Archives par mot-clé : science-fiction

L’Empire, de Bruno Dumont

Film français sorti en 2024. Dans les Hauts-de-France de nos jours, deux peuples extraterrestres se livrent une lutte à mort en secret : les Zéros, menés par Belzébuth, tentent de corrompre les humains et protègent le Margat, un bébé qui deviendra l’Antéchrist. En face, les Uns veulent tuer les Zéros et faire fructifier les bons aspects des humains. Les deux factions agissent en s’incarnant dans des humains. On suit en parallèle l’action sur les vaisseaux spatiaux des deux peuples, leurs interactions sur Terre et l’enquête (totalement inefficace) de la gendarmerie sur un meurtre lié au conflit entre les deux races.

On va commencer par le gros point noir du film : les rôles féminins sont assez nuls, avec les deux actrices principales qui servent d’intérêt amoureux et qui sont totalement sexualisées par la caméra, sans que ça apporte rien au film.

Ceci mis à part, c’était wtf dans le bon sens du terme. Une bonne partie des acteurices sont amateurs et ça rend bien dans l’ambiance du film, Lucchini est truculent, les vaisseaux spatiaux qui sont des palais ou des cathédrales sont très cools, les effets spéciaux rendent bien, la juxtaposition scifi/petite ville française fonctionne bien. La grande histoire de lutte millénaire entre le bien et le mal est un prétexte sans trop d’intérêt mais ça file un axe au film

Mars Express, de Jérémie Perrin

Film d’animation français présentant une enquête policière dans un monde de science-fiction, et paru en 2023. Dans un futur indéterminé, l’Humanité est une espèce transplanétaire, avec des colonies sur la Lune et une grosse cité sur Mars. Les robots sont monnaie courante, dans des versions plus ou moins androïdes mais toutes assujetties aux Humain.es via un équivalent des Trois Lois de la Robotique. Aline Ruby (humaine) et Carlos Rivera (androïde) sont deux détectives privés qui vont enquêter sur la disparition de deux étudiantes de l’université martienne. Ce faisant, il vont mettre à jour une conspiration aux ramifications gigantesques, comme de bien entendu dans un polar.

L’enquête est assez classique, mais dans le bon sens du terme, on est en terrain tout à fait familier pour un polar, avec des recettes qui marchent. Et c’est tout à fait bienvenu parce que l’univers par contre est beaucoup plus surprenant. On est toujours dans un capitalisme débridé qui ne parle pas du tout d’environnement et prone le consumérisme, mais le rapport des humains aux robots, les avancées de la cybernétique, tout ça rajoute plein d’éléments, qui sont introduits de façon très fluide dans l’histoire mais qu’on ne comprend que petit à petit (ou qui sont juste évoqués en passant, vu que pour les personnages c’est leur quotidien).

Grosse recommandation si vous aimez la SF.

The Left Hand of Darkness, d’Ursula Le Guin

Classique de la science-fiction publié en 1969. Genly Ai est l’envoyé de l’Ekumen, une civilisation interplanétaire, sur Hiver, une planète glaciale pourtant colonisée par des humain.es il y a des éons. En plus de l’habitude de conditions météorologiques extrêmes, les habitant.es d’Hiver présentent une autre particularité : unique en cela parmi toutes les planètes atteintes par l’Ekumen, les Hivernales sont asexué.es la plupart du temps, et manifestent des caractères sexuels parfois mâles parfois femelles quelques jours à la fin d’un cycle de 26. Genly, qui a du mal à concevoir cette sortie du schéma binaire, va en plus se retrouver pris dans les intrigues géopolitiques de deux pays Hivernaux, Karhide – une monarchie absolue – et Orgoreyn – une bureaucratie totalitaire. Perdu dans les subtilités Hivernales, Genly va devoir accepter de faire confiance à Estraven, l’ancien.ne premier.e Ministre disgracié.e de Karhide, qu’il va retrouver en Orgoreyn.

J’ai trouvé ça moins percutant que Les Dépossédés, qui fait partie du même cycle, notamment je trouve qu’avec le point de vue extérieur de Genly on n’explore finalement pas tant que ça l’influence d’un genre neutre sur la construction de la société, mais tout le passage du voyage sur la calotte glaciaire où Genly et Estraven sont seul.es est vraiment très bien.

The Ministry for the Future, de Kim Stanley Robinson

Roman de science-fiction paru en 2020. Dans les années 30, suite au constat de l’irrespect des Accords de Paris par leurs signataires et le déclenchement de canicules meurtrières en Inde, une nouvelle agence de l’ONU en charge du suivi et de l’application des accords de Paris est mis en place, et rapidement surnommé « le Ministère du Futur », vu qu’il travaille pour les générations futures. Parallèlement, l’Inde devient le fer de lance de la transition écologique, se lançant dans des projets de géoingénierie et de réforme agraire à grande échelle. Petit à petit, l’ensemble du monde va s’aligner, jusqu’à arriver à une baisse de la quantité de carbone dans l’atmosphère. En plus des initiatives officielles, deux éléments vont permettre ce changement : l’émergence de groupe écoterroristes (notamment les Enfants de Kali, déterminés à mettre tout en œuvre pour que jamais une telle canicule ne se reproduise) et une branche secrète du Ministère pour le Futur en charge de l’action directe, qui n’hésite pas à hacker les centrales à charbon ou les comptes des paradis fiscaux. Les Enfants de Kali vont aller encore plus loin, relâchant une nouvelle encéphalite spongiforme bovine pour faire baisser d’un seul coup la consommation de viande rouge ou visant les jets privés avec des drones pour faire chuter le trafic aérien.

Le sujet est cool, mais le style est très aride. On ne saura jamais exactement ce que font les black ops du Ministère pour le Futur, et on constate quand même un alignement de planètes en faveur de la transition (même si bien sur la menace terroriste aide un peu). Sur la fin j’en avais un peu marre, dommage parce que ça aurait pu être vraiment cool mais ça manque de travail éditorial (en plus du style aride en général, il y a aussi des répétitions d’un chapitre à l’autre voir d’un paragraphe à l’autre). Bon et puis la blockchain comme outil de transition, désolé mais absolument jamais.

Night Sky, de Holden Miller

Série télé de 2022, annulée après une saison. Les York, septuagénaires vivant dans l’Illinois, ont dans leur jardin un secret : un téléporteur qui les amène dans un poste d’observation sur une autre planète. Ils n’ont jamais osé sortir du poste d’observation, n’ayant pas de garanties que l’air extérieur est respirable. Mais un jour, Irène trouve un homme blessé dans le poste d’observation…

J’aime beaucoup les deux acteurs principaux et je trouve que faire une série de science fiction avec des personnages principaux âgés est bienvenu, mais bon il se passe quand même pas grand chose, la série passe son temps à donner des indices sur de plus grands mystères qu’on ne verra finalement jamais puisqu’elle a été annulée. Sympa pour les performances d’acteurs et ce qu’on devine des mystères généraux, mais ignorable dans l’ensemble.

Silo, de Graham Yost

Série télé adapté du roman éponyme, parue (pour la première saison) en 2023. On suit l’enquête de Juliet Nichols, ingénieure machine promue shérif du Silo, une structure abritant 10 000 personnes sous la surface d’un monde toxique.

Globalement c’est assez fidèle au bouquin, avec des moyens pour la production. J’ai bien aimé l’apparence qu’ils ont donné au Silo. Par contre après quelques bons épisodes, ça se met à traîner en longueur, et faut attendre l’épisode 8 pour qu’il se remette à se passer des trucs. Sentiment mitigé, donc, mais je recommande toujours le bouquin.

Last Sentinel, de Tanel Toom

A force de faire n’importe quoi avec le climat, l’Humanité a déclenché une montée massive du niveau des eaux. On est pas encore dans Waterworld, mais quelques décennies avant : il reste deux « continents » au milieu d’un océan mondial parcouru par des tempêtes. à mi-chemin entre ces deux continents, le continent du Sud a installé une base militaire, une plateforme perdue au milieu de l’océan avec quatre militaires qui y sont pour deux ans, à surveiller une hypothétique invasion pour déclencher une arme qui finirait d’engloutir les dernières terres. A mi-chemin entre Le Désert des Tartares et Huis Clos, on suit la vie des quatre militaires trois mois après la date où ils auraient dû théoriquement être remplacés. Y a-t-il encore des gens en dehors de la base ? Sont-ils les derniers humains au monde ? Doivent-ils partir par leurs propres moyens ?

Le setup est assez réussi, l’ambiance de la plate-forme en déréliction et isolée de tout est bien rendue. Par contre l’intrigue et la montée de la tension qui est censé faire le scénario du film marche assez mal : le plan qui est mis en avant aurait pu être lancé plus facilement à n’importe quel autre moment qu’à l’approche de la relève, les personnages sont un peu trop stéréotypés. Mais l’ambiance générale est cool.

La Nuit du faune, de Romain Lucazeau

Novella de SF française, par l’auteur de Latium. Sur la Terre, des millions d’années dans le futur, Polémas, un représentant d’une espèce qui sort de sa préhistoire entre en contact avec Astrée, la dernière représentante sur Terre d’une espèce qui a dominé la planète des ères géologiques plus tôt. Désireux de comprendre le sens de la vie pour guider les siens, il va lui demander de lui donner la connaissance du fonctionnement de l’univers. En s’appuyant sur une technologie indiscernable de la magie (et d’une bonne dose de handwaving de la part du scénario), elle va l’emmener en voyage à travers l’univers pour lui faire rencontrer différentes espèces et leurs stratégies d’adaptation, en présentant le « Cycle du carbone », celui du silicium, puis des cycles de matières plus exotiques : la vie biologique est créée sur des planètes, donne naissance à intervalles réguliers à des espèces intelligentes qui épuisent leur habitat mais réussissent occasionnellement à sortir de leur puit de gravité, puis créent des civilisations robotiques, qui à leur tour créent des civilisations baryoniques, la complexité allant toujours augmentant…

J’ai bien aimé certains aspects, mais le côté « je viens poser une réflexion métaphysique et révéler les secrets de l’univers » avec en prime un côté « éternel retour cyclique » ça me saoule toujours un peu. Je suis quand même fermement partisan d’un nihilisme camusien, et les quêtes sur le sens de vie ça me semble très creux. On est beaucoup sur des archétypes (pour les persos, pour les civilisations) et vu que le livre est relativement court pour introduire 10 000 concepts, on survole tout super vite. J’ai été beaucoup moins convaincu que par Latium.

One day all this will be yours, d’Adrian Tchaikovsky

This is how you actually lose the time war.

Novella de SF qui parle de voyage temporel. Le narrateur dispose d’une machine à voyager dans le temps, et est vétéran de la Guerre Temporelle : un conflit entre deux factions disposant de machines temporelles, qui ont fini par casser la causalité à force d’interventionnisme pour prendre l’avantage sur l’autre. Retiré dans une époque déserte, le narrateur empêche tout humain de voyager plus loin dans le futur, pour préserver l’écoulement du temps sur une Terre sans humains après lui. Donc il occupe ses journées à surveiller sa ferme, réparer son tracteur, et tuer des voyageurs temporels, avec son dinosaure domestique.

C’est une take rigolote sur le voyage temporel. Globalement le narrateur est nihiliste, vivant dans un univers où la causalité est cassée, il peut traiter l’Histoire humaine comme un grand coffre à jouet et ne s’en prive pas. C’est globalement Doctor Who mais avec un Docteur qui s’amuse à troller tout ce qu’il peut. Comme toujours avec le voyage temporel il ne faut pas regarder de trop près la logique du fonctionnement, mais ça fait une novella rigolote et plaisante à lire.

Eutopia, de Camille Leboulanger

Roman de science-fiction français paru en 2022, inspiré des travaux de Bernard Friot sur le salaire à vie. Dans un futur indéterminé, le capitalisme (et plus généralement le propriétarisme) a été abattu (au moins à l’échelle d’un pays). Les gens vivent selon les principes de la Déclaration d’Antonia, un texte énumérant un certain nombre de droits pour les humains mais aussi pour le reste de la biosphère. On va suivre dans ce monde la vie d’Umo, de son enfance dans un petit village jusqu’à sa vieillesse dans un autre village qu’il a contribué à fonder. Entre temps Umo aura vécu dans différentes ville du pays, dont Antonia, fait des études à différentes périodes de sa vie, été électricien pour une entreprises qui construit des lampes, technicien son pour une troupe de musiciens, électricien pour une commune, professeur, tiré au sort pour l’assemblée générale d’Antonia, préparateur de commandes pour la logistique d’une commune, balayeur dans un cinéma. Il aura aimé et vécu avec une petite dizaine de personnes, dans diverses configurations.

Globalement, c’est sans surprise un roman à thèse, comme Ecotopia ou Les Dépossédés. La vie d’Umo nous permet de voir les différents aspects du fonctionnement d’Antonia, en parcourant un peu le pays. C’était sympa à lire, le côté utopie est cool, et la vie sentimentale d’Umo fait un fil conducteur intéressant (l’auteur.e insiste pas mal sur ce point, avec la formule « l’amour c’est du travail, le travail c’est de l’amour » qui revient comme un leitmotiv).

Quelques points négatifs cependant : le premier, c’est de la faute de la maison d’édition, il reste des coquilles dans le bouquin, et franchement ça sort de la lecture. Pas cool. Le second, plus de fond, c’est que cette utopie… fonctionne trop bien. Dans Les Dépossédés, ce qui marche particulièrement bien c’est que Le Guin creuse quand même pas mal les cas limite et comment les bonnes intentions de la révolution initiale peuvent quand même se fossiliser et recréer des structures de pouvoir. Ici, même s’il y a la question de la proposition Amistad, ça reste quand même assez léger, tout fonctionne très bien. Peut-être aurait-il plus fallu creuser aussi la question des infrastructures : y’a des trains, des ordiphones personnels (et un réseau qui les sous-tend), même avec une population fortement réduite ça demande quand même des chaînes logistiques à grande échelle qui paraissent peu compatibles avec le reste de l’idée de la déclaration d’Antonia. Enfin beaucoup de conso d’alcool et de cannabis. Pas un souci en soi mais un petit focus sur la gestion des addictions aurait été bienvenu.

Overall ça reste quand même une lecture intéressante, toute la partie sur le salaire à vie, le logement et la nourriture conventionné fonctionnent bien.