Archives de catégorie : Arbres morts ou encre électronique

Shingeki no Kyogin, d’Hajime Isayama

Manga paru entre 2009 et 2021. Dans un univers début de Révolution industrielle, l’Humanité vit derrière trois murs concentriques, le reste de la Terre ayant été abandonné aux Titans, des créatures humanoïdes de plusieurs mètres de haut et anthropophages. Au début de l’histoire, un Titan beaucoup plus grand que les autres brise le mur extérieur, forçant l’Humanité à abandonner la majeure partie de son territoire et déclenchant chez le héros la volonté d’intégrer le bataillon d’exploration, unité de l’armée qui tente d’explorer le monde extérieur et de comprendre l’origine des Titans.

J’ai bien aimé. L’univers est assez sombre, très clairement militariste, avec des personnages principaux qui adoptent des postures fascistes par moment, mais l’histoire remet clairement leurs choix en question. L’histoire elle-même avance vite, avec des révélations et des péripéties qui s’enchainent sans temps morts ni combats qui s’éternisent.

(paragraphes qui divulgâchent en dessous du séparateur)

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The Priory of the orange tree, de Samantha Shannon

Roman de fantasy britannique publié en 2019. Le royaume d’Inys existe dans un monde où une race de dragons réapparait tous les 500 ans et menace de détruire l’Humanité. Il y a 1000 ans, le fondateur du royaume, Galian le Saint, a vaincu l’Innommable, le plus puissant de tous les dragons. La légende dit que celui-ci ne pourra pas réapparaitre tant qu’une descendante du Saint est à la tête du royaume d’Inys. Mais l’histoire officielle d’Inys est fabriquée de toute pièce, et la réalité est bien moins glorieuse. On va suivre en parallèle l’histoire de plusieurs personnages en lien avec la cour d’Inys ou vivant à l’autre bout du monde, qui vont converger dans une quête pour empêcher le retour de l’Innommable et lever le voile sur la réalité de ce qui s’est passé il y a 1000 ans.

Bon. Sur le papier ça avait l’air cool. Il y a d’ailleurs des éléments assez réussis ; la religion d’Inys basée sur les Six Vertus Chevaleresques donne une chrétienté moyenâgeuse alternative assez réussi. La cour d’Inys de façon générale marche assez bien. L’idée de regarder derrière l’histoire officielle ce qui s’est réellement passé est intéressante (mais peu réussie). Le côté « Inys met tous les Dragons dans le même sac alors qu’il y a des Dragons d’eau et de feu aux intérêts radicalement opposés » marche aussi. Pour le reste par contre…

Je pense que le problème principal que j’ai avec ce bouquin, c’est qu’il tente à la fois d’avoir une approche moderne avec des enjeux féministes, des persos LGBT+ et racisés, une vision non-occidentale de l’histoire (which is good) … et qu’il colle le tout sur de la high-fantasy pas du tout déconstruite (which is not good). Du coup on se retrouve avec « mais en fait l’histoire officielle cache une part d’ombre » et simultanément « Draconis le grand Dragon est très très méchant et veut détruire l’Humanité par principe » (et nos monarques sont nobles et altruistes, pour ne rien gâchersauver). Ainsi que mes pet-hate : « Ce mystère qui a un millénaire est caché derrière une énigme qui à la fois a survécu jusqu’à nous et qui demande 15 secondes de réflexion pour la comprendre » et « l’objet qu’on cherchait était en nous depuis le début » (littéralement). Je peux pas suspendre mon incrédulité dans ces conditions, désolé, malgré beaucoup d’autres idées intéressantes. Il y a des personnages qui marchent bien (Sabran, Ead, Loth) et d’autres beaucoup moins (Tané, Niclays), mais tout est de toute façon noyé dans la guimauve d’une high-fantasy qui perso me fait penser à Eragon (et c’est tout sauf un compliment).

Bref, je ne recommande pas.

Petit Manuel de l’habitant participatif, de Samuel Landé

Essai publié en 2020. L’auteur décrit son parcours au sein de structures d’accompagnement de projets d’habitat participatif, et sa vision sur le processus de construction des projets d’habitat participatif, et ce que peuvent apporter ces projets en termes de renouvellement des formes d’habitat et de participation à la vie collective.

Globalement je pense que j’aurai été plus intéressé par un manuel plus pratique (un manuel de l’habitat plutôt que de l’habitant.e), mais il y a quand même pas mal d’éléments de réflexion intéressants dans cet ouvrage. L’auteur parle notamment du mouvement d’institutionnalisation de l’habitat participatif : là où il était quelque chose d’alternatif avec une volonté (potentielle, ça veut pas dire que tous les projets l’avaient) de bousculer l’existant et de requestionner les positions des citoyens dans la cité et dans la production de la cité, c’est devenu un item parmi d’autres de beaucoup de projets métropolitains, avec un cahier des charges à la base et un tableau d’indicateurs pour évaluer la réussite des projets à la livraison des bâtiments. Du coup s’il faut rentrer dans des cases, on ne va plus bousculer grand chose. De plus, cette vision de l’habitat participatif se focalise souvent sur la livraison des bâtiments, pas la vie dedans après, ce qui est pourtant la finalité en soi d’un projet d’habitat. S’il s’agit juste d’un montage financier et juridique pour la construction, l’intérêt en soi n’est pas apparent…

Par ailleurs, Samuel Landé insiste sur une vision dialectique de la construction des projets : l’idée n’est pas d’avoir tout le monde d’accord dès le début sur la vision du projet et donc de partir de groupes très homogènes, mais d’arriver à concilier différentes visions, expliciter les non-dits, admettre que l’ensemble des envies et des critères regardés ne sont pas compatibles, qu’il va peut-être falloir faire le choix de diminuer la qualité écologique pour permettre à toutes les bourses de rester dans le projet (ou l’inverse, ou diminuer la surface des espaces privés… bref la question c’est qu’il faut faire des arbitrages sans que certains accaparent la prise de décision).

La Synagogue, de Joann Sfar

Bande dessinée française publiée en 2022. L’auteur raconte les années de son adolescence où il faisait partie du service de protection de la synagogue de Nice. Il parle de son rapport à la violence, de son rapport à son père (et du rapport de son père à la violence), et du rapport de la communauté juive (notamment française) à la violence infligée ou subie. Il revient aussi en parallèle sur le temps de l’écriture de la bande dessinée, dans les années 2020 après une hospitalisation à cause d’une infection par le covid-19. Il parle de grandir dans le sud-est de la France (Nice, précisément) dans les années 70-80, avec une extrême-droite qui ne se cache pas mais un souvenir de la seconde guerre mondiale qui reste vivace pour beaucoup de monde.

Ça part parfois un peu trop dans tous les sens, mais c’était un témoignage/une réflexion intéressante.

La Pierre Jaune, de Geoffrey Le Guilcher

Roman d’anticipation français paru en 2021. Le livre imagine les conséquences d’un attentat sur l’usine de retraitement des déchets radioactifs de La Hague : un accident nucléaire rendant toute une partie de l’Europe de l’Ouest inhabitable. Mais au lieu de suivre sur le long terme les changements géopolitiques que ça impliquerait, la narration se focalise sur une communauté autonome vivant sur une presqu’île bretonne, dans les mois suivants l’accident. La narration est portée par Jack, un policier anglais qui s’était infiltré dans la communauté dans les jours précédant l’accident pour confirmer la présence de deux militants anglais. D’une position d’outsider, il va progressivement s’intégrer à la communauté, alors que la chute des réseaux de communication le coupe de tout contact avec sa hiérarchie policière.

J’ai bien aimé. Le côté « deux minutes dans le futur » avec un faux discours de Macron fonctionne bien. Les articles de blog publiés par le collectif et repris par lundi.matin et al sont franchement crédibles. On sent que l’auteur a bossé le sujet de l’accident nucléaire (le point de départ du roman, expliqué dans la préface est un rapport scientifique sur les conséquences d’un tel accident ou attentat). Le roman est relativement court (je l’ai lu en une nuit) mais campe bien ses personnages et leurs nuances de gauchisme. Jack et son passé de flic tourmenté sont finalement les moins crédibles. Les évolutions géopolitiques transmises par bribes via les rares moments où la communauté réussit à avoir des nouvelles du monde extérieur sont tristement crédibles (une gestion du problème qui fait penser à celle du covid…), et la façon dont le livre plonge le lecteur dans le point de vue de Jack pour l’en arracher sur le dernier court chapitre fonctionne assez bien.

Je recommande.

Noon du soleil noir de LL Kloetzer

Novella de fantasy française parue en 2022. On est dans un univers de fantasy assez classique, avec une ville-capitale qui existe depuis des éons où la ville est construite sur de la ville construite sur de la ville. Yors est un ancien mercenaire qui gagne sa croûte au jour le jour. Il fait la rencontre de Noon, magicien autoproclamé qui débarque de nul part, et se met à son service. Noon a une vision très codifiée de la magie, qu’il exerce surtout en basculant dans un monde-reflet, où il interagit avec des entités mystérieuses ou les morts. Il va se comporter comme un Sherlock Holmes, ouvrant une boutique mais ne voulant s’occuper que de cas intéressants et réellement magiques, ce qui va finir par vraiment arriver avec la disparition d’un médaillon lié à un ancien dieu-serpent…

J’ai bien aimé. J’ai tout lu en une soirée, c’est une fantasy très classique, avec une vibe Jaworsky/Miéville et un côté enquête à la Sherlock Holmes (avec le duo de personnages principaux, le narrateur qui rapporte ce que fait son maître ou ami qui a plus de compétences, la recherche d’un item disparu…). Y’a pas des masses de personnages féminins (après y’a pas des masses de personnages tout court, on voit surtout Yors et Noon).

Entre fauves, de Colin Niel

Roman français de 2020. Martin est agent du parc national des Pyrénées, obsédé par la Nature et farouchement anti-chasse. Apolline est chasseuse à l’arc, fille d’un notable palois, et en partance pour la Namibie pour y chasser un lion classé animal problématique. Komuti est un éleveur himba, dont le troupeau a été décimé par le lion en question. Leurs trois vies vont se croiser dans une narration qui fait des allers retours temporels pour raconter en parallèle la chasse du lion par Komuti et Apolline, et l’identification d’Apolline par Martin à partir d’une photo de sa chasse postée sur les réseaux sociaux.

J’ai bien aimé. J’avais peur que ce soit assez cliché au début, mais la narration propose plusieurs fausses pistes, donne en parallèle le point de vue des trois personnages (et ce qu’ils s’imaginent les uns sur les autres) et les fait évoluer. L’empathie qu’on peut avoir pour le personnage de Martin au début s’évapore au fur et à mesure du roman. C’est écrit un peu comme une murder (et comme une tragédie, pour un sous-plot qu’on voit venir de loin mais qui marche bien dans le style He who fights monsters…).

Baltimore, de Mike Mignola

Durant la première guerre mondiale, Henry Baltimore, un soldat anglais, blesse un vampire qui se nourrissait d’un soldat agonisant sur le champ de bataille. Cet événement déclenche une guerre entre l’Humanité et les forces surnaturelles, réveillées d’un long sommeil. Le comics va suivre les tribulations de Baltimore et de ses alliés à travers l’Europe pour tente de mettre fin aux différentes manifestations du surnaturel qui se déclenchent ici et là, alors que les vampires et des congrégations de sorcières préparent le retour du Roi Rouge, un Grand Ancien.

J’ai beaucoup aimé. J’ai les premiers tomes chez moi mais je n’avais jamais eu l’occasion de lire la seconde partie du comics, là j’ai tout relu d’un seul coup. J’aime beaucoup l’ambiance du comics et le dessin de Mignola. Le setup de la fin de la première guerre mondiale marche bien pour une histoire surnaturelle, et j’aime beaucoup le dessin de Ben Stenbeck, qui reprend bien le style de Mignola mais le rend plus lisible à mon sens (j’ai été moins convaincu par le dessin des autres dessinateurs mais je pense que c’est aussi une question d’habitude). Et les couleurs de Dave Stewart fonctionnent super bien avec l’ambiance de l’histoire.

Je recommande chaudement si vous aimez les trucs horrifiques.

Pour l’autodéfense féministe de Mathilde Blézat

Essai féministe de 2022. L’autrice a rencontré des formatrices et des participantes à des stages d’autodéfense féministe dans différents pays (principalement francophones) et se réclamant de différentes méthodes. Elle retrace l’histoire de ces formations, leur relation à d’autres courants du féminisme, la difficulté d’obtenir des subventions pour ces actions qui relèvent pourtant de la prévention contre les violences sexistes – difficulté qui existe partout mais est encore plus présente en France avec son obsession de l’universalisme et les cris d’horreurs dès qu’on évoque une activité en non-mixité.

Elle s’attarde sur l’impact de ces stages sur les participantes, comment le stage change leur relation à leur corps, à l’espace public, aux autres. Elle détaille aussi comment les formatrices sont en réflexion sur les modalités permettant d’organiser des stages spécifiquement à destination de certains publics : femmes mineures, âgées, handicapées, trans… pour permettre une plus grande inclusivité de ces stages.

C’était fort intéressant et sur un sujet que je ne connaissais pas, je recommande.

Serial Girls, de Martine Delvaux

Essai féministe paru en 2013 et republié en 2022 dans une édition augmentée. L’autrice parle de la question de la sérialité des femmes, vue comme des éléments interchangeables, leur individualité important moins que leurs éléments communs ou différents qui les font appartenir à cette série.

Le sujet avait l’air fort intéressant, et j’ai apprécié le chapitre sur le magazine Playboy, qui parle de ce sujet spécifiquement sous l’angle du male gaze et de la libération sexuelle proclamée qui a surtout été celles des hommes quand pour les femmes c’était une injonction à être de bonnes partenaires sexuelles disponibles pour les mecs, mais j’ai été beaucoup plus dubitatif pour le reste du bouquin, dont je trouve qu’il aligne les grandes déclarations sans faire de démonstrations claires, sans expliciter son propos et en se reposant beaucoup sur le péremptoire. Déception.