Archives par mot-clé : roman US

La Rivière, de Peter Heller

Roman étatsunien de 2019. Jack et Wynn se sont rencontrés à l’université. Tous deux amoureux de la nature, ils ont fait plusieurs randonnées et descentes de fleuve ensemble. Cet été, ils sont parti pour la descente au long cours d’un fleuve canadien. Déposé avec leur canoé et leurs provisions en amont, ils vont pagayer à leur rythme jusqu’à la baie d’Hudson. Ou plutôt, c’aurait été leur programme si un feu gigantesque ne s’était pas déclenché, se rapprochant de la rivière et transformant l’expédition en compte à rebours pour atteindre un endroit où le cour d’eau est suffisamment large pour offrir une protection. Et puis il y a ces autres pagayeurs croisés sur la rivière, notamment ce couple dont l’homme recroise leur chemin seul et ensanglanté. Wynn veut croire à un accident, Jack est plus pessimiste.

Alors avertissement, c’est un roman de dudes. Il y a un seul perso féminin, et il est inconscient la plupart du temps. Le livre est centré sur la relation entre Jack et Wynn, ce que le danger et les différences d’appréhension de la situation lui fait. On parle de deux mecs qui apprécient de partir en autonomie en pleine nature, biberonnés à Jack London et Thoreau. Perso ça me parle tout à fait, mais c’est clairement un point de vue situé.

J’ai beaucoup aimé le début du roman, les descriptions de la nature, de la relation entre les deux personnages. J’ai moins aimé la fin, qui je trouve rate un peu l’impact émotionnel qu’elle cherche à avoir. Il y a plusieurs moment où je trouve que l’urgence, l’absence de communication et la méfiance de Jack ne sont pas très crédibles et surtout là pour faire avancer l’intrigue, ce qui est fort dommage.

Dans le même genre mais un autre medium, je recommande Firewatch, qui je trouve a une structure vraiment similaire mais réussi mieux son crescendo émotionnel.

The Grace Year, de Kim Liggett

Dystopie US de 2019, assez décevante. On est dans un univers rural, où les femmes sont réputées développer des pouvoirs magiques à l’adolescence. Pour que ces pouvoirs ne détruisent pas la communauté, l’année de leur 16 ans (l’Année de Grâce du titre), toutes les adolescentes sont envoyées sur une île où elle vivront entre elles le temps que leur magie se manifeste puis s’épuise. Puis elle reviendront épouser un homme ou rejoindre une communauté de travailleuses. Cette question de l’année de Grâce et du mariage forcé ont toujours intrigué et révulsé Tiernay, l’héroïne, qui va chercher à comprendre ce que cachent ces rituels…

Sur le papier ça avait l’air cool, une dystopie féministe avec un côté Sa Majesté des Mouches/Yellowjackets/The Purge. Mais ça ne fonctionne pas bien, je pense par manque d’un sérieux travail d’édition. Il y a pas mal d’éléments intéressants dans le livre, mais il y a trop de trucs, trop d’éléments qui arrivent d’un coup, ne sont pas bien installés, bien explicités. La fin aurait dû arriver 40-50 pages plus tôt aussi. Soit il fallait couper des trucs, soit il fallait assumer d’en faire une trilogie et pas un seul roman où ça va à 4000 à l’heure. Là y’a un vrai problème d’écriture.

D’autant plus décevant qu’on voit le potentiel gâché. On a l’impression que l’idée de l’éditeur c’était que les dystopies féministes c’était bankable alors allons y sortons des trucs sans y regarder à deux fois. Mais The Handmaid’s Tale ça fonctionne parce que l’écriture et les personnages sont réussis.

The Summer that melted everything, de Tiffany McDaniel

Roman étatsunien publié en 2016 et dont l’action prend place en 1984, dans la petite ville de Breathed, Ohio. Le père du narrateur a mis une annonce dans le journal invitant le Diable à venir lui rendre visite. Bientôt, un enfant noir arrive en ville, déclarant être le Diable. Au même moment, une vague de chaleur qui durera trois mois s’abat sur la ville. Le narrateur raconte les différents incidents événements et incidents qui émaillent l’été et qui signèrent la fin de son enfance.

J’ai pas été très convaincu. C’est vite fait poétique dans les descriptions mais j’ai trouvé ça un peu forcé, et l’histoire n’est pas passionnante, avec une succession assez invraisemblable d’événements dont on a un peu l’impression qu’ils cochent les cases une à une « oh de l’homophobie », « oh du racisme », « oh un personnage quirky » (x40 parce que tout le monde est quirky, ça devient rapidement insupportable).

Delicious Foods, de James Hannaham

Roman étatsunien publié en 2015. On suit une mère – Darlene – et son fils – Eddie – sur plusieurs dizaines d’années avec de nombreuses ellipses temporelles. Le gros du roman se concentre sur le temps que Darlene et Eddie passent sous l’emprise de Delicious Foods, une compagnie agricole qui les « emploie » dans le cadre d’un système néo-esclavagiste. La compagnie recrute son personnel parmi des addicts au crack, auxquels elle fait signer un contrat bidon avant de les regrouper au milieu d’une immense propriété agricole sans moyen de transport, et en fournissant de la drogue pour les retenir sur place. Les « employés » touchent un salaire mais misérable et totalement modulable selon la volonté du contremaître, et ne peuvent acheter de la nourriture, un logement ou de la drogue qu’à la compagnie, à des tarifs prohibitifs, augmentant sans cesse leur dette envers celle-ci.

Le roman entremêle les points de vue de Darlene, d’Eddie et de Scotty, la personnification du crack, qui va parler à la place de Darlene tout le temps de son addiction. La jeunesse de Darlene et le point de vue d’Eddie sont écrits à la troisième personne, Scotty parle à la première (et en AAVE), et dans les derniers chapitres Darlene parlera aussi à la première personne une fois son addiction derrière elle. Le chapitre introductif du livre, qui raconte l’évasion d’Eddie de Delicious Foods puis sa vie ensuite, en laissant plein de zones d’ombres, est très fort et donne fortement envie de lire le reste du livre pour avoir le fin mot de l’histoire.

C’est dur mais j’ai beaucoup aimé et je recommande.

Into the Forest, de Jean Hegland

Roman étatsunien post-apocalyptique apaisé sorti à la fin des années 90. On suit deux sœurs, Eva et Nell, qui vivent dans une maison isolée dans la forêt, pas loin de la ville de Redwood en Californie du Nord. La civilisation industrielle s’est effondrée pour des raisons non-explicitées, les chaînes logistiques se sont défaites, l’essence est devenu introuvable dans la région, et peu à peu les gens se sont retrouvés isolés, l’électricité et tous les réseaux sont devenus de plus en plus erratiques puis se sont totalement éteints. Ça a visiblement été la merde dans les villes, mais vivant à l’écart, Nell et Eva ont été globalement épargnées. Le récit est posté par Nell, qui écrit ce qui se passe dans un journal. L’écriture est très réussie. Elle parle de leur vie avant et après l’effondrement, de la mort de leurs deux parents, de leur trauma, de leurs émotions d’ados dans les deux mondes, de leur quotidien, de leur déni de ce qui arrive.

J’ai bien aimé (avec un caveat, voir plus bas). C’est une take intéressante sur l’effondrement, la version « le merdier est (globalement) en arrière plan, et on voit surtout les choses à hauteur d’yeux d’ados qui était déjà éloignées de la société à la base, scolarisées à la maison et avec des parents assez autarciques. Elles sont quand même affectées par la disparition de l’électricité, de leur capacité à avoir une sociabilité avec les enfants de la ville, la mort de leurs parents. Elles ne sont pas non plus totalement isolées donc elles vont avoir quelques contacts avec des personnes extérieures et ne pas totalement vivre juste entre elles (même si j’ai trouvé les interactions extérieures post effondrement un peu trop clichés).

Comme je disais, on est sur du post-apo apaisé, mais c’est pas non plus du solarpunk : c’est la merde à grande échelle, y’a des événements dark qui se passent même localement, l’autonomie alimentaire des protagoniste n’est pas du tout assurée, elles ont du bois pour le feu mais c’est leur seule source d’énergie. Bon et quand même un point WTF de ce bouquin c’est qu’il y a une scène d’inceste entre les deux soeurs. Une scène qui n’apporte rien au bouquin, n’est pas précédé de signes annonciateurs, n’est plus mentionné après. C’est genre un paragraphe, ça aurait pu ne pas être là et le roman était le même en mieux (littéralement, je me demande si on ne peut pas clamer « auctorialité partagée », éditer le fichier et sortir une version du roman avec juste ce paragraphe en moins. I might do that.)

Sea of Tranquility, d’Emily St. John Mandel

Roman de science-fiction de 2022. On retrouve les éléments présents dans les deux précédents romans de l’autrice : la mention de pandémies, une crise financière avec une pyramide de Ponzi en son cœur. Certains des personnages de The Glass Hotel réapparaissent.

Ici, on suit des personnages à quatre époques : un rejeton de la noblesse anglaise poussé à l’exil au Canada en 1912 ; une femme qui a tourné une vidéo où apparait un phénomène surnaturel dans les années 90 : une autrice en tournée dans les années 2200 et un mec pas très malin mais plein de bonne volonté qui va travailler pour une agence paragouvernementale effectuant des voyages temporels dans les années 2400 (et va faire le lien entre les différentes époques).

Même s’il y avait des éléments intéressants, je l’ai trouvé largement moins bon que les deux précédents. La faute au voyage dans le temps je suppose, toujours une façon efficace de rater une histoire. Le voyage dans le temps a lieu parce que des scientifiques veulent observer un phénomène qui tendrait à prouver qu’ils vivent dans une simulation d’univers. Ce point est largement plus intéressant que le voyage dans le temps (et fait penser à du Robert Charles Wilson) et aurait gagné à être davantage développé.

J’ai bien aimé par contre les éléments de méta liés au fil narratif d’Olive – l’histoire d’une romancière qui a écrit un roman sur une pandémie quelques années avant que la première pandémie de son époque ne se déclenche, et qui est devenue célèbre d’un coup. On sent que Saint John Mandel est travaillée par la question (et par la question des retours des lecteurs puisqu’Olive se demande aussi si elle n’a pas « rendu la mort du Prophète trop anticlimatique » suite à une rencontre avec une lectrice).

Globalement, le plus faible des romans d’Emily Saint John Mandel que j’ai lu. Ça fait plaisir de retrouver son univers et son style d’écriture, mais allez plutôt lire Station Eleven ou The Glass Hotel si ce n’est pas déjà fait.

Le Gang de la clef à molette, d’Edward Abbey

Roman US de 1975, un classique de la littérature écologique et militante. Quatre personnes qui se rencontrent lors d’une descente du Colorado en radeau décident de travailler ensemble au sabotage des bulldozers, chantiers, ponts et barrages qui ravagent l’Ouest sauvage des États-Unis. Le roman décrit leurs actions, leurs interactions et leur cavale alors qu’ils sont poursuivis par un groupe de parapoliciers mormons.

Le côté description de sabotages et défense de la Nature est assez cool. Le désert est bien décrit, l’action directe aussi. Par contre le bouquin est assez sexiste, la fille du groupe ne fait pas grand chose comme action, elle encourage les mecs et est un objet de désir. Je recommande mais en gardant en tête que c’est daté par certains côtés.

Black & White, de Lewis Shiner

Roman américain sorti en 2008 et se déroulant sur deux époques : quelques semaines de 2004 et la vie des parents du héros principal, Michael Cooper. Michael revient pour les derniers jours de son père à Durham, en Caroline du Nord. En creusant le passé de son père et en s’impliquant dans la vie de la ville, il va découvrir progressivement que son histoire familiale est largement liée à l’évolution de la ville, et à l’éviction des quartiers noirs prospères pour laisser passer une autoroute dans les années 60 et 70.

J’avais récupéré ce bouquin parce que j’avais beaucoup aimé Fugues, du même auteur. On n’est pas du tout dans le même style, à part la question de la relation à la figure paternelle. Fugues avait un net côté fantastique, ici on est dans un roman essentiellement réaliste. L’œuvre parle du racisme du sud des États-Unis, de comment ce racisme est passé par certaines politiques publiques, et de sa perpétuation jusque dans les années 2000. Il parle beaucoup d’identité, d’attirance et de relation. C’était sympa à lire, surtout l’histoire du père de Michael – certains passage de celle de Michael lui-même sont un peu datés ou un peu trop rocambolesques.

Exit le fantôme, de Philip Roth

Roman américain de 2007. Philip Roth reprend pour un dernier roman le personnage de Nathan Zuckerman, son alter ego fictif. Après 11 ans de retraite dans la campagne américaine, Zuckerman revient à New York pour une opération de la prostate. Se replongeant d’un coup dans l’agitation urbaine dans les jours qui entourent la réélection de Bush, il va renouer avec une vieille connaissance, se prendre le bec avec un jeune écrivain ambitieux, et être bien libidineux et craignos avec une jeune écrivaine.

C’était assez malaisant. On a un narrateur de 71 ans qui passe son temps à parler de son désir pour une femme de 28, et de sa volonté qu’on n’aille pas déterrer la relation incestueuse entre un écrivain qu’il admirait et mort depuis 30 ans et sa sœur. C’est dommage que ces thèmes principaux soient aussi craignos (mais je crois qu’il faut que je me résolve à ce que j’apprécie les livres de jeunesse de Roth mais qu’il a salement dérivé avec l’âge), parce qu’il y avait des éléments intéressants : le narrateur sent le poids des années et de sa condition physique qui se délabre, aussi bien en terme de trous de mémoire que de façon plus prosaïque par le fait de devoir gérer une incontinence. Deuxième point intéressant, le texte alterne entre des segments écrits à la façon d’un roman et d’autres à la façon d’une pièce de théâtre, qui sont des conversation imaginaires écrites par le narrateur pour remplacer ce qu’il n’a pas osé dire ou demander à des gens. Mais de façon générale, je ne recommande pas ce livre, lisez plutôt Le Complot contre l’Amérique ou Pastorale américaine du même auteur.

The Goldfinch, de Donna Tartt

Lors d’une visite au musée, un préadolescent perd sa mère, rencontre une fille et vole un tableau inestimable. Les conséquences de ces événements l’accompagneront toute sa vie, et notamment lors des ~15 ans que parcourt le roman.

Trois points que j’ai trouvé dommage dans le roman :

  1. Les personnages féminins sont très archétypaux. Pippa est l’obsession romantique du narrateur, Kitsey est l’archétype d’une bourgeoise sans affect. Sa mère est une incarnation de la perfection qui disparaît très vite. Xandra et Mrs Barbour sont plus intéressantes, deux figures maternelles mais radicalement opposées. Mais elles ont quand même un développement beaucoup plus faible que les figures d’Hobbie ou de Boris par exemple.
  2. Le narrateur est orphelin et évolue dans la haute-bourgeoisie newyorkaise sans en être lui-même. On pourrait s’attendre à ce que les questions de différences de classe et surtout les questions d’argent soient un peu plus présentes, mais absolument pas, le narrateur n’a jamais de soucis d’argent. C’est un peu surprenant. </analyse marxiste>
  3. La conclusion où le narrateur philosophe et expose son point de vue sur le sens de la vie sur plusieurs pages m’a semblé assez peu intéressante, une conclusion plus centrée sur les événements aurait été plus adéquate, pour moi.

Ces trois points mis à part, j’ai beaucoup aimé. Le roman fait 700 pages mais il se lit très bien, il est plus prenant que The Little Friend, l’autre Donna Tartt que j’ai lu. La vie du narrateur part dans toutes les directions, mais ça garde une crédibilité. La façon dont le syndrome post-traumatique qu’il trimballe est structurant pour sa vie mais n’est évoqué à chaque fois qu’en passant marche très bien avec la narration à la première personne. J’ai aussi trouvé intéressant le fait que le narrateur évolue aussi dans un monde d’adulte, il est forcé de devenir mature avant l’heure, se passionne pour la restauration de meubles anciens, interagit avec le monde ultra-codifié de la bourgeoisie, il projette volontairement une image contrôlée de maîtrise des codes, et en même temps il reste un enfant, il ne réfléchit pas du tout aux conséquences de certaines actions, reste dans la pensée magique comme mode d’appréhension du monde (sa gestion du tableau, son rapport à Pippa, sa fraude aux antiquités).

Bref, je recommande.