Archives de catégorie : Culture/Procrastination

Last Sentinel, de Tanel Toom

A force de faire n’importe quoi avec le climat, l’Humanité a déclenché une montée massive du niveau des eaux. On est pas encore dans Waterworld, mais quelques décennies avant : il reste deux « continents » au milieu d’un océan mondial parcouru par des tempêtes. à mi-chemin entre ces deux continents, le continent du Sud a installé une base militaire, une plateforme perdue au milieu de l’océan avec quatre militaires qui y sont pour deux ans, à surveiller une hypothétique invasion pour déclencher une arme qui finirait d’engloutir les dernières terres. A mi-chemin entre Le Désert des Tartares et Huis Clos, on suit la vie des quatre militaires trois mois après la date où ils auraient dû théoriquement être remplacés. Y a-t-il encore des gens en dehors de la base ? Sont-ils les derniers humains au monde ? Doivent-ils partir par leurs propres moyens ?

Le setup est assez réussi, l’ambiance de la plate-forme en déréliction et isolée de tout est bien rendue. Par contre l’intrigue et la montée de la tension qui est censé faire le scénario du film marche assez mal : le plan qui est mis en avant aurait pu être lancé plus facilement à n’importe quel autre moment qu’à l’approche de la relève, les personnages sont un peu trop stéréotypés. Mais l’ambiance générale est cool.

Yellowjackets, d’Ashley Lyle et Bart Nickerson

Série de 2022. En 1996, une équipe de football féminin se crashe dans les Montagnes Rocheuses. Les adolescentes (enfin, certaines) vont survivre en autarcie pendant 19 mois avant de revenir au monde extérieur. Tout va pas super bien se passer, surtout quand il va falloir gérer l’hiver. On suit en parallèle les événements de ’96, quelques flashbacks sur leurs vies avant le crash, et la vie de quatre survivantes en 2021.

Si vous pensez à Lost, vous avez raison, d’autant plus qu’il y a une petite dose de potentiellement surnaturel (pas tranché pour le moment). Mais les personnages sont clairement mieux écrits, et la dynamique de groupe est plus intéressante, à la fois avec le fait que les personnages se connaissaient avant le crash, et qu’elles sont adolescentes et donc encore en construction (y’a du coup aussi une vibe Lord of the Flies en version féminine, surtout que le flash-forward de la scène d’ouverture annonce clairement que tout va fortement dégénérer).

Le casting est particulièrement réussi en ce qui concerne le fait d’avoir des actrices jouant les versions ado et adulte des personnages qui se ressemblent. J’ai trouvée bien construite toute la ligne narrative de ’96, moins celle de 2021 (excepté celle de Sarah dont les personnages secondaires sont très réussis). Le personnage de Misty est un succès sur les deux périodes aussi, je suis moins convaincu par les arcs des versions adultes de Taissa et Natalie.

Enfin, il faut citer la bande son, efficace et qui plonge bien dans les années 90, notamment la chanson du générique (qui reprend les codes des chansons de l’époque mais a été composée en 2021).

Globalement bonne série, sympa à regarder, accrocheuse, mais sans que ce soit non plus très profond ou révolutionnaire. La saison 1 ne résout absolument rien par contre, c’est visiblement prévu pour être une histoire au long cours.

Saison 2 :

More of the same, franchement. L’arc de 1996 se déroule entièrement en hiver. On n’a pas plus de réponses, mais quelques mort.es en plus, qui réduisent le cast, et un bon cliffhanger de fin de saison. En 2023, on retrouve deux Yellowjackets de plus, mais y’a toujours rien de plus qui est résolu. Le setup de l’espèce de secte new age est intéressant. Le personnage de Misty continue sa vibe de psychopathe unhinged, franchement bravo aux deux actrices qui la porte et donnent tout. Vraiment pas fan du perso de Nathalie (adulte) dans cette saison, qui a juste l’air bourré/high la plupart du temps, je suis perplexe de la direction d’acteur. On a plus de cannibalisme mais pas plus d’explication. Y’a potentiellement une vibe à la Lost « en fait elles sont toutes mortes dans le crash » mais c’est pas du tout clair (y’a même une espèce de flash-aside à un moment, l’hommage à Lost est de plus en plus explicite). La bande son continue d’être très bonne, les variations sur le thème principal, les reprises et les chansons d’époques sont bien utilisées.

Je vais continuer à regarder je pense, mais plus pour l’ambiance que pour l’intrigue qui ne semble pas aller où que ce soit. J’avais mis le tag recommandé sur la première saison, je vais le laisser mais je ne sais pas si je recommande vraiment, en tous cas pas du tout avec la même intensité que d’autres séries. Mais je pense que ce sera une série qui va en inspirer d’autres.

I Sexually Identify as an Attack Helicopter, d’Isabell Fall

Nouvelle étatsunienne publiée en 2020. « I Sexually Identify as an Attack Helicopter » est à la base une ««« blague »»» transphobe (enfin, *la* ««« blague »»» transphobe, parce que visiblement ils ont jamais été capables d’en inventer une deuxième). Parce que lolilol, si des gens peuvent ne pas se reconnaître dans le genre et le sexe qui leur ont été assignés à la naissance et en revendiquer un autre, alors n’importe qui peut revendiquer n’importe quoi comme genre, hein hein ? [insert cringe laughter emoji].

Partant de cette take désastreuse, Isabell Fall décide de la considérer sérieusement. Elle imagine un monde où l’armée US militarise le genre : puisque performer le genre est un ensemble de comportements réflexes que des gens mobilisent pour gérer des interactions, ne serait-il pas pratique d’avoir des pilotes pour lesquels faire fonctionner un hélicoptère serait aussi instinctif que manspreader pour votre mec blanc moyen ? Ça fait une nouvelle très réussie, qui se passe quelques années dans le futur, avec une guerre civile américaine menée aux noms d’algorithmes d’optimisation divergents. Court à lire, dispo ici et très prenant, je recommande.

Fred Vargas

Vu que je suis en train de lire le dernier, je me suis dit que j’allais réunir l’ensemble de mes critiques des polars de Fred Vargas en un unique article que je mettrais à jour au fur et à mesure, comme mes articles sur les séries télévisées. Je constate que je pensais en avoir recensé davantage, vu que je les aies quasiment tous lus, mais certains sont passés entre les mailles de ce blog. Je peux donc ajouter que j’aime beaucoup L’Homme aux Cercles Bleus et Pars vite et reviens tard dans ceux qui ne sont pas détaillés ci-dessous.

Sur la dalle

Bof bof. Franchement à ce point on dirait une mauvaise fanfiction de la série. Y’a plein d’incohérences (le mec qui planque sous une fenêtre pour entendre la conversation des malfrats, puis qui annonce tranquillement que pour quand les enquêteurs vont y aller faudra prévoir de quoi distraire les chiens qui sinon vont aboyer : ??? ; « on va pirater la messagerie du ministère pour envoyer un faux courriel » : ???), y’a zéro cadre administratif (à ce stade c’est plutôt Adamsberg, détective-consultant), y’a des trucs qui arrivent dans l’intrigue et qui en repartent (« oh non, l’Anguille nous a poursuivi en Bretagne ! Bon bah osef finalement. »), niveau scénario c’est juste mauvais. Et puis bon en 2023 j’ai un peu du mal qu’on nous sorte une institution policière tout à fait débonnaire, des Bretons ravis de voir leur village foutu sous couvre-feu sous les ordres d’un commissaire, et un ministre de l’Intérieur qui visiblement s’en fiche qu’un policier se soit pris une balle mais se préoccupe de la réputation de Chateaubriand.

Quand sort la recluse

Grmbl. C’est sympa à lire quand on est plongé dedans, j’ai apprécié le fait que la brouille entre Danglard et Adamsberg permette de mettre en scène les relations d’Adamsberg à d’autres membres de la brigade, mais par ailleurs… Trop de coïncidences, trop de trucs qui tombent du ciel pile sur le trajet du commissaire qui peut ensuite les assembler comme il faut. Je pense notamment que la longueur des romans, bien plus grande que celle des premiers opus de la série, est à blâmer ici : il faut bien meubler, du coup des fausses pistes et des détours qui tombent un peu de nulle part.

Temps glaciaires

Un des rompols de la série des Adamsberg. J’avais un peu décroché de la série parce qu’au 3ème meurtrier surgi du passé du héros, j’étais un peu blasé. On m’a prêté celui là et il était cool, content d’avoir repris. Le bouquin est dense et imaginatif, mais je pense que par certains points ça sert à cacher certaines faiblesses de l’intrigue (typiquement, ils ont zéro raison vraie raison d’abandonner « la piste islandaise » quand ils le font). Ça reste quand même fort sympa à lire, et je me dis qu’il faudrait un petit crossover avec la série des Dirk Gently pour lancer un « Adamsberg, détective holistique », ça colle vachement bien.

Sous les vents de Neptune

Son plus réussi à mon sens. Un mystérieux tueur surgit du passé d’Adamsberg alors que sa brigade part faire un stage d’anthropométrie au Québec.

L’Homme à l’envers

Sympa. Le fait qu’une bonne partie du bouquin ne se focalise pas sur Adamsberg mais sur Camille donne une autre perspective bienvenue dans un Vargas. De façon générale j’aime bien le fait que les premiers Vargas fassent un peu moins « recette ». J’avais trouvé le coupable :)

Sans feu ni lieu

Court polar sympa. Enquête entre Paris et Nevers, par les évangélistes et l’Allemand (ceci est une référence qui ne parle qu’aux lecteurs des premiers Vargas). J’avais trouvé le coupable (à force de lire des Vargas on finit par connaître ses tics).

La Nuit du faune, de Romain Lucazeau

Novella de SF française, par l’auteur de Latium. Sur la Terre, des millions d’années dans le futur, Polémas, un représentant d’une espèce qui sort de sa préhistoire entre en contact avec Astrée, la dernière représentante sur Terre d’une espèce qui a dominé la planète des ères géologiques plus tôt. Désireux de comprendre le sens de la vie pour guider les siens, il va lui demander de lui donner la connaissance du fonctionnement de l’univers. En s’appuyant sur une technologie indiscernable de la magie (et d’une bonne dose de handwaving de la part du scénario), elle va l’emmener en voyage à travers l’univers pour lui faire rencontrer différentes espèces et leurs stratégies d’adaptation, en présentant le « Cycle du carbone », celui du silicium, puis des cycles de matières plus exotiques : la vie biologique est créée sur des planètes, donne naissance à intervalles réguliers à des espèces intelligentes qui épuisent leur habitat mais réussissent occasionnellement à sortir de leur puit de gravité, puis créent des civilisations robotiques, qui à leur tour créent des civilisations baryoniques, la complexité allant toujours augmentant…

J’ai bien aimé certains aspects, mais le côté « je viens poser une réflexion métaphysique et révéler les secrets de l’univers » avec en prime un côté « éternel retour cyclique » ça me saoule toujours un peu. Je suis quand même fermement partisan d’un nihilisme camusien, et les quêtes sur le sens de vie ça me semble très creux. On est beaucoup sur des archétypes (pour les persos, pour les civilisations) et vu que le livre est relativement court pour introduire 10 000 concepts, on survole tout super vite. J’ai été beaucoup moins convaincu que par Latium.

One day all this will be yours, d’Adrian Tchaikovsky

This is how you actually lose the time war.

Novella de SF qui parle de voyage temporel. Le narrateur dispose d’une machine à voyager dans le temps, et est vétéran de la Guerre Temporelle : un conflit entre deux factions disposant de machines temporelles, qui ont fini par casser la causalité à force d’interventionnisme pour prendre l’avantage sur l’autre. Retiré dans une époque déserte, le narrateur empêche tout humain de voyager plus loin dans le futur, pour préserver l’écoulement du temps sur une Terre sans humains après lui. Donc il occupe ses journées à surveiller sa ferme, réparer son tracteur, et tuer des voyageurs temporels, avec son dinosaure domestique.

C’est une take rigolote sur le voyage temporel. Globalement le narrateur est nihiliste, vivant dans un univers où la causalité est cassée, il peut traiter l’Histoire humaine comme un grand coffre à jouet et ne s’en prive pas. C’est globalement Doctor Who mais avec un Docteur qui s’amuse à troller tout ce qu’il peut. Comme toujours avec le voyage temporel il ne faut pas regarder de trop près la logique du fonctionnement, mais ça fait une novella rigolote et plaisante à lire.

Trüberbrook, du studio btf

Point-and-click allemand (Zeigen-und-Klicken ?) sorti en 2019. On joue Hans Tannhauser, un physicien étatsunien avec des origines allemandes (pas dans le style Werner Von Braun, plutôt sa famille a émigré une génération plus tôt), qui arrive dans le petit village de Trüberbrook pour une semaine de vacances. Mais sur place il va découvrir de mystérieuses installations au fond d’une mine, qui semble avoir des liens avec ses travaux théoriques. Dans la tradition des point-and-click, il va devoir collecter pas mal d’objets loufoques pour réussir à accéder à différentes zones.

Le style du jeu est très beau, ça fait diorama et pâte fimo. La première séquence dans la station service et le générique de début avec le minibus qui monte la pente sont très très cool. Malheureusement, le scénario du jeu ne fait pas grand sens et c’est beaucoup d’allers-retours pour trouver les trucs un peu par essai-erreur. Un peu dommage. Après j’ai pas passé un mauvais moment devant mais ça fait un peu « mumbo-jumbo scientifique » alors que y’avait moyen des faire des trucs plus sympas avec cette esthétique.

Sorcerer to the Crown, de Zen Cho

Roman de fantasy publié en 2015. Le récit se déroule dans l’Angleterre des années 1800, une Angleterre où la magie existe. On suit Zacharias Wythe, depuis peu possesseur du titre de Royal Sorcerer (le premier de tous les sorciers, en gros) et Prunella Gentleman, une orpheline avec des capacités innées pour la magie. Zacharias est noir et Prunella est une femme à moitié asiatique : dans l’Angleterre des années 1800s ce sont d’excellentes raisons de considérer qu’ils ne devraient certainement pas avoir les prétentions et les positions qu’ils ont. L’intrigue détaille comment ils vont ensemble enquêter sur puis remédier à la baisse des niveaux de magie ambiante en Angleterre et aux tentatives d’assassinat sur Zacharias, sur fond de conflit colonial militaire et diplomatique entre l’Angleterre et un sultanat d’Asie du Sud-Est.

C’était sympa dans le genre « regency magic », mais ça n’a pas complétement cliqué pour moi. Si je n’ai pas passé un mauvais moment à lire ce livre, je n’ai pas été transporté non plus, c’est un peu trop boilerplate. Les héros sont héroïques, les circonstances sont adverses. Même si l’environnement est intéressant et que c’est cool d’avoir une réflexion sur les inégalités structurelles dans ce cadre, ça ne suffit pas, à mon sens il aurait fallu des personnages plus incarnés pour que le roman fonctionne vraiment.

SuperGroom, de Fabien Vehlmann et Yoann

Série de bandes-dessinées franco-belges reprenant le personnages de Spirou, mais avec des codes plus de comics ou manga. Déprimé de ne plus être reconnu et d’être supplanté par les super-héros US dans les représentations de héros, Spirou – avec l’aide de Champignac pour les gadgets – invente le personnage de SuperGroom, justicier bruxellois. Il décide bien vite de raccrocher le costume, notamment parce qu’il se rend compte que se déplacer en jetpack s’oppose à ses convictions écologiques (qui lui fond aussi arrêter les reportages et aventures au quatre coins de la planète), mais les circonstances vont le forcer à réendosser son costume.

J’ai bien aimé la réinvention du personnage et du mythe. Vehlmann démontre bien comment il est possible de tordre légèrement l’univers de Spirou pour le faire correspondre à un univers de super-héros. Le format des albums fait comics, la structuration du deuxième tome (la Guerre Olympique) fait très compétition à la Squid Game. L’histoire de super-héros racontée reste relativement classique, mais ça vaut le coup de jeter un œil aux deux albums (si vous aimez Spirou de base).

Eutopia, de Camille Leboulanger

Roman de science-fiction français paru en 2022, inspiré des travaux de Bernard Friot sur le salaire à vie. Dans un futur indéterminé, le capitalisme (et plus généralement le propriétarisme) a été abattu (au moins à l’échelle d’un pays). Les gens vivent selon les principes de la Déclaration d’Antonia, un texte énumérant un certain nombre de droits pour les humains mais aussi pour le reste de la biosphère. On va suivre dans ce monde la vie d’Umo, de son enfance dans un petit village jusqu’à sa vieillesse dans un autre village qu’il a contribué à fonder. Entre temps Umo aura vécu dans différentes ville du pays, dont Antonia, fait des études à différentes périodes de sa vie, été électricien pour une entreprises qui construit des lampes, technicien son pour une troupe de musiciens, électricien pour une commune, professeur, tiré au sort pour l’assemblée générale d’Antonia, préparateur de commandes pour la logistique d’une commune, balayeur dans un cinéma. Il aura aimé et vécu avec une petite dizaine de personnes, dans diverses configurations.

Globalement, c’est sans surprise un roman à thèse, comme Ecotopia ou Les Dépossédés. La vie d’Umo nous permet de voir les différents aspects du fonctionnement d’Antonia, en parcourant un peu le pays. C’était sympa à lire, le côté utopie est cool, et la vie sentimentale d’Umo fait un fil conducteur intéressant (l’auteur.e insiste pas mal sur ce point, avec la formule « l’amour c’est du travail, le travail c’est de l’amour » qui revient comme un leitmotiv).

Quelques points négatifs cependant : le premier, c’est de la faute de la maison d’édition, il reste des coquilles dans le bouquin, et franchement ça sort de la lecture. Pas cool. Le second, plus de fond, c’est que cette utopie… fonctionne trop bien. Dans Les Dépossédés, ce qui marche particulièrement bien c’est que Le Guin creuse quand même pas mal les cas limite et comment les bonnes intentions de la révolution initiale peuvent quand même se fossiliser et recréer des structures de pouvoir. Ici, même s’il y a la question de la proposition Amistad, ça reste quand même assez léger, tout fonctionne très bien. Peut-être aurait-il plus fallu creuser aussi la question des infrastructures : y’a des trains, des ordiphones personnels (et un réseau qui les sous-tend), même avec une population fortement réduite ça demande quand même des chaînes logistiques à grande échelle qui paraissent peu compatibles avec le reste de l’idée de la déclaration d’Antonia. Enfin beaucoup de conso d’alcool et de cannabis. Pas un souci en soi mais un petit focus sur la gestion des addictions aurait été bienvenu.

Overall ça reste quand même une lecture intéressante, toute la partie sur le salaire à vie, le logement et la nourriture conventionné fonctionnent bien.