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Fin du monde et petits fours, d’Édouard Morena

Essai d’histoire des négociations climatiques, paru en 2023. Sujet qui m’intéresse, et essai facile à lire. Je recommande.

La demande de l’interdiction des jets privés comme symbole de la consommation ostentatoire et climaticide est montée en puissance en 2023, mais le gros de l’impact climatique des ultra-riches n’est pas lié à leur consommation, mais à leurs investissements. L’empreinte carbone du patrimoine d’un·e Français·e moyen·ne est de 10,7TCO2eq. Celle du patrimoine d’un milliardaire français : 2,4 millions de TCO2eq. Ce patrimoine est potentiellement impacté par le changement climatique. Les plus riches sont à la fois forceurs de climat et vulnérables au climat.

Deux stratégies classiques pour faire face à cette vulnérabilité :

  • le prepping version milliardaire (ranchs géants avec bunkers)
  • la jet-set climatique (Al Gore & Jane Goodall), qui milite pour remplacer le capitalisme fossile par un capitalisme vert, avec efforts d’atténuation et d’adaptation via le marché, et une vision de nouvelles opportunités de marché pour celleux qui s’engagent dans cette voie. Ceux sont principalement elleux, via leurs financements et leurs relais médiatiques, qui orientent le discours dominant et le débat sur le climat. Le livre se concentre sur cette seconde stratégie.

I Une conscience climatique de classe

Dès 2006 dans la Silicon Valley et 2007 à Londres, dîners d’affaire des « philanthropes climatiques » pour sensibiliser de plus grands pans des élites et décideurs aux enjeux climatiques, et aux investissements possibles pour à la fois y remédier et avoir de nouvelles opportunités d’investissement.

Vont ensuite influencer le débat public pour appuyer l’idée que la transition se fera via des solutions technologiques et des mécanismes de marché ; ainsi leurs intérêts propres en tant qu’investisseurs dans ces technos est rejoint par l’intérêt général, et les États vont assumer une partie des risques à leur place en subventionnant, finançant et en renflouant ces investissements si besoin. Cette stratégie, c’est militer pour une réforme à la marge du capitalisme (changement de cible des investissements) pour ne surtout pas en sortir (Le Guépard, tmtc): on reconnaît qu’il a causé des problèmes, mais on affirme dans le même temps qu’il est la seule solution à ces problèmes.

Les fondations pour le climat fondées et financées par des milliardaires philanthropes vont faire infuser dans le monde associatif le discours managérial : elles se décrivent comme des fondations « à impact » visant un « retour social sur investissements ». Le cadre des entreprises gérées avec des tableaux excel est légitimé, et les entrepreneurs deviennent une figure centrale des politiques climatiques.

II Poumons de la Terre et pompes à fric

Investissement dans les terres de la part des philanthropes verts : un investissement plutôt bon marché et qui prend de la valeur avec le changement climatique : puits de carbone potentiels, et production de denrées agricoles dans un monde où l’incertitude sur cette production augmente. De plus, bon en termes d’images, se posent en défenseur de la terre et de la Nature, surtout si soutiennent des projets de réensauvagement (qui augmentent le potentiel de séquestration carbone). Se posent ainsi en individus responsables, qui compensent à titre individuel leurs émissions carbone (liées aux déplacements en avion privé par ex). Permet d’opposer la figure du bon philanthrope à celle du mauvais pauvre, et de pousser un discours néomalthusien : le pb c’est la surpopulation.

Les forêts déjà existantes étaient initialement exclues des mécanismes de compensation carbone : seuls les projets d’afforestation et de reforestation étaient éligibles. L’inclusion de la déforestation évitée a permis d’inclure les forêts existantes comme des actifs valorisables sans rien faire d’autre dedans que de ne pas les raser (point positif quand même : ça leur offre une protection qu’elles n’avaient pas sinon), ce qui permet surtout d’augmenter la valeur de la propriété foncière de certain.es (point positif à nouveau : ça peut inclure des États du Sud qui sinon n’avaient pas trop de billes dans les négociations climatiques). Le problème est que le fait que le mécanisme de REDD (protection des forêts et émissions de crédits carbone en échange) apporte effectivement une protection supplémentaire (plutôt que protéger des forêts qui n’allaient de toute façon pas être coupées) est assez invérifiable, qu’on agglomère des actifs fonciers très différents, et que du coup le tout est une usine à gaz où il est facile de gruger, et qui sert principalement à enrichir un oligopole de certifieurs qui servent à patcher les failles d’un système qu’ils ont eux-mêmes monté…

Le mécanisme REDD, initialement prévu pour les forêts tropicales, a été étendu aux forêts tempérées, ouvrant une superbe opportunités aux propriétaires fonciers occidentaux. Cette extension a permis une alliance objective entre ces propriétaires fonciers souvent conservateurs et conservationnistes, et les philanthropes verts, souvent plutôt issus d’une élite libérale et tech-friendly. Reconfiguration des liens affinitaires parmi les classes dominantes.

Ce mécanisme renforce l’idée que c’est la marchandisation de la Nature qui permettra de la sauver elle et le climat. Et si cette Nature appartient à des personnes privées, c’est un nouveau mouvement des enclosures, et un capitalisme de rente qui se réaffirme.

III L’éléphant dans la pièce

McKinsey en tant que cabinet de conseil majeur qui appuie aussi bien des acteurs privés que des gouvernements et qui se veut poussant des sujets pas encore appropriés par ses clients, a joué à partir de 2007 un rôle majeur dans la promotion du capitalisme vert comme moyen de poursuivre le capitalisme. Ils ont notamment produit une courbe des coûts marginaux de différentes options de réduction des gaz à effet de serre, qui a été énormément reprise et a beaucoup influencé le débat public, malgré des failles méthodologiques et une absence de transparence sur sa construction. Promeut à la fois l’idée que l’inaction climatique est un non-sens économique et que les solutions pertinentes sont des solutions de marché. McKinsey a publié pas mal d’études en 2006-2007 pour apparaître comme une référence crédible et reconnue sur le sujet. Sans être directement à la manœuvre, elle s’est appuyée sur le rapport Stern (qui a inspiré la courbe des coûts marginaux) qui trace une roadmap pour les entreprises, et a aidé en sous-main à la rédaction du rapport « Design to win » qui traçait une feuille de route pour la philanthropie climatique et a effectivement aidé au fléchage de fonds depuis des fondations provenant de la tech vers ce sujet.

A partir de 2008, le project Catalyst (projet monté et piloté par McKinsey) va être financée par des fondations philanthropiques, versant de 2008 à 2012 42 millions de dollars à McKinsey pour développer une vision de la transition bas carbone et des mécanismes à mettre en place. Sans surprise, elle passe par des engagements volontaires non-contraignants et des mécanismes de marché. Va s’éloigner du fonctionnement de la CCNUCC (Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques) en traitant certains acteurs non-étatiques sur un pied d’égalité avec les États (plus grande ouverture), mais aussi en n’intégrant que des acteurs considéré comme essentiels (plus grande fermeture), ie les élites économiques et politiques. A son maximum, rassemblait 150 personnes réparties en 6 groupes de travail, avec une production qui a fortement influencé les accords climats subséquents, en limitant l’interventionnisme étatique sur le sujet (sauf pour la collectivisation des risques et investissements) et en laissant dans l’ombre la question de la justice sociale et des réparations. Mais la mise en place de toute cette diplomatie parallèle (et notamment l’appui la construction d’un texte alternatif par le gouvernement danois + quelques autres au lieu de passer la recherche habituelle d’un consensus entre tous les acteurs) a participé à l’échec des négociations de Copenhague (COP 15, en 2009), même si sera réintégré dans l’accord de Paris. L’échec de Copenhague a en parallèle montré l’importance de la communication autour des solutions vertes que les acteurs privés souhaitent pousser, pour qu’elles bénéficient d’une adhésion suffisamment large.

IV Make our blabla great again

En amont de la COP 21 (accord de Paris, 2015), beaucoup d’efforts de communication pour que différents acteurs soutiennent (ou au moins restent neutres/silencieux) sur l’accord malgré son niveau d’engagement pas si élevé (en dessous de celui de Copenhague notamment), en leur expliquant que la réussite de l’accord en dépendait, et qu’être contre ferait le jeu des négationnistes climatiques et des idéalistes climatiques (ie deux groupes pourtant totalement opposés, ceux qui veulent freiner et ceux qui veulent aller plus loin, classique stratégie centriste de dire qu’iels sont les seuls raisonnables). Les scientifiques notamment ont été approché·es pour un soutien à l’accord, ce qui a marché pour une partie d’entre elleux.

Post-Copenhague, le GSCC (structure financée par des fondations climatiques) a repris en main la communication du GIEC, proposé du media-training aux scientifiques, produit des synthèses des rapports, des communiqués de presse et des argumentaires, pour « restaurer la marque GIEC ». L’objectif était d’augmenter la crédibilité du tout – et de le mettre au service des solutions de marché. L’idée était de ne pas tant avoir des accords dont le fond était ambitieux que des accords dont la forme et la communication autour faisait de la lutte contre le changement climatique via les solutions de marché une évidence largement acceptée.

Ironiquement, cela a été fait en copiant les méthodes employées par les firmes fossiles pour faire de la désinformation sur le climat : astroturfing, financement de groupes d’experts, lobbying… Le problème c’est qu’en en passant par là et en mettant en scène une opposition binaire entre pro et anti-climat, on permet à toutes les entreprises qui sont ok avec mettre en place une communication greenwashée de se réclamer du camp progressiste tout en continuant le business as usual. Plus encore, les grandes entreprises avec des gros budgets (notamment de R&D et de comm’) peuvent dire qu’elles sont des parties de la solution (après mise en place de « conseils scientifiques », partenariats avec des ONG, normes internes, coucou Total et l’IPIECA). Parallèlement, celleux qui contestaient ce cadrage capitaliste se sont retrouvés marginalisés : on n’a pas le temps de renverser le capitalisme, l’urgence climatique est bien trop urgente, et il faut rassembler tout le monde, pas s’opposer aux entreprises de bonne volonté !

Multiplication aussi des visages de la cause climatique, depuis l’historique Al Gore : plein de philanthropes, maires de grandes villes, stars, qui peuvent pitcher l’urgence climatique et les solutions capitalistes, et qui vont dans tous les grands sommets mondiaux et émissions télévisées pour délivrer un message prépackagé.

Création de tout un écosystème de forums climatiques qui tournent en vase clos et où s’échangent des messages d’optimisme indépendants de la lutte contre le changement climatique (l’important c’est de mobiliser). Communication très pro, où les grains de sable sont très rares et même quand ils arrivent, la comm’ arrive à remettre l’événement sur les rails (exemple de l’intervention d’une activiste lors d’un sommet qui sort du script lors d’un échange avec le PDG de Shell, et de l’animation de la table ronde qui dépolitise immédiatement son message en le mettant sur le compte de la douleur que « nous ressentons tous face à ce que nous avons perdu » : recréation d’un collectif, rejet du message en le disant basé sur l’émotion plus que la raison).

V Une photo avec Greta

Les COPs sont centrales dans les négociations climatiques. Tous les acteurs qui veulent influencer sur le discours et processus climatiques sont obligés de s’aligner sur leur tempo. Mais le fonctionnement des COPs est décidé par les États et élites, forçant donc à s’adapter à leur cadre et facilitant une potentielle récupération, en orientant leurs mobilisations vers la demande d’accords climat légèrement plus ambitieux mais surtout adoptés : si le mouvement climat n’insiste que sur l’urgence climatique et le besoin d’accords, il sert in fine d’appui aux groupes d’intérêt néolibéraux et technosolutionnistes qui, à l’intérieur du processus climatique, poussent ces éléments de langage aussi et leurs solutions comme la bonne réponse. Certains acteurs internes vont approuver le mouvement climat publiquement (tant que revendications modérées et actions non-violentes), sous-entendant qu’ils sont tous dans le même camp. Le GSCC a même fourni un appui technique et logistique à Greta Thunberg pour faciliter ses prises de parole, en appui des sommets climatiques internationaux, légitimant un peu plus ces sommets.

Ccl : Faut-il manger les riches ?

Les riches sont une classe consciente d’elle-même, qui met d’énormes moyens pour influencer le discours climatique. Il ne sont pas juste pollueurs (massifs) sans s’en rendre compte, ils ont conscience des enjeux et orientent les solutions selon leur propre agenda. C’est bien cet agenda et la poursuite d’un capitalisme « vert » qui ne renonce pas à la croissance ni aux inégalités qui est la racine du problème. L’urgence est climatique et sociale, climatique et démocratique.

Le Pédé, du collectif Jeanine Machine

Spectacle de rue vu dans le cadre du Festival des Arts de Rue de Ramonville. Brice et Corinne proposent de profiter du festival pour organiser la première pride de l’histoire de Ramonville. Mais les spectateurices n’ont pas l’air de savoir l’origine de la pride. Alors il va falloir raconter. Faire un saut dans le temps pour en revenir à la signification de Stonewall, à l’histoire française des mouvements de luttes LGBTQIA+, au FHAR, aux Gouines Rouges, à Allô Ménie, à la dépénalisation de l’homosexualité, aux combats d’Act-up, au PACS, au mariage pour tou·tes…

C’est du spectacle de rue, pas une conférence. Brice Lagenèbre incarne les différents personnages de l’histoire, jouant aussi bien Françoise d’Eaubonne que Frigide Barjot, Guy Hocquenghem comme Ménie Grégoire. La masse des spectateurices sert de décor, recréant la participation du FHAR aux cortèges du 1er mai (et l’accueil homophobe des syndicats), la première pride française… C’est prenant, instructif (je suis arrivé en me disant « Oui ça va Stonewall, je connais », j’ai réalisé que l’histoire française j’en avais aucune idée par contre), ça montre l’importance de la transmission de la mémoire.

Fortement recommandé.

L’Invention du colonialisme vert, de Guillaume Blanc

Essai d’histoire publié en 2020. L’auteur retrace comment les projets de parcs naturels en Afrique trouvent leurs origines dans la période coloniale, et dans une vision fausse de l’Histoire du continent africain. Globalement, contrairement aux parcs en Europe qui mettent en avant le façonnement des paysages par les activités agro-pastorales humaines, les parcs africains sont considérés comme menacés par les activités humaines, ce qui conduit à la recommandation renouvelées des années 50 à nos jours de les vider de leurs habitants. La conservation se fait donc contre les populations locales (mêmes si les discours actuels parlent de conservation communautaire qui inclut les populations locales, cette inclusion vise à transformer une partie d’entre elleux en gardien.nes et guides, et à sortir les autres du périmètre du parc, et en tous cas à arrêter les activités d’élevage et d’agriculture).

L’idée qui sous-tend cette recommandation vient d’une vision d’un « Éden africain » où la Nature qui a été détruite en Europe par l’industrialisation serait toujours existante en Afrique, mais menacée par les activités humaines qui n’auraient commencé que récemment à peser sur elle, et aurait notamment détruit de vastes zones forestières. L’auteur montre que dans le cas de l’Éthiopie – qui est son terrain d’étude principal, la forêt présente autour des villages d’altitude n’est pas une forêt subsidiaire d’une forêt primaire plus vaste, mais due aux activités humaines qui créent les conditions propices à un écosystème forestier là où le reste de la zone tend plus naturellement vers d’autres écosystèmes. L’auteur montre aussi comment les recommandations de gestion des parcs ne s’appuient pas sur la réalité observée sur le terrain mais sur des idées préconçues et dupliquées d’un pays africain à l’autre. Dans le cas de l’Éthiopie par exemple, la population de Walia ibex a augmenté (de 150 à 950) des années 60 à nos jours, en même temps que la population humaine dans le parc, mais les rapports scientifiques mentionnent toujours une population déclinante et menacée par l’anthropisation (alors que les habitants ne chassent pas ce bouquetin pour le manger hors période de famine, sa chair étant assez mauvaise et sa chasse difficile (il passe son temps sur des pentes abruptes en altitude).

L’auteur montre aussi comment les recommandations des institutions internationales et des associations peuvent servir les pouvoirs locaux pour mettre en place des politiques répressives et accentuer leur contrôle sur des zones défiantes du pouvoir central, avec la bénédiction de la communauté internationale.

C’était intéressant comme sujet et c’est très facile à lire pour un essai d’Histoire, je recommande.

Les Rois maudits, de Maurice Druon

Fresque historique en 7 tomes, sur les intrigues politiques autour de la couronne de France à partir de Philippe Le Bel. On va suivre au travers du règne (souvent bref) de plusieurs rois les conséquences de plusieurs machinations politiques et prétentions à la couronne. Le roman prend pour point de départ la malédiction lancée par les derniers templiers au roi de France et à ses descendants, pour aboutir à la guerre de cent ans.

C’était très bien, ça se lit vite est c’est un vrai page-turner, bien écrit et prenant. Un petit bémol sur le tome 7, qui a été écrit bien après les autres, et ça se sent : le 6 finit par un épilogue après la mort d’un des personnages principaux, le 7 raconte la suite avec une narration différente (le récit d’un cardinal pendant un voyage) et avec un titre qui ne suit pas la même convention de nommage. Mais c’est un détail. Dans l’ensemble la série est très intéressante, réussit à rendre prenante une période que personnellement je connaissais très mal (bon par contre c’est clairement l’histoire via les grands hommes, mais ça permet aussi de l’incarner).

L’année sans été, de Gillen D’Arcy Wood

Essai d’histoire mondiale qui s’intéresse aux conséquences de l’éruption du volcan Tambora en 1816. L’éruption du volcan, en plus de faire perdre un kilomètre de haut à l’île et d’en dévaster la surface, a projeté un nuage de cendres et d’aérosols souffrés dans l’atmosphère, modifiant le climat pour les trois années à venir, et donnant à l’année 1816 le surnom d’« année sans été ».

L’auteur détaille les conséquences de cette éruption, qui arrive à la fin du petit âge glaciaire et une autre éruption en 1809 sur différentes parties du monde : l’île de Tambora même, l’Europe, avec son influence sur l’écriture de Frankenstein par Mary Shelley mais aussi l’avancée des glaciers alpins qui connaîtront leur maximum, et une crise de subsistance massive avec toutes les récoltes détruites par les gels tardifs (déclenchant notamment une famine en Irlande), l’Inde avec l’explosion de l’épidémie de choléra, boostée par le climat et les perturbations de la mousson, ensuite exportée par la mondialisation, la course au pôle Nord en Angleterre avec le dégel momentané de l’Arctique suite à la perturbation des courants océaniques (et toute la littérature anglaise exaltant ces explorations, Frankenstein en parlant notamment, mais aussi des œuvres plus récentes comme The Terror) ; la Chine, avec là encore des famines massives qui frapperont la région du Yunnan et participeront à la conversion de l’économie de la région vers la culture du pavot pour la fabrication d’opium ; l’Amérique du Nord, où la crise climatique puis agricole se transformera en la première crise financière du pays récemment indépendant. Enfin, l’impact que cette « météo à la Frankenstein » aura sur le développement de la météorologie et de la théorie des ères glaciaires…

C’était super intéressant à lire, comme exemple de l’impact d’une crise climatique sur plein de domaines différents, et pas très rassurant sur notre futur. Je recommande.

Un peuple et son roi, de Pierre Schoeller

Film français de 2018. On suit une partie de la Révolution française, de la prise de la Bastille à la mort de Louis XVI. Le film suit à la fois les débats de l’Assemblée (nationale puis constituante) et le point de vue de parisien.nes du peuple : une lavandière, un souffleur de verre et un ancien paysan qui les rejoint en montant à Paris lors du retour du roi depuis Varennes. On suit notamment l’évolution des sentiments envers le roi, de « il faut lui faire quitter Versailles pour qu’il comprenne la réalité du pays, il est mal conseillé » à « il doit mourir pour que la révolution vive ». On voit les débats de l’Assemblée sur ce sujet, le vote solennel, les différents points de vue politiques, les moments de violence.

J’ai beaucoup aimé, c’était bien filmé et très intéressant. C’est difficile d’un point de vue de néophyte de juger de la réalité historique, mais ça avait l’air réaliste en tous cas, et ça recoupait d’autres récits qui je connaissais (mes souvenirs de cours, la bande dessinée Révolution, la série Netflix…)

L’Opinion française sous Vichy, de Pierre Laborie

Essai d’Histoire sur le sujet. L’auteur retrace les évolutions de l’opinion française de la fin des années 30 et sous le gouvernement de Vichy, en se basant sur les archives de la presse de l’époque et les synthèses faites par les préfets de Vichy en se basant sur l’interception du courrier (comme quoi on critique la Surveillance Globale mais ça file plein de matière aux historien.nes).

L’auteur montre que l’état du discours public et de l’opinion publique de la fin de la IIIe République a facilité le glissement vers Vichy : fake news en masse notamment sur la situation internationale, confusionnisme des positions politiques (entre le pacifisme, l’antifascisme, l’anticommunisme, les retournements d’alliance (pacte germano-soviétique) et de position des hommes politiques français…), discours général sur la décadence et la dégénérescence morale… (Toute ressemblance avec la situation actuelle…). La drôle de guerre avec son attente et son absence d’événements suite à la mobilisation puis le choc de la défaite et de l’Exode achèvent de complètement mettre par terre toute possibilité de comprendre ce qui se passe et d’avoir des représentations claires des enjeux.

Sous Vichy même, l’auteur montre comment à la fois les positions « 40 millions de Résistants », « 40 millions de Collabos » et « 40 millions de personnes qui attendent de voir de quel côté le vent tourne » sont toutes fausses. Le gouvernement de Vichy commence avec une forte adhésion à la personnalité de Pétain, considéré comme se sacrifiant pour la France et l’incarnant (les affiches « Êtes vous plus français que lui », tout ça. Dans un pays qui traverse une crise de l’identité nationale, Pétain fait office de repère, d’ancrage pour cette identité. Il y a une rumeur persistante qu’il travaille de concert avec De Gaulle et qu’il a un plan sur le long terme où il mène les Allemands par le bout du nez (là aussi on peut dresser des // avec Q-anon). Cette adhésion initiale à la figure de Pétain est d’abord concomitante à une adhésion au gouvernement de Vichy mais s’en détache rapidement, avec Laval comme figure repoussoir du gouvernement qui prêche la collaboration. Puis l’image de Pétain se dégrade elle aussi, il perd son aura de chef qui fait ce qu’il peut au fur et à mesure, il est plus pris en pitié.

En parallèle, les sentiments à l’égard de la Résistance évoluent au fur et à mesure qu’elle se structure : beaucoup de sentiments négatifs restent présent jusqu’à la fin envers les maquis comme faisant courir des risques à la population, mais en // ces maquis ne peuvent se maintenir que grâce à de larges réseaux de solidarité à travers la population. La répression démesurée des maquis fait qu’à chaque fois que les gens sont gênés par leurs actions, ils ont une démonstration immédiate que l’antithèse est largement pire. La collaboration accrue au fur et à mesure du temps de l’État Français avec les autorités allemandes (actions de police conjointe, mise en place du STO) décrédibilisent de plus en plus Vichy comme une figure incarnant une France indépendante face à l’Allemagne (et aux autorités d’occupation) pour l’afficher comme un État vassal, et renforce la Résistance comme la figure d’une France indépendante.

L’auteur montre aussi que les Français.es restent largement désinformés et dans l’attentisme pendant la guerre : l’évolution des sympathies est précocement du côté des Alliés et de la Résistance, avant que le conflit ne bascule en leur faveur, mais les préoccupations quotidiennes (le rationnement notamment) et le flou des infos fait que cette approbation ne se traduit pas en actions.

En conclusion, l’auteur dit que le trait principal de l’opinion publique durant la période est l’ambivalence. Si les Français étaient majoritairement et précocement favorables à la Résistance, cette approbation ne s’est traduite en actes que pour une très petite minorité. Mais cette absence de soutien effectif à la Résistance ne veut pas dire ni une approbation de Pétain, ni de Vichy, et encore moins de la Collaboration qui est très tôt un repoussoir pour une très grosse majorité.

Paris Police 1900, de Fabien Nury

En 1899, suite à la mort du président Faure, un nouveau gouvernement est formé, et Lépine est nommé préfet de police de Paris, alors que les ligues antisémites rallient leur troupe dans l’attente du second procès de Dreyfus. On suit les aventures de Lépine, de sa femme et de plusieurs policiers et informateurs de police dans ce contexte politique de plus en plus inflammable.

J’ai été déçu. La reproduction historique est réussie et semble bien documentée – depuis mon point de vue naïf sur la période. Mais la série se concentre surtout sur des hommes, policiers ou puissants, qui jouent des poings et croient en leurs valeurs : bref, c’est idéologiquement de droite. La série choisit aussi d’adopter une esthétique trash : y’a du sang, du sexe, de la boue, de la drogue, et on n’y va pas avec le dos de la cuillère. Et y’a évidemment beaucoup d’antisémitisme, et même s’il est montré pour le dénoncer, c’est quand même beaucoup montré et répété, j’ai pas trouvé ça fou d’un point de vue mise en scène. La série met brièvement en scène des anarchistes, des personnages de la communauté juive, mais ils sont toujours présents en temps que personnages secondaires, ceux que l’on suit vraiment se sont les policiers et les antisémites, c’est vraiment pas le cadrage le plus intéressant possible je trouve.

Dans le genre reconstitution historique européenne stylée avec des enquêtes de police au milieu, regardez plutôt Babylon Berlin.

La Révolution des Damnés, de Melody Cisinski

Premier tome d’une bande dessinée sur une révolution russe incluant des éléments fantastiques. On suit Yuri, un membre des brigades anarchistes, qui infiltre le train blindé ou les russes blancs abritent la dernière héritière des Romanov dans l’espoir d’une restauration. En parallèle on voit le passé de Yuri, son adolescence dans son village, et le triangle amoureux qu’il formait avec Elena et Nikita, son camarade qui a obtenu un poste de commandement dans l’armée bolchevique et est en train de réveiller des puissances occultes.

Il y a des points intéressants dans l’histoire, mais on reste un peu sur sa faim avec juste ce premier tome ; typiquement le Kotchei réveillé par Nikita n’apparaît que relativement tard, on voudrait en avoir plus (surtout que c’est quand même lui qui fait la couverture). Mais je suis totalement motivé par une histoire qui mêle gros robots, révolution russe et légendes slaves.

Dans le fond comme dans la forme, il y a deux ruptures de ton qui m’ont un peu perturbées :

  • Sur la forme, le design des personnages est très toonesque, avec par contre des couleurs très sombre, une bonne partie de la BD est en nuance de gris avec seulement quelques éclats de couleur.
  • Sur le fond, on alterne des moments adultes ou sombres, avec des charniers, du sexe, et des moments plus légers ou le héros blague avec son cheval ou joue avec l’héritière Romanov.

Ça donne un peu l’impression que la BD oscille en fond comme en forme entre deux styles ; j’attends de voir ce que l’autrice veut en faire dans les tomes suivants, surtout que maintenant que tous les enjeux sont posés, le kotchei entré en scène et l’action lancée, on devrait arriver aux passages les plus intéressants.

Pour une Histoire des Possibles, de Quentin Deluermoz et Pierre Singaravélou

Essai sur l’intérêt des raisonnements contrefactuels en Histoire. Les auteurs balayent large et discutent aussi de l’uchronie en littérature et de l’intérêt des raisonnements contrefactuels dans d’autres disciplines. J’ai trouvé ça intéressant, après je pense que je manque de base en méthodologie de la recherche en Histoire pour bénéficier pleinement du livre.

En gros, les auteurs retracent l’histoire du concept, depuis ses occurrences chez Thucydide jusqu’à son explosion dans l’Histoire conservatrice anglosaxonne. Ils montrent que même si souvent le concept est présenté comme non-sérieux, il est en fait inhérent à la démarche historique, sous forme de micro-occurrences au cours de raisonnements (dès qu’on considère qu’un.e acteurice historique fait une erreur par exemple, on considère un scénario alternatif où les choses se seraient mieux déroulées pour ellui). Il permet de plus de restituer l’état des réflexions chez les contemporain.e.s de la période où des événements étudiés : pour elleux il s’agissait des futurs possibles, de potentialités à mettre en balance, et cela pouvait donc influencer leurs comportements. Dès lors il n’est pas absurde de s’y intéresser dans le cadre d’une démarche historique.

Les auteurs font aussi remarquer que le raisonnement contrefactuel est une des modalités de raisonnement très couramment utilisé pour mettre en balance des options, au point d’être étudié par la psychologie. Il peut être utilisé pour mettre en balance des options futures, et c’est aussi la base du sentiment de regret. Là aussi, l’ubiquité de la démarche pousse à ne pas laisser cet outil de côté dans le cadre d’une démarche historique.

Par contre il convient de bien délimiter dans les ouvrages d’Histoire ce qui relève des faits, des suppositions de l’historien.ne et ce qui relève du contrefactuel pur, pour ne pas mélanger les genres. Mais c’est déjà ce qui est fait actuellement, avec des phrases d’introduction du contrefactuel, généralement sa poursuite sur quelques phrases (sachant que dans une démarche historique il n’est pas pertinent de s’éloigner du point de divergence) et sa fermeture, avant de revenir au texte historique.