Archives par mot-clé : recommandé

Les nouvelles lois de l’amour, de Marie Bergström

Essai de sociologie publié en 2019 qui parle du fonctionnement des relations hétérosexuelles sur les applications de rencontre. La thèse de l’autrice est que l’impact principal de ces applications est de permettre une privatisation des expériences romantico-sexuelles : elles permettent de rencontrer des gens en dehors de nos cercles sociaux, et donc en se soustrayant au contrôle de ceux-ci. Cela va permettre une certaine expérimentation. Pour autant, ça ne veut pas dire qu’anything goes : il y a un fort autocontrôle, avec des comportements que les gens vont s’imposer en les considérant comme moraux ou souhaitables. Notamment, dans le dating hétérosexuel, il y a un fort tabou à discuter librement de sexualité, même s’il est clair que c’est ce pour quoi les deux personnes participant à l’interaction s’y implique : ça doit rester de l’ordre de l’implicite, contrairement à ce qui peut être trouvé dans le cruising gay.

Pour le reste, beaucoup de ce qui est reproché aux applications n’est pas quelque chose qui leur est intrinsèque (notamment de faire apparaitre la nature transactionnelle des relations), mais quelque chose d’inhérent aux relations hétérosexuelles dans un monde patriarcales : les applications se contentent de rendre certains aspects plus visibles. L’autrice revient sur plusieurs éléments que l’analyse des données de plusieurs plateformes permet de mettre en évidence : primes aux femmes de moins de 30 ans et aux hommes de plus de 30 ans, prime à la blanchité, renforcement du script hétéropatriacal de l’initiative masculine dans les interactions et de la réserve féminine (avec sanction pour la sortie de ce script, les femmes étant explicites sur le fait qu’elles cherchent des relations sexuelles sans lendemain déclenchant la méfiance immédiate de leurs interlocuteurs).

Je recommande.

Fumer fait tousser, de Quentin Dupieux

Film français de 2022. Les Tabac Force sont une équipe de sentai qui protège la Terre en utilisant le pouvoir maléfique du tabac pour détruire leurs ennemis. Après une énième mission, ils sont envoyé en séminaire de cohésion d’équipe par leur chef. Dans une base futuriste à côté d’un lac du Verdon, l’équipe tue le temps en se racontant des histoires d’horreur.

C’est un résumé à la fois fidèle et qui ne raconte pas du tout le film, puisque comme dans les Dupieux ça part dans tous les sens. L’ambiance sentai est très bien restituée avec les méchants en costume de monstre, le futur des années 90s, le chef qui appelle en visio pour confier une nouvelle mission… Les inserts des histoires racontés fait un peu film à sketch, mais ça marche bien dans le dispositif.

J’ai bien aimé, c’est un Dupieux accessible et réussi.

Les Petites Reines, de Clémentine Beauvais

Roman jeunesse français de 2015. Mireille Laplace est une adolescente vivant à Bourg-en-Bresse. Son ancien ami d’enfance décerne tous les ans un prix de la fille la plus moche de son collège, qu’elle « gagne » régulièrement. Cette année, décidée à ne pas se laisser faire quand elle voit l’effet de ce prix sur les deux autres filles nommés, elle décide de réclamer le stigmate et de faire avec les deux autres Bourg-en Bresse Paris à vélo en vendant du boudin selon la recette ancestrale de ses grands parents. Objectif secret : réussir à squatter la garden-party de l’Elysée, pour mettre le premier Homme devant le fait qu’il est son père biologique, assister au concert d’Indochine qui sera donné et taper un scandale devant la remise de la légion d’honneur à un général, responsable de la mort de soldats lors d’une opex. L’épopée des trois filles va enflammer la France en manque de nouvelles lors de cette période estivales, et leur permettre de réaliser la force de la sororité.

C’était cool à lire, sans surprise c’était féministe, les personnages sont réussis, le tout à une petite vibe contes de fées revisité (globalement les trois héroïnes vont au bal du roi, même si là c’est la garden-party de l’Élysée). Recommandé, notamment pour vos nièces et neveux au bon âge, mais aussi pour les adultes.

The Exorcist, de William Friedkin

Film d’horreur états-unien paru en 1973. Regan McNeill est la fille d’une actrice célèbre.
Venue avec sa mère sur la côte Est des États-Unis pour un tournage, elle commence à avoir des sautes d’humeur. Examinée par des médecins et des psychiatres et soumises à une batterie de tests médicaux, elle ne réagit à aucun traitement et ne présente pas de lésion cérébrales qui pourrait expliquer son changement de comportement. Face à des manifestations de plus en plus impressionnantes et malgré son athéisme, sa mère finit en désespoir de cause par se tourner vers l’Église catholique pour demander un exorcisme.

J’ai bien aimé mais le rythme est assez étrange. On sent que c’est l’adaptation d’un bouquin et qu’ils ont voulu rester fidèle au texte même à des moments où ce n’était pas la meilleure idée.
Le prologue sur les fouilles en Irak est assez long et on n’entendra ensuite plus parler de Merrin pendant les 3/4 du film ; les histoires de profanation dans l’église du quartier sont évoquées puis disparaissent, le tournage du film de la mère de Regan a le droit à une scène puis disparaît.
A côté de ces défaut, il y a des scènes assez impressionnantes et des effets spéciaux très réussis : la scène de lévitation, la scène d’angiographie, la chambre glaciale en permanence.
Le personnage du père Karras, psy et jésuite en crise de foi, qui fait de la boxe et s’occupe de sa mère vieillissante est inattendu mais donne largement plus de relief au film qu’un archétype plus classique comme l’est Merrin.

Je recommande – si vous aimez les films d’horreur (après il n’est pas très effrayant pour les standards actuels).

To be or not to be, d’Ernst Lubitsch

Film étatsunien de 1942. Dans Varsovie occupée par l’Allemagne nazie, une troupe de théâtre va se retrouver en position d’empêcher un agent double de dénoncer à la Gestapo ses contacts dans la Résistance. Équipé d’une flopée de costumes issus d’une pièce sur le nazisme qu’ils n’ont jamais pu jouer, ils vont élaborer une série de mises en scène pour tromper et la Gestapo et l’agent double et récupérer les documents compromettants. Le tout alors que l’acteur principal de la troupe est obsédé par sa renommée et le fait que sa femme ait des contacts avec un aviateur polonais de la Royal Air Force anglaise.

J’ai beaucoup aimé. Tout le côté quiproquos et double jeu est très réussis, les setups/payoffs et le comique de répétition fonctionnent très bien, les nazis sont minables exactement comme il faut. J’ai trouvé intéressant d’avoir une structure où le personnage de Tura, crucial pour toute l’opération et qui se met en danger n’est pas pour autant héroïque et apparait même franchement ridicule avec son égo surdimensionné.

Je recommande.

Our Flag Means Death, de David Jenkins

Série télé de 2022. On suit les aventures d’une version fictive de Stede Bonnett, un propriétaire terrien de la Barbade qui a abandonné sa vie à terre pour devenir un pirate. On suit notamment sa relation avec Barbe-Noire, la fascination qu’ils exercent l’un sur l’autre puis la romance qui se développe entre eux.

J’ai beaucoup aimé. Il y a un côté très théâtral dans le côté « low-budget » de la série, où c’est souvent 10 personnes sur un bateau perdu au milieu de l’océan. La série a un ton comique, pas du tout historique. On s’attarde surtout sur les émotions des personnages et leurs relations, le décalage entre les attentes de Bonnett et la réalité de la vie de pirate (et comment c’est sa vision qui finit par s’imposer). Taika Waititi est excellent dans le rôle de Barbe-Noire, il a un magnétisme incroyable. Globalement, tous les rôles (et les relations entre les persos) sont très réussis, mention spéciale à Israel Hands qui a l’air de Malcolm de The Thick of It perdu dans un univers où tout le monde ignore ses tentatives d’intimidation.

Grosse recommandation, et j’espère qu’il y aura une seconde saison.

EDIT 2023 :

Il y a eu une seconde saison (mais vu sa conclusion c’est probablement la dernière, ce qui est pas mal narrativement pour éviter que ça ne s’épuise) ! Démarrage un peu lent avant que les persos principaux ne soient réunis, le côté pétage de câble total de Barbe-Noire est bien réussi. Tout le monde est encore plus choupi et gay que dans la saison 1, c’est vraiment très bien.

Victoria, de Justine Triet

Film français de 2016. Victoria est une avocate à la vie un peu chaotique. Élevant seule ses deux filles, son ex est un écrivain qui a eu un certain succès en mettant en scène sa vie à elle sur son blog d’autofiction en déguisant très peu les éléments. Elle accepte de défendre un de ses amis qui est accusé d’avoir poignardé sa compagne lors d’un mariage ; un ancien client à elle et ancien dealer vit chez elle et l’assiste pour préparer le procès et babysitter ses filles. Elle est en permanence à la limite du burn-out voire de l’autre côté et enchaîne les clopes.

J’ai beaucoup aimé. C’est bien filmé, les acteurs jouent bien, y’a un très bon usage de la musique (notamment sur le montage des six mois de suspension) et globalement une bonne bande son. On détecte une petite tendance aux films de procès avec des chiens comme acteurs-clefs chez Justine Triet (une tendance assez niche). On voit largement venir la romance qui était dispensable, mais ça reste un défaut mineur (et une romance assez originale).

Bref, recommandé.

Shin Godzilla, de Hideaki Anno et Shinji Higuchi

Film de kaiju sorti en 2016, qui reboote la franchise Godzilla. Une créature gigantesque est repérée dans la baie de Tokyo et commence à entre dans la ville et à la détruire. On suit les efforts du gouvernement japonais pour comprendre la situation puis lutter contre la créature, tout en étant paralysé par sa bureaucratie et son inféodation aux États-Unis.

J’ai beaucoup aimé. Le design de la créature qui utilise des effets spéciaux manuels est très cool, les plans sont originaux, le point de vue sur/depuis la machine bureaucratique qu’est le gouvernement aussi, comme le fait de centrer les enjeux sur la menace de la radioactivité et de l’ingérence des autres pays plutôt que sur la menace que fait peser le kaiju sur la ville. Très bonne surprise, grosse reco.

Terra Nil, du studio Free Lives

Jeu vidéo sorti en 2023. On joue une mission chargé de réhabiliter des écosystèmes dévastés. Le jeu fonctionne comme un city-builder, mais on ne construit que quelques bâtiments (des sources d’énergies renouvelables et des petites infrastructures), que l’on devra toutes démanteler à la fin de la mission, le but étant de réintroduire des plantes puis des animaux dans l’écosystème. C’était sympa sans être d’une énorme complexité (5-6h de jeu sans faire les cartes alternatives), ça crée de jolis paysages, avec une carte déserte et quasi statique à la base qui s’anime de plus en plus au fur et à mesure qu’on réintroduit des végétaux puis des animaux.

Je recommande pour un petit jeu zen.

Billy No-Mates, de Max Dickins

Essai paru en 2022. Alors qu’il envisage de demander en mariage sa partenaire, l’auteur réalise qu’il ne sait absolument pas qui prendre comme garçon d’honneur. Il réalise qu’il n’a pas vraiment parmi les personnes qu’il fréquente d’hommes dont il se sent vraiment proche. Il va alors partir dans une quête pour redécouvrir le vrai sens de l’amitié et réaliser que les vrais amis sont le trésor qu’on s’est fait le long du chemin. Wait. Non.

Globalement c’est un essai où l’auteur discute de ce qu’est l’amitié, notamment l’amitié entre hommes et la difficulté de se faire des ami.es à l’âge adulte et quand on a été éduqué pour être émotionnellement distant. C’est très scénarisé avec le fil rouge de la quête du garçon d’honneur et beaucoup de blagues (l’auteur a été stand-uppeur). C’est par moment un peu agaçant, et je pense que le livre aurait bénéficié de peut-être un peu plus d’apport de la théorie féministe (même si c’est loin d’être un livre masculiniste, j’ai quand même un peu tiqué sur la citation sans remise en contexte de Jordan Peterson, masculiniste connu) et plus généralement parle uniquement des mecs cis blancs des pays occidentaux sans trop le préciser (mais je suis dans cette démographie donc ça m’allait bien), mais ça parle de plein de sujets intéressants.

J’en retiens notamment les éléments sur la sociabilisation face à face (on se parle) vs côte à côte (on fait des trucs ensembles) qui se corrèle bien avec le genre (et je me reconnais fort dans la seconde). Y’a toujours un caveat dans ce genre d’affirmation qu’il ne faut à la fois pas les essentialiser (c’est de l’éducation, pas de la génétique) et pas les généraliser (pas toutes les personnes s’identifiant comme hommes ne correspondent à cette sociabilisation, pas toutes les personnes s’identifiant comme femmes dans la sociabilisation face à face), ce que l’auteur fait plutôt bien en rappelant notamment que les amitiés masculines peuvent prendre d’autres formes selon les pays et les époques. Mais un pattern répandu pour les hommes (cis, je suppose) des pays occidentaux est que la forme de leur sociabilisation passe par le partage d’activités, et le plus souvent en groupe plutôt qu’en bilatéral. C’est une configuration qui incite moins de base à parler de ses émotions, mais c’est la configuration qui fonctionne pour eux et qui peut mener à les partager à terme. Le passage sur le fait qu’une conversation téléphonique n’améliore pas la qualité d’une relation amicale entre hommes cis (alors que ça fonctionne chez les femmes cis) et qu’elle vont donc tendance à se focaliser sur le fonctionnel résonne aussi pas mal.

Partant de là, le hack des « men’s shed » me semble assez bien pensé : globalement, ce sont des espaces qui proposent des activités (réparation d’objets, jardinage, autre), ce qui va sembler une façon acceptable de sociabiliser aux hommes, et les pousser à sortir de leur isolement (là où proposer un pur espace de discussion, voire pire, dire « il semble que vous avez un problème d’isolation » ne fonctionne pas (vrai bonhomme n’a pas de problème et est autonome).

La partie sur la répartition des relations sociales (petit cercle de personnes très proches d’environ 5 personnes, puis un cercle de 15, de 45 et de 140) et le fait que les gens se retrouvent à un niveau ou un autre selon le temps que l’on consacre à notre relation avec elleux est aussi super intéressant : le temps étant une ressource finie, faire apparaître de nouvelles relations en fait disparaître d’autres (sauf si on arrive à compresser du temps solo passé à regarder des séries ou lire, mais ça peut rapidement être incompressible).

L’auteur discute aussi le manque de script sociaux pour la sociabilisation amicale : les relations romantiques et familiales bénéficient de cérémonials, de tonnes d’exemples dans la culture, l’amitié beaucoup moins. Du coup c’est souvent l’amitié qui est sacrifiée aux autres relations parce que considérée comme moins importante, et qui a plus de mal à se remettre sur pied parce qu’il n’y a pas de façon canonique de relancer les choses. Pour les hommes, c’est encore compliqué par le fait que dans nos sociétés, être occupé est valorisé, donc on a X trucs à faire en //, on n’a pas le temps de venir aux événements amicaux, encore moins de les organiser, et du coup les gens s’éloignent progressivement. En plus, le mode relationnel masculin majoritaire est la compétition et l’ironie : ça n’aide pas pour la partie discussion des sentiments (mais tbh je sais pas si c’est l’auteur ou l’Angleterre en général le problème, mais j’ai l’impression que le problème est quand même largement moins pire pour moi que la situation qu’il décrit).

Bref, qu’en retiens-je ? Les amitiés demandent du temps à y consacrer, et idéalement pour moi, du temps en présentiel et autour d’une activité. Pour kickstarter de nouvelles amitiés masculine, la recette magique est de commencer par une activité partagée (l’auteur parle des chorales parce que c’est une des rares activités masculines non-compétitives, mais je pense que de mon côté ça va être réinscription dans un club d’escalade). Loin des yeux loin du coeur s’applique bien, mais le fait de prendre du temps pour entretenir les amitiés en prenant le temps de prendre des nouvelles et d’organiser des activités fonctionne tout aussi bien pour les remettre sur pied.

Je recommande la lecture.