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Article-invité : La Quête de la Chaussette du Destin

Article par Stram : Recension romancée de la randonnée autour du Capcir que nous avons faite avec Stram et P.

C’est le cœur lourd que nous quittions Toulouse ce dimanche 28 juillet 2024. Une fois de plus, les ténèbres menaçaient les Pyrénées et le seul espoir pour les stopper était de détruire la chaussette du destin sur les cimes de Puig Peric. C’est dans notre fidèle calèche que nous fîmes le trajet entre Toulouse et Planès, le village de nos ancêtres d’où nous pourrions partir sans attirer l’attention… C’est ainsi que la Confrérie des Sombreros commença la quête de la chaussette du destin !

Grâce aux faux papiers faits par nos camarades de l’UHTG1, nous franchîmes les barrages des gendarmes francs, alliés notoires du berger des ténèbres. Nous commençâmes notre épopée loin de Puig Peric et le premier jour fut bien calme. Après une nuit au refuge du col del Torn avec ses fameux hamacs, nous continuâmes notre périple vers Puyvalador. Après nous avoir écouté, le seigneur de Puyvalador nous fournit un laissez-passer afin que nous puissions continuer notre voyage sans embûches. Hélas, la cour de Puyvalador était minée par les traîtres acquis à la cause du berger des ténèbres. Juste après notre passage, un coup d’état renversa le seigneur et les forces des ténèbres s’élevèrent dans tout Puyvalador. Heureusement nous avions changé nos plans de couchage et aucun combi volkswagen2 n’arriva à localiser notre campement cette nuit là. Mais les troupes du berger des ténèbres connaissaient notre destination : les portes du grand duché d’Orlu, pour quémander assistance au grand duc. Ainsi juste après avoir dépassé les terres des mercenaires de la compagnie Marguerite, nous entendîmes les échos des tambours de guerre des troupes du berger des ténèbres. La compagnie Marguerite, célèbre troupe de mercenaires assoiffées de sang mais loyaux à la lumière – et à l’argent – se sacrifia pour nous faire gagner de précieuses heures.

Aux portes du duché d’Orlu, le grand duc écouta notre requête et nous confia une troupe de 15 vautours fauves pour nous aider. En partant des portes d’Orlu nous vîmes en bas le carnage sur le champ de bataille. On raconte qu’une seule jeune recrue de la compagnie Marguerite a survécu au massacre de Las Bassetes et qu’elle devint 20 ans plus tard l’héroïne de la bataille du mont Canigou qui chassa les bergers des ténèbres définitivement hors des Pyrénées.

Conscient que les troupes du berger des ténèbres étaient très proches, nous nous dépêchâmes de rejoindre les grandes prairies de Castel Temporell, la dernière zone franche avant les montagnes de Puig Peric. Les chevaliers de l’éternelle Castel Temporell nous accueillirent en grande pompe et nous passâmes la nuit à l’intérieur alors que l’orage de grêle frappait les forces des bergers des ténèbres qui se préparaient à l’assaut. À la faveur de la nuit, sans prévenir personne de peur qu’un espion ne soit là, nous partîmes vers Puig Peric. Nous franchîmes discrètement les lignes ennemies. C’est à l’aube, en commençant l’ascension de la montagne, que nous entendîmes les cloches du guet de Castel Temporel préparer les troupes à la bataille. Les vaches de Castel Temporel, bien conscientes de la menace que représente le berger des ténèbres, réveillaient tout Castel Temporel aussi tôt que possible afin que toute surprise soit impossible. Touché par la force de caractère de ces vaches, prêtes à tout pour ne pas subir l’oppression, nous continuâmes la longue et difficile ascension de Puig Peric. Le temps nous était compté car les troupes du berger des ténèbres s’étendaient jusqu’à l’horizon sur la route qui reliait Castel Temporell à Puyvalador. Castel Temporell ne pourrait tenir que quelques heures dans de telles conditions.

Pendant les deux heures qui suivirent, nous continuâmes notre ascension en entendant les cris de la bataille qui faisaient rage en bas. Dès notre arrivée au sommet, nous sacrifiâmes la chaussette du destin et sonnâmes le cor pour annoncer le succès de notre quête ! Le berger des ténèbres était vaincu et son sort de confusion sur les troupes de Puyvalador s’arrêta immédiatement, mettant fin à la bataille. Castel Temporell et l’ensemble des Pyrénées étaient sauvés !

Fous d’allégresse, nous nous baignâmes plusieurs fois ce jour-là et la nuit, nous festoyâmes sous les étoiles filantes en regardant les somptueuses constellations du ciel nocturne d’août. Le lendemain, en passant au roc de la Calme, nous discutâmes avec le grand forgeron. Il nous apprit que les skieurs de l’Apocalypse menaçaient de remplir les Alpes de canons à neige artificiels. La communauté des sombreros décida donc de forger – malgré les risques – le bâton du destin sur la mythique enclume du roc de la Calme. C’est préparés au pire et le cœur lourd que nous partîmes du roc de la calme pour rejoindre SuperBolquère. Nous étions en effet à court de provisions et n’avions pas d’autre choix que de payer aux marchands avaricieux de SuperBolquère des denrées hors de prix, la guerre ayant ravagé les cultures…

Le lendemain, notre retour à Planès fut triomphal et c’est le cœur plein de joie que la Confrérie des Sombreros partit des Pyrénées pour continuer à lutter contre les ténèbres ailleurs…

  1. Ultime Hyper Totale Gauche, à gauche de la gauche de la gauche de l’extrême gauche ↩︎
  2. traditionnel véhicule des indicateurs du berger des ténèbres ↩︎

Article invité : Les enfants du temps de Makoto Shinkai

Une critique cinéma par Stram

Film d’animation japonais sorti en 2019. J’ai vu cet anime peu après avoir vu un autre film de Makoto Shinkai, Suzume. Et il y a quelques similarités dans les scénarios (de la romance entre ados quoi). Mais j’ai préféré ce film. Comme pour Suzume, le film est vraiment très beau mais l’intrigue est un peu mieux ficelée. Les différents personnages sont attachants et l’histoire est mignonne. On suit des ados qui ont arrêté leurs études et essayent de se débrouiller en faisant des petits boulots. Autre point positif : les policiers en prennent pour leur grade (ils se font systématiquement rouler dessus) ce qui n’est pas pour me déplaire. Bon après, ça reste de la romance hétéro avec les défauts liés (très cliché, normatif, etc.).

J’ai quand même passé un très bon moment !

Article invité : Babel or the necessity of violence, de R.F. Kuang

C’est la semaine des articles invités ! Cette fois-ci, une recension de roman par Stram.

Babel or the necessity of violence est un roman sur le colonialisme et le racisme systémique, avec des héro.ines racisé.es dans une réalité parallèle en 1830, où le charbon et l’électricité ont été remplacés par la science de la traduction et un matériau magique, « l’argent ».

Sur le papier, ça a l’air vraiment très chouette. Et pourtant je n’ai pas vraiment accroché et je n’arrive pas à trouver la raison. Je pense que c’est un mélange de pleins de petits trucs : les longueurs (le livre est vraiment long), l’impression de lire un essai politique plutôt qu’un roman à certains endroits, l’intrigue assez prévisible et la sous-utilisation de la magie (en fait, il y a juste à remplacer tout ce qui a trait à l’argent par le charbon ou l’électricité et on retombe dans la réalité des années 1830 que l’on connaît).

Je serais intrigué d’avoir d’autres avis sur ce livre en tout cas. Car ça fait quand même plaisir d’avoir un roman qui parle très justement à la fois de racisme systémique, du capitalisme à l’ère industrielle, du colonialisme et du rôle de la science et des scientifiques dans tout ça.

Article invité : Lectures 2022-2023 par laeti

Après des années à être enfouie sous les bouquins de thèse, à épancher ma soif de fiction dans les séries et ma bibliomanie dans les rayons BD des librairies, un plaisir depuis longtemps disparu a repointé le bout de son nez au cours de l’été dernier. Sélection donc d’un an de lectures rythmé par le goût retrouvé des romans et essais, sur les pas de mes gourous littéraires – j’ai nommé les cuperlaul, Lucie V. et les filles de La Ruelle.

Pour se (re)mettre en appétit

À l’écran comme en littérature, les whodunnit, romans policiers et thrillers en tous genres m’ont toujours remise en selle dans les moments où je manquais d’inspiration ou d’énergie pour la fiction. C’est avec une série de petits ouvrages d’Agatha Christie que j’ai donc commencé l’année, en particulier Le vallon : malgré les résolutions parfois cousues de fil blanc, le style précis, l’humour, la finesse psychologique des personnages et la délicieuse atmosphère « Would you like a cup of tea? » de ses romans marchent toujours aussi bien.

Afin de rester dans la même ambiance, j’ai tenté Les sept morts d’Evelyn Hardcastle de Stuart Turton, dont le résumé promettait un mélange entre Downtown Abbey, Un jour sans fin et Agatha Christie : mais le principe, consistant à revivre le jour de la mort d’Evelyn Harcastle dans la peau de personnages différents jusqu’à résolution de l’énigme, m’a un peu lassée à la longue. À tenter cependant si vous n’avez pas peur des intrigues casse-tête ni des policiers qui prennent une dimension fantastique.

Autre semi-déception, Sur la dalle de Fred Vargas, où tout ce qui fait le charme de ses romans semble s’épuiser et être relégué au rang de procédé. Pourtant, c’était un tel plaisir de retrouver Adamsberg (même un Adamsberg décoloré) après plusieurs années de sevrage, que cette lecture m’a relancée dans une redécouverte du cycle. J’ai été à nouveau époustouflée par la puissance du style, l’onirisme des personnages et la tendresse que l’autrice a pour eux : à mon avis, de L’homme aux cercles bleus jusqu’à Dans les bois éternels, Vargas a écrit toute une série de chefs-d’œuvre du genre (sauf peut-être Un lieu incertain).

Parus sous pseudonyme également, j’ai découvert les romans policiers de Robert Galbraith (alias J. K. Rowling) avec Sang trouble, énorme pavé dont le caractère addictif tient peut-être moins à l’intrigue, très classique (et très glauque), qu’à une tension sexuelle tout ce qu’il y a de plus fantasmatique, traînant cependant un peu (beaucoup) en longueur (surtout si on en est à 5000 pages d’avoir commencé la série à ses débuts). Agréable quand on a envie de s’enfiler des centaines de pages, mais je ne pense pas persévérer dans les romans – à ce compte-là, l’adaptation par la BBC m’ira très bien.

Deux recommandations enfin du côté des thrillers : Quelque chose à te dire de Carole Fives, court roman très efficace sur le thème classique de l’admiration pathologique pour une artiste, avec un angle original et un retournement de situation plutôt bien trouvé ; et surtout L’ami de Tiffany Tavernier, magnifiquement écrit, sur un homme plongeant dans la dépression suite à l’atroce révélation des crimes commis par son voisin et ami. Pendant fictif d’un livre comme L’adversaire d’Emmanuel Carrère, ce livre m’a beaucoup marquée par l’ampleur des thèmes dont l’autrice traite, avec une profondeur qui me semble largement dépasser l’intrigue bien particulière dont il est question. Certaines pages sont parmi les plus belles que j’ai lues ces derniers mois.

Plats de résistance

Ce qui m’amène à mes coups de cœur de cette année, tous genres confondus. D’abord, parce que rarement un essai m’a autant émue, Vieille fille de Marie Kock : l’autrice aborde cette figure repoussoir pour en interroger les ressorts patriarcaux, et peut-être la réhabiliter. La réflexion fait écho avec pudeur à un récit plus personnel, et m’a paru aussi libératrice que celle menée dans Réinventer l’amour de Mona Chollet.

Bien que cet essai n’ait en apparence rien à voir avec Star de Guillaume Poix, des fils ténus relient les deux ouvrages. Ce roman à la lisière de l’autofiction est sans doute le plus original que j’aie lu en 2023. Il débute dans la veine de Dix pour cent, narrant avec beaucoup d’humour les déboires d’un jeune figurant désireux de percer comme acteur ; puis, emmené par la rencontre avec une hilarante Nicole Garcia pince-sans-rire, le récit devient tout autre chose et atteint un point bouleversant. Je recommande vivement.

Autre coup de cœur que je n’aurais certainement pas lu si on ne me l’avait pas conseillé, Honoré et moi de Titiou Lecoq, courte biographie de Balzac qui part du postulat que c’était un gros loser. Le livre parle essentiellement des finances de Balzac, et pourtant c’est passionnant et hilarant. Et pour les profs de lettres ça peut être une ressource vraiment intéressante à destination des élèves.

Je n’avais pas tellement plus de souvenirs de l’Iliade que des romans de Balzac, mais Le chant d’Achille de Madeline Miller m’a replongée dans ces épisodes oubliés, de manière très vivante et avec une narration extrêmement satisfaisante de la romance entre Achille et Patrocle. J’ai adoré retrouver le plaisir de lire les grands récits mythologiques, contemporanéisés. Et en plus la couverture est belle.

La lecture qui m’a le plus marquée cette année est peut-être V13 d’Emmanuel Carrère, qui compile ses chroniques du procès des attentats du 13 novembre 2015 : il rend compte des témoignages des victimes, de ceux des accusés, et enfin des réquisitions et plaidoiries. Carrère est vraiment un bon journaliste : il reste présent dans ce qu’il raconte mais sait ici s’effacer avec sobriété en même temps que nous expliquer de manière très précise les mécanismes et enjeux de ce procès. Cela fait partie des livres dont je suis sortie en me disant que j’avais eu besoin de les lire. Mais c’est évidemment extrêmement dur, donc je ne le recommanderais pas absolument.

Prendre des forces

Si la grande majorité des livres lus cette année ont été écrits par des femmes, j’ai aussi régulièrement repris des forces à des romans ou essais féministes, après les lectures très marquantes faites l’an dernier des ouvrages de Louise Erdrich, Joan Didion et Maud Ventura.

Le coût de la vie de Deborah Levy m’a désarçonnée : j’ai trouvé un peu aride le récit autobiographique de cette femme tentant de reprendre l’équilibre après son divorce, comme si j’en restais toujours à la lisière, peut-être du fait d’une écriture assez froide, ou trop versée dans le détail intime pour que je m’y sente réellement conviée. Mais quelque chose m’a touchée. À retenter plus tard…

Les argonautes de Maggie Nelson m’a en revanche beaucoup plu. Entre autobiographie et essai, l’autrice interroge ce que c’est que faire famille autrement, quand l’homme trans qu’elle aime a un passing tel que leur famille pourrait sembler tout ce qu’il y a de plus conventionnel. L’ouvrage est parsemé de références sans que ce soit lourd ni pédant, et le style est très étonnant par sa capacité à demeurer au plus près d’une expérience brute du corps, en dépouillant notre regard de tous les calques de grossièreté voire d’obscénité que l’on serait tenté d’y apposer. Des passages magnifiquement crus sur la sexualité et la grossesse, et une première phrase renversante, à mon sens l’une des ouvertures littéraires les plus réussies avec celle de La femme gelée d’Annie Ernaux.

Sur la maternité également (mais abordée très différemment), Sages femmes de Marie Richeux a été une vraie découverte. L’autrice, jeune mère, découvre que depuis plusieurs générations, les femmes de sa famille ont été filles-mères, mais aussi couturières ou tisseuses. S’ensuit une recherche entre archives mémorielles, textiles et textuelles, parsemée de moments d’une grande délicatesse. Bien que la transmission ne soit pas un thème qui me touche beaucoup, j’en ai un peu saisi la profondeur dans ce récit, parfois décousu mais dont il demeure une impression lumineuse.

Dans Après Céleste, Maud Nepveu-Villeneuve aborde, depuis les espoirs de résilience par la sororité, l’expérience de la fausse couche (ou de la naissance d’un enfant mort-né, le roman demeure assez pudique là-dessus, malgré des descriptions brutales). Le tournant fantastique (ou onirique ?) du récit m’a peu convaincue, mais j’ai trouvé ce court roman très beau – tout en étant ravie d’y lire du québécois.

Enfin, le recueil d’articles Ces hommes qui m’expliquent la vie de Rebecca Solnit m’a mise dans une colère noire. C’est magistral sur les voix tues des femmes (bien au-delà du mansplaining [terme que n’affectionne d’ailleurs pas l’autrice], ou plutôt en montrant tout le continuum des violences patriarcales). Enfin, rien qu’on découvre vraiment, mais l’ouvrage est si clair et acéré qu’il peut aussi servir pour vulgariser certains concepts féministes – à faire lire largement autour de soi ? Un très bel essai sur Virginia Woolf, et chaque article est illustré des magnifiques photographies de l’artiste Ana Teresa Fernandez, dans une veine un peu Pina Bausch.

Lectures bonbon

Et puis il y a eu les lectures légères.

Samouraï de Fabcaro : c’est rigolo, pas au niveau de ses BD, mais son humour absurde marche quand même très bien. Je ne dévoile rien de l’intrigue, et déconseille d’en lire le résumé – mais en gros, c’est idéal pour les vacances, en particulier l’été, et ça parlera à un certain nombre de doctorant.e.s/docteur.e.s.

Dans le genre d’ouvrage qui se savoure en quelques heures, les très courts romans d’Aki Shimazaki esquissent avec une écriture d’une grande simplicité les entrelacs psychologiques et affectifs des personnages, sur fond de description attentive des petites choses, fleurs, plantes, plats japonais… J’ai commencé par Suzuran, premier tome d’une des pentalogies écrites par l’autrice (mais tous ses livres peuvent se lire séparément) : le schéma narratif ne m’a pas entièrement convaincue, mais j’ai éprouvé beaucoup de plaisir à plonger dans ce petit livre fin à la couverture élégante, et à lire les pages sur la poterie japonaise. De cette autrice, on m’a particulièrement recommandé Fuki-no-tô et Yamabuki.

Enfin, je recommande Les facétieuses de Clémentine Beauvais : l’intrigue part d’une super idée irracontable à base de marraines-la-bonne-fée, et l’écriture est vraiment très drôle. La fin est malheureusement décevante (en discuter avec pandarion pour un éclairage très pertinent de ses insuffisances), mais c’était un grand plaisir de lecture.

Mezze

Petite sélection de livres qui m’ont bien plu sans toujours m’enthousiasmer, mais que je recommande néanmoins.

Liv Maria de Julia Kerninon est le récit prenant et sensuel de la vie d’une femme essentiellement libre. Certaines idées sont belles, et les corps sont très présents, mais je suis restée assez à l’extérieur des personnages, y compris de l’héroïne. Cependant, je ne suis pas très sensible aux romans qui embrassent la vie d’un personnage de sa naissance à sa mort. De l’autrice, on m’a chaudement recommandé Toucher la terre ferme.

Middlesex de Jeffrey Eugenides aborde, au croisement entre récit intime, saga familiale et souffle mythologique, le thème de l’intersexuation. Malgré une écriture limpide et originale, je n’ai pas réellement réussi à entrer dans cet ample récit, mais je pense que ce roman peut beaucoup plaire, notamment si vous aimez les sagas historiques.

Mon traître de Sorj Chalandon a également cette dimension historique, racontant l’amitié entre le narrateur et un vétéran de l’IRA dont il s’avérera que c’est un traître. La sobriété du style est très émouvante, et j’ai beaucoup appris sur l’histoire de l’Irlande.

Court récit également (mais complètement autobiographique), Lambeaux de Charles Juliet s’adresse à ses deux mères paysannes, sa mère biologique qu’il n’a jamais connue et celle qui l’a élevée, « l’esseulée et la vaillante, l’étouffée et la valeureuse, la jetée-dans-la-fosse et la toute-donnée ». Le lyrisme est poignant.

La légende de Gösta Berling de Selma Lagerlöf est le seul roman antérieur au XXe siècle que j’aie lu cette année. Sa forme est originale, empreinte de figures nordiques plus ou moins fantastiques, et on y entre comme dans un recueil de contes, pour suivre les aventures d’un (anti-)héros difficilement saisissable. Les personnages féminins sont assez intéressants. À lire de préférence l’hiver.

Pas dormir de Marie Darrieussecq prend également une forme étonnante, entre l’essai et le récit intime, riche de toutes les références emmagasinées par l’autrice lors de ses nuits d’insomnie chronique. La thématique rend l’ouvrage un peu angoissant, mais c’est intéressant et ça se lit très bien.

Enfin, j’attendais du livre Bien sûr que les poissons ont froid de l’humoriste Fanny Ruwet une bonne tranche de rigolade, mais j’ai en fait eu beaucoup de mal à le lire, moins à cause de tics d’écriture un peu agaçants (c’est quand même bien écrit) que de la présence très réaliste de la dépression tout au long du récit. L’histoire est assez originale et a un petit côté thriller sur fond de notre adolescence de trentenaires (donc à base de skyblogs et MSN). C’est donc dans l’ensemble un roman bien fait, mais dont les thèmes peuvent angoisser.

Sur ma faim

Cette année a aussi eu son lot de déceptions. Rien de vraiment mauvais, mais des ouvrages dont j’aurais attendu davantage. D’abord Où es-tu monde admirable ? de Sally Rooney (mais il faut dire que je ne suis pas une grande fan de ses autres livres). Une tension sexuelle toujours très efficace, mais sur fond de discussions philosophico-politiques assez attendues, et surtout d’intrigue sentimentale qui peine de plus en plus à me convaincre, voire m’agace – j’ai parfois l’impression de replonger dans mes fantasmes pas très sains de lycéenne. J’ai fini l’ouvrage en très large diagonale, donc peut-être ai-je raté des choses.

On m’avait beaucoup vendu Là où chantent les écrevisses de Delia Owens, et j’ai été assez prise par la dimension de thriller et l’intrigue sentimentale (bien qu’un peu adolescente encore à mon goût), mais j’ai eu du mal à rentrer complètement dedans. L’ambiance des marécages peut-être, dont les paysages ne me parlent pas trop, ou certaines invraisemblances du récit d’apprentissage. Néanmoins, les descriptions de la nature sont très réussies.

Après Les facétieuses, j’ai eu envie de lire d’autres livres de Clémentine Beauvais, dont Sainte Marguerite-Marie et moi, où l’autrice raconte dans une sorte d’autofiction (autobiographie ?) les recherches qu’elle mène sur son ancêtre sainte mystique au moment où elle-même, universitaire de gauche et athée, est enceinte de son premier enfant avec un catholique conservateur. La lecture est plaisante et j’ai découvert avec intérêt la figure de Marguerite-Marie, mais l’ouvrage effleure trop à mon goût certaines questions fondamentales, que ce soit sur le mysticisme ou la difficulté à partager la vie de quelqu’un ayant des positions politiques radicalement divergentes.

De même, je trouve que Chez soi de Mona Chollet aurait pu aller plus loin, en particulier sur la dimension politique du sujet : mais c’était une lecture parfaitement adaptée à un hiver douillettement passé chez moi, couchée au lit avec un rhume.

Enfin, Pleine et douce, premier roman de la philosophe du corps féminin Camille Froideveaux-Metterie, m’a semblé manquer de qualités véritablement littéraires, et tomber dans les écueils d’un désir d’exhaustivité parfois propre au roman choral. Mais j’attends avec beaucoup d’impatience son prochain ouvrage philosophique, essai phénoménologique sur l’expérience du corps enceint.

Au menu

Tirant les fils des autrices et thématiques rencontrées cette année, je pense lire dans les prochains mois :

Fille de Camille Laurens, pour le thème de la maternité, et l’écriture qui m’a l’air limpide ;

Leurs enfants après eux de Nicolas Mathieu, parce que mon gourou Pil Saumon l’a dit ;

Liaisons étrangères, dont on m’a promis un humour à la David Lodge mais sans toute la misogynie qui va avec ;

Vie, vieillesse et mort d’une femme du peuple, parce que je n’ai jamais lu de Didier Eribon et qu’il traite de la vieillesse ;

Circé de Madeline Miller, dans la suite d’Achille.

Article invité : Une année de lectures 2.0

Comme l’année dernière, le bilan des lectures d’aaz.

Depuis le début de l’année 2020, je tiens à jour la liste des livres que je lis à mesure que je les finis. Cela avait été l’occasion (ou le prétexte) d’en faire une analyse rétrospective à la fin de l’année dernière, en les classant tous par ordre de préférence et en élaborant divers tableaux récapitulatifs.

À la fin de cette Année 2, la poursuite de cette entreprise me permet donc de refaire un nouveau bilan, mais avec plus de tableaux, plus de données, et le petit bonheur supplémentaire de pouvoir (attention, nouveauté) comparer les chiffres de cette année de lecture à ceux de la précédente.

Voici donc sans plus attendre les enseignements de ce qu’il apparaît désormais légitime de qualifier de tradition de Nouvel-An :

Une année de lectures 2.0

(Now With More Graphs)

Bon, ce n’est pas juste une question de chiffres.

Comme l’année dernière, en divisant la taille de chaque livre (en nombre de mots) par le nombre de jours passés à les lire, j’obtiens une approximation assez grossière du temps que j’ai consacré à la lecture. Je garde pour les vertus de la comparaison les mêmes restrictions arbitraires que l’an dernier : je ne note que les lectures de fiction hors BD / romans graphiques.

Pour ma part, l’année 2021 a été marquée par l’absence significative d’un confinement total « à la 2020 » avec deux mois entièrement consacrés aux loisirs, outre des changements en matière professionnelle. Tout ceci – et le décalage très net du curseur de la balance travail-loisirs – s’est traduit sans surprise par une baisse marquée de mon temps passé à lire, de l’ordre de 30 %, que l’on compte en nombre de livres (de 53 à 37) ou de mots lus.

Le détail semaine par semaine n’est pas plus surprenant et correspond à mon ressenti personnel, tout comme l’an passé, d’ailleurs. Mon « rythme » de lecture corrèle, au cas par cas, avec l’intérêt que j’avais pour chaque livre, mais aussi (voire surtout) avec mon niveau général de disponibilité d’esprit, d’énergie et de capacité à rester concentré (légende : un carré = un jour, une couleur plus foncée indique plus de temps de lecture).

C’est assez net quand je superpose sur le graphique les périodes qui étaient pour moi les plus intenses par ailleurs, ou quand je compare avec l’année 2020 :

L’aspect peut-être plus inattendu est que ce relâchement de fin d’année s’est aussi traduit par des lectures qui étaient plus souvent en anglais qu’en français, peut-être parce qu’il s’agissait de lectures « de genre » et plus « faciles ». Cela reste toutefois un peu contre-intuitif puisque je trouve que lire en anglais demeure pour moi toujours plus fatiguant que de lire en français. J’ai d’ailleurs l’impression, depuis plusieurs années, de m’être heurté à un mur en anglais et de ne plus vraiment progresser en familiarité ou en facilité de lecture, et ce malgré la pratique. Je commence à me faire une raison en me disant que rien ne peut égaler une langue maternelle, mais c’est tout de même assez frustrant.

Forcément, ce bilan en baisse m’invite à tout relativiser et à me rappeler qu’il est évidemment plus important de prendre du plaisir à lire que de se forcer à lire beaucoup. Ce n’a d’ailleurs pas toujours été évident cette année. C’est peut-être ici, là aussi, une question d’énergie mentale. J’ai eu à plusieurs reprises des moments de découragement et du mal à me motiver à finir des livres que je trouvais fades, ou à en choisir un nouveau à commencer parmi une pile à lire d’une taille pourtant raisonnable.

L’année 2021 a donc été la redécouverte qu’il n’est pas si facile de savoir quoi lire, et qu’il n’y a en tout cas pas de méthode systématique pour savoir ce qui distingue un bon livre pour soi d’un mauvais. Quelques considérations en vrac à propos de ce qui a marché ou non pour moi, avant une petite liste (parce qu’heureusement ils existent) de mes vrais plaisirs de lecture cette année écoulée.

Ce n’est pas vraiment une question de genre littéraire non plus, enfin juste un peu. Là encore ce n’est peut-être pas très surprenant, mais l’expérience a montré que le genre n’était pas un très bon prédicteur de l’intérêt que j’allais avoir pour un livre. Il y a certains genres que je préfère au sens où je constate sur les chiffres que j’en lis plus, comme la science-fiction, mais ça ne me fait évidemment pas aimer tout ce que je lis.

Ce n’est même pas une question d’auteur, sauf quand en fait si. C’est une autre tendance à la facilité quand on cherche un livre qui nous plaît, d’aller taper dans le catalogue d’un auteur que l’on connaît déjà. C’était le cas pour 46 % de mes lectures de l’année (ce qui me surprend un peu, c’est un chiffre que j’aurais spontanément sous-évalué). Comme plus haut, il y a une très légère corrélation positive avec mon plaisir de lecteur, mais qui est loin d’être systématique. C’est peut-être lié au fait qu’on lit en premier les livres les plus connus d’un écrivain avant d’aller éventuellement chercher ceux qui ont moins de mérite critique ? En tout cas je fais d’année en année le tri entre ceux qui ont fini par me décevoir après une première bonne expérience (dis-je en pensant avec tristesse à China Miéville) et les autres qui restent constant dans la création de trucs top (more on that later).

Est-ce que c’est la taille qui compte ? Dernière corrélation qui marche un peu mais pas tout le temps : le fait d’avoir aimé davantage les plus gros livres. Là aussi une raison sans doute assez simple : plus de pages, c’est plus de temps avec les personnages et plus d’investissement émotionnel. Pour ces gros livres, c’est en revanche un peu tout ou rien, puisque quand un livre est pas top, on aime mieux qu’il soit court. Un des effets pervers de mes mesures est que, comme je ne prends pas note des livres que je ne termine pas (les « DNF » comme disent les jeunes), j’ai peut-être eu tendance à m’interdire d’abandonner certaines lectures qui pourtant me tombaient des mains

Et donc? Finalement, ces chiffres qui ne m’apprennent rien de transcendant sur moi-même sont surtout une invitation à relativiser tout un tas de chose, à se rappeler que le plaisir de la lecture est sa propre fin, à ne pas se poser plus de questions que ça, et à simplement se demander, Marie Kondo style, quelle est la joie que l’on en retire. Est-ce que tout ça n’était donc pas un exercice un peu vain ? Ce serait oublier que remplir minutieusement des tableaux Excel, ça aussi, it does bring joy.

C’est maintenant le « top livres » (présenté, pour déjouer les attentes, sous forme de prix catégoriels et non de top 10).

Prix « Sortir de sa zone de confort »

J’avais initialement abordé ces deux livres avec circonspection en me disant que ça ne serait pas ma came. En fait ça l’était.

Âge tendre, de Clémentine Beauvais : un jeune garçon fait son stage de 3e dans une maison de retraite pour personnes âgées qui perdent la mémoire et à qui on fait croire qu’elles vivent dans les années 1960. Il découvre la vraie vie et Françoise Hardy. Je ne sais plus vraiment comment et pourquoi je m’étais dit que je n’allais pas aimer malgré les multiples et dithyrambiques recommandations qui le précédaient ; peut-être en le soupçonnant de mièvrerie ? Plot twist, j’étais idiot, c’était effectivement super, c’est drôle et ça fait pleurer sans être niais, et la forme – le rapport de stage rédigé par le narrateur – fonctionne vraiment très bien.

La billebaude, d’Henri Vincenot : les souvenirs romancés de l’enfance de l’auteur dans les années 1920, dans un petit village du Morvan, sa vie quotidienne et son folklore local. Il n’y a vraiment rien de plus que ça, mais le style et le rythme font qu’on ne s’ennuie jamais, que les différentes histoires s’enchaînent, et qu’on se prend malgré soi à se trouver une curiosité pour ce sujet, et à partager le sentiment de nostalgie du narrateur pour la vie paysanne disparue. Lecture de ce roman terroir faite lors de vacances in situ, ce qui a dû jouer.

Prix « Ne surtout pas sortir de sa zone de confort, on y est très confortable »

Deux ex æquo dans cette catégorie :

L’amie prodigieuse, d’Elena Ferrante, tomes 2 et 3 : j’ai poursuivi la lecture de la série d’Elena Ferrante, qui retrace en quatre tomes la vie d’une jeune fille née à Naples dans un milieu populaire dans les années 1950. Les deux volumes lus cette année sont ceux des 15 à 35 ans de la narratrice, en gros, et sont ceux de son apprentissage intellectuel puis de la vie académique pendant les années de plomb. Les grosses ficelles du livre marchent totalement sur moi, l’effet saga feuilletonnante, la traversée des époques, le duo récurrent de frenemies, etc. Je trouve tout de même à l’autrice un petit quelque chose en plus dans sa sensibilité à ses personnages, et principalement à la personnage principale, à laquelle on s’attache et s’identifie très facilement.

The Tawny Man Trilogy, de Robin Hobb : la troisième trilogie dans le monde de l’Assassin royal, après les deux premières lues en 2020. On retrouve les personnages de la première trilogie, qui avaient été mis un peu de côté durant la seconde, celle des Liveship Traders. On repasse donc à une fantasy un peu plus resserrée et centrée sur les deux personnages principaux, par opposition à la multiplicité des points de vue dans l’histoire des bateaux magiques. La grande force reste là encore la richesse des personnages, et les histoires de quêtes, de magie, de dragon, de barbares des iles passent presque au second plan. C’est toujours aussi bien et c’est pour l’instant ma trilogie préférée du cycle. Il me reste sept (gros) livres pour l’année qui vient, et ça me réjouit.

Prix « SF SF SF SF SF SF SF SF SF SF ! »

Au milieu de plusieurs relatives déceptions cette année, trois livres qui ont en commun de montrer la force et l’inventivité de la science-fiction actuelle.

Diaspora, de Greg Egan : dans le futur, les humains vivent tranquillement comme des immortels dans des mondes virtuels ou dans des corps de robots ou avec des génomes modifiées à l’excès. Un jour, un plot device se produit, rend la Terre inhabitable, et force l’humanité à aller explorer l’univers, qui contient plein de choses mystérieuses. C’est extrêmement dense en bonnes idées pour un livre qui n’est pas si long que ça. Et malgré quelques excès de jargon vers la fin, j’ai trouvé que l’auteur arrivait à pousser beaucoup de ses concepts à leur paroxysme sans que la lecture devienne jamais ardue ou désagréable. C’est un livre difficile à résumer ou à recommander avec brièveté, je me contenterai donc de dire que j’ai beaucoup aimé.

Gnomon, de Nick Harkaway : cette fois-ci dans un futur plus proche et dans une Angleterre marquée par une société de surveillance généralisée gérée par des intelligences artificielles. On suit une policière qui enquête sur un meurtre grâce à une technologie qui lui permet de revivre la mémoire de la morte. Il y a des mystères, des récits dans le récit dans le récit, des histoires parallèles avec des personnages complètement distincts. Si la structure volontairement complexe du livre rend la lecture parfois ardue, j’ai trouvé que l’effort en valait la peine. Il y a là aussi beaucoup d’inventivité et beaucoup de bonnes idées, mais avec une vraie unité thématique qui n’apparaît que progressivement mais qui est tout à fait bien menée.

Blindsight, de Peter Watts : un objet extraterrestre apparaît dans le système solaire, et l’humanité envoie à sa rencontre une délégation de cinq personnes avec chacune leur particularité (dont un vampire de l’espace) pour effectuer le premier contact. Ce qui différencie ce livre des nombreuses autres histoires de SF sur le même concept, c’est qu’ici l’extranéité des aliens a été poussée au maximum, et que ça donne lieu à un récit qui est nourri de plusieurs questionnements sur les concepts même du vivant ou de la communication, et même des réflexions sur ce que pourraient être les briques de base d’une biologie moléculaire alternative. Un bon roman de science-fiction doit se tenir sur ses deux jambes. S’agissant des deux précédents, Diaspora manquait à mon avis un peu de qualités littéraires ; et Gnomon, qui les avait, n’était peut-être pas assez « hard SF » à mon goût. Blindsight réussit de mon point de vue sur les deux tableaux, et je le recommande très très chaudement, c’est indéniablement ma lecture favorite de l’année.

Quelques accessits livrés en vrac :

  • Never Let Me Go, de Kazuo Ishiguro
  • East of Eden, de John Steinbeck,
  • Piège pour Cendrillon, de Sébastien Japrisot,
  • Hyperion, de Dan Simmons (relecture),
  • The Lions of Al-Rassan, de Guy Gavriel Kay
  • Prix «  Sauvegarde et réhabilitation du recueil de nouvelles » :
  • Le silence de la mer, de Vercors,
  • Axiomatic, de Greg Egan,
  • The Labours of Hercules, d’Agatha Christie.

Article invité : bilan lectures 2020

Ce blog continue à accueillir des invités de qualité. Aujourd’hui c’est aaz qui publie un récapitulatif de ce qu’il a lu l’année dernière.

En 2020, j’ai pris note de tous les livres que j’ai lus, avec leur date de lecture. J’ai commencé en suivant le “52 Book Challenge” du subreddit r/52book. Les deux sites sur lesquels je notais mes lectures, Goodreads et Babelio, proposaient aussi la fonctionnalité de se fixer un objectif annuel de livres lus.

Je n’ai pas pris l’aspect défi trop au sérieux, mais j’étais content de regarder le subreddit de temps en temps pour voir ce qui y était posté, les livres qui étaient lus, comme on en tenait le compte, etc. J’étais aussi curieux d’avoir une idée factuelle de mes propres habitudes de lecture, tout en restant vigilant à ce que le quantitatif ne prenne pas le pas sur le qualitatif, et que la mesure ne devienne pas un objectif en soi.

Résultat, j’ai lu 54 livres durant l’année 2020 (hors BD / romans graphiques et “non-fiction”), dont voici mes 10 préférés :

  1. The Goldfinch, Donna Tartt. Un roman d’apprentissage sur l’adolescence d’un jeune Américain et sa relation particulière à un tableau d’un peintre flamand du XVIIe représentant un chardonneret. Lu avec beaucoup d’attentes, après avoir lu et adoré il y a quelques années The Secret History de la même autrice. C’est un gros roman dans lequel il se passe beaucoup de choses, avec des personnages que j’ai trouvés intéressants et bien écrits (n’en déplaise à certains). À la fois haletant et très touchant, j’ai trouvé que c’était un très bon livre.
  2. The Liveship Traders, Robin Hobb. Pas tant un livre qu’une trilogie, mais je les range ensemble. Une épopée de fantasy autour d’une famille de marchands dans un monde avec des bateaux magiques qui parlent. Je n’avais jamais lu de livres de Robin Hobb auparavant, à part une première tentative avortée à l’adolescence. C’est ma très bonne surprise de l’année et c’est un plaisir de lecture en fantasy que je pense n’avoir pas eu depuis A Song of Ice and Fire de GRR Martin. Comme The Goldfinch ci-dessus, ce sont des livres portés par un ensemble de personnages complexes et travaillés, qui donnent beaucoup plus de force à l’histoire et à ses retournements.
  3. The Remains of the Day, Kazuo Ishiguro. Dans les années 1950, un majordome anglais prend des vacances pour la première fois de sa carrière et se souvient de sa vie passée. Un court roman, beau et mélancolique, presque caricaturalement anglais. À conseiller à ceux qui ont aimé Downton Abbey mais qui ne pouvaient pas s’empêcher de se sentir un peu coupables.
  4. The Farseer Trilogy, Robin Hobb. Dans le même univers que les Liveship Traders (et à lire en premier).Le récit initiatique d’un jeune bâtard à la cour du roi, promis à une grande destinée. Sur un thème classique, une série passionnante, là aussi surtout portée par les personnages. Rien de plus à dire, c’était super bien. Très content d’avoir encore dix livres de la même série devant moi.
  5. Le Rouge et le Noir, Stendhal. Les années de jeunesse du fougueux Julien Sorel, serial lover et fan de Napoléon à la fin de la Restauration. C’était une relecture, après une première lecture au lycée dont je n’avais gardé finalement qu’assez peu de souvenirs et juste une impression générale d’enthousiasme. Impression confirmée cette année, peut-être pas forcément pour les mêmes raisons : je pense que le contexte historique m’était passé largement au-dessus de la tête, et que je ne me rendais peut-être pas vraiment compte de l’ironie de Stendhal vis-à-vis de son héros. C’est un roman “classique” pas chiant du tout, et en tout cas classique pour de très bonnes raisons.
  6. Anna Karénine, Tolstoï. La vie compliquée d’Anna Karénine, femme adultère, et de ses amis aristos, dans la Russie de la fin du XIXe siècle. De Tolstoï je connaissais le début de la Guerre et la Paix, pour avoir tenté à plusieurs reprises d’en venir à bout avant de le lâcher à cause de la longueur (mais en 2021 peut-être ?), sans que cela tempère mon enthousiasme. Anna Karénine est (un peu) moins long, mais tout aussi bien, surtout en raison de la richesse des personnages (je me rends compte que c’est le thème de cette liste). Là aussi un “classique” au meilleur sens du terme.
  7. Piranesi, de Susanna Clarke. L’histoire d’un homme qui vit seul dans un grand domaine en pierre, en apparence infini, aux murs couverts de sculptures. J’ai dû me forcer à modérer mes attentes pour ce livre inespéré qui arrivait quinze ans après Jonathan Strange and Mr Norrel (que j’aime. vraiment. vraiment. vraiment. beaucoup.), sachant que ça ne serait ni une suite ni un livre aussi ambitieux. Mieux vaut ne rien dire de l’histoire pour ne pas la gâcher, mais ce que je peux en dire c’est que c’est un petit livre surprenant et très bien écrit, pas forcément celui que j’attendais, mais je suis content de l’avoir.
  8. Leurs enfants après eux, Nicolas Mathieu. Quatre étés d’un adolescent d’un milieu populaire dans la Lorraine désindustrialisée des années 1990. Je me méfiais de l’étiquette de “roman social” et de prix Goncourt, à tort : l’époque et le contexte sont très bien rendus, et c’est un vrai plaisir de lecture.
  9. L’été meurtrier, Sébastien Japrisot. Dans un petit village de montagne en Provence, des secrets familiaux et les bouleversements qu’ils entraînent. C’est un polar / roman à suspens rondement mené, bien écrit, avec une intrigue travaillée. Comme ci-dessus, c’est un livre ancré dans un lieu et une époque qui sont évoqués avec richesse. Mon premier Japrisot, qui m’a donné envie d’en lire d’autres.
  10. Amatka, Karin Tidbeck. Livre suédois, sur une société totalitaire, au milieu du froid, où il faut régulièrement inscrire leur nom sur les objets pour qu’ils conservent leur forme. C’est un peu onirique et parfois déconcertant. Un peu à part du reste de cette liste, et plus expérimental que mes lectures habituelles, ça reste un livre intéressant, qui exploite tout le potentiel et la richesse de la SF.

Je suis assez content de la liste ci-dessus au sens où je la trouve relativement variée. L’un des objectifs que j’avais en tête en notant ces livres était aussi de recenser toutes sortes de statistiques, pour pouvoir quantifier objectivement la diversité de mes lectures : auteur homme / femme, littérature de genre ou non, langue de lecture, pays d’origine, etc. Le but n’était pas de me contraindre, de viser à une exacte parité ou autre chose de ce genre, mais simplement de mettre des chiffres sur des impressions. De même, j’ai aussi relevé la taille de chaque livre, en nombre de mots (à partir d’un plugin de Calibre), pour voir un peu comment avait varié mon rythme de lecture selon les mois.

Regardons donc un peu les chiffres.

À titre de remarque préliminaire, je remarque déjà que malgré mes vœux pieux je ne suis pas sûr d’avoir vraiment réussi à me détacher du côté défi quantitatif. Avec mes 54 livres, je dépasse tout juste mon objectif arbitraire de 52 livres dans l’année. Je pense que les rappels de Goodreads du type « vous avez 1 / 2 / 3 livres d’avance / de retard » ont pu jouer pour me faire lire des petits trucs courts au lieu de plus gros pavés, afin de tenir le rythme.

(52 semaines de 2020, chaque changement de couleur représente un livre différent.)
(52 livres dans l’année = un livre par semaine / par colonne)

C’est un des effets pervers les plus idiots, comme le fait de m’être parfois poussé à lire vite. A posteriori, ces lectures rapides m’ont moins marqué que les romans plus longs, dans lesquels on se retrouve forcément plus investi sur la durée. Je suis content d’avoir lu beaucoup de livres cette année, et faute d’avoir compté les années précédentes je ne sais pas si c’est sensiblement plus que d’habitude. En tout cas, si je recommence l’expérience pour 2021, c’est sans me prendre la tête sur ce point.

S’agissant de la diversité, je pense que le fait de regarder régulièrement mon tableau excel a aussi pu jouer pour me forcer à amener de la variété. C’était particulièrement vrai pour certains livres qui cochaient toutes les cases de mon intersectionnalité, comme Plus haut que la mer, de Francesca Melandri, un livre de littérature “blanche” (non-SFF), écrit par une femme, d’un pays non anglo-saxon, et lu en français. Contrairement au point précédent, je pense qu’ici, le fait d’être influencé par la métrique n’a eu que des effets positifs : il a donné lieu à de belles découvertes et à de bonnes surprises.

En exemple, ci-dessous, le récapitulatif des livres lus en anglais (en foncé) et en français. C’est quelque chose que je surveille, j’ai peur qu’à force d’aller chercher mes suggestions de lecture sur reddit ou d’autres sites américains, je finisse par “trop” lire en anglais, quoi que ça veuille dire. Je suis à peu près à parité, en penchant un peu plus d’un côté ou de l’autre selon que l’on compte en nombre de livres, en nombre de mots ou en nombre de jours.

Sur les autres mesures, je suis à peu près à parité entre les livres de fantasy ou de SF (26/54) et les autres. J’ai lu seulement 35% de livres écrits par des femmes, mais parmi eux six livres de Robin Hobb qui comptent, en nombre de mots, pour quasiment 25% de mon total de lectures de l’année. 

Enfin, le compte de mots de chaque livre m’a permis de quantifier mon rythme de lecture, à la fois en valeur absolue et dans ses variations pendant l’année. En tout, les 54 livres correspondent à un total d’un peu plus de sept millions de mots, soit environ 20 000 mots par jour. À la louche, cela correspond à un peu moins de cent pages au format poche, ou à peu près une heure de lecture quotidienne. C’est assez difficile de me le représenter, mon année a été assez hétérogène, entre un confinement au printemps plutôt tranquille, et les autres périodes où j’étais davantage occupé.

À partir des dates de fin de lecture, je peux calculer, à l’échelle de chaque livre, mon rythme moyen de lecture, c’est-à-dire le temps moyen passé à lire, en gros, pour chaque semaine. Le graphe correspondant est ci-dessous.

Il y a évidemment un effet confinos assez visible, mais j’y retrouve aussi des corrélations manifestes avec certains événements de mon année écoulée : ma période d’examens, les moments les plus intenses professionnellement, ma semaine de grippe suspecte avec des difficultés à respirer, mes vacances… Il y a aussi les livres qui me sont tombés des mains et que j’ai simplement mis du temps à finir au lieu de les abandonner.

En guise de bilan, je dirais donc que je n’ai rien découvert d’inattendu dans cette démarche, mais qu’elle m’a permis d’objectiver un certain nombre de choses dans ma pratique de lecteur, au prix d’un effort finalement assez minime de suivi des données. C’est une expérience que je réitère avec plaisir en 2021.

Pour finir, le reste de ma liste. L’ordre a été élaboré à partir de comparaisons deux à deux sur un site internet qui m’a produit un classement final (sans trop m’en demander pour ne pas créer de problème). Je ne suis pas sûr que, pour le milieu du classement, ce soit quelque chose qui ait vraiment beaucoup de sens ; j’ai pris le temps de le faire plus par affinité personnelle pour les listes ordonnées qu’autre chose. J’arrive toutefois à délimiter quatre grosses catégories, qui sont les suivantes : 

Les livres qui ne sont pas dans le top 10 mais que j’ai trouvés top et que je recommande sans hésiter :

  1. Sous les vents de Neptune, F. Vargas (seule autre relecture en 2020 avec le Rouge et le Noir),
  2. Normal People; S. Rooney,
  3. Le hussard sur le toit, J. Giono,
  4. Smiley’s People, J. Le Carré,
  5. Watership Down; R. Adams,
  6. La dame dans l’auto avec des lunettes et un fusil, S. Japrisot,
  7. Vernon Subutex (t. 1), V. Despentes,
  8. L’attentat, Y. Khadra.

Les livres qui sont encore vraiment très bien quand même (oui, je ne suis pas un public très difficile) :

  1. Le parfum, P. Süskind,
  2. Surface Detail, I. Banks,
  3. House of Suns, A. Reynolds,
  4. Vita Nostra, M. et S. Diatchenko,
  5. The Woman in White, W. Collins,
  6. L’élixir d’oubli, P. Pével,
  7. La formule préférée du professeur, Y. Ogawa,
  8. Plus haut que la mer, F. Melandri,
  9. Unité 8200, D. Alfon,
  10. Les enchantements d’Ambremer, P. Pével,
  11. Machines Like Me, I. McEwan

Les livres que j’ai bien aimés mais sans être transcendé :

  1. Le fracas du temps, J. Barnes,
  2. Chevauche-Brumes, T. Latil-Nicolas,
  3. La maison, E. Becker,
  4. Civilizations, L. Binet,
  5. Underground Railroad, C. Whitehead,
  6. Serpentine. Ph. Pullman,
  7. Le lambeau, Ph. Lançon,
  8. Dernière sommation, D. Dufresne,
  9. Lock In, J. Scalzi,
  10. Beyond the Rift, P. Watts,
  11. The Ballad of Songbirds and Snakes, S. Collins,
  12. Stalker, A. et B. Strougadsky.
  13. Chien du Heaume, J. Niogret.

Les livres bof, d’un avis moyen ou réservé jusqu’aux grosses déceptions :

  1. Les furies de Boras, A. Fager,
  2. Skyward, B. Sanderson,
  3. La ménagerie de papier, K. Liu,
  4. The Atrocity Archives, C. Stross,
  5. La panse, L. Henry,
  6. Tous les oiseaux du ciel, C. J. Anders,
  7. Embassytown, C. Miéville (prix 2020 du “Il n’y a pas loin du Capitole à la roche Tarpéienne”)
  8. Olangar : Bans et Barricades (t. 1), C. Bouhelier.

Article invité : recommandations webcomics Mc

Suite à mon article sur Wilde Life, Mc a remarqué que c’était un webcomics qu’il connaissait et suivait de longue date, et qu’il aurait pu me le recommander. Du coup, il a accepté de faire une liste de recommandations de webcomics, que je publie ici avec son aimable autorisation (J’adore dire que j’ai des aimables autorisations, je trouve ça hyper-classe)

==Pas d’histoire, tous ultra-connus==
Saturday Morning Breakfast Cereal => geek must-read (update /jour)
Cyanide & happiness => humour noir, souvent nsfw (update souvent)
xkcd => geek must-read (update 3/semaine)
Commit Strip => la vie quotidienne dans une SS2I, nécessite souvent une certaine culture informatique (en français, update souvent)
PhD comics => la vie académique, nécessite souvent une certaine culture académique (updates irrégulières)
Dilbert => l’absurde de la vie en entreprise (NB: l’auteur est un crackpot trumpiste avec un blog chelou) (quotidien)
Existential Comics => philosophique, ultra intéressant (hebdomadaire, suivre @existentialcoms sur twitter est un bonus cool)

==Histoire==
The Order of the Stick => une histoire de jeu de rôle type D&D, très recherchée, 1111 épisodes (updates rares)
Boy who fell => style manga, sur un enfant enlevé dans les enfers (vus comme une sorte de monde parallèle). Histoire très captivante, univers assez développé (iirc aidé par pas mal de trucs parallèles sur tumblr mais je ne les suis pas) (update 2/semaine)
Wilde Life => déjà présenté (ici)
Metacarpolis => « an adventure/sci-fi/fantasy/comedy/whatever comic », histoire très absurde et souvent comique (le alt-text aide, comme dans wildelife) (update 2/semaine)
Ctrl+Alt+Del => thème jeux vidéos, originellement une longue histoire (finie), maintenant alternant entre un reboot de celle-ci et des strips indépendants (updates 3/semaine)
Always Human => histoire d’amour dans un contexte SciFi, histoire terminée, art sublime, musique composée pour aller avec l’histoire, personnages cool auxquels on s’identifie facilement, probablement une des seules histoires qui aura autant réussi à me faire sourire et pleurer.

Au niveau de ceux que je recommande particulièrement (et où ya de quoi dire des trucs en reviewant), ya OOTS mais qui demande un certain investissement et frustre quand on arrive à la dernière update (enfin ça prend qq jours quand même); wilde life; TBWF et always human. Metacarpolis vient après, et CAD aussi (c’est un peu dur de se mettre dedans sans un certain investissement, mais ça existe depuis 2002, et l’histoire longue de base [finie bien que rebootée] est cool^^)