Bolchoï Arena, d’Aseyn et Boulet

Premier tome d’une bande dessinée qui parle de monde virtuel. Marje est une nouvelle dans Bolchoï Arena, une simulation gigantesque qui représente plusieurs systèmes solaires, dont le notre, avec un niveau de détails hallucinant. Elle y est venu pour faire de l’exploration spatiale, son sujet de recherche dans le monde réel, mais elle s’avère incroyablement douée en combat virtuel, un atout appréciable dans un monde numérique qui brasse un argent gigantesque.

J’avais repéré la BD par hasard, parce qu’Aseyn a aussi dessiné dans le même style la réclame du Monde Diplomatique. Je suis content de cette sérépendité, le scénario est super bien (je n’ai lu que le premier tome so far donc rien n’est résolu), et le dessin est super.

Deuxième tome

Plus de questions, quelques révélations mais pas vraiment de réponses définitives en plus, mais l’histoire tient toujours la route. Vivement la suite !

Troisième tome

Je suis assez bluffé par la capacité des auteurs à étendre l’univers à chaque tome, tout en gardant une cohérence d’ensemble. Dans ce tome encore pas mal de nouvelles questions, une évolution intéressante et crédible des relations entre les personnages. Par contre j’ai l’impression que la question « qui a créé le Bolchoï ? » est assez centrale depuis le second tome, et que c’est un point qui reste pour le moment totalement ignoré par les protagonistes.

Illustration d’Aseyn pour le Diplo, sur leur twitter

Hamlet, mis en scène par la compagnie Vol Plané

Pièce vue à la scène nationale d’Albi. Hamlet est prince du Danemark. Le fantôme de son père lui révèle qu’il a été assassiné par son oncle, désormais roi. Hamlet décide de se consacrer entièrement à la vengeance, simule la folie, est odieux avec tout le monde autour de lui, et ça finit mal.

La mise en scène était très originale : les spectateurs étaient disposés à 360° autour de la scène, plusieurs acteurs jouaient Hamlet successivement, voir simultanément. Les acteurs prenaient parfois place dans le public, certains spectateurs étaient mis à contribution pour lire les lignes de personnages mineurs, et des drapeaux avaient été distribués dans le public représentant les nations mentionnées dans la pièce, que les spectateurs devaient agiter quand elles étaient mentionnées. Il y avait de la musique moderne et de la danse.

On pourrait craindre que toutes ces altérations fassent un peu gadget, et relèguent le texte au second plan, s’appuyant juste dessus pour des effets comiques qui marcheraient aussi bien avec une autre pièce. Je n’ai pas trouvé que ce soit le cas. Ce que ces modifications font, c’est mettre en lumière les conventions théâtrales, de façon réussie. Autant la n-ième répétition d’une pièce où les acteurs brisent soudain le quatrième mur pour aller se balader dans le public ça m’agace à force d’être suremployé, autant ici j’ai trouvé ça intéressant : le personnage d’Hamlet est marqué par un hoodie noir, indépendamment de l’acteur qui le porte, on distingue bien le personnage de l’acteur. Les changements d’acte sont annoncés par une voix off, ou directement par les acteurs. L’ensemble de l’espace de la salle est traité comme la scène, et le public comme des accessoires qui font pleinement partie de la pièce : le jeu avec les drapeaux marche notamment très bien : les drapeaux Danemark sont distribués massivement par rapport aux autres nations, illustrant les rapports de pouvoir politique dans la pièce et matérialisant aussi la cour du Danemark quand le roi et la reine s’assoient parmi eux : un tel effet serait difficile à réaliser sans rajouter une masse de figurants sur scène. Et si la troupe prend clairement plaisir à souligner les aspects comiques du texte, les passages tragiques ne sont pas relégués à l’arrière plan pour autant.

El laberinto del fauno, de Guillermo del Toro

Film fantastique espagnol de 2006. A la fin de la guerre civile espagnole, une femme enceinte et sa première fille vont rejoindre le nouveau mari de la mère dans la campagne espagnole. Le nouveau mari est est un officier franquiste qui traque les dernières colonnes républicaines. Le film suit principalement le point de vue d’Ofelia, la jeune fille, qui découvre dans la propriété un ancien labyrinthe, où une créature magique lui annonce qu’elle est la réincarnation de la princesse d’un royaume souterrain. Pour pouvoir y retourner, elle doit triompher de trois épreuves. Le film va montrer en parallèle les péripéties fantastiques d’Ofelia et la lutte des républicains contre le régime fasciste. Et la question du parallélisme est ici cruciale : le film ne dit pas clairement ni si Ofelia imagine ces péripéties ni si elle réussit finalement sa dernière épreuve, mais tout du long ce qu’elle vit fait écho au combat des républicains et notamment de Mercedes contre les soldats fascistes : on retrouve le motif de la clef, des stocks de nourriture, du refus d’obéir aux ordres. Une lecture du film est qu’Ofelia serait la part d’enfance de Mercedes, qui mentionne qu’elle « croyait aux fées petites mais plus maintenant ».
Mais si les rôles moraux sont bien distribués dans le monde réel ou l’opposition fascisme/républicains est claire, les choses sont beaucoup moins évidentes dans les épreuves d’Ofelia, où le rôle du faune qui la guide semble ambigu.

Si les images de synthèse sont un peu datées, le film reste très beau, très inventif sur le côté dark fantasy, sans que celui-ci ne prenne toute la place. Au contraire, c’est probablement plus l’intrigue réaliste qui a le plus de temps d’écran, et qui est aussi très bien filmée. Les personnages sont globalement réussis (peut-être moins les républicains, que l’on voit assez peu et qui sont plus archétypaux). Bref, je recommande si vous ne l’avez pas vu.

We Have Always Lived in the Castle, de Shirley Jackson

Roman états-unien de 1962. L’histoire est racontée du point de vue interne de Mary Katherine « Merricat » Blackwood. Celle-ci vit dans une maison de maître isolée sur un domaine, avec son oncle et sa soeur. Merricat est la seule à jamais quitter le domaine, pour aller faire des courses au village le plus proche, où tout le monde semble détester sa famille. On découvre peu à peu les tenants et aboutissants de cette détestation et du passé de la famille, alors que des éléments extérieurs viennent perturber le quotidien des Blackwoods.

J’ai beaucoup aimé, c’est assez différent de mes lectures classiques. On comprend rapidement que Merricat est une narratrice non-fiable, avec tout un système de croyances et rituels qui organisent sa vie et sa perception du monde. Le roman met en scène la crainte de l’autre de façon originale : on n’est pas sur de la xénophobie, antisémitisme ou autre à la Lovecraft, mais on a cependant une peur et une détestation de gens qui n’appartiennent pas à notre communauté qui est mise en scène dans le roman. Dans le cas des villageois, les Blackwoods sont isolé physiquement et moralement d’eux, mais dans le cas des Blackwoods on a aussi une crainte de tout ce qui est extérieur à leur communauté de trois personnes. Si au début j’ai cru que le texte allait vers une révélation de la nature surnaturelle des Blackwoods (vampires, monstres quelconques ?) ce n’est finalement pas ce type d’étrangeté qu’ils possèdent, mais ils sont bien marqués par une étrangeté radicale, avec une vision de la morale qui semble totalement détachée de celle du reste du monde, et hautement questionnable (les villageois semblent être des personnes détestables indépendamment, mais les immoralités ne s’annulent pas mutuellement). J’ai beaucoup aimé comment montre le début de la mise en place d’une légende locale, avec les offrandes rituelles des villageois, la comptine inquiétante et la maison hantée (on retombe sur les schémas de l’horreur classique plutôt que de l’horreur lovecraftienne).

Les Promesses, de Thomas Kruithof

Film français de 2022. Isabelle Huppert joue la maire en fin de second mandat d’une commune de Seine Saint-Denis. Elle se bat depuis le début de son engagement politique pour la rénovation d’une cité, et espère décrocher un financement dans le cadre des appels à projets du Grand Paris. Elle est épaulée par son directeur de cabinet qui a grandi dans ladite cité et a employé la politique comme ascenseur social (un rôle que j’ai trouvé malheureusement très cliché). Se laissant attirer par le prestige d’un poste de ministre, Isabelle Huppert va perdre de vue ses convictions, puis les retrouver.

J’ai bien aimé le début du film, qui installe bien la situation, les rapports entre les personnages, les enjeux. La scène où Isabelle Huppert négocie avec le directeur de l’établissement du Grand Paris marche très bien, montre efficacement comment la politique peut être une histoire d’affects, d’insistance, d’irrationalité. Malheureusement je trouve que le film se perd assez rapidement après ça : on voit une maire qui fonctionne en totale autonomie, sans s’appuyer sur une équipe, avec zéro relation émotionnelle à sa première adjointe, soudain prête à envoyer balader tout ce qu’elle a construit du jour au lendemain. Les arbitrages politiques semblent se faire dans le vide, sans dossier ni critères, juste à la tête du client. Ça présente bien trop à mon goût une vision individualiste de la politique, là où il serait beaucoup plus pertinent de montrer le travail d’équipe, les relations multiples et complexes entre niveaux administratifs, entités et personnes. On a aussi l’impression que le dossier de la cité des Bernardins est le seul dossier que la mairie a à traiter, tout le reste est inexistant.

Bref, pas convaincu du tout par le portrait qui est fait de la politique locale. C’est bien filmé par contre, quelques jolis plans, et une bande son discrète mais originale, à base d’orchestre qui s’accorde.

Station Eleven, de Patrick Somerville

I remember damage, then escape.

Série télévisée de 2022, adaptée librement du roman éponyme.

Pour re-résumer brièvement l’histoire : en 2020, une pandémie (pas la notre, une autre) balaye la planète et tue 99% des gens. On suit en parallèle la vie de plusieurs personnes avant la pandémie et celle de Kirsten, actrice dans une troupe de théâtre itinérante, 20 ans après la pandémie. J’avais beaucoup aimé le livre, je trouve que la série vaut le visionnage aussi, sans néanmoins arriver au niveau du matériau-source (mais je pense que c’est pas vraiment possible avec un médium non-textuel d’avoir la même qualité d’allers-retours temporels et digressions de l’histoire). Les variations par rapport à l’histoire originelle sont intéressantes, mais elle accentuent encore un peu plus le côté « tout est connecté » que j’avais trouvé dommage dans le livre. Par ailleurs, il y a un peu trop une tendance à laisser sans conséquences certains événements qui me laisse incrédule : « oh tu m’as poignardé ? C’est pas grave soyons potes. Et puis cet usage d’enfants-soldats pour tuer ton mentor ? Allez on fait tou.tes des erreurs. » Le comic est aussi un peu trop central, je trouve. Là où le roman appuie plus sur le côté « des coïncidences et des trajectoires inattendues », la série est plus en mode « il y a un sens caché à tout cela ».

Pour les points positifs par contre, j’ai trouvé que les décors étaient superbes, et reflètent très bien, et avec des variations, le côté « 20 ans après l’apocalypse ». Les costumes aussi d’ailleurs, dans le côté mix and match des vêtements que tout le monde porte dans le monde 20 ans après. Les acteurs jouent très bien aussi, notamment Matilda Lawler. L’histoire qui s’étale sur 20 ans et les révélations progressives sur 10 épisodes permettent d’avoir un impact émotionnel fort. La série met d’ailleurs bien en scène le traumatisme et les différentes façons de le gérer.
L’histoire de Miranda et celle d’Arthur ont beaucoup moins d’impact que dans le roman, mais celle de Jeevan en gagne. La scène de théâtre dans l’épisode final est fort réussie, alors que j’aurai pas trop parié là dessus dans le cadre d’une série post-apo.