Archives par mot-clé : fanfiction

Circe, de Madeline Miller

Grosse recommandation. Madeline Miller écrit du point de vue de Circe ce que fut son existence, depuis sa naissance dans le palais d’Helios, le Titan du soleil, jusqu’à la conclusion des ramifications de l’année qu’Ulysse a passée avec elle. Ça explique ce qu’elle fait sur l’île d’Aiaia, parle de sa relation aux autres membres de sa famille, évoque un certain nombre de figures mythologiques, et je n’en dis pas plus pour ne rien divulgâcher. C’est bien écrit, féministe, intéressant, ça donne un point de vue original sur la mythologie grecque. Je vais aller me procurer The Song of Achilles, son autre livre.

A boy with a scar, de dirgewithoutmusic

Une série de fanfictions autour d’Harry Potter, partant à chaque fois d’un point de divergence :
Et si la prophétie parlait d’Hermione ?
Et si la tante Pétunia avait élevé Harry comme un fils ?
Et si Dudley était un sorcier ?

Etc…

Globalement c’est fort bien écrit et c’est très intéressant à lire en connaissant déjà le matériau-source. L’autrice décale le point de vue : au lieu de suivre Harry Potter, gamin ébahi qui découvre peu à peu un monde insoupçonné, on suit la vie de l’ensemble des personnages qui interviennent dans la série, des personnages qui comme le lecteur de la fanfic connaissent déjà les tenants et aboutissants de ce monde. Au vu de ce que raconte la série des HP (une guerre contre le fascisme étalée sur 2 générations), je pense que ce point de vue est largement plus intéressant. Mais il nécessite d’en être passé par la découverte du monde par l’intermédiaire d’Harry pour être suivi facilement.

Par ailleurs dirgewithoutmusic se concentre je trouve largement plus que JKR sur les sentiments des personnages, l’effet de long terme des événements et notamment des décès de leurs êtres chers (là aussi, c’est largement plus facile à faire une fois que le boulot de description du monde et les scènes d’action ont déjà été écrites, mais je pense que JKR pêche quand même beaucoup sur cet aspect, ça aurait pu être largement plus présent dans son oeuvre originale).

L’aspect whatif/uchronie est fort intéressant aussi dans le fait qu’il permet dans le style de se référer au texte originel : pour certaines fics, on a un jeu avec une anaphore, de nombreux paragraphes commençant par « The story went different » ou « The story went the same », et les variations entre. L’effet d’accumulation provenant du fair de lire toutes les fics à la suite permet aussi de dégager des motifs, des comportements de personnages ou des événements de l’histoire considère comme des invariants : si la mère d’Harry survit, elle devient une Auror, si son père survit il devient prof particulier de Quidditch. La guerre finit toujours sur une bataille à Poudlard.

Personnellement j’ai beaucoup aimé l’attention portée dans l’écriture à processus de deuils et aux relations entre les adultes, notamment les maraudeurs, que je trouve super bien caractérisés. J’ai beaucoup aimé aussi l’attention portée au doute, à la peur d’échouer, que ce soit celle de l’Élu.e. de la Prophétie (la version où c’est Ron, les deux versions où c’est Neville sont vachement bien de ce point de vue). Le doute des adultes sur leur capacité à élever des enfants, à adapter leur vie à la perte, aux circonstances imprévues. Les personnages féminins enfin, sont vachement bien. Hermione, évidemment, mais Hermione était déjà réussie dans la version originelle, mais aussi Ginny, notamment les motifs autour de sa possession par Voldemort dans le tome 2, son rapport à sa famille. Et beaucoup de personnages féminins d’arrière plan qui sont assez unidimensionnels dans la VO, les Griffondores notamment, Lavender, Padma et Pavarti…

Grosse recommandation

The Penelopiad, de Margaret Atwood

Texte de la pièce adaptée de son roman éponyme, racontant l’histoire de l’Iliade et de l’Odyssée, et plus largement la vie de Pénélope, depuis son point de vue à elle et celui de ses servantes, tuées par Ulysse lors de son retour à Ithaque. C’était court mais cool. C’était intéressant d’avoir ces points de vue alternatifs, et qu’ils ne soient pas concordants : la solidarité féminine joue, mais les servantes rappellent qu’il y a d’énormes différences entre Pénélope, fille d’une naïade et née dans une famille royale, et elles issues du peuple, présentées la plupart du temps comme un chœur indistinct parlant d’une voix plurielle, même si elles sont nommées et qu’une se détache du lot.

Dans la pièce, les acteurices jouant les servantes jouent aussi tous les autres rôles autour de Pénélope, ce qui est une manière intéressante de montrer que tout tourne autour d’elle et que les autres personnages sont tous au service de son histoire.

Aventures en fanfiction.

J’en ai pas spécialement parlé sur ce blog, mais j’écris des fanfics de temps à autre. Je les publie sur Archive of our Own, un des gros sites de fanfic. Ce qui m’a valu récemment un échange de courriel surréaliste avec une des instances du site. En gros, la question était de savoir si certains des textes que j’avais écrit relevaient de la fanfiction ou non.

Je vous reproduit l’échange de courriel-ci dessous :

From: AO3 Abuse
To: BlueFloyd
Subject: Re:[## REF ##]  Comité Modération d’AO3 : Suspension de votre compte

Hi BlueFloyd,

Thank you for your contact. We have reviewed your case and determined that your works are fanworks. We have lifted your suspension, effective immediately, and apologise for any distress you experienced as a result of this process.

You are welcome to host the work « Fifty Shades of Bat » elsewhere and link to it from your profile or from the author’s notes of another work. However, we require that there be some fanwork in your post, and therefore a link posted by itself would be considered a non-fanwork and not appropriate for the Archive.

For security reasons, the AO3 Policy and Abuse committee will only ever contact users through their emails. It is the responsibility of users to ensure that they have an up-to-date email address, but you are welcome to change your email here: [[lien pour changer l’email]]

We hope that this information is of help.

Yours,

AA
AO3 Policy & Abuse

>    —- On Sat, 12 May 2018 21:18:00 +0000 BlueFloyd  wrote —-

> Bonjour Comité de Modération, / Hello Abuse Comittee,

> Version fr / French version (english below)
> Je souhaiterais faire appel de la suppression des deux œuvres “La Théorie des Anciens Astronautes” et “La Malédiction des Pyramides”. Dans le courriel ci-dessous, vous justifiez la suppression de ces deux œuvres au motif qu’elle ne sont pas des œuvres de fans. De mon point de vue, l’écriture de ces œuvres était clairement faite dans une perspective fan. Ces deux œuvres s’inscrivent dans la même idée, à l’intersection de 2 fandoms : Historical RPF, un fandom clairement identifié sur AO3, et conspiracy theories, (le fandom ne me semble pas exister en tant que tel sur AO3 mais le « creepypasta fandom » existe, j’argumenterai que les théories du complot sont le même genre d’objet que les creepypasta, et sont des œuvres communes à partir desquelles on peut produire des fanfictions). L’idée était de traiter deux événements historiques contemporains (la conquête spatiale dans un cas, la création du centre d’entreposage des déchets radioactifs de Bure dans l’autre) comme s’il s’agissait de théories du complot réfutées par des experts, en dressant des parallèles avec d’autres événements (la construction des pyramides, ou la théorie du complot postulant qu’il y a eu des contacts dans l’Antiquité entre l’Humanité et des extraterrestres). Il s’agit donc de la transposition d’un récit (historique) dans un autre contexte (complotiste), suivant un mécanisme similaire à celui que l’on peut trouver dans des fanfictions des plus classiques du type « coffeeshop AU », ou dans une transposition d’un oeuvre d’un genre littéraire à un autre.
> En résumé, ces deux œuvres ont été écrites comme des historical RPF, et sur cette base, je souhaiterais leur restauration dans l’Archive.

> Deux points mineurs additionnels :
> 1/ Vous signalez aussi dans votre courriel que l’œuvre « 50 shades of Bat » ( https://archiveofourown.org/works/14040414 ) contient trop de copier-coller direct d’une œuvre sous copyright. C’est indéniable, je suis désolé et je vais la retirer. Est-il acceptable de l’héberger ailleurs et de remplacer l’œuvre par un lien et une explication de pourquoi elle a été supprimée de l’Archive, où est-ce que cela serait aussi une entorse aux règles ?
> 2/ Point technique : je n’ai vu votre courriel qu’après une semaine de délai et je n’ai jamais vu le courriel du 26/01 que vous référencez, n’utilisant quasiment pas l’adresse courriel liée à mon compte AO3. Je ne sais pas si c’est quelque chose de techniquement envisageable avec l’infrastructure d’AO3, mais serait-il possible d’avoir des copies de ces courriels dans l’inbox interne au site ?

> En vous remerciant par avance de vos réponses (et de votre travail en général pour le site),
> — 
> BlueFloyd.
>
> __________________________________
>
> English version / Version anglaise :
>
> I would like to appeal against the deletion of my two works “La Théorie des Anciens Astronautes” and “La Malédiction des Pyramides”. In the email below, you explained the works were deleted because they weren’t fanworks. But I did wrote them as fanworks. Both works share a same idea, intersecting two fandoms: Historical RPF, a fandom identified as such on AO3, and Conspiracy Theories fandom (which isn’t categorized as a fandom on AO3, but « creepypasta fandom » is. Conspiracy theories have a lot of similarities with creepypastas, and are common works from which fanfiction can be derived). The idea at the core of my two fanworks was to consider contemporary historical events (spatial conquest in one work, the building of an center for stocking raioactive waste in France in the other) as if they were conspiracy theories debunked by experts, with parallels to others events (the building of the pyramids, the conspiracy theory about aliens visiting Earth during the Antiquity). So both works are transpositions of narratives (historical ones) in another setting (conspiracies), following a similar mecanism as the classic « coffeeshop AU » or any rewriting of a story in another literary genre.
> In short, both works were meant to be historical RPFs, and I would like to ask for them to be restored into the Archive on this basis.
>
> Two more minor points:
> 1/ In your email you also mention the work « 50 shades of Bat » ( https://archiveofourown.org/works/14040414 ) as citing too much of a copyrighted work. That’s true, I’m sorry and I will delete it. Is it acceptable to self-host it and to replace the work on the Archive by a link and an explanation of why it was taken down, or would it count as a rule violation as well?
> 2/ Technical point: It took me a week to see your email and I’ve never seen the email you sent me on the 26/01, as I almost never check the email account linked to my AO3 account. I have no idea if it is technically feasible to do so, but would it be possible to get copies or notifications of these kind of emails (abuse and technical ones) in the internal inbox of AO3?
>
> Thanks in advance for your answers (and a general thanks for your work on the Archive),
> — 
> BlueFloyd.

>> On 12/05/2018 21:33, AO3 Abuse wrote:
>> Bonjour BlueFloyd,
>>
>> C’est avec regret que nous vous annonçons que vos œuvres “La Théorie des Anciens Astronautes”, se trouvant auparavant à l’adresse https://archiveofourown.org/works/12095088, et « La Malédiction des Pyramides”, se trouvant auparavant à l’adresse https://archiveofourown.org/works/13965126 ont été signalées au Comité Modération comme n’étant pas des œuvres de fan.
>>
>> Archive of Our Own – AO3 (Notre Propre Archive) est un endroit dédié aux œuvres de fan. D’après la Section IV de nos Conditions d’Utilisation,> que vous avez accepté de respecter lorsque vous avez créé votre compte, seules les œuvres de fan peuvent être publiées sur AO3. Voici quelques exemples de travaux n’étant pas considérées comme des œuvres de fan : demandes de prompts, listes de prompts, textes débordant d’enthousiasme et de sentiments, martelage de clavier, œuvres fictionnelles ou non-fictionnelles n’étant pas liées au fandom, recherches de fanfics ou de partenaires de jeux de rôle, listes de recommandations, messages adressés à d’autres utilisateur-trice-s, réactions à des épisodes de séries, billets Tumblr et les autres types de contenu éphémère (tout ce qui est temporaire). (Pour plus d’informations sur le contenu autorisé sur AO3, veuillez consulter notre FAQ “Conditions d’Utilisation” : http://archiveofourown.org/tos_faq#fanwork_kind).
>>
>> Par conséquent, vos œuvres ont été supprimées d’AO3.
>>
>> Le 26 Janvier 2017, nous vous avions envoyé un avertissement formel pour une violation similaire de nos Conditions d’Utilisation. Nous vous avions également indiqué que toute nouvelle violation des Conditions entraînerait une suspension temporaire ou permanente de votre compte. Comme ceci constitue votre seconde violation de la section IV, votre compte a été suspendu de manière temporaire jusqu’au 7 juin 2018. Dans le cas d’une troisième violation de nos Conditions, votre compte sera suspendu de manière permanente.
>>
>> Ces sanctions s’appliquent aux utilisateur-trice-s, et non à leurs pseudonymes ; les utilisateur-trice-s dont le compte a été suspendu n’ont pas le droit de créer un nouveau compte en utilisant une autre identité. Vous pouvez en lire plus sur les avertissements et les suspensions dans la FAQ de nos Conditions d’Utilisation : http://archiveofourown.org/tos_faq#content_faq.
>>
>> Au cours de notre enquête, nous nous sommes également rendu-e-s compte que dans votre œuvre « Fifty shades of Bat », se trouvant à l’adresse : https://archiveofourown.org/works/14040414, figure une quantité de contenu protégé par des droits d’auteur-e, qui dépasse celle préconisée par nos Conditions d’Utilisation.
>>
>> Selon la Section IV.D de nos Conditions d’Utilisation : “Les épigraphes et les citations courtes, y compris les citations des paroles d’une chanson et les vers d’un poème, sont autorisées. Une création qui se place dans le contexte d’une œuvre existante ou qui s’en inspire est autorisée. La reproduction intégrale d’œuvres sous droits d’auteur-e (chansons, poèmes, transcriptions, ou autres) n’est pas autorisée sans le consentement du/de la propriétaire des droits d’auteur-e.”
>>
>> Quand bien même vous n’avez pas reproduit le livre entier à l’identique, une très large portion de votre œuvre est du mot pour mot. Ceci excède de loin les « citations courtes » autorisées par les Conditions d’Utilisation.
>>
>> Par conséquent, cette œuvre a été cachée, et ne peut être vue que par vous-même et les administrateur-trice-s d’AO3, grâce au lien indiqué ci-dessus. Vous ne serez pas en mesure d’y accéder pendant votre suspension. Nous vous demandons de retirer les passages protégés par les droits d’auteur-e ou de supprimer l’œuvre entière d’AO3 dans les 7 jours suivant la fin de votre suspension (14 juin 2018). Si vous ne l’éditez pas, ou ne la supprimez pas avant cette échéance, un/une administrateur-trice AO3 s’en chargera. Si vous souhaitez faire appel de notre décision, ou si vous avez des questions, n’hésitez pas à répondre à cet e-mail.
>>
>> — 
>> AA
>> Comité Modération
>>
>> — 
>> Comité Traduction

Le Club, de Michel Pagel.

Quatre adultes (le chien est mort depuis longtemps) se retrouvent pour passer Noël ensemble, afin d’essayer de retrouver la magie de leur enfance pleine d’aventures. Mais les choses vont rapidement prendre un tour sinistre… Franchement je suis déçu. Le Club des Cinq a pas mal bercé mon enfance et alimenté mon imaginaire qui veut toujours habiter une maison pleine de passages secrets et construire des cabanes. On sent que Pagel a un attachement à la série lui aussi, il connaît bien les détails des histoires, mais 1/il sort un côté surnaturel un peu chelou qui n’apporte pas grand chose à l’histoire en définitive, et 2/ il fout des détails glauques randoms. Du coup le résultat est pas satisfaisant du tout. Dommage dommage.

Marcel Proust & les Aventuriers du Temps Perdu.

Une fois que l’idée était lancée, je n’ai pas pu résister… Rien à voir avec l’Inde donc, mais tant pis.

La porte claqua, faisant vibrer la batisse ; Indiana se tenait dans l’embrasure, découpé sur l’or du soleil couchant, campé là comme s’il était l’évidence ; il y avait dans ce tableau un sentiment d’éternité, comme si Indiana n’avait jamais cessé de se tenir sur mon seuil, et que jamais il ne cesserait, dut-ce l’univers prendre fin ; et pourtant il bougea, et l’instant fut brisé, le sentiment balayé.
« Marcel. J’ai besoin de toi.
– Indiana. Cela fait longtemps. Après la dernière fois, je ne pensais plus te revoir. »
Indiana… Après la mort d’Albertine, brisé par le chagrin, je m’étais rendu aux Amériques, tentant de noyer mes pleurs dans la beauté du monde. Mais là où le monde n’avait rien pu, la beauté d’un homme m’avait sauvé. Indiana Jones, professeur et aventurier ; avec lui j’avais gravi des montagnes, exploré les plus vieux vestiges de l’Humanité, cherché de mystérieux artefacts. Las, après tout ce que nous avions vécu ensemble, quand j’avais rassemblé le courage nécessaire et déclaré mes sentiments à Indiana, il m’avait repoussé. Le cœur brisé une seconde fois, chancelant sous le poids des peines, je m’étais retiré à Guermantes dans la propriété familiale, où je n’aspirais qu’à panser mes plaies. Et aujourd’hui le passé et l’aventure se tenaient une nouvelle fois devant moi, et ils avaient le sourire d’Indiana.
« Marcel… Je ne t’aurais pas recontacté si la question n’était pas vitale. Je suis sur la piste de la couronne de Charlemagne. Mais je ne suis pas le seul. Cette couronne soulève l’intérêt de bien des gens malintentionnés. Sans ta connaissance de la société française, je n’ai aucune chance. Il existe une société secrète qui cherche la couronne, et qui possède un parchemin indiquant son emplacement. J’ai réussi à identifier certains de ses membres. J’aurais besoin que tu m’introduises chez un certain Verdurin. »
La tête me tournait. Indy, l’aventure, une quête mystérieuse, tout cela pouvait-il appartenir au même univers que la société feutrée qui emplissait les salons parisiens ? Indiana me regardait, attendant ma réponse. Guermantes me sembla tout d’un coup trop étroite, comme une mue qu’il me fallait abandonner pour aller de l’avant ; les boiseries de la vieille demeure m’avaient soutenu un temps mais maintenant qu’Indiana était là Guermantes prenait un coté absurde, elle palissait à coté du torrent perpétuel, du brasier de vie qu’était Indiana. Je l’ai regardé dans les yeux et je lui ai dit oui, de ce même oui que l’on dit en réponse au prêtre, de ce oui que l’on crie dans l’extase, de ce oui qui clamait que contre vents et marées contre lui et contre moi, je serais à ses cotés.

Odyssée.

Nous partîmes fringants et pleins d’espoir, le passeport en bandoulière, le visa s’étalant fièrement à la vue de tous. L’obtention avait été tumultueuse, mais nous étions en règle, prêt à laisser de coté toute tracasserie administrative pour se focaliser sur la Science et les voyages. De quelle naïveté ne faisions nous pas preuve !
Cette euphorie fut de courte durée. Sitôt arrivé, on nous signala, à demi-voix, l’existence du « Herrero », monstre mythique qui terrorisait le pays. Chaque nouvel arrivant devait se mesurer à lui et espérer en sortir indemne. Tel le Sphinx, le Herrero fonctionnait par énigmes. Il demandait au voyageur un tribut sous forme de parchemins difficiles à collecter, un certificat d’affiliation, une preuve de logement… Et refusait bien souvent des tributs pourtant conforme aux règles qu’il venait d’énoncer, son humeur changeante et capricieuse voulant désormais que tel parchemin soit présent deux fois ou signé de la main d’un vieux sage.
Je cheminai vers la tanière du monstre plein d’appréhension. En effet, mon visa était vicié : là où « IFP » devait s’afficher, une regrettable confusion à l’Ambassade avait laissé pour marque les mots « Alliance Française ». Le monstre n’eut que dédain pour mes tentatives de l’amadouer. Il me fallait une quittance de l’Alliance et non pas de l’IFP. « Mais je n’appartiens pas à l’Alliance », me débattais-je tel Alderaan face aux Siths. Le minotaure pondicherrien me laissa une ultime chance : Si je pouvais faire un duplicata de tous mes parchemins, alors il laisserait les parchemins accomplir une quête, une quête jusqu’à Chennai, cité mythique et lointaine, où ils subiraient l’ordalie d’un groupe de sages. La route jusqu’à Chennai était longue et semé d’embûches, et nul ne saurait si mes parchemins avaient péri en route. L’attente deviendrait mon credo, jusqu’à l’hypothétique appel qui me signalerait le retour sain et sauf de mon dossier. La mort dans l’âme, je regardais le Herrero sceller le destin et l’enveloppe de mon dossier.
Deux longs mois passèrent, un hiver de mon âme où je fus tel Pénélope. Et par un matin brûlant comme seul Pondy sait les créer, une sonnerie se fit entendre. La voix était ténue, couverte par les parasites, pourtant quelques mots firent sens, allant droit à mon cœur : « file… Chennai… back ». Il avait réussi le voyage ! Pour autant, l’ordalie avait-elle été un succès ?
Le lendemain, à l’heure où blanchissait la campagne, je partis. J’allais par Nehru Street, j’allais par le canal : je ne pouvais rester sans nouvelles plus longtemps. Dans la tanière du monstre pourtant, il me fallut patienter encore : trop tôt arrivé, la bête n’était point éveillée. Enfin j’aperçus mon dossier. Le Léviathan hésita, frémit, puis me tendit sa serre. De mes mains tremblantes s’échappèrent mon passeport, la bête me fis signe de revenir à la tombée du soleil, quand elle aurait fait agir sa magie.
Le soir donc je revins, et mon passeport me fus rendu, orné d’une rune proclamant que la bête m’accordait droit de cité.

Étais-ce la fin ? Il me plaît de l’espérer.
Et cependant, tel un cadeau empoisonné,
La bête a laissé une énigme à méditer :
Si je pose mon regard sur mon laisser-passer,
Et que je compte les jours qui me sont échoués,
Pour atteindre mon avion, il me manque une journée.