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Bâtir aussi, des Ateliers de l’Antémonde

Uchronie anarchiste. En 2011, le mouvement des printemps arabes gagne de l’ampleur et gagne l’Europe. Après une période de révolution assez dure et une transition subséquente assez violente en raison de l’effondrement brutal des circuits d’approvisionnements mondialisés et de la société capitaliste, l’Europe reprend le cours de sa vie. On découvre à travers 6 nouvelles la vie et les opinions d’habitant.e.s de cette nouvelle société, où la vie ne va pas de soi : la gestion de l’héritage de l’Antémonde (villes, pollutions, ressources, schémas mentaux) est délicate, et les questions d’organisation et d’articulation des collectifs omniprésentes. Le livre est parfois un peu didactique (surtout la première nouvelle, où certains extraits de dialogue font vraiment exposés de positions politiques décalquées d’un tract), mais globalement il est intéressant dans le fait qu’il montre le débat permanent qu’un tel monde demanderait, les différentes personnes et collectifs ayant des visions et des envies différentes, qu’il s’agit d’arbitrer sans autorité centrale. Ça parle réparation de lave-linge, manufacture de bicyclette, collectivisation des tâches pénibles, lutte contre le sexisme, collectifs lesbiens en non-mixité…
Je recommande.

Pax Germanica, de Nicolas Le Breton

Uchronie steampunk en deux tomes. Sous le règne de Napoléon III, les prototypes d’aérostat d’Henri Giffard sont soutenus par le pouvoir. La technologie se développe et prend de l’ampleur dans l’ensemble de l’Occident et même au-delà, bouleversant le développement technique et notamment des transports.
Dans cet univers, l’histoire commence en 1912. L’introduction d’éléments surnaturels permettant à la fois de réanimer des cadavres et d’alimenter des dirigeables avec une puissance supérieure à tout ce qui était possible jusqu’alors pousse l’ancien préfet de Paris Louis Lépine à se lancer dans une aventure rocambolesque autour du monde…

Globalement, j’ai bien aimé l’univers technologique du livre. Le côté « Empire coloniaux sous stéroïde steampunk » donne un univers intéressant, des extraits de divers documents en début de chapitre permettent d’avoir une vue plus large du monde (c’est un procédé que je trouve toujours intéressant dans les uchronies) et l’auteur trippe avec et décrit bien tous les différents aérostats qu’il met en scène et le monde qui en découle, avec des classes supérieures qui ne se déplacent que par les airs, un abandon des bateaux, des enjeux politiques de contrôle des sources d’énergie et des gaz de remplissage des ballons…
Mais par contre le premier tome se concentre sur une intrigue surnaturelle qui m’a laissé un peu froid : énergie mystique, cité de Shangri-La, exotisme un peu de pacotille avec l’Himalaya… et les enjeux géopolitiques sont un peu simplistes avec une gentille France universaliste qui rassemble des savants dans une société futuriste et une Allemagne très méchante et belliciste, appuyée sur une société de Thulé qui exploite à fond les Arts Occultes… Ça se lit bien, hein, mais c’est quand même assez réducteur. Les personnages principaux sont intéressants, même si le héros principal, Louis Lépine, est un peu trop gimmickesque (mais les personnages autour de lui sont intéressants et variés, les méchants par contre sont assez unidimensionnels).
Le début du deuxième tome par contre est beaucoup mieux : on a lâché l’histoire un peu brouillonne du premier pour se concentrer beaucoup plus sur le côté uchronique intéressant ; suite aux événements du premier tome, la Triplice a gagné la Première Guerre Mondiale et dispose d’une supériorité technologique incontestable. L’aérostatisme a été décrétée réservée à la noblesse, un roi de France fantoche a été rétabli, républicains et bonapartistes forment une alliance malaisée pour se lancer dans la Résistance. La Révolution Russe a échoué au profit des Romanovs, les communistes sont donc aussi dans la Résistance à l’échelle mondiale, qui s’appuie notamment beaucoup sur les colonies des anciennes métropoles vassalisées… Mais l’auteur en revient à son surnaturel à la moitié du tome, et nous rajoute une intrigue amoureuse et sexuelle dont on n’a pas grand chose à faire.

Bref, l’uchronie, les intrigues géopolitiques, le monde et ses descriptions sont sympa, le surnaturel et l’histoire proprement dite étaient un peu relous. C’est le genre de livre où je vois assez nettement ce que j’aurais modifié pour en faire un livre vraiment très sympa, du coup c’est un peu frustrant de voir qu’il ne réalise pas son plein potentiel.

Trilogie Les Mystères de Larispem, de Lucie Pierrat-Pajot

Tome III : L’Élixir Ultime
La conclusion de la série. Assez classique dans son déroulement, pas de grandes révélations dans ce tome mais une conclusion satisfaisante à l’histoire. J’ai apprécié que globalement les personnages soient nuancés : on a assez peu de méchants très méchants pour le plaisir de la méchanceté, on comprend les motivations des uns et des autres. Du point de vue géopolitique, les questions intéressantes soulevées par le tome II sont par contre malheureusement mises de côté.
Une bonne trilogie dans l’ensemble, une excellente oeuvre de littérature jeunesse.

Tome II : Les Jeux du Siècle
Je l’ai préféré au tome I : j’étais davantage dans l’histoire, il y’avait moins d’exposition, les personnages interagissent beaucoup plus et du coup leurs différents points de vue sont plus que des histoires parallèles… Bref c’était très bien, y’a notamment une légère intrigue politique qui est plutôt intéressante, avec la question de la survie possible d’une Cité-Etat en environnement hostile, du risque de recréer une nouvelle classe dominante…

Petit bémol sur une révélation sur la fin du roman qui est un peu cheap (à la Star Wars, tous les personnages important ont des liens familiaux). Globalement j’ai hâte de lire le III.

Tome I : Le Sang n’oublie jamais
Premier tome d’une série jeunesse qui se passe dans une uchronie steampunk où la Commune a gagné, avec des héroïnes badasses, de l’argot louchebem, du féminisme, de la magie. What’s not to like?

A boy with a scar, de dirgewithoutmusic

Une série de fanfictions autour d’Harry Potter, partant à chaque fois d’un point de divergence :
Et si la prophétie parlait d’Hermione ?
Et si la tante Pétunia avait élevé Harry comme un fils ?
Et si Dudley était un sorcier ?

Etc…

Globalement c’est fort bien écrit et c’est très intéressant à lire en connaissant déjà le matériau-source. L’autrice décale le point de vue : au lieu de suivre Harry Potter, gamin ébahi qui découvre peu à peu un monde insoupçonné, on suit la vie de l’ensemble des personnages qui interviennent dans la série, des personnages qui comme le lecteur de la fanfic connaissent déjà les tenants et aboutissants de ce monde. Au vu de ce que raconte la série des HP (une guerre contre le fascisme étalée sur 2 générations), je pense que ce point de vue est largement plus intéressant. Mais il nécessite d’en être passé par la découverte du monde par l’intermédiaire d’Harry pour être suivi facilement.

Par ailleurs dirgewithoutmusic se concentre je trouve largement plus que JKR sur les sentiments des personnages, l’effet de long terme des événements et notamment des décès de leurs êtres chers (là aussi, c’est largement plus facile à faire une fois que le boulot de description du monde et les scènes d’action ont déjà été écrites, mais je pense que JKR pêche quand même beaucoup sur cet aspect, ça aurait pu être largement plus présent dans son oeuvre originale).

L’aspect whatif/uchronie est fort intéressant aussi dans le fait qu’il permet dans le style de se référer au texte originel : pour certaines fics, on a un jeu avec une anaphore, de nombreux paragraphes commençant par « The story went different » ou « The story went the same », et les variations entre. L’effet d’accumulation provenant du fair de lire toutes les fics à la suite permet aussi de dégager des motifs, des comportements de personnages ou des événements de l’histoire considère comme des invariants : si la mère d’Harry survit, elle devient une Auror, si son père survit il devient prof particulier de Quidditch. La guerre finit toujours sur une bataille à Poudlard.

Personnellement j’ai beaucoup aimé l’attention portée dans l’écriture à processus de deuils et aux relations entre les adultes, notamment les maraudeurs, que je trouve super bien caractérisés. J’ai beaucoup aimé aussi l’attention portée au doute, à la peur d’échouer, que ce soit celle de l’Élu.e. de la Prophétie (la version où c’est Ron, les deux versions où c’est Neville sont vachement bien de ce point de vue). Le doute des adultes sur leur capacité à élever des enfants, à adapter leur vie à la perte, aux circonstances imprévues. Les personnages féminins enfin, sont vachement bien. Hermione, évidemment, mais Hermione était déjà réussie dans la version originelle, mais aussi Ginny, notamment les motifs autour de sa possession par Voldemort dans le tome 2, son rapport à sa famille. Et beaucoup de personnages féminins d’arrière plan qui sont assez unidimensionnels dans la VO, les Griffondores notamment, Lavender, Padma et Pavarti…

Grosse recommandation

The Man in the High Castle, saison 2 & 3

Saison 3 :

Pfff, c’est quand même très lent comme série. Toujours impressionnant au niveau des décors et de la production, mais on voudrait plus de trucs qui se passent. Les points intéressant de cette saison : le concept de Jahr Null et l’effacement de l’histoire américaine par le nouveau régime (d’ailleurs je pense qu’ils auraient pu montrer plus de tensions sur ce point entre les nazis US et les nazis Allemands), le montage parallèle entre la bar mitzvah et la cérémonie pour le nouveau Reichmarshall (avec les discours sur le rapport à la mémoire), le « street art contestataire », la psychanalyse sous régime fasciste. Mais par ailleurs beaucoup de lignes narratives qui n’apportent pas grand chose et tournent un peu en rond. Une incursion dans des territoires un peu plus directement science-fictifs, mais faite siiiiii lentement qu’à la fin de la saison on n’a eu que des prémices. Je pense que la série veut montrer bien trop de trucs à la fois et gagnerait à se reconcentrer sur un plus petit nombre de lignes narratives (et en même temps je voudrais bien qu’ils montrent d’autres parties du monde que les US)

Saison 2 :

Je l’ai trouvé meilleure que la première, déjà parce qu’il se passe largement plus de trucs, et parce que l’expansion des lignes narratives fait que l’on voit une plus grande partie du monde et de son organisation sociale. Globalement je trouve que la série est assez doué pour te montrer comment pour les personnages l’organisation du monde tel qu’il est est parfaitement normale, et te montrer à toi que c’est absolument horrible et inhumain. Cette série démontre assez magistralement que la forme sérielle (à gros moyens) est vraiment parfaite pour mettre en scène une uchronie, en vertu de tous les détails que tu peux juste faire passer dans le décor, ce qui permet d’éviter l’écueil des scènes d’exposition du type « Comme vous le savez Sarah, en 1918, l’Empire Malgache a lâché la première bombe à neutrons sur La Mecque, déclenchant… » (le reste de l’uchronie est laissé en exercice aux lecteurices). Là ça marche très bien, j’ai notamment apprécié l’arc « Desperates Housewives of the American Reich » qui montre comment l’idéologie nazie ne change pas grand chose au jeu social ultra corseté de l’Amérique des années 60s. Par contre du coup question un peu perturbante, est-ce que pour les besoins de la production il a été créé masse objets avec des petites croix gammées un peu partout ? Et si oui, qu’est-ce qu’ils vont en faire ? Est-ce que ça risque de se retrouver dans la nature et dans les mains des néonazis qui font leur grand comeback en Amérique (dans l’Amérique réelle, veux-je malheureusement dire, pas dans celle de la série) ?

Steampunk World, édité par Sarah Hans

Recueil de nouvelles steampunk. Une introduction au début du recueil explique la démarche : il s’agit de faire sortir le steampunk du monde occidental (et de la période de la révolution industrielle) pour voir comment les éléments constitutifs s’adaptent à d’autres contextes historiques.
Et ça marche ma foi assez bien. Toutes les nouvelles ne sont pas du même niveau, mais il y en a de très cools dont on voudrait bien voir les univers étendus, notamment celle qui raconte le mélange du steamkraft inventé en Prusse avec les traditions de l’empire Ottoman, celle au Siam, celle avec l’enquêtrice néo-zélandaise du Bureau des Phénomènes Inhabituels de la Couronne Britannique. 

Johan Heliot vous présente ses hommages, de Johan Heliot

Recueil de nouvelles uchroniques ou science-fictives. J’ai été un peu déçu. J’ai bien aimé la plupart des romans écrit par Johan Heliot, mais là j’ai trouvé que ça faisait un peu trop gimmickesque (surtout qu’il traite très souvent les mêmes thèmes/utilise les mêmes personnages, donc au bout de 15 nouvelles c’est assez répétitif).
J’ai trouvé que la nouvelle Le Grand Duc sortait un peu du lot.

Les Mystères de Lutèce, de Fabien Clavel

Uchronie qui se passe dans une Lutèce où l’Empire romain n’est jamais tombé et où Julien l’Apostat est resté empereur, rétablissant le culte des divinités romaines. Quelques éléments d’arrière-plan intéressants : une brève parenthèse démocratique en Gaule, des tensions entre sécessionnisme et intégration plus poussée dans l’Empire avec un statut de province autonome.

Mais sinon c’était pas bien. L’uchronie n’est pas super bien traitée, le scénario n’est pas épais et fait fort peu sens, les personnages se comportent souvent à tort et à travers et pour couronner le tout, les personnages féminins sont nuls nuls nuls. Zéro épaisseur, toutes des figures maternelles ou des intérêts sexuels.

Ne recommande pas.

Underground Airlines, de Ben Winters

Ben Winters imagine une histoire alternative où la guerre de Sécession américaine n’a pas eu lieu — suite à l’assassinat d’Abraham Lincoln et à la mise en place d’un compromis entre les positions nordistes et sudistes. En conséquence, au début du XXIe siècle, il y a encore 4 États américains qui autorisent l’esclavage.

Underground Airlines, couverture L’idée est intéressante, et je trouve que Winters traite plutôt bien le sujet en ce sens qu’il ne tombe pas dans le sensationnalisme ou voyeurisme, sans non plus rendre l’esclavage (appuyé sur un système raciste) anodin, comme s’il en faisait juste une toile de fond pour faire de l’uchronie (comme ce qu’on voit souvent dans les uchronies « et si les nazis avaient gagné la Guerre ? »).

Néanmoins, je n’ai pas été enthousiasmé par le livre, j’ai trouvé que trop de choses sonnaient fausses (à commencer par le héros totalement surdoué, ses incitatifs à rester dans ce système et ses états d’âme pas très crédibles). Et tant qu’à faire, je pense qu’il aurait été plus intéressant de montrer un système d’exploitation des noirs américains plus proche de celui qui est actuellement en place avec les prisons privées et le travail sous-payé des prisonniers  (éventuellement plus assumé) que de montrer un esclavage « du passé » actualisé juste en technologies, dans le sens où là (quand on est blanc) c’est facile de dire « Ah la la c’est vraiment horrible, heureusement qu’on vit pas dans ce monde ». Sur ce thème et avec ce genre de traitement, je recommande plutôt The Underground Railroad.

En bonus, la couverture, parce qu’elle est fort jolie.

Last Year, de Robert Charles Wilson

En 1877, des visiteurs d’un futur parallèle ont construit une ville dans les plaines de l’Illinois, pour proposer des visites touristiques dans l’Amérique de 77 aux visiteurs du Futur, et un aperçu – expurgé – du futur aux originaires de 1877.

Le roman explore les conséquence de cette interaction entre les deux mondes, depuis le point de vue de 1877. Forcément ça parle de colonisation, d’éthique et de droit civiques et sociaux. C’est bien mené, comme la plupart du temps avec RCW. J’espère qu’il a prévu une suite parce que y’a de quoi faire, que ce soit voir comment évolue 1877 ou comment se passent les choses dans le Futur ou dans d’autres mondes contactés.