Archives de catégorie : Des livres et nous

Golden State, de Ben Winters

Dans un futur indéterminé, la Californie indépendante, renommée Golden State, place le concept de Vérité Objective au dessus de tout. L’Etat entier est couvert par des caméras et micros qui enregistrent pour archivage l’ensemble de ce qui se passe, et le mensonge est puni d’exil. Une force de police spéciale est chargée de détecter les mensonges et d’enquêter sur les « anomalies », les moments où la réalité telle qu’enregistrée semble aberrante, pour comprendre ce qui s’est réellement passé. Dans ce cadre, ils sont spécialement autorisés à émettre des hypothèses contre-factuelles. On suit la vie d’un enquêteur de ce service qui lors de son enquête découvre un vaste complot.

Comme souvent avec Ben Winters, je trouve son concept général d’univers intéressant, mais je suis déçu de ce qu’il en fait. Il présente une dystopie fasciste avec une Vérité d’Etat sous-tendue par un appareil de surveillance universel, relativement intéressante puisqu’il présente ça comme une réaction aux fakenews et autres alternativefacts, et le côté original de ce qu’il ne montre pas spécialement un Etat qui tente de manipuler ouvertement la réalité officielle (contrairement à 1984), juste il est impossible d’en dévier. Et il montre bien en quoi c’est une dystopie, mais derrière son histoire n’a pas grand intérêt, et la conclusion tombe à plat.

Le Propre et le Sale, de Georges Vigarello

Essai sur l’évolution de l’hygiène corporelle depuis le Moyen-Âge.
C’est assez intéressant, ça montre comment il y a toute une construction sociale de l’hygiène et de la notion de propreté qui varie avec le temps et qui est essentiellement basée sur des normes sociales.
La propreté est d’abord associé aux habits visibles, avec une notion de maintien de la tenue : il faut des étoffes de bonne qualité et en bon état, avec des notions de richesse qui viennent s’en mêler.
Puis il y a un déplacement sur le linge de corps et sur sa blancheur apparente, là aussi qui est mêlée à la qualité du tissu. Ce linge qui était avant une sous couche des vêtements devient visible (chemise qui dépasse des habits la recouvrant aux poignets et au col, notamment, avec éventuellement de fausses manchettes amovibles, il y a vraiment une notion d’apparence). Pendant tout ce temps la propreté du corps lui même n’est pas un sujet, il s’agit de changer de linge quand il est sale, parce qu’il absorbe la saleté. l’eau est mal vue, comme un élément qui affaiblit les barrières cutanées.
Passage à une hygiène du corps et à une vision positive de l’eau, avec une méfiance quand même qui reste sur l’eau chaude qui amollirait les esprits/aurait un caractère sensuel qui corromprait.
Introduction d’une vision d’ingénieurs urbanistes vers les années 1830-50 en France avec la création de circuits de canalisations pour apporter l’eau jusqu’aux maisons de façon systématiques (par opposition aux bains apportés par baquets). Introduction aussi d’une éducation des dominés à une hygiène imposée d’en haut : relayé par l’éducation dans les école, par des manuel d’hygiène. Apparition d’une opposition entre la pratique du bain dans une salle de bain privative, moment d’intimité, au niveau des classes bourgeoises, et d’une pratique de la douche, d’abord dans des établissements collectifs (prisons, casernes, internats, puis bains-douches), avec des cabines alignées, une eau et un temps rationnés, du côté des classes populaires.

Le livre ne parle pas de la réappropriation des douches par la bourgeoisie avec des douches plus luxueuses, parce qu’il s’arrête avant, mais ce serait dans la droite ligne.

Globalement c’était fort intéressant, un peu aride à lire cependant.

La Communication non-violente, de Marshall D. Rosenberg

Court livre sur les principes de la communication non-violente. Pas convaincu par la forme du livre, et ça mériterait plus de contexte sur quand il est pertinent ou non d’utiliser ce type de communication spécifiquement (typiquement, ça suppose de la bonne volonté de la part des deux interlocuteurs et des intérêts de long terme convergent, c’est pour améliorer la communication avec vos proches, pas dans les négociations salariales. En gros si tu précises pas les limites d’applicabilité ça devient un concept fortement centriste où le seul problème c’est de mettre tous les éléments sur la table et ensuite un compromis entre gens raisonnables et une solution optimale pour tou.te.s peuvent toujours être trouvés).

Cela dit, les principes présentés sont intéressants :
– Bien distinguer l’énonciation de faits de l’énonciation d’opinions sur ces faits, pour séparer le subjectif de l’objectif dans le discours.
– Expliciter son ressenti sous forme de sentiments précis (et qui soient des sentiments, pas une interprétation du comportement des autres : « je me sens incompris » ça marche pas, « je me sens en colère/triste parce que j’ai l’impression de ne pas être compris » oui), et en exposant ce qui a provoqué ce sentiment (la partie « parce que je ». L’auteur insiste sur le fait que le « parce que » doit être suivi de « je » : on est dans les opinions, on reste à parler de son ressenti.)
– Expliciter ce qu’on demande aux autres/ce qu’on attend d’eux, en étant le plus précis possible (ne pas dire « je voudrais que tu passes moins de temps au boulot » pour « je voudrais qu’on passe plus de temps ensemble »). Après je suis d’accord que c’est bien d’expliciter et d’être clair, mais c’est volontairement ignorer qu’il y a plein de motifs de communication qui par politesse/convention passent par de l’implicite et du sous-entendu.
– Enfin, accepter que les gens puissent ne pas répondre positivement à notre demande parce qu’ils ne sont pas en état de le faire (et c’est là où pour moi du coup ça limite vachement le contexte dans lequel c’est applicable en nécessitant que les deux interlocuteurs soient de bonne foi à la base).

The Sword of Winter, de Marta Randall

Bouquin de fantasy écrit en 83. Le seigneur de Jentisi, un des comtés les plus puissants de Cherek, se meurt. Ses vassaux ont été convoqués à la capitale pour désigner son successeur, ainsi que les représentants des Guildes de Cherek. Lyeth, la Messagère personnelle du Seigneur, se retrouve au milieu de ce panier de crabes, à ne vouloir qu’une chose : que le seigneur meure au plus vite, afin que son service prenne fin, et que la Guilde des Messagers la réaffecte ailleurs, le plus loin possible de Jentisi, où le rôle des Messagers a été complètement dévoyé.
Le début est un peu lent, mais on se laisse prendre à l’histoire de ce monde qui sort lentement de son Moyen-Âge, avec un télégraphe qui relie progressivement les provinces centrales, un chemin de fer entre deux villes, mais en même temps un féodalisme qui reste marqué, et une tentation d’en revenir aux « bonnes vieilles traditions ». L’univers est cool, mais l’histoire racontée au milieu n’est pas très originale, avec un personnage principal qui est intéressante mais qui en 6 jours s’attache à mort à un gamin random de façon franchement pas crédible.

Une vie en l’air, de Philippe Vasset

Du Philippe Vasset classique. Il raconte son enfance et son âge adulte influencé par l’infrastructure désaffectée du monorail de l’aérotrain dans la Beauce. Il raconte ses journées passées dessus à regarder bouger le monde, l’influence de cette construction totalement inutile mais beaucoup trop chère à détruire sur son paysage mental, ses tentatives de se l’approprier (figurativement et littéralement) par diverses approches, les fantasmes et évocations d’une France futuriste que ça évoquait en lui enfant, le rapport à son écriture et ses processus créatifs. J’ai lu le livre d’une traite et j’ai beaucoup aimé, on dirait du Bellanger moins déprimé.

Feuillets de cuivre, de Fabien Clavel

Enquêtes policières feuilletonnesques au début du XXe siècle dans un univers discrètement steampunk avec des influences vernesques. Je suis vraiment pas convaincu par les bouquins de Clavel, ce qui est dommage parce qu’il a des critiques (et une postface/préface) dithyrambiques et qu’il écrit dans des genres que j’aime bien. Mais à la lecture je trouve ça banal voire convenu.

Frankenstein 1918, de Johan Heliot

Uchronie sur la guerre de 14. Dans un monde où les événements de Frankenstein se sont déroulés, ses travaux et notes ont été récupérés par le gouvernement anglais. Au début des hostilités, Winston Churchill lance un programme visant à reproduire ses travaux pour créer de nouveaux soldats depuis les soldats tombés au combat. Cette expérimentation va changer le visage de la guerre, tel qu’on le découvrira au fur et à mesure des récits enchâssés d’un historien des années 50, de Churchill lui-même et d’un certain Victor.

Ça se lit bien, j’aurai apprécié un peu plus de récit de la vie dans l’uchronie plutôt que de l’exposition dans la fausse préface. C’est une uchronie originale dans ses débuts mais qui retombe un peu dans des schémas classique une fois que l’Histoire avance, ça révolutionne pas le genre non plus mais c’est un hommage sympa.

Journée d’un opritchnik, de Vladimir Sorokine

Dans les années 2020, la Russie redevient une monarchie. La couronne ressuscite une institution du règne d’Ivan le Terrible, l’Opritchnika, une police secrète répondant directement au souverain.
Je n’ai pas trouvé que le livre ait un grand intérêt. C’est un pendant de La Servante Écarlate pour le côté description d’une dystopie où sont alliées technologies modernes et idéologies rétrogrades, mais après, on a juste le récit de la journée d’un des membres de cette police secrète. Ok, on voit que ce sont des ordures spoliatrices qui se réclament du christianisme, mais ça ne va pas beaucoup plus loin