien.

Assez déçu. J’avais vu une jolie couverture en librairie, j’avais feuilleté le premier chapitre qui commençait bien – je pensais être parti pour une dystopie féministe intéressante. Et puis non. Si la prémisse est intéressante – un gouvernement américain fondamentaliste décide littéralement de réduire les femmes au silence, le scénario est totalement implausible, empilant facilité sur facilité. Les personnages ne sont pas crédibles (et particulièrement manichéns) et les coïncidences abondent. Et en plus c’est mal écrit, avec des passages qui se répètent.

Bref, je ne recommande pas.

The Testaments, de Margaret Atwood

La suite de The Handmaid’s Tale, publiée quelques 35 ans plus tard, suite au retour de hype du livre.

J’ai été déçu. C’est sympa à lire, mais ça souffre du même syndrome que Harry Potter and the Cursed Child : on dirait plus une fanfic de l’oeuvre originale qu’une suite. Il y a aussi en commun le côté « regardons ce qui arrive aux enfants de l’héroïne (resp. du héros) de l’oeuvre originale » qui fait qu’il faut qu’il arrive des aventures spécifiquement à ces personnages alors que c’est complètement artificiel. En plus spécifiquement dans le cas de The Handmaid’s Tale, en faire une saga familiale, c’est un peu le malaise.

En plus des deux arcs des filles de June, le troisième arc narratif est celui d’Aunt Lydia. Et il est franchement pas crédible. Les plans secrets sur 20 ans, perso je laisse ça aux archimages maléfiques dans la fantasy pas très bonne. Le livre met aussi vachement l’accent sur l’action individuelle là où The Handmaid’s Tale parlait du poids du système. Ici, quelques individus en position de pouvoir peuvent tout faire basculer et ont visiblement des moyens infinis à disposition.

Bref, on perd beaucoup de la charge et du style de l’oeuvre originale.

Le Deuxième Sexe, de Simone de Beauvoir

Tome 1 (recension du 27 août 2018)
Un peu déçu. On m’avait prévenu que le tome 1 était moins intéressant que le 2 donc je lirai le 2, mais effectivement le 1 est pas génial. Divisé en 3 parties Destin, Histoire et Mythes, le livre présente différents points de vues et données sur les femmes. De Beauvoir passe d’abord en revue les connaissances issues de la biologie et de la psychanalyse, et bon, tu sens que c’est daté dans les deux cas. Elle parle ensuite de la place des femmes dans les sociétés à travers l’Histoire, et pareil, c’est une vision très péremptoire et très de son époque de l’anthropologie. Enfin, la partie Mythes montre les différentes significations et symboliques attachées aux femmes d’un point de vue masculin. C’est un peu long mais j’ai trouvé que c’était la partie la plus pertinente, qui peut se résumer en : « l’Homme se considère comme le centre du monde, les femmes lui présentent une image d’une Altérité et d’un reflet à la fois : en tant qu’altérité on va lui coller toutes les altérités dessus (la Nature en premier lieu, d’où plein de métaphore de la Nature comme une femme et des femmes comme forces naturelles un peu mystiques »), et le signifiant de plein de couples de valeur (jour/nuit, bien/mal…), où l’Homme récupère l’autre et généralement le mélioratif. Comme Reflet, il va être attendu des femmes qu’elles valident les Hommes, les confortant dans leurs choix : l’Homme va les vouloir indépendantes mais concédant quand même à l’Homme qu’il a raison à la fin, dures à séduire mais cédant aux avances… (en gros, une imitation de personne indépendante, mais qui finit toujours par valider les choix et envies de l’Homme).
Bref, j’ai trouvé ça un peu long pour ce que ça disait. Après c’est peut-être que c’était fondateur et que ça a été beaucoup repris par d’autres ouvrages et autrices féministes depuis. Ou alors c’est que c’est un point de vue philosophique et que ce n’est pas ce que je recherche dans un essai féministe.

Tome 2 (recension du 17 septembre 2019)
Excellent début, qui détaille comment l’éducation des enfants selon leur genre va modeler les individus selon des stéréotypes de genre. Ça pour le coup c’est toujours très pertinent et très bien décrit, ça explique comment les comportements présentés comme innés sont au contraire inculqués avec force répétition et les réactions que ça crée.
Au delà de ce début vraiment très bien, je n’ai pas été transporté par le reste du tome. Y’a plein d’éléments pertinents mais que j’ai déjà vu ailleurs, et surtout il y a une approche très généralisante. De Beauvoir parle surtout de la femme blanche et des catégories supérieures de la population (même s’il y a des passages sur les ouvrières), et de façon assez péremptoire, comme dans le premier tome. En plus elle parle de la condition féminine blanche et bourgeoise des années 40, du coup y’a un certain nombre de choses dans la structure de la société qui ont évolué depuis.

Gentleman Jack, de Sally Wainwright

Série basée sur la vie d’Anne Lister, une propriétaire terrienne anglaise ayant vécu au XIXe siècle. Anne Lister est lesbienne et n’a pas peur de l’affirmer à une époque où le mariage hétérosexuel est la norme pour les femmes. De façon générale elle n’a pas peur de mener sa vie comme elle l’entend, de voyager seule, de gérer ses terres, de se former à la médecine, et de dire aux mecs d’aller se faire voir.
J’ai beaucoup aimé. Le personnage d’Anne est très intéressant, elle n’est pas présenté comme archétypalement bonne parce qu’elle est l’héroïne : c’est une propriétaire, elle est sans pitié avec ses gens, elle traite mal sa sœur qu’elle considère comme inintéressante, et en même temps elle se jette à corps perdu dans ses relations amoureuses.
C’est super bien joué, grosse recommandation.

Une culture du viol à la française, de Valérie Rey-Robert

Essai sur la culture du viol, par l’autrice du blog Crêpe Georgette. Un peu déçu parce que trop générique à mon goût. Je pense que je n’étais pas le public visé, le livre revenait sur beaucoup de choses dont j’étais déjà conscient. La partie sur les spécificités de la relation de la culture française à la culture du viol est finalement assez mince.

A Room of One’s Own, de Virginia Woolf

Essai romancé sur les conditions permettant d’écrire et plus généralement de se réaliser intellectuellement, et en quoi ces conditions ont majoritairement été refusées aux femmes.
La thèse que Woolf développe en partant de son propre cas est la suivante : pour écrire il faut avoir un espace à soi où être tranquille et une rente quelconque qui permet de ne pas se concentrer en permanence sur les conditions matérielles. Elle note au passage qu’en plus de ces conditions matérielles, les femmes ont pendant longtemps été écartés de l’accès à la connaissance (jusqu’à son époque où l’accès aux bibliothèques des universités anglaises nécessitait pour les femmes d’être accompagnées), considérées par la société entière comme inférieures, et leurs sujets d’intérêt comme moins pertinents que ceux des hommes.
Il y a quelques moments où elle se lance dans des considérations psychologiques sur le fait d’avoir une sensibilité masculine et féminine en soi qui m’ont laissé dubitatif mais sinon c’est très bien, j’aime beaucoup son style et la façon dont elle met en scène son raisonnement.