Archives de catégorie : Longs métrages

L’Île Rouge, de Robin Campillo

Film sorti en 2023. Madagascar, début des années 70. L’armée française est toujours présente, malgré l’indépendance officielle de l’île, mais sur le point de plier bagages. On suit la vie des familles de soldats de la base 181, expatriés dans un décor de rêve mais qui le traitent comme un décor : la base vit en vase clos, isolée de la population locale. On suit ces derniers mois avant le départ par le regard d’un enfant de 8 ans, qui lit Fantômette en boucle et imagine ses aventures (ce qui donne lieu à des séquences avec une esthétique diorama très réussies), alors qu’autour, le patriarcat et le colonialisme s’exercent tranquillement.

J’ai beaucoup aimé. C’est un film qui pose des ambiances, joue avec les lumières (la scène de la projection cinéma sur la plage est très belle), et montre la violence ordinaire (d’une manière très réussie puisque les personnages ne sont pas caricaturalement sexistes/racistes/autre, mais ils sont des hommes et des femmes des années 70s, blancs, militaires : le racisme et le patriarcat ne sont jamais loin, même dans les bonnes intentions.

Je recommande grandement

Suzume, de Makoto Shinkai

Film d’animation japonais sorti en 2023. Suzume, lycéenne, vit dans une ville de campagne où elle est élevée par sa tante. Un jour, elle croise un bishonen énigmatique qui mentionne chercher une porte dans une zone en ruine. Elle va se mettre à la recherche de la porte, et déclencher accidentellement une série de catastrophes. Son crush transformé en chaise et une entité menaçant de détruire le Japon, elle va devoir voyager à travers l’archipel pour fermer des portes dans diverses zones abandonnées. Au fil de son voyage, elle va rencontrer plein de gens qui vont l’aider, et clarifier la situation avec son crush et avec sa tante.

C’était très beau, plein de paysages en ruines, de vues plongeantes de la côte et des montagnes japonaises, ça donne envie d’y aller. Par contre l’histoire ne m’a pas du tout parlé. Y’a plein de trucs qui se mêlent, la romance sort un peu de nulle part. Très saoulé aussi par le discours de Suzume à elle-même enfant, qui me semble un peu l’inverse de ce qu’il faut dire à quelqu’un en deuil (« tu vas grandir et tu vas rencontrer d’autres gens » ? Wesh elle vient de perdre sa mère et elle a 4 ans, un peu de compassion plutôt que du stoïcisme ce serait pas mal).

Last Sentinel, de Tanel Toom

A force de faire n’importe quoi avec le climat, l’Humanité a déclenché une montée massive du niveau des eaux. On est pas encore dans Waterworld, mais quelques décennies avant : il reste deux « continents » au milieu d’un océan mondial parcouru par des tempêtes. à mi-chemin entre ces deux continents, le continent du Sud a installé une base militaire, une plateforme perdue au milieu de l’océan avec quatre militaires qui y sont pour deux ans, à surveiller une hypothétique invasion pour déclencher une arme qui finirait d’engloutir les dernières terres. A mi-chemin entre Le Désert des Tartares et Huis Clos, on suit la vie des quatre militaires trois mois après la date où ils auraient dû théoriquement être remplacés. Y a-t-il encore des gens en dehors de la base ? Sont-ils les derniers humains au monde ? Doivent-ils partir par leurs propres moyens ?

Le setup est assez réussi, l’ambiance de la plate-forme en déréliction et isolée de tout est bien rendue. Par contre l’intrigue et la montée de la tension qui est censé faire le scénario du film marche assez mal : le plan qui est mis en avant aurait pu être lancé plus facilement à n’importe quel autre moment qu’à l’approche de la relève, les personnages sont un peu trop stéréotypés. Mais l’ambiance générale est cool.

We are coming, de Nina Faure

Documentaire féministe français de 2023. Partant de la question du plaisir féminin et de l’orgasm gap, le documentaire dérive sur les groupes de paroles féminins, la réédition du livre Notre corps, nous-mêmes, et les luttes féministes, dont #metoo au premier plan, mais aussi des manifs en mixité choisie (à Bure) ou NousToutes.

Même en connaissant déjà pas mal les sujets abordés (si vous avez un peu de bagage théorique et suivez l’actualité féministe, vous n’aurez pas de gros scoop dans ce documentaire), c’était intéressant de voir le tout remis en perspective et relié. Le film donne la parole à pas mal de voix féminines différentes, de la réalisatrice et sa comparse Yelena Perret aux femmes de groupes de paroles, en passant par des colleuses d’affiches contre les féminicides ou Caroline de Haas et Sandrine Rousseau. Pas de témoignages masculins directement, une séquence expliquant que Nina Faure avait sollicité son compagnon et un ami, qui ont refusé d’apparaitre dans le film (en expliquant que « même avoir le bon rôle en tant que mec sur ce sujet, c’est avoir le mauvais rôle » – ce que je partage un peu, je vois pas comment tu peux amener une parole masculine pertinente sur ce sujet sans faire du mansplaining ou réclamer des cookies).

Revolutionary Road de Sam Mendes

Film étatsunien de 2008, adaptation du roman éponyme de 1961. Frank et April sont un jeune couple persuadé qu’ils sont destined for greatness. Évidemment en moins de 7 ans ils se retrouvent avec la même vie suburbaine que toute leur classe sociale : ils ont deux enfants, elle est femme au foyer dans un pavillon, il va travailler en costard gris dans un bureau du centre-ville où il est un rouage de l’organisation interne d’une grosse firme qu’il méprise et a des aventures occasionnelles avec des secrétaires.

April va proposer qu’ils s’échappent de ce carcan normatif, prennent leurs économies et partent vivre à Paris où elle travaillera pour une agence internationale et Frank pourra avoir du temps pour lui. Mais au même moment Frank se voit offrir une promotion, et elle tombe enceinte… Frank, aidé par tout le poids du patriarcat, va alors tout faire pour saborder méthodiquement le projet de départ à Paris auquel il avait initialement souscrit.

Les rôles principaux sont joués par Kate Winslet et Leonardo Di Caprio, ie le couple mythique de Titanic, ça a beaucoup été mis en avant à l’époque de la sortie du film. C’est un peu un « et si leur aventure avait continué ? » pas très optimiste. On voit April totalement coincée par la société. Si Frank est malheureux dans son job, au moins il a un peu d’agency et il peut choisir entre plusieurs options. April est vraiment coincée dans sa vie domestique et ce couple avec ce mec qui l’épuise à tout moment. Le film n’est pas sur la dérive d’un couple : franchement le seul tort d’April dans le film c’est de ne pas se laisser faire et de ne pas accepter que Frank prenne toutes les décisions unilatéralement. C’est globalement un film sur le patriarcat et l’impossibilité pour April de sortir du conformisme qu’elle sent l’étouffer. Quand elle tente de coucher avec un voisin, il lui déclare immédiatement qu’il l’aime, alors qu’elle voudrait quelqu’un qui la prenne au sérieux sur le fait que la vie qu’ils mènent empêche toute forme d’amour réel.

J’ai bien aimé le voir, c’est bien composé, les acteurs jouent bien, après ce n’est pas un film bouleversant : le thème est paradoxalement un peu trop facile : j’ai l’impression que l’aspiration à l’exceptionnalité et l’horreur de se rendre compte que la vie quotidienne, ses propres compromis et ceux des gens autour vous coincent, c’est un sujet qui met tout le monde d’accord. On ne peut qu’empathiser avec April et détester tous les autres persos, il n’y a pas d’ambiguïté.

Next Exit, de Mali Elfman

Film étatsunien de 2022. A 20 minutes dans le futur, l’existence d’une vie après la mort a été scientifiquement prouvée. Pour conduire davantage de recherches sur le sujet, les scientifiques à l’origine de la découverte recherchent des volontaires pour une euthanasie contrôlée. Deux newyorkais, Rose et Teddy, se portent volontaires. Le film les suit dans leur road-trip de New York à la Californie.

La prémisse était cool, et les acteurs jouent bien. Mais le scénario perd rapidement de l’intérêt, en développant une romance entre les deux persos et en adoptant un point de vue très convenu à base de « l’amour est la réponse ». Les petits éléments d’arrière plan sur l’impact de la découverte scientifique sur le monde sont cools, mais plus ça va et moins on est intéressé par l’histoire des personnages (qui se résume à from enemies to friends to lovers avec un ajout d’intimité forcée, des tropes certes appréciables en soi mais pas particulièrement bien ni originalement traités ici).

Pour un film qui parle des conséquences sociales de l’euthanasie, je recommande plutôt Plan 75, et pour un film qui parle de fantômes, A Ghost Story.

Toni Erdmann, de Maren Ade

Une meilleure take sur le Joker que Joker.

Film austro-allemand de 2016. Winfried, allemand de 60 ans, décide de rendre visite à l’improviste visite à sa fille Ines qui travaille comme consultante à Bucarest. Winfried passe son temps à faire des blagues et à se déguiser (notamment avec de fausses dents). Son aura chaotique clashe rapidement avec la vie professionnelle d’Ines, qui tente de se faire bien voir du PDG de la firme que son cabinet conseille, mais elle continue d’inclure son père dans sa vie – qui tourne essentiellement autour de son boulot. Winfried part au bout de quelques jours, mais revient sous une perruque et le nom d’emprunt Toni Erdmann, prétendant être le coach de vie d’un PDG connu, puis l’ambassadeur d’Allemagne.

J’ai beaucoup aimé. Le côté clash des cultures est des valeurs est bien mis en scène. Winfried est assez problématique dans la façon qu’il a de s’immiscer dans la vie de sa fille, mais comme le reste de sa vie est composé de connards prétentieux qui font du conseil, il apporte en même temps une bouffée d’air frais. C’est pas mal de ne pas être manichéen sur le côté « ouh je te fais profiter des petites choses de la vie », même si Winfried a de fait pas mal un rôle de manic pixie fairy dad. La vibe chaotique de Winfried et le maquillage qu’il porte en début de film fait aussi pas mal « je vais devenir le Joker », mais sans le côté « let’s take down a city » des blockbusters hollywoodiens. Tu sais jamais trop où le film va t’emmener, c’est assez réussi comme mouvement perpétuel. Et on n’est pas non plus sur un happy end : même si Winfried influence sa fille dans le bon sens, quand elle quitte sa boîte de connards qui lui font miroiter une promotion qui n’arrive jamais, c’est pour une autre boîte de conseil tout aussi maléfique.

Je recommande.

Pinocchio, de Guillermo del Toro

Film sorti en 2022, produit par Netflix. Une adaptation de l’histoire de Pinocchio. J’ai beaucoup aimé l’esthétique en stop motion, les décors sont très beaux, les créatures fantastiques (les esprits de la vie et de la mort notamment) sont très réussis. L’adaptation de l’histoire au contexte de l’Italie fasciste est intéressante aussi. J’ai bien aimé les chansons dans l’absolu mais j’ai trouvé que ça clashait avec le reste de l’esthétique. Sur l’évolution des personnages, on comprend assez peu pourquoi tout d’un coup Gepetto a un amour inconditionnel pour Pinocchio, mais on accepte l’idée pour profiter du film.

Je recommande pour l’esthétique (et les lapins d’outre-tombe).

Puss in Boots: The Last Wish, des studios Dreamworks

Le chat Potté de la franchise Shrek est arrivé à sa neuvième vie, à force de morts au cours de ses aventures. Craignant désormais pour sa dernière vie, il décide de prendre sa retraite. Jusqu’à entendre parler d’une étoile magique pouvant accorder un vœu à celui qui la trouve. Il se lance à sa recherche, mais il n’est pas seul sur sa trace : Boucle d’Or et sa famille d’ours, Jack Horner (c’est le personnage d’une comptine anglaise, je connaissais pas non plus) et une chatte mercenaire sont aussi sur l’affaire.

J’ai bien aimé. L’animation était très réussie à mon sens, et les personnages secondaires aussi. Si le scénario central est très classique, les persos et le voice acting font bien le taff. J’ai particulièrement apprécié Boucle d’Or, mais globalement solide travail sur la caractérisation des persos, malgré le fait qu’il y en ait beaucoup et donc pas des masses de temps d’écran pour chacun.

Joker, de Todd Phillips

Film étatsunien de 2019. Arthur Fleck est un gothamite des classes populaires durant les années 80. Il vit avec sa mère, bosse en tant que clown de rue pour faire de la réclame pour des magasins. Il a des problèmes mentaux, mais le programme de la Sécu qui lui permet d’avoir accès à un travailleur social et des médicaments est victime d’une coupe budgétaire. Arthur et l’ensemble de la ville avec lui vont s’enfoncer dans une spirale de violence et de maladie mentale.

C’était intéressant comme angle pour approcher une histoire de Batman. Joachim Phoenix joue bien le rôle titre, les plans sont réussis et la reconstitution des années 80s aussi. Le fait de traiter le personnage du Joker sous l’angle de la maladie mentale plutôt que d’être là « bouuh, un super-criminel très très méchant » est intéressant (c’est un peu ce que faisait le comic Killing Joke, mais là c’est clairement poussé plus loin). Pour autant, l’histoire n’est pas ultra originale, on a de la compassion pour Arthur mais cette mise en scène de la descente aux enfers d’un mec qui se bat contre un système inique n’est pas ultra originale : c’est Taxi Driver, c’est Fight Club

A regarder si vous voulez une histoire de Batman bien filmée (et sans Batman, même si on se tape l’inévitable scène du meurtre des parents, avec le collier de perles qui casse), ça vaut plus le coup que The Batman par exemple.