Archives par mot-clé : recommandé

El laberinto del fauno, de Guillermo del Toro

Film fantastique espagnol de 2006. A la fin de la guerre civile espagnole, une femme enceinte et sa première fille vont rejoindre le nouveau mari de la mère dans la campagne espagnole. Le nouveau mari est est un officier franquiste qui traque les dernières colonnes républicaines. Le film suit principalement le point de vue d’Ofelia, la jeune fille, qui découvre dans la propriété un ancien labyrinthe, où une créature magique lui annonce qu’elle est la réincarnation de la princesse d’un royaume souterrain. Pour pouvoir y retourner, elle doit triompher de trois épreuves. Le film va montrer en parallèle les péripéties fantastiques d’Ofelia et la lutte des républicains contre le régime fasciste. Et la question du parallélisme est ici cruciale : le film ne dit pas clairement ni si Ofelia imagine ces péripéties ni si elle réussit finalement sa dernière épreuve, mais tout du long ce qu’elle vit fait écho au combat des républicains et notamment de Mercedes contre les soldats fascistes : on retrouve le motif de la clef, des stocks de nourriture, du refus d’obéir aux ordres. Une lecture du film est qu’Ofelia serait la part d’enfance de Mercedes, qui mentionne qu’elle « croyait aux fées petites mais plus maintenant ».
Mais si les rôles moraux sont bien distribués dans le monde réel ou l’opposition fascisme/républicains est claire, les choses sont beaucoup moins évidentes dans les épreuves d’Ofelia, où le rôle du faune qui la guide semble ambigu.

Si les images de synthèse sont un peu datées, le film reste très beau, très inventif sur le côté dark fantasy, sans que celui-ci ne prenne toute la place. Au contraire, c’est probablement plus l’intrigue réaliste qui a le plus de temps d’écran, et qui est aussi très bien filmée. Les personnages sont globalement réussis (peut-être moins les républicains, que l’on voit assez peu et qui sont plus archétypaux). Bref, je recommande si vous ne l’avez pas vu.

We Have Always Lived in the Castle, de Shirley Jackson

Roman états-unien de 1962. L’histoire est racontée du point de vue interne de Mary Katherine « Merricat » Blackwood. Celle-ci vit dans une maison de maître isolée sur un domaine, avec son oncle et sa soeur. Merricat est la seule à jamais quitter le domaine, pour aller faire des courses au village le plus proche, où tout le monde semble détester sa famille. On découvre peu à peu les tenants et aboutissants de cette détestation et du passé de la famille, alors que des éléments extérieurs viennent perturber le quotidien des Blackwoods.

J’ai beaucoup aimé, c’est assez différent de mes lectures classiques. On comprend rapidement que Merricat est une narratrice non-fiable, avec tout un système de croyances et rituels qui organisent sa vie et sa perception du monde. Le roman met en scène la crainte de l’autre de façon originale : on n’est pas sur de la xénophobie, antisémitisme ou autre à la Lovecraft, mais on a cependant une peur et une détestation de gens qui n’appartiennent pas à notre communauté qui est mise en scène dans le roman. Dans le cas des villageois, les Blackwoods sont isolé physiquement et moralement d’eux, mais dans le cas des Blackwoods on a aussi une crainte de tout ce qui est extérieur à leur communauté de trois personnes. Si au début j’ai cru que le texte allait vers une révélation de la nature surnaturelle des Blackwoods (vampires, monstres quelconques ?) ce n’est finalement pas ce type d’étrangeté qu’ils possèdent, mais ils sont bien marqués par une étrangeté radicale, avec une vision de la morale qui semble totalement détachée de celle du reste du monde, et hautement questionnable (les villageois semblent être des personnes détestables indépendamment, mais les immoralités ne s’annulent pas mutuellement). J’ai beaucoup aimé comment montre le début de la mise en place d’une légende locale, avec les offrandes rituelles des villageois, la comptine inquiétante et la maison hantée (on retombe sur les schémas de l’horreur classique plutôt que de l’horreur lovecraftienne).

Station Eleven, de Patrick Somerville

I remember damage, then escape.

Série télévisée de 2022, adaptée librement du roman éponyme.

Pour re-résumer brièvement l’histoire : en 2020, une pandémie (pas la notre, une autre) balaye la planète et tue 99% des gens. On suit en parallèle la vie de plusieurs personnes avant la pandémie et celle de Kirsten, actrice dans une troupe de théâtre itinérante, 20 ans après la pandémie. J’avais beaucoup aimé le livre, je trouve que la série vaut le visionnage aussi, sans néanmoins arriver au niveau du matériau-source (mais je pense que c’est pas vraiment possible avec un médium non-textuel d’avoir la même qualité d’allers-retours temporels et digressions de l’histoire). Les variations par rapport à l’histoire originelle sont intéressantes, mais elle accentuent encore un peu plus le côté « tout est connecté » que j’avais trouvé dommage dans le livre. Par ailleurs, il y a un peu trop une tendance à laisser sans conséquences certains événements qui me laisse incrédule : « oh tu m’as poignardé ? C’est pas grave soyons potes. Et puis cet usage d’enfants-soldats pour tuer ton mentor ? Allez on fait tou.tes des erreurs. » Le comic est aussi un peu trop central, je trouve. Là où le roman appuie plus sur le côté « des coïncidences et des trajectoires inattendues », la série est plus en mode « il y a un sens caché à tout cela ».

Pour les points positifs par contre, j’ai trouvé que les décors étaient superbes, et reflètent très bien, et avec des variations, le côté « 20 ans après l’apocalypse ». Les costumes aussi d’ailleurs, dans le côté mix and match des vêtements que tout le monde porte dans le monde 20 ans après. Les acteurs jouent très bien aussi, notamment Matilda Lawler. L’histoire qui s’étale sur 20 ans et les révélations progressives sur 10 épisodes permettent d’avoir un impact émotionnel fort. La série met d’ailleurs bien en scène le traumatisme et les différentes façons de le gérer.
L’histoire de Miranda et celle d’Arthur ont beaucoup moins d’impact que dans le roman, mais celle de Jeevan en gagne. La scène de théâtre dans l’épisode final est fort réussie, alors que j’aurai pas trop parié là dessus dans le cadre d’une série post-apo.

There is no antimemetics division, de qntm

Fiction paranormale, publiée en 2021. Le livre consiste en une collection de nouvelles mettant en scène la division antimémétique de la Fondation SCP. Quelques précisions sont d’entrée nécessaire : la « Fondation SCP » est une organisation fictionnelle au coeur d’un projet d’écriture collaboratif. Cette organisation gère des objets, des entités et des événements paranormaux, pour préserver les apparences de normalité de notre monde. Le projet collaboratif consiste (pour son émanation principale) en un wiki recensant les rapports rédigés par les agents de la Fondation, détaillant dans un style bureaucratiques les différents items ou incidents gérés par la Fondation. Le tout forme un lore détaillé et entremêlé, dans un style d’univers que j’aime beaucoup. Cet univers à notamment inspiré le jeu vidéo Control, qui met en scène le même type d’organisation occulte.

Pour en revenir à There is no antimemetics division, l’œuvre met en scène une division particulière de la Fondation : celle qui gère les artefacts avec des propriétés antimémétiques, ie les artefacts qui empêchent la transmission d’information à propos d’eux-mêmes ou sont capables de supprimer de l’information. Les différentes nouvelles qui composent l’œuvre imaginent comment il est possible d’étudier ou de combattre de tels objets et entités, comment la division travaille, comment ses membres sont affectés par leur travail quotidien. D’autres textes existent qui parlent de la Fondation et de sa division antimémétique, mais ceux rassemblés dans cet ouvrage émanent d’un·e seul·e aut[rice|eur], qntm, et sont connectés entre eux pour raconter principalement l’histoire de Marion Wheeler, une des directrices de la Division. Globalement j’ai beaucoup aimé, le postulat et l’univers sont originaux. La forme de l’écriture – par fragments agrégés, se référant à un univers plus large, m’a fait penser à certaines fanfictions que j’ai pu lire, on est vraiment sur un style d’écriture et un format d’œuvre pour lequel on voit la différence avec un roman « classique ». Il y a quelques faiblesses dans l’écriture qui découlent du format cependant, avec des répétitions entre fragments qu’un meilleur travail d’édition aurait pu effacer. Le texte est en deux parties, et si je suis enthousiaste sans réserve sur la première, la seconde me semble plus faible. Si certains passages horrifiques de cette seconde partie sont très réussis et exploitent à fond l’aspect antimémétique (selon le même type de mécanisme que le Silence et les Anges dans Doctor Who), d’autres me semblent plus de la boilerplate horror, avec un côté « mélangeons fascisme/bad trip/eldritch, ça ne peut pas rater ». Mais globalement le livre vaut largement le détour si vous n’avez rien contre l’horreur, les nouvelles et les concepts originaux. Merci à Ted pour la recommandation !

Chronique du Pays des Mères, d’Elisabeth Vonarburg

Roman francophone de science-fiction de 1992. L’histoire se passe dans l’Europe d’un lointain futur. Après des catastrophes liées au changement climatique, et un effondrement des sociétés, celles ci se sont reconstruites en le Pays des Mères, une matriarchie où les hommes, en nombre très largement inférieur aux femmes sont des citoyens de seconde classe. On suit le point de vue de Lisbeï, une chercheuse qui va découvrir un carnet remettant en cause le dogme religieux du pays des Mères. Le roman va présenter la vie de Lisbeï, l’organisation du Pays des Mères, ses débats internes, son Histoire, et les controverses théologiques soulevées par la découverte de Lisbeï.

C’était très bien. La société présentée est super intéressante, montrée avec suffisamment de détails pour se rapprocher des Dépossédés, mais avec une ligne narrative plus appuyée avec les recherches en théologie de Lisbeï et sa relation aux autres personnages. Le livre met en scène une société où l’homosexualité est la norme, où le féminin l’emporte sur le masculin dans le langage. Je ne suis pas entièrement convaincu par la fin, mais sinon le roman vaut le coup.

Heaven’s Vault, du studio Inkle

All of this has happened before and all of this will happen again

Jeu vidéo sorti en 2019. L’histoire se passe dans la Nébula, un ensemble de petites lunes reliées par des courants d’eau passant d’une planête à l’autre. On suit le point de vue d’Aliya, une chercheuse en archéologie, envoyée par sa directrice à la recherche d’un collègue disparu lors d’une campagne de fouille. Notre quête va nous faire découvrir progressivement l’Histoire de la Nébula, dont les traces abondent mais qui n’intéresse personne, la religion dominante stipulant que le temps est cyclique et que les choses finiront par revenir.

J’ai beaucoup aimé l’ambiance du jeu. L’univers de la Nebula est orientalisant et sur le Déclin : on découvre partout des endroits qui ont connu leur heure de gloire bien des années auparavant. Ça donne de très beaux décors, dans lesquels on se déplace pour trouver des fragments de texte que l’on essaye de déchiffrer pour comprendre le passé (la compréhension du langage Ancien est une des mécaniques centrales du jeu). Les personnages sont réussis, l’histoire et l’Histoire présentées riches en rebondissements, la bande-son discrète mais belle. Et surtout une narration très réussie, avec différents arcs que l’on peut découvrir ou non, certains choix mutuellement exclusifs, le tout réalisé d’une façon très fluide (à l’inverse, il y a quelques moments où l’envers du décor se voit un peu, avec des interactions où tu comprends pas comment ton personnage comprend ou affirme certains trucs, mais c’est assez mineur. Dans le même style, certains éléments apparaissent un peu trop tôt sur la carte je trouve. Je regrette aussi l’impossibilité d’explorer plus avant certains aspects, comme le passé commun d’Aliya avec ses amis, mais de ce que j’ai compris le studio a manqué de fonds pour finir de développer le jeu autant qu’iels l’auraient voulu).

Bref, je recommande chaudement. Dans le pitch il y a des similitudes avec Outer Wilds, mais dans les mécaniques de jeu, dans l’esthétique et dans l’histoire assez peu.

Les Strates, de Pénélope Bagieu

Bande-dessinée française autobiographique publiée en 2021. L’album est constitué d’histoires courtes qui courent sur quelques pages, dessinées au crayon en noir et blanc. Les histoires couvrent différentes périodes de la vie de Pénélope Bagieu, des événements ou relations qui l’ont marquée. Ça se lit très bien, ça tape un peu émotionnellement. Le dessin au crayon à papier est intéressant et correspond bien à la tonalité des récits.

(oui c’est une critique succincte, j’ai bien aimé mais je vois pas trop quoi dire de plus)

Les Ignorants, d’Étienne Davodeau

Bande dessinée française autobiographique et pédagogique. Davodeau décide de collaborer avec un vigneron, Richard Leroy, pendant un an. Il participe aux travaux de la vigne, et Leroy va lui apprendre les différentes facettes du métier de vigneron. En échange, Davodeau lui montre comment fonctionne la création d’une bande dessinée et lui fait lire les œuvres de différents bédéastes. La BD retrace cette année et les échanges entre les deux hommes et leur entourage. C’est intéressant à lire pour apprendre des choses à la fois sur les deux univers. J’avais assez peu aimé la précédente BD de Davodeau que j’avais lue, mais celle-là m’a réconcilié avec l’auteur. J’ai trouvé assez intéressant par rapport à la démarche d’avoir au milieu une page dessinée par Trondheim, ça rentre bien dans la démarche globale de l’ouvrage.

Je recommande donc.

La Modification, de Michel Butor

Roman français publié en 1957. On suit un homme lors d’un voyage en train de Paris à Rome. Le roman est narré à la seconde personne du pluriel, et au cours du voyage le flux de conscience du personnage principal ne va pas cesser d’osciller entre les différentes fois où il a fait ce trajet, ses différents séjours à Rome et sa vie à Paris. Le trajet va aussi progressivement modifier son état d’esprit et il va arriver à Rome en ayant décidé de prendre la décision inverse de celle qui l’avait motivé à entreprendre le trajet.

C’était bien. Je l’ai commencé dans un train pour ajouter une petite couche de méta, mais clairement le rapport au voyage en train des années 50 n’est pas le même que celui qu’on a en 2021. Le Paris-Rome dure pas loin de 24h, le narrateur est dans un wagon de 3e classe, il prend des tickets repas pour aller au premier ou au second service du wagon restaurant. L’intérêt principal du récit se situe dans les sauts temporels de la narration qui collent au plus près au flux de conscience du protagoniste, et qui se font sans être annoncés, avec juste des juxtapositions indiquées par des variations de la météo, de la luminosité, de l’horaire de passage dans une gare (quand c’est un voyage différent qui est évoqué, c’est plus apparent quand on passe à un séjour à Rome). On a même des fragments de rêve du personnage qui viennent s’intégrer au récit quand il somnole, qui se distinguent du reste de la narration par l’usage d’une narration à la troisième personne plutôt qu’à la seconde.

Plutôt que d’autres roman, la façon dont les lieux convoquent différentes couches de souvenirs ou d’époques m’a évoqué le jeu vidéo Return of the Obra Dinn. On retrouve ce même mécanisme de navigation entre plusieurs époques, et la façon dont l’histoire nous est dévoilée progressivement au cours du roman fonctionne de façon similaire au déverrouillage de nouvelles zones dans le jeu vidéo.

The Matrix Resurrections, de Lana Wachowsky

Quatrième film de la saga Matrix, sorti en 2021. Il y a de gros défauts, mais globalement j’ai passé un bon moment au cinéma. On profite largement plus du film en ayant en tête les enjeux posés dans les trois premiers, et en allant le voir en en sachant le moins possible dessus, j’avertis donc sur les spoilers que contient cet article.

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