On ne naît pas soumise, on le devient, de Manon Garcia

Bon, évacuons d’entrée l’ambiguïté : malgré le titre il ne s’agit pas d’un copycat de 50 Shades mais d’un essai de philosophie féministe, qui entend montrer d’où vient philosophiquement la soumission des femmes (ie leur absence de résistance, voire leur participation) à la domination masculine, et ce en s’appuyant fortement sur Le Deuxième Sexe, de Simone de Beauvoir.

J’ai pas été entièrement convaincu. Ce n’est pas que je pense que les analyses de l’autrice soient fausses, je pense que j’ai un souci avec l’approche philosophique de ce genre de sujet. Je trouve que ça tourne pas mal en rond et que ça invoque de grands concepts et de grands noms pour analyser des phénomènes qui bénéficieraient beaucoup plus d’une approche basée sur les sciences humaines.

En gros ce que dit le bouquin : il y a une réalité de la soumission féminine au patriarcat, pourtant la soumission est un point aveugle de la philosophie, qui considère dans sa grande majorité que ne pas utiliser sa liberté est une faute morale (pour moi là déjà le problème il est avec l’approche philosophique, y’a pas de paradoxe en soi juste les philosophes sont des tocards (N’hésitez pas à me contacter pour des approches nuancées sur des sujets complexes)).

Si on rejette les explications débiles (débiles, mais qui restent bien prévalentes même de nos jours, et qui sont surtout sexistes) du style « Il y a une essence féminine éternelle, et cette essence est d’être soumise », qu’est-ce qu’on peut dire sur cette soumission constatée ?

Là, Garcia reprend les thèses de De Beauvoir : les humain.e.s ne ni sont totalement libres, ni totalement déterminés par leur environnement : iels exercent leur libre arbitre au sein d’un jeu de contraintes extérieures et de normes sociales. Iels sont influencé.e.s par ces normes mais peuvent les influencer en retour de par leur existence (perso ça me paraît trivial, mais bon, j’arrive après que plus de vingt siècles de philosophie et quelques siècles de sciences sociales aient défriché le terrain, peut-être que c’est pas si trivial que ça). Donc parmi ces humain.e.s, certain.e.s, en raison de caractères biologiques que la norme sociale considère déterminants, sont étiquetées « femmes » et élevées puis socialisés selon une norme donnée qui correspond à cette étiquette (je résume, mais en gros le point important c’est qu’on est pas femme de façon innée, on naît avec des caractères biologiques qui font qu’on vous assigne le label, on dit que ce sont ces caractères qui posent une division significative de l’Humanité en genres, mais cette division est arbitraire (on aurait tout autant pu choisir gaucher.e/droitier.e ou la couleur des cheveux. Genre et race n’ont l’air significatif que parce qu’on vit dans des sociétés qui ont décidé que c’était significatif). Ensuite on vous éduque à vous comporter comme une femme doit se comporter, jusqu’à ce que vous correspondiez suffisamment au stéréotype : on ne naît pas femme, on le devient. (Reparenthèse dans la parenthèse : d’où les travaux féministes notamment de Monique Wittig expliquant que les lesbiennes ne sont pas des femmes : la question c’est pas quels caractères biologiques elles avaient à la naissance, mais la non-conformité à la norme sociale de la femme : or cette norme passe fortement par l’hétérosexualité et la relation aux hommes, notamment parce que ce sont les hommes (cishet) qui en tant que dominants édictent la norme et qu’ils sont intéressés à ce que les femmes soient hétéros, disponibles sexuellement, et tant qu’à faire, soumises, on en arrive au titre du livre)).

Or donc, on a des humain.e.s, tou.te.s disposant d’un libre arbitre, tou.te.s influencé.e.s par des structures et contraintes extérieures. Mais dans le tas y’en a 50% à qui on a dit depuis leur enfance qu’ils doivent être indépendants, qu’on a éduqués à oser des trucs et à qui on a dit que le monde était leur terrain de jeu et qu’ils étaient des sujets libres ; et y’en a 50 autres pourcents à qui on a dit qu’elles étaient plus jolies quand elles souriaient et fermaient leur gueule, que leur but dans la vie c’était un beau mariage et l’entretien d’une maison, et de se sublimer dans la maternité, ie mettre leur corps même au service de la croissance d’un organisme étranger pendant 9 mois + allaitement + éducation.
Bref, le jeu des contraintes extérieures est pas exactement le même pour les deux moitiés. Les femmes ont largement plus à perdre à défier le statu quo social pour chercher leur liberté. Et c’est là que la soumission apparaît : la domination patriacale file plein d’avantages aux hommes, mais elle en file de façon mineure aussi aux femmes qui se conforment volontairement aux normes sociales genrées : dans les sociétés occidentales, il n’y a pas de mécanisme coercitif qui oblige les femmes à se maquiller, à s’épiler ou de façon générale à se conformer aux standards de beauté sexistes, mais celles qui le font auront plus de facilité cependant dans leur vie quotidienne, elle n’auront pas à se justifier, à se prendre des remarques, les gens seront spontanément plus sympa avec elles… (Bon, à la fin elles sont quand mêmes perdantes parce qu’elle claquent du temps, du fric et de l’espace mental à se conformer aux standards sexistes, pour y gagner moins que les hommes en termes d’avantages).

Trois points spécifiques qui m’apparaissent intéressants dans le livre :

  • La tradition philosophique dit que la liberté est l’état premier de l’Humain, mais en réalité, tout le monde commence enfant, et soumis à une autorité extérieure : on expérimente d’abord la soumission, aller vers la liberté est un apprentissage, et il faut faire des choix actifs pour atteindre cette liberté. Le « chemin de moindre résistance » c’est de rester passif et soumis aux diverses autorités qui s’exercent sur nous. Dans ce contexte, les femmes bénéficient de moins de leçons de liberté, cette liberté est moins valorisée dans leur socialisation, elles ont moins à y gagner dans un premier temps (elles ont a gagner collectivement à renverser le patriarcat, mais pas individuellement à le contester) : le calcul coûts/bénéfices de choisir la liberté n’est pas le même pour elles et pour les Hommes.
  • Contrairement à d’autres groupes opprimés (prolétariat, racisé.e.s, LGBT), le rapport d’oppression des femmes hétéros passe d’abord par un rapport interindividuel, dans le couple. D’où une plus grande difficulté à se retrouver en groupe d’opprimées, à faire apparaître une expérience commune, à dénaturaliser la domination. Le tout complexifie le fait de lancer une lutte contre la domination que les opprime (je pense que c’est un peu moins vrai de nos jours qu’à l’époque du Second Sexe, mais ça reste en grande partie pertinent).
  • Toute une partie du livre est consacrée au travail de MacKinnon, une philosophe féministe US : les hommes sont socialisés pour apprécier la domination (enfin, la leur) dans tous les domaines et en particulier dans le domaine sexuel : cf la pornographie mainstream, qui met très souvent en scène des rapports de pouvoir genrés et asymétriques : les hommes sont littéralement conditionnés pour être excités par l’exercice de la domination. Logiquement, ça ne se confine pas au domaine sexuel, ça s’étale sur tout le reste des interactions sociales (Bon après j’ai l’impression que MacKinnon donne au sexe une place vraiment plus prépondérante que ce que je lui accorderai perso, mais l’analyse est intéressante). Logiquement le parallèle c’est que la norme de ce qu’est une femme, telle qu’édictée par le patriarcat (qui est celui qui peut décréter les normes, vu qu’il domine) c’est une personne dominée, et qui ne remet pas en question cette domination, voire au contraire qui l’apprécie : une personne soumise (là aussi, exemple de la pornographie mainstream : les femmes mises en scène prennent du plaisir dans leur position inférieure/passive).

Bref, c’était un très long article pour dire que le livre ne me convainquait pas : j’ai quand même viré l’essentiel des références philosophiques et les parties expliquant en quoi la démarche de De Beauvoir était novatrice, parce que c’est pas les éléments qui m’intéressent le plus. Avoir écrit cet article me fait un peu plus apprécier le livre (pratique réflexive FTW), mais je pense quand même qu’il y avait moyen d’expliquer les points intéressants de façon plus concise et euh… moins philosophique ?

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