Archives de catégorie : Screens, thousands of them.

On connaît la chanson, d’Alain Resnais

Film français sorti en 1997. On suit les aventures à Paris de deux sœurs, Camille et Odile, et de leurs connaissances, alors qu’Odile achète un appartement et Camille finit sa thèse. Le film est connu pour son procédé qui consiste à faire faire du lipdub de chansons françaises à ses acteurices à plein de moments, lipdub qui s’insère dans les dialogues ou représente l’état d’esprit ou les émotions des personnages.

Les personnages sont attachants (sauf celui de Lambert Wilson, qui joue le connard de service, un horrible agent immobilier), même s’ils sont parfois un peu idiots. Mention spécial au fil narratif d’Odile qui culpabilise d’avoir renvoyé au dernier moment un demandeur d’emploi, à celui de Camille qui finit sa thèse « Les chevaliers-paysans de l’an mil au lac de Paladru », et à Bacri hypocondriaque qui consulte médecin sur médecin en chantant J’ai la rate qui se dilate.

The Big Short, d’Adam McKay

Film américain de 2015, présentant les ressorts financiers de la crise de 2008. On suit trois groupes de financiers à l’extérieur de l’écosystème mainstream de la Bourse américaine, qui réalisent dès 2005 que les produits financiers les plus en vogue, officiellement solides car adossés au marché de l’immobilier, sont en fait complètement vérolés : ces produits sont des agrégations d’assurances sur les défauts de paiement des crédits immobiliers, mais aucune vérification n’est fait a priori sur la solvabilité des gens qui contractent les crédits. De plus, les mécanismes d’agrégation agglomèrent des crédits avec des taux de risque différente, et considèrent ce panachage en soi comme une garantie de solidité. Enfin, tout un marché secondaire s’est mis en place avec des produits qui sont basiquement des assurances sur le défaut de paiement des assurances sur le défaut de paiement, ce qui fait qu’il y a une somme d’argent gigantesque brassée, le tout basé sur un marché de l’immobilier qui est clairement une bulle.

Les acteurs principaux de la Bourse sont tellement impliqués jusqu’au cou dans ces transactions qu’ils n’ont pas intérêt à y regarder de trop près, c’est pourquoi ce sont des outsiders qui vont voir l’embrouille, prendre des positions boursières contre la tendance à la hausse du marché (shorter le marché, d’où le titre du film), et voir à leur grand désarroi tout le marché secondaire rester à la hausse bien plus longtemps que ce qu’il aurait dû si les acteurs boursiers divers faisaient correctement leur travail, aggravant d’autant plus la crise subséquente.

Niveau mise en scène, c’était intéressant, il y avait plein d’acteurs bankables à contre emploi. Le film prend le temps d’expliquer quelques passages techniques dans des séquences didactiques. Par contre il ne faut pas avoir peur de voir 2h10 pleines de testostérone et de gens en costard cravate assez antipathiques. Mais ça vaut le coup, le film réussit bien à expliquer des mécanismes complexes, et comment personne n’a fait son taff correctement face à la perspective de profits à court terme.

Quiz, de James Graham

Mini-série documentaire anglaise en trois épisodes. On suit la création du programme télé Who wants to be a millionnaire (adapté en France comme Qui veut gagner des millions), énorme succès d’audience et qui est vendu par la télé anglaise au reste du monde et notamment aux américains (plutôt que l’inverse, ce qui était le cas habituel). On suit surtout l’engouement que le programme suscite, et comment une communauté de fans de pub quiz vont s’unir pour passer les étapes de présélection. Et surtout comment parmi ceux là, le cas d’une famille ou un frère, une sœur et son mari vont successivement se retrouver candidats du jeu, le mari devenant la seconde personne de l’histoire du programme à atteindre le million, mais d’une façon qui mènera à un procès pour fraude. On suit alors les arguments de l’accusation puis de la défense, la question de la médiatisation du procès et de la présentation des preuves (la chaine télé qui est partie au procès éditant le montage mettant en évidence les éléments de fraude).

J’ai bien aimé le côté fiction documentaire. La période couverte est à la fois proche de nous (le jeu est inventé en 1997, l’émission où le mari est soupçonné d’avoir triché est filmée le 09/09/2001, l’enquête se passe dans les jours qui suivent le Onze Septembre) et fort différente dans l’accès aux informations – internet existe mais n’est pas du tout omniprésent comme aujourd’hui. Les personnages sont très très anglais (la série en joue), c’est sympa à regarder sans être inoubliable.

Un Air de Famille, de Cédric Klapisch

Film français adapté d’une pièce de théâtre du duo Jaoui/Bacri, dans lesquels ils jouent tous les deux. Vendredi soir, petite ville indéterminée du Sud de la France. Comme chaque vendredi Henri accueille son frère, sa sœur et sa mère dans son bar avant qu’ils aillent au restaurant tous ensemble. Aujourd’hui, c’est l’anniversaire de Yolande, la femme de son frère Philippe, le frère en question est passé à la télé, sa sœur à dit ses 4 vérités à son patron insupportable, et la femme d’Henri a décidé de prendre une semaine « pour réfléchir ».

Ça crie beaucoup. Le film met en scène une famille dysfonctionnelle et ça s’entend. Henri a repris le bar que son père tenait, sa mère voit ça comme un échec, et ne se prive pas de lui faire savoir. Bacri campe un personnage de râleur (surprise) un peu réac mais qui devient attachant quand on voit ses faiblesses : son attachement à son chien paralysé, son désarroi devant le départ de sa femme, sa relation tout en coup de gueule mais néanmoins attachée à son employé (Denis, joué par Darroussin). Le film est un presque huis-clos, logique vu qu’il est adapté d’une pièce de théâtre. Quelques longueurs mais de belles scènes : Bacri qui tente de voir sa femme partie chez une amie, avec tout les gamins qui zonent en bas de l’immeuble qui l’encouragent ; Darroussin et Frot qui dansent ensemble. D’ailleurs le personnage de Catherine Frot est très réussi et très bien joué, j’ai l’impression qu’elle est toujours un peu castée dans le même rôle, mais là elle y ajoute une certaine subtilité – en comparaison avec Cuisine et Dépendances, son personnage de bourgeoise un peu cruche est quand même mieux réussi que celui de Zabou.

Je recommande, si vous n’avez rien contre les gens qui s’engueulent en criant.

Cuisine et Dépendances, de Philippe Muyl

Film adapté d’une pièce d’Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri, où les deux jouent. Un couple tombe par hasard sur un de leurs anciens amis devenu célèbre et l’invite à dîner. On ne voit rien du dîner lui-même, mais tout le contrechamp de la cuisine, où les personnages se croisent et viennent faire des apartés, les relations entre les différents participants étant houleuses. C’était sympa mais de facture très classique, avec des ressorts qui reposent sur le ressentiment et les divergences de vue entre des personnages plutôt à l’aise dans la vie (je ne me remets pas de l’appartement parisien immense), un peu de sexisme gratuit par moment. Une très bonne scène où Bacri tente par téléphone de savoir si un hôtel dispose de chambres libres. Pour un Jaoui Bacri, je recommande plutôt Le Goût des Autres.

Disco Elysium, de ZA/UM

RPG vidéo sorti en 2019. On incarne un détective amnésique qui doit enquêter sur la mort d’un homme retrouvé pendu dans une arrière cour, dans une cité en déliquescence, sur fond de négociations entre une entreprise transnationale et un syndicat de dockers. Le jeu propose pas mal de miniquêtes annexes, et surtout un système de compétences et d’objets équipables permettant de façonner la personnalité et les capacités du héros, modifiant les interactions que l’on peut avoir avec l’environnement et les PNJ.

J’ai beaucoup aimé. L’environnement est original (des années 70’s alternatives dans une cité anciennement impériale, désormais sur le retour et victime d’un néocolonialisme déguisé, avec des aspirations à l’autogestion contrecarrée), avec un arrière plan ultra riche et travaillé dont on voit finalement très peu par rapport à toutes les pistes qui sont données. Le narrateur est en sale état, et les différentes compétences que l’on développe prennent la forme de voix intérieures qui nous donnent des indications sur comment gérer nos interactions avec les autres persos, et donnent des bonus sur les lancers de dés qui gouvernent toute la mécanique du jeu. Mais ces voix intérieures ne sont pas toujours fiables, les suivre aveuglément n’est pas toujours idéal. De même, épuiser toutes les options de dialogue n’est pas toujours une bonne idée, de la même façon que dire tout ce qui nous passe par la tête dans la vie réelle n’est pas idéal. On peut modifier l’alignement politique du personnage (et même si ce n’est pas dit comme ça, il y a aussi une grille lawful/chaotic|good/bad). En terme de graphismes l’environnement est très beau dans le genre ruines réaménagées, avec plein de petits détails.

Grosse recommandation.

Control, de Remedy Entertainment

Jeu vidéo sorti en 2019, dans un univers New Weird. Jesse Faden s’infiltre dans le siège de l’élusif Federal Bureau of Control, en quête de réponses. Elle trouve un Bureau qui s’est volontairement coupé du monde pour gérer un ennemi qui l’a infiltré. Elle trouve aussi rapidement le Directeur du Bureau mort, et une entité mystérieuse qui lui proclame qu’elle est la nouvelle directrice. Armée d’une arme à feu surnaturelle et de pouvoirs télékinétiques, elle va devoir sauver le Bureau de la menace que fait peser sur lui le Chuchotis, en parcourant la Maison Originelle dans tous les sens.

J’ai beaucoup aimé. Tout le jeu se déroule dans un bâtiment surnaturel, la Maison Originelle, qui est construite dans un style brutaliste (beaucoup de béton brut, des angles, des néons) et abrite les multiples services du FBC. Au niveau des décors du jeu c’était très cool. De plus l’environnement et le mobilier sont bien rendus et peuvent prendre des dommages, ce qui fait de belles scènes de calme après les combats, quand l’environnement est sans dessus-dessous.

Le jeu est relativement classique dans ses mécaniques, il faut affronter des ennemis de différents types pour progresser, résoudre occasionnellement de petites énigmes, faire des quêtes annexes pour accumuler des points de compétences à dépenser pour augmenter ses capacités. Le niveau de difficulté par défaut était trop technique pour moi, avec en plus des checkpoints assez rares (et un temps de chargement conséquent), ce qui demandait de beaucoup refaire les mêmes passages du jeu. Heureusement, les développeuseurs avaient prévu des réglages pour pouvoir ajuster la difficulté. Du coup j’ai joué la majeure partie du temps en mode immortel (mais la barre de dégâts reste affichée, j’ai tenté de les minimiser, plutôt que de foncer dans le tas).

J’ai beaucoup aimé les décors, comme je disais, mais aussi tout l’univers, avec cette agence gouvernementale tentaculaire qui gère des objets magiques. L’univers est développé en grande partie à travers les rapports de missions et les mémos internes qu’on trouve répandus à travers le jeu, donc on peut largement passer à côté, alors que c’est un des éléments les plus intéressants, notamment l’idée que ces objets deviennent magiques par l’attention qui est déversée sur eux par des humains, et leur gestion par la mise en place de rituels – pas au sens magique mais au sens de petits gestes répétés – catalogués par le Bureau.

En terme de mise en scène cinématographique le jeu est très réussi, avec une insertion de cinématiques qui se fait de façon assez fluide dans l’histoire et dans un rendu similaire aux parties jouées. Les noms des nouveaux lieux découverts viennent recouvrir l’écran comme des intertitres. Les séquences informations données par l’ancien Directeur via le Numéro Vert sont bien trouvées (la mise en scène est très répétitive mais la première qui passe est géniale et très théâtrale). Toute la séquence dans le Labyrinthe du Cendrier est super bien trouvée aussi (la protagoniste enfile un walkman et soudain il y a toute une séquence de jeu ultra guidée et rythmée sur un morceau de métal, là où le reste du jeu était beaucoup plus ouvert et avec une musique discrète).

Planètes, de Gorō Taniguchi

Adaptation en animé du manga éponyme de Makoto Yukimura. J’avais lu le manga ado, j’avais les DVDs des premiers épisodes depuis très longtemps, le second confinement a été l’occasion de s’y mettre. En 26 épisodes de 20 minutes, on suit le quotidien de la section Débris, une équipe d’éboueurs de l’espace dans les années 2070. L’histoire tourne principalement autour de deux membres de cette section, Tanabe, jeune novice idéaliste, et Hakimachi, un éboueur plus âgé qui a toujours rêvé de posséder son propre vaisseau et de participer à la conquête spatiale.

C’est très cool. L’univers montre une version relativement réaliste de l’exploration spatiale. Passée l’ère des premières fois épiques, l’espace est devenue une ressource comme une autre, exploitée par des firmes multinationales qui ont assez de capitaux pour se lancer dans des projets très coûteux mais très rentables. Le fait de centrer le point de vue sur la section Débris est très bien pensé : sans ce travail de récupération des déchets et débris, les voyages dans l’orbite terrestre serait impossible. Pour autant c’est un job sans prestige, les pilotes de navette sont ceux qui font rêver, pas les éboueurs. La Technora ne garde une section Débris, sous-financée et sous-staffée, que parce qu’elle reçoit des subventions de la Fédération (l’alliance des pays riches) pour ce faire. La géopolitique de l’univers est très réussie aussi : l’exploitation spatiale profite aux transnationales et aux pays riches, et un mouvement terroriste conteste la dépense énorme de ressources qu’engendrent les projets spatiaux et qui pourraient êtres alloués à la réduction des inégalités sur Terre. La série réussit très bien à balancer ces facteurs réalistes avec le pouvoir d’attraction que les mots « exploration spatiale » peuvent avoir. Elle montre aussi les risques pour la santé de la vie en dehors de la Terre, que ce soit les multiples accidents ou plus insidieusement les cancers liés aux radiations non-filtrées par l’atmosphère.

Concernant les personnages principaux, on a une focalisation d’abord sur le personnage de Tanabe, qui découvre cet univers, permettant de filer les clefs de compréhension aux spectateurs. Mais rapidement on comprend que le vrai héros de l’histoire est Hakimachi, prêt à sacrifier énormément de choses à sa passion de l’espace. Si Tanabe fait pas mal avancer l’histoire et est beaucoup mise en lumière, on est quand même sur une répartition très classique des rôles genrés dans ce couple de personnage, avec le mec taiseux qui veut être indépendant et aller explorer, et une fille idéaliste qui va apprendre à son contact mais lui faire découvrir la puissance de l’amour. De ce point de vue les personnages secondaires sont cependant plus réussis, notamment Fay Carmichael, la pilote de la section Débris colérique et prête à tout pour fumer tranquillement ses clopes. Tous les fils narratifs secondaires permettent de bien développer ces personnages et l’univers dans lequel ils évoluent.

Je recommande.

Soul, des studios Pixar

L’anti-Whiplash.

Joe Garner est un pianiste de jazz. Enfin, il voudrait l’être, il est surtout prof de musique dans un lycée de New York. Pour des raisons que je ne spoile pas, il décroche l’occasion de sa vie, mais ne pourra s’y rendre que s’il réussit à coopérer avec un sidekick surnaturel qui découvre la vie sur Terre et ce qu’est une existence humaine.

C’était très beau, surtout les séquences sur Terre, il y a quelques plans d’ensemble dont on a l’impression qu’ils sont là pour dire « oui, on peut faire ça en animation », mais ça marche super bien. Point de vue esthétique, j’ai été moins enthousiasmé par les séquences extraterrestres. J’aime beaucoup l’idée du design des Jerrys, mais le reste de l’environnement était peu varié en terme de couleurs (c’est probablement pour contraster avec les séquences terrestres, mais du coup elles en souffrent défavorablement).

Du point de vue intrigue, c’est un peu le même distinguo : tout ce qui se passe sur Terre est cool, la vie quotidienne de Garner et comment la présence et le regard de 22 lui font reconsidérer les choses est très bien fait. C’est pas forcément super original, mais ça marche, c’est bien mis en scène, c’est porté par une super bande-son. On a des séquences dans le milieu du jazz, qui se penchent sur les questions de passion et d’obsession, on a un fil thématique sur l’enseignement et la transmission : ce sont des thèmes qui étaient présents dans Whiplash mais là on a des professeurs bienveillants et une passion qui n’est jamais en lien avec l’idée de compétition. Un même sujet, traité totalement différemment.

L’intrigue métaphysique qui justifie la présence de 22 par contre, ça aurait pu être n’importe quelle autre raison, on s’en fiche un peu tbh, pourtant ça prend une part importante du film, ça aurait pu être expédié plus rapidement.
Niveau humour c’était globalement réussi tout du long, je suis bon client de ce type d’humour je pense mais les situations sont bien amenées.

Globalement un bon film, impressionnant du point de vue technique, avec quelques séquences un peu trop longues mais une belle histoire. On est un peu dans l’inverse d’Inside Out pour l’intérêt des séquences réalistes/métaphysiques.

Shady Part of Me, des studios Douze Dixièmes.

Puzzle game indépendant sorti fin 2020. On joue simultanément une petite fille timide et son ombre : la fille ne supporte pas la lumière, l’ombre ne se déplace qu’en 2D sur les murs et sols, et dans les zones illuminées seulement.

Le jeu a une belle direction artistique avec des décors qui ont une texture faite à l’aquarelle, et des environnements oniriques très beaux (j’ai beaucoup aimé le passage dans la nurserie, et celui dans la librairie, même s’il le second est assez court).

La mécanique de jeu est assez cool : l’ombre se déplaçant dans un environnement d’ombres projetées, déplacer en 3D les éléments permet de modifier l’environnement ombresque : on peut ainsi rapprocher des éléments de source de lumière pour les rendre plus gros, allumer de nouvelles lumières pour faire disparaitre des obstacles, projeter l’ombre d’un même objet avec plusieurs sources lumineuses… A l’inverse, l’ombre peut activer des ombres de leviers, où se placer devant des capteurs photo sensibles, ce qui modifie le monde 3D. Cette influence est quand même plus légère que dans l’autre sens (c’est peut-être le point que je reprocherai au jeu : dans beaucoup de séquences, le monde 3D est fortement contraint, s’apparentant plus à la 2,5D de Trine qu’à de la 3D ; mais je ne sais pas s’il y avait vraiment une possibilité de faire plus de la 3D avec le besoin de garder l’ombre pas trop loin pour que les deux persos puissent interagir et le/la joueur avoir une vue d’ensemble).

Globalement, très beau jeu esthétiquement, aussi bien le concept des décors que le rendu. La mécanique est intéressante, certaines énigmes auraient pu être plus corsées (là le niveau est assez tranquille tout du long), mais rien de rédhibitoire. Un premier jeu prometteur.