Tous les articles par OC

Article invité : Lâcher prise

Série québécoise de 4 saisons, sorties entre 2017 et 2020 et accessible en streaming farpaitement légal sur TV5 Monde Plus.

Une série drôle, fine et émouvante sur le burn-out (et plein d’autres choses, notamment les relations familiales/filiales et on sait que j’aime ça), avec des personnages géniaux (du genre aussi insupportables qu’attachants, fortiches et vulnérables comme des bébés chats), mille punchlines hilarantes par épisode, des acteurices excellentissimes, une référence à Jean Leloup ♥, deux premières saisons formidables et deux suivantes certes un peu en dessous mais toujours un régal, bref, à gavisionner sans attendre.

Article invité : Un métier sérieux, de Thomas Lilti

Film de 2023, dans la lignée des autres films de Thomas Lilti : une comédie dramatique réaliste humaniste chorale (ça va, vous suivez ?) dans un milieu professionnel connu-mais-méconnu (précédemment : la médecine, ici : les profs de collège), avec une galerie de personnages (joués par ses acteurs habituels, ie Louise Bourgoin, François Cluzet et Vincent Lacoste) humains et attachants avec leurs défauts et leurs fêlures (tous les profs parents sont pas oufs avec leur enfants). Dans la forme, ça ressemble à beaucoup d’autres films sur l’école (La vie scolaire, Entre les murs) : chronologique, du début à la fin de l’année scolaire, alternant des moments anodins type tranches de vie (pour le côté documentaire / attachement aux personnages) avec une série d’épisodes forts « incontournables » (la rentrée, le conseil de discipline, la sortie scolaire, le craquage en classe…) pour le côté dramatique. Moi, c’est ma came : j’ai passé un bon moment, les acteurices sont top, j’ai rigolé et frémi. Mais ça reste aussi assez lisse, sans discours très politique ou radical sur ce qu’est l’école comme institution – sauf lors d’un débat sur la pertinence du conseil de discipline et de l’exclusion. Tous les collègues s’adorent, les tensions interindividuelles n’existent pas – sauf lors du débat sus-mentionné. Mention râlage pour les ébauches de romance, forcément hétéro, qui certes montrent que, comme partout, les gens se chopent au travail, mais étaient aussi largement évitables à mon sens.

Article invité : Les méduses n’ont pas d’oreilles, d’Adèle Rosenfeld

Roman français de 2022.
Plongée dans l’expérience de Louise, jeune femme malentendante, qui subit soudainement une grosse perte d’audition supplémentaire et apprend qu’à moins de se faire poser un implant cochléaire, elle deviendra bientôt tout à fait sourde. Or, l’implant implique que la perception sonore est totalement modifiée, qu’on perd les « vrais » sons qu’on captait auparavant.
Alors qu’elle hésite entre les deux options, son quotidien (trouver un boulot avec son statut de travailleuse handicapée et gérer les interactions avec ses collègues, faire des rencontres amicales et amoureuses, jongler avec les rendez-vous médicaux) se peuple peu à peu de personnages, parfois rassurants parfois angoissants, qui semblent dire quelque chose de son rapport au langage et aux sons, et dont on ne sait pas très bien s’ils sont tout à fait imaginaires ou non.
C’est une lecture qui m’a décontenancée par son côté parfois décousu et imaginaire, et régulièrement angoissant, mais aussi emportée. Il faut lâcher sur l’envie de trouver des situations et des réactions rationnelles ou logiques (y compris quand Louise se retrouve, dans son boulot, en contact avec du public et qu’aucune adaptation ne semble être mise en place pour cela). L’autrice, elle-même malentendante et « implantée », travaille une écriture du son, de son absence et de sa perception, avec des dialogues absurdes, des descriptions de parties de visages ou d’expressions faciales, un « herbier sonore » très poétique que j’aurais bien voulu plus approfondi.
Recommandé.

Article invité : Wolfwalkers

Film d’animation (Irlande, Luxembourg, France) de 2020.
1650 à Kilkenny, en Irlande. Le père de Robyn est engagé par le Lord Protector comme chasseur de loups, afin de protéger la ville de leur menace, mais surtout d’en débarrasser la forêt pour déforester tranquillement et ainsi de pouvoir augmenter les surfaces agricoles (spoiler : Lord Protector n’est pas le gentil du film). Jeune fille indépendante et audacieuse, Robyn ne tarde pas à se retrouver dans la forêt, malgré l’interdiction, et à découvrir les créatures qui y vivent et la protègent : les wolfwalkers.
L’histoire est un mélange réussi entre Mononoke Hime et Brave. Pas d’immense originalité narrative mais c’est vraiment efficace et attrayant, il y a des personnages chouettes, de la tension, des rebondissements, des course-poursuites et de l’émotion.
J’ai surtout adoré l’animation, magnifique, entre dessins au crayon, effets de lithogravure, split-screens ornementaux, représentation graphique des odeurs et du son.
Et la musique est très chouette aussi.
Je recommande :)

Article invité : Flipette & Vénère, de Lucrèce Andreae

Déjà, c’est une histoire de sœurs : cette BD de 340 pages d’une autrice qui est aussi réalisatrice de films d’animation partait avec une longueur d’avance dans mon cœur.

Ensuite, c’est une histoire qui incarne les atermoiements politico-existentiels qui sont les miens et ceux des milieux que je fréquente : Flipette-Clara est l’artiste intello, photographe prometteuse et/mais flippée de s’engager politiquement, découvrant avec maladresse et pas mal de narcissisme les milieux anarcho-associativo-militants que fréquente sa petite sœur, Vénère-Axelle.

Après plusieurs années d’éloignement, les deux jeunes femmes se (re)trouvent mutuellement à la faveur d’un accident d’Axelle. Clara découvre la galerie de personnages haut·es en couleurs (ce qui n’est pas qu’une expression, l’utilisation des couleurs dans la BD est travaillée de façon très frappante, avec un dessin très « clair » et pêchu qui attrape les postures, les gestes, les expressions avec beaucoup d’élégance) entourant sa frangine et confronte ses grands principes, souvent hors-sol, à la « réalité du terrain » parfois pragmatique à rebours des idéaux politiques.

Les sœurs râlent, gueulent, s’engueulent, chialent, s’aiment fort (évidemment) sans trop bien savoir comment se le dire (évidemment) ; il y aurait sans doute des choses à redire, mais ça sera pour vous qui commenterez après avoir lu cette BD que, évidemment, je recommande !

Article invité : Anima, de Wajdi Mouawad

J’étais pourtant prévenue : « C’est bien mais c’est trash ». J’ai lu Anima en quelques semaines, à raison de quelques chapitres chaque soir, et je l’ai plusieurs fois refermé avec les tripes retournées.

Wahhch, le personnage principal, cherche l’homme qui a tué sa femme. Ou plutôt : qui l’a violée et massacrée de manière atroce. Sa quête le conduit à travers le Canada et les États-Unis dans des réserves autochtones et des villages paumés, sur la piste du tueur mais aussi de sa propre histoire. Et tout cela, raconté dans une succession de courts chapitres, par des animaux : le poisson du coroner, le chien d’un chef de gang, un pigeon, une mouche, un singe, etc. qui voient, sentent, perçoivent, entendent et interagissent avec les humains, chacun de manière particulière, et permettent de reconstituer le parcours de Wahhch. Avec en filigrane des questions sur la bestialité, la sauvagerie, la monstruosité, l’identité, ce qui fait l’humanité, la frontière entre homme et animal.

Le roman est une succession de moments extrêmement violents (viols, meurtres, tortures), et (volontairement) éprouvant à lire à cause de cela (le dernier chapitre est particulièrement hardcore). C’est aussi un roman hyper masculin. Les quelques personnages de femmes servent de moteurs pour faire avancer l’histoire (en étant tuée par un homme, en sauvant un homme (et en couchant avec lui au passage), en étant la femme, la fille ou la sœur d’un homme qui tue des femmes ou qui veut se venger), elles ont un rôle narratif mais très peu de profondeur ou de passé (à l’exception de Winona). Quand Wahhch évoque Léonie, sa femme, c’est toujours pour s’examiner lui, plongé dans une quête de vérité qui ne le concerne en fait que lui-même. Ni cette femme, ni leur relation passée ne sont décrites : ce n’est pas le propos. En résulte un univers violent d’hommes violents, vu à travers les yeux d’un papillon ou d’une souris, au sein duquel un homme sans repères cherche à se retrouver (ou se perdre).

Sans déconseiller ce roman qui est vraiment impressionnant dans son écriture et frappant par les questions qu’il aborde, je dois avouer l’avoir fini en me demandant si j’avais bien fait de m’infliger ça…

Article invité : L’une chante, l’autre pas, d’Agnès Varda

L’une c’est Pauline qui, à 17 ans, vient en aide à l’autre, Suzanne, sa voisine de 22 ans, qui n’a ni les ressources ni l’énergie de poursuivre sa troisième grossesse. Le film suit le parcours de ces deux femmes pendant 15 ans, l’amitié profonde qui les lie, leurs combats pour s’émanciper des pressions parentale, maritale, conjugale, reproductive, sexuelle. À travers elles, on suit en filigrane les luttes féministes des années 60-70 (contraception, avortement, Planning familial, etc.). C’est un film que j’ai trouvé très doux et réjouissant par sa manière d’incarner des propos politiques et militants dans des histoires du quotidien, de beaux personnages et des chansons géniales. Bref : il faut regarder L’une chante, l’autre pas !

Article invité : Récits de l’exil, de Nina Berberova

Recueil de 5 nouvelles / petits romans écrit(e)s par une autrice russe émigrée en France dans les années 20 puis aux États-Unis dans les années 50. Toutes les histoires mettent en scène des personnages russes vivant en France, et montrent différentes « facettes » de l’exil (plus ou moins forcé) sans que ce thème soit pour autant central en tant que tel ; des personnages se rapprochent, attirés par des souvenirs et des expériences communes, ou au contraire semblent irrémédiablement séparés par la manière radicalement différente dont iels ont vécu la Révolution russe et les débuts de la société soviétique. La situation sociale et politique en Russie est présente en arrière-plan, sans forcément être un sujet explicite.

Ça m’a vraiment plu. J’ai eu de grosses vibes Tchekhov (relations dysfonctionnelles, aristocratie déclinante, personnages médiocres, fatalisme de l’échec, rythme particulier) mais, connaissant peu la littérature russe, je ne m’aventurerai pas à faire trop de rapprochements ou généralisations. En même temps, ce sont des récits qui évoquent des situations de violence parfois difficilement soutenables (viol, féminicide, misogynie en tout genre, suicide).

Les résumés des 5 nouvelles (plus pour ma mémoire personnelle que pour une analyse très poussée ; ça divulgache un petit peu) :

L’Accompagnatrice : Sonia, une jeune fille pauvre qui joue du piano, devient l’accompagnatrice d’une cantatrice. Elle découvre une vie de luxe à laquelle elle continue à rester étrangère. La relation entre les deux femmes, ou plutôt la vision que Sonetchka a de Maria Trevina, qui la fascine et la répugne en même temps, est vraiment intéressante. En lisant, j’avais des réminiscences très vagues du film La tourneuse de pages, où se joue une dynamique similaire d’une jeune femme musicienne et précaire cherchant à se venger de la femme plus âgée, musicienne et bourgeoise, qui l’a humiliée. Mais là où (de mémoire), le désir de vengeance était motivé par un événement précis dans le film, dans le roman c’est l’existence même de Maria Trevina qui humilie Sonia, la violence de classe qu’elle suppose.

Roquenval : le narrateur raconte, des années après, un été passé dans le château familial d’un de ses camarades de classe ; le domaine doit être vendu, malgré les protestations de l’aïeule russe à l’histoire romanesque. Boris a l’impression d’y retrouver une sorte de paradis russe perdu, un monde aristocratique en train de disparaître (coucou La Cerisaie de Tchekhov).

Le Laquais et la putain : une femme rêvant d’une vie opulente et confortable, voit ses ambitions progressivement mises à mal ; elle noue une relation avec le serveur d’un restaurant ; cette relation médiocre ne la satisfait pas mais elle est coincée… tout cela finira mal. J’ai beaucoup aimé l’écriture de cette nouvelle, avec un rythme et des images très marquants.

Astachev à Paris : un sombre connard vend des assurances vie à de riches russes à Paris sans se soucier aucunement de la vie des femmes autour de lui.

La Résurrection de Mozart : les dernières heures, entre poursuite du quotidien et inquiétudes croissantes, vécues par un petit groupe d’amis russes vivant dans un village de campagne français avant le début de l’exode pour fuir l’invasion allemande.

Article invité : Chavirer, de Lola Lafon

Sans grande originalité, j’ai énormément aimé.

Cléo, une collégienne passionnée de danse modern jazz, tombe entre les mains d’un réseau de « mécènes » pédophiles et y entraîne d’autres filles. Ce n’est « que » le début du roman, qui donne la voix à plusieurs personnages qui, au fil des années, gravitent autour de cette victime coupable, écoutent son histoire, partagent un moment plus ou moins long de sa vie et en construisent un portrait fragmenté, fragmentaire.

Le roman entremêle avec beaucoup de force et d’attention une multitude de thèmes difficiles. Des passages, des images me restent : les scènes de danse, de transformation physique avant et après le spectacle, et plus généralement les questions de maîtrise et de souffrance du corps féminin (empowerment vs aliénation) ; la violence de classe des militants de gauche face à Cléo devenue danseuse chez Drucker à laquelle fait écho le racisme qui empêche Betty de devenir danseuse classique ; la finesse de l’écriture des relations amicales, amoureuses, familiales, comme des rivalités (une pensée pour L’amie prodigieuse) et des mécanismes de manipulation.

Comme on dit sur ce blog : je recommande.

Article invité : A Quiet Place, de John Krasinski

Film d’horreur/de SF américain de 2018. L’article est rédigé par OC.

Film d’autant plus décevant que le principe avait l’air extrêmement prometteur (« Ça fait peur et y’a de la langue des signes ») : une famille vit en mode survivaliste (de luxe) dans la campagne américaine, dans un futur proche où des bestioles aveugles mais à l’ouïe très fine repèrent leurs proies (= les humains et, apparemment, les ratons-laveurs) de très loin et les bouffent en moins de temps qu’il ne faut pour dire « hyperacousie ».

On voit donc toutes les stratégies mises en place par la famille pour vivre sans faire de bruit : langue des signes (ce qui est facilité par le fait que l’aînée est sourde – le personnage est d’ailleurs incarné par une comédienne elle-même sourde, ce qui est appréciable), sable ou peinture sur le sol pour atténuer les bruits de pas ou mettre en évidence les planches de l’escalier qui ne craquent pas, communication en morse ou par signaux lumineux, couffin insonorisé pour le bébé à naître… Visuellement c’est plutôt réussi.

En revanche, le scénario est grevé de ficelles tout aussi énormes que les trous, ce qui rend difficile de rentrer totalement dans le film. Classiquement, le scénario repose quasi intégralement sur le fait que les personnages font des trucs idiots (est-il donc à ce point impossible d’imaginer un scénario un peu ambitieux où les gens fonctionneraient de manière un peu rationnelle ?) et qu’ils ne se parlent pas. Là, ça pourrait se justifier en partie par le fait que, bah, les gens ne peuvent pas se parler de vive voix (sinon ils sont morts), sauf que justement le nécessaire silence ne les empêche pas de communiquer de plein d’autres manières. Du coup, il y a un gros déséquilibre entre la mise en place d’un univers assez stylé, plein de trouvailles, et l’utilisation plus que réduite qu’en fait le scénario, qui tient sur pas grand chose.

En ce qui concerne les (très) vilains monstres, il ne faut pas longtemps au/à la spectateurice pour imaginer quelques techniques qui auraient permis de faire diversion, de les attirer dans un piège, ou de réaliser des cachettes sonores. Plusieurs plans s’attardent sur des unes de journaux qui titrent « Rien ne peut les arrêter ! » alors que ce qui les arrête, finalement, est un truc plutôt trivial (à savoir « balancer du son à haute fréquence », ce qui est quand même une technique employée par un certain nombre de municipalités pour faire fuir les jeunes qui font tache dans le paysage urbain bourgeois). Mais bon, du coup le film aurait été un peu court, forcément.

Un autre point qui m’a déçue est le traitement du son au long du film. Certes, je ne l’ai pas regardé dans des conditions excellentes et n’ai peut-être donc pas profité de toutes les subtilités. Certaines choses m’ont parues intéressantes mais pas assez assumées (des scènes perçues du point de vue de la jeune fille sourde où le son est coupé, mais seulement pendant quelques secondes ; la scène très touchante où le cadet crie, profitant du bruit de la cascade, mais qui se transforme en fin de compte en set-up d’une autre scène avec la mère). D’autres choses sont franchement vues et revues (enfin… entendues et ré-entendues ?). Je pense notamment aux cris et grognements des méchants monstres qui m’ont évoqués… tous les cris et grognements de tous les méchants monstres dans tous les films américains. Pour moi, aucun sound design un peu original, alors que ce film était l’occasion de faire quelque chose de génial.

Je finirai en parlant la morale sous-jacente du film, et notamment les représentations genrées (puisque c’est ça qui m’intéresse dans la vie, avec les autobiographies de mathématicien-nes). Sur ce point, je suis assez partagée. Le fonctionnement de la famille est ultra patriarcal : le père gère les aspects techniques et technologiques, la chasse, la protection physique de la famille. La mère s’occupe de la santé, de la lessive, de la nourriture, du soin émotionnel. Cette répartition (appuyée de manière lourdingue) est perpétuée par le père, qui oblige son fils à l’accompagner à la pèche alors que ce dernier n’en a aucune envie, et refuse à sa fille d’y aller alors qu’elle en meurt d’envie. De ce point de vue, le positionnement des enfants opère une remise en question du modèle parental : le garçon exprime ses émotions, fait preuve de sensibilité et aide à rétablir les liens affectifs brisés, la fille est bricoleuse et butée. A la fin, c’est la fille qui trouve la solution pour se débarrasser des monstres, soulignant au passage que son père était bien bête de lui interdire l’accès à son atelier car la solution était là depuis l’début. Je pense (j’ose espérer) que c’est l’un des buts du film : un semi-bon point, donc. M’enfin le modèle qui perdure c’est quand même l’autarcie du noyau familial hétéro et la puissance de la carabine face à l’envahisseur. Politiquement (quand par ailleurs on peut déceler un positionnement plutôt pas mal) c’est assez limité, voire un peu craignos.

et puis j’ai pas eu peur :(