Essai sur les possibilités et modalités pratiques de convergences des luttes à gauche. Juliette Rousseau parle de comment il est possible pour des mouvements marginaux de travailler avec des mouvements plus insérés dans le jeu institutionnel, et comment faire en sorte de prendre en compte les différentes dominations au sein des mouvements de gauche, pour éviter de reproduire les hiérarchies dans les mouvements sociaux. J’ai trouvé le texte assez inégal, mais il y a des passages super intéressants. Les témoignages issues de femmes et de personnes racisées prenant part à la ZAD de NDDL notamment étaient super bien ; les façons dont les organisations palestiniennes posent des conditions avant de travailler avec des organisations israéliennes et en parallèles comment les petites organisations marginales ont travaillé avec les grosses organisations institutionnelles pour la préparation des marches pour le climat newyorkaises était aussi très intéressant. Les réflexions sur les associations qui ont des fonctionnements en non-mixité ou en mixité choisie pour permettre aux dominé.e.s et aux premièr.e.s concerné.es par les causes de s’exprimer plus facilement sans se faire dépasser par les allié.e.s plus privilégié.e.s sont intéressants aussi ; avec le constat que ça marche bien quand c’est prévu dès le départ, et beaucoup plus compliqué à rajouter a posteriori.
Vues Toulousaines
Des vues variées de Toulouse prises au fil de promenades.





Une Partie de Campagne, de Raymond Depardon
Documentaire tourné pendant le mois qu’a duré la campagne présidentielle de 1974. Raymond Depardon suit VGE, filme les coulisses de la campagne, les moments où le candidat est en transit entre deux points. Le documentaire n’a pas du tout plu à VGE, qui l’avait financé et a interdit la sortie jusqu’en 2002.
Le documentaire présente une France et une façon de faire de la politique d’un autre temps : Giscard se retrouve dans la foule à la fin de ses meetings et conduit sa voiture pendant que Depardon le filme. Les salles où ont lieu les meetings ont l’air faites et décorées de bric et de broc. Tous les gens ont une tête, des habits, des coiffures qui sont totalement spécifique de leur époque. La diction de Giscard est aussi ultra particulière.
Un autre point frappant c’est l’isolement de Giscard, qui fait les trucs dans son coin : Il se balade seul en voiture, donc, il attend les résultats du 2d tour seul dans son appart de fonction, avec juste Depardon qui le filme, et passe des coups de fils à Michel Poniatowski pour avoir les derniers chiffres et bitcher sur les politiques qui passent à la télé pour commenter les résultats. Y’a aussi une super scène où entre les deux tours il réunit ses conseillers de campagne, mais essentiellement pour leur dire ce qu’il veut faire lui plutôt que d’écouter leurs suggestions (et où il sort cette super réplique « Il y a une première option, qui est au fond de ne rien faire, et l’élection est pratiquement gagnée ».
Bref, c’était un bon documentaire, je le recommande.
Petite Fille, de Sébastien Lifshitz
Documentaire sur une enfant trans, et sur le combat de sa famille pour qu’elle puisse vivre son enfance de façon épanouie sans se prendre de la transphobie dans la figure (avec plus ou moins de succès), de la part des adultes en position d’autorité notamment (profs de danse, prof et directeur en milieu scolaire, autres parents…)
C’est un documentaire style Strip-tease, sans commentaire en voix off, qui se met au niveau des personnages. Bien sûr ça reste orienté par le montage, par ce qui est montré ou non, par la musique rajoutée, mais la caméra tend à se faire oublier un peu. Perso j’ai trouvé ça intéressant dans le côté tranche de vie, la façon dont ça montre comment Sasha et surtout sa famille (même en étant le sujet principal du documentaire, en tant qu’enfant assez jeune Sasha est quand même assez effacée et silencieuse par rapport à ses parents) gère le quotidien et pousse pour obliger les gens autour d’elleux à être moins transphobes. Le documentaire montre surtout des scènes tout à fait banal, pour une bonne part c’est une famille qui vit sa vie tranquillement (+ Vadim, le dernier de la fratrie, qui est ultra intense par moment et très drôle comme un gamin de ~6 ans peut l’être). Je trouve ça intéressant de montrer comment les parents, qui sont clairement non-militants, non renseignés sur ces sujets, probablement vaguement de droite, gèrent les interactions avec le reste du monde au quotidien.
J’ai vu qu’il a été reproché au documentaire par des personnes trans d’utiliser de mauvais termes, et d’avoir une approche qui même si elle se veut bienveillante, peut être néanmoins transphobe par moment. Je comprends le problème,, et je suis tout à fait d’accord que c’est problématique de ne pas avoir plus de ressources par et pour les personnes trans (et d’avoir à la place yet another documentaire par une personne cis qui filme une personne trans – et de plus c’est vrai que dans le choix de montage y’a une grosse focalisation sur Sasha qui choisit ses vêtements, beaucoup de plans sur ses chaussures à talon et paillettes dorées, très féminines, c’est un focus qu’on peut clairement reprocher au doc), mais ça m’a beaucoup moins dérangé pour ce style de documentaire que ça ne l’aurait fait pour un doc avec voix off : je pense pas que ce documentaire prétende faire de la pédagogie.
Le Goût des Autres, d’Agnès Jaoui
Film français de 2000. On suit les trajectoires croisées de Castella (Jean-Pierre Bacri), un chef de petite entreprise totalement imperméable à la culture, qui lors d’une représentation de Bérénice est soudain bouleversé par le texte et l’actrice principale ; de sa femme, sa soeur, son garde du corps, son chauffeur ; de Clara l’actrice de Bérénice et de diverses personnes qui travaillent en lien avec elle dans le monde de la culture.
C’était très bien. Le sujet est complexe, qui parle de goût culturel et de dominations plus ou moins symboliques, mais très bien traité. Y’a des moments où on cringe pour les personnages (quand Castella passe à raison pour un idiot fini au restaurant), mais c’est très réaliste comme présentation des choses. Le film réussit aussi très bien à retourner le personnage de Castella, qui très antipathique au départ, devient le héros du film, la perception qu’on a de lui évoluant graduellement. Les lignes narratives de tous les personnages sont réussies, la relation Manie/Vincent est très bien notamment. Chabat a un rôle un peu en arrière plan mais il est excellent dedans. Idem pour le personnage d’Angélique, qui n’est franchement qu’esquissé dans le film, mais est super réussie aussi.
Globalement, très bon film choral, avec un excellent traitement du sujet.
Berge de Garonne
Promenade d’une heure le long du fleuve.







(Théâtre de la Garonne)
Queen’s Gambit, de Scott Frank et Allan Scott
Série Netflix en 7 épisodes adaptée d’un bouquin de Walter Tevis. On suit la vie (imaginaire) d’Elizabeth Harmon, prodige des échecs, de son placement en orphelinat à son affrontement en 1968 à Moscou contre le champion du monde en titre.
C’était fort bien. L’actrice principale est très bonne dans son rôle, et plus largement tous le cast est réussi, avec des personnages secondaires très bien réalisés. Le côté série historique avec décors reconstitués fonctionne bien (petit bémol là-dessus sur le Moscou du dernier épisode, sur lequel les images de synthèse sonnent quand même un peu fausses sur certains plans d’ensemble). Il y a quelques rebondissements où l’on se dit quand même que tout le monde est très bienveillant dans ce monde (les gens perdent avec grâce, les anciens adversaires deviennent des mentors ou des amis – on croirait un shonen. Y’a zéro sexisme, l’alcoolisme et les addictions c’est possible d’en sortir juste avec de la volonté), mais bon ça fait du bien parfois aussi. On voit par contre très peu d’échecs dans la série, qui se concentre sur la psychologie des personnages et non pas les parties. Y’a aussi un petit côté didactique artificiel dans les premiers épisodes, ou Elizabeth se voit expliquer les règles d’une partie puis d’un tournoi une par une par différents personnages, mais c’est un défaut franchement mineur.

Drop Dead Gorgeous, de Michael Patrick Jann
Comédie américaine de 1999. Dans un village du Minnessota, un concours de beauté pour les filles de 17 ans donne lieu à une compétition acharnée, les favorites perdant la vie l’une après l’autre alors que l’organisatrice du concours est prête à tout pour que sa propre fille gagne.
Le film est tourné comme un faux documentaire, l’équipe du film étant visible dans le tournage et les personnages interagissant avec eux. Le film est assez peu subtil, tous les personnages sont des caricatures d’eux-mêmes mais ça marche assez bien. Ça tape dans tous les sens, c’est pas toujours très politiquement correct, mais je trouve que dans le contexte du film ça fonctionne, il ne cherche pas à être spécifiquement politiquement incorrect.
Le procédé du faux documentaire est assez réussi, ça donne un petit relief au film, des effets de mise en scène plutôt intéressants (il y a quelques plans impossibles pour un faux documentaire, mais c’est léger).
Vostok, de Laurent Kloetzer
De la SF russe écrite par un français.
Roman de SF de 2016. Pour récupérer des données leur permettant d’effectuer le casse du Siècle, une bande de criminels chiliens embarque à Vostok, la station russe installée au le pôle sud géomagnétique et abandonnée depuis des années. Partis pour un mois d’été sur place, les choses ne vont évidemment pas se passer comme prévues.
Comme souvent avec les bouquins de Kloetzer c’est assez inclassable. Le bouquin se passe dans le futur, y’a une Fédération Andine, des ayas, des drones autonomes à énergie solaire.
Mais très vite tout ça n’a plus aucune importance, les protagonistes se retrouvent à Vostok coupés du monde, et dépendent d’installation soviétique de 50 ans d’âge. La SF disparaît quasi totalement. Le côté isolation et survie au froid m’a pas mal fait penser à ce que j’ai pu lire d’Ana Yagner, d’où la ref à la SF russe. En parallèle, on a un personnage qui croit à la magie et aux prophéties, et l’héroïne est accompagnée d’un « ghost », créature fantastique absolument pas expliquée mais acceptée par tou.te.s (et qui ressemble à ce qui des Furtifs réussis auraient pu être, déso Damasio). Via des extraits d’un livre in-universe, via les perceptions magique du ghost, on a accès en parallèle à l’Histoire de la fondation de Vostok, et des recherches qui y ont été menées, qui sont une description tout à fait sérieuse même si romancée du Vostok réel. Enfin, à la page 380 (sur 500), Kloetzer décide de rattacher l’intrigue de son livre à l’univers de la Bombe Iconique qu’il a déjà raconté dans d’autres livres et nouvelles.
Quelques faiblesses peut-être dans la lenteur du début, avant l’embarquement pour Vostok le livre prend le temps d’installer des pistes d’intrigues et des personnages à Valparaiso, qui vont ensuite être totalement ignorée quand les héros partent s’isoler.
C’est assez prenant, je l’ai lu en une nuit, je recommande.
Divergences 001, anthologie dirigée par Alain Grousset
Anthologie de nouvelles uchroniques écrites par des auteurs français (+ une republication d’une nouvelle d’un auteur britannique) pour une publication à destination d’un public jeunesse en 2008. C’est – comme souvent pour les recueils de nouvelles – assez inégal. Pas mal de nouvelles n’échappent pas à l’écueil de la surexposition ; les premières du recueil ont des points de divergence trop anciens pour être vraiment intéressant à mes yeux.
Le petit coup d’épée de Maurevert (Michel Pagel) était la meilleure pour moi, avec une narration dynamique et une divergence originale. Reich Zone (Xavier Mauméjean) réussit à être originale en partant de la divergence la plus classique possible, et rappelle un peu Ruled Britannia de Turtledove dans son idée. De la part de Staline (Roland C. Wagner) est sympa pour la divergence mais très anecdotique dans la narration. La divergence dieselpunk de L’affaire Marie Curie est sympa, la narration est dynamique, mais la nouvelle devient de moins en moins vraisemblable, hélas.
Globalement le recueil se lit vite et permet de balayer largement une variété d’uchronies, en montrant des réussites et les défauts classiques du genre ; ça en fait une excellent introduction.