Archives mensuelles : septembre 2018

Mia Madre, de Nanni Moretti

Film italien. Une réalisatrice tourne un film social avec un acteur principal ingérable, et en parallèle doit faire face à la dégradation rapide de la santé de sa mère.

Je l’ai pas regardé dans les meilleures conditions (dans le train en tentant d’avoir du wifi par ailleurs), mais j’ai pas été enthousiasmé outre-mesure. C’était intéressant, mais je m’attendais à ce que ce soit plus sur le deuil post-décès qu’à la période d’anticipation où la santé de la mère se dégrade. Et puis les parties cinéma sont joliment tournées, mais les films sur des persos dans le milieu du cinéma je trouve toujours ça un peu nombriliste.

Après c’était intéressant quand même, mais j’ai largement préféré Habemus Papam du même réalisateur

Nox, de Fred Cavayé, Quoc Dang Tran et Jérôme Fansten

Série Canal + sur une enquête policière dans les sous-sols de la Ville-Lumière. C’est pas très bien. Les actions et motivations des personnages n’ont aucun sens, les sous-sols sont totalement fantaisistes mais sans proposer quelque chose d’intéressant, et y’a pas mal de personnages clichés/de fausse subversion « ooooh, la témoin du meurtre est une actrice porno ! Oh là là on va montrer un studio de porno ! Bon on va montrer rien en fait, et puis de toute façon le potentiel subversif du porno en France en 2018 je demande à voir, mais whoooou on s’est fait plaiz’ en insistant bien sur le fait qu’elle était actrice porno. »

Ne recommande pas.

Le Sommet des Dieux, de Jiro Taniguchi

Manga en 5 tomes qui met en parallèle trois histoires, celles de trois ascensions de l’Everest : celle de Mallory et Irvine, ascension réelle, la première qui a peut-être atteint le sommet (mais on ne sait pas, les deux alpinistes sont morts avant de revenir à leur camp, mais avant ou après avoir atteint le sommet ?), et deux ascensions imaginaires, celle d’Habu, alpiniste japonais hors pair qui vit par et pour la montagne, et celle de Fukamachi, photographe qui commence par enquêter sur l’appareil photo de Mallory, croise le chemin d’Habu, décide d’en savoir plus sur lui et finalement se retrouve possédé par l’alpinisme aussi. Le manga raconte les vies d’Habu et Fukamachi, leurs différentes ascensions à travers le monde et leur relation, ainsi que celle d’Habu à Hase, un autre alpiniste japonais.

L’histoire est assez simple (« c’est l’histoire de mecs qui veulent atteindre le plus haut point du monde ») mais prenante, la narration bien pensée, et surtout le dessin (des montagnes, surtout) très beau, plongeant bien le.a lecteurice dans l’histoire. Les femmes servent d’intérêt amoureux uniquement par contre, c’est une histoire à la Hemingway pour ça, très sympa dans le côté « Man vs Wild » mais des côtés machos pas géniaux.

Points de non-retour [Thiaroye], d’Alexandra Badea

Il y avait du potentiel. Une pièce sur le massacre de Thiaroye, quand à l’issue de la Seconde Guerre Mondiale l’administration coloniale préféra exécuter un contingent de tirailleurs sénégalais plutôt que de leur verser leur solde et les laisser retourner à leur vie, avant de couvrir le tout. Comment ce massacre affecta les fils et petits-fils des bourreaux comme des victimes, en laissant une énigme au sein de leur histoire familiale.

Sauf que le texte de la pièce est super lourd, à base d’énonciation péremptoire de vérités générales et d’emphase dramatique là où il faudrait être subtil. La mise en scène est intéressante, avec des fenêtres sur lesquelles sont projetés des paysages voire une partie de l’action, permettant de situer l’action dans le temps et l’espace (parce qu’il y a un entremêlement des époques, qui donne un côté narration éclatée qui fait plus gadget qu’autre chose, même si l’idée c’est probablement que l’on découvre l’enjeu de Thiaroye progressivement (mais ça aurait pu être mieux fait de d’autres manières).

Ne suis-je pas une femme ?, de bell hooks

Essai afro-féministe de 1981. bell hooks analyse comment le racisme et le sexisme s’entrecroisent dans la vie des femmes noires aux États-Unis, pour générer une forme d’oppression spécifique aux femmes noires : elles ne subissent pas les mêmes oppressions racistes que les hommes noirs d’un côté et les mêmes oppressions sexistes que les femmes blanches de l’autre : elles sont en prise avec des stéréotypes, des violences qui leur sont propres. Par exemple pendant la période de l’esclavage, il y avait des violences sexuelles envers les femmes noires qui étaient considérées comme des corps à disposition des hommes blancs (amplifié par le fait que leurs enfants naissant esclaves, c’était avantageux pour les propriétaires…), leur valant l’hostilité des femmes blanches, les considérant comme sexuellement permissives, plutôt que de faire preuve de solidarité féminine.
bell hooks montre aussi que la prétention à l’universalisme des mouvements féministes initiés par des femmes blanches et bourgeoises qui prétendent parler au nom de toutes les femmes masque en fait un discours très situé socialement, et qui refuse (dans la plupart des cas) de prendre en compte d’autres problèmes que ceux de ces initiatrices (tout en se lamentant de ne pas réussir à intéresser d’autres groupes sociaux). Par exemple, la réclamation à l’accès au travail à certaines époques était en fait une réclamation de l’accès pour les femmes bourgeoises aux postes de direction : ça faisait longtemps que les femmes noires et des classes populaires travaillaient en usine sans se sentir particulièrement libérées par cet accès égalitaire aux emplois du bas de l’échelle sociale (par contre on retrouvait en plus du racisme dnas ces emplois, avec des vestiaires réservés aux blanches par exemple).

Un peu daté par certains aspects et focalisé sur les USA, mais très intéressant et très accessible, je recommande.

La Loi du Marché, de Stéphane Brizé

Film français de 2015 avec Vincent Lindon. Après 20 mois de chômage, un homme trouve un emploi de vigile dans un supermarché. Il se retrouve à devoir cautionner des tâches qui clairement lui répugnent : si les premières interpellations sont celles de voleurs qui correspondent au stéréotype (vol d’un câble de smartphone, voleur se confrontant aux vigiles), rapidement les vigiles se retrouvent à interpeller des retraités à court d’argent effectuant des vols alimentaires, puis leurs collègues du magasin qui récupèrent des coupons de réduction oubliés par les clients. Vincent Lindon joue super bien le mec coincé dans cette position (sa famille a besoin d’argent et ils arrivent au bout de leurs économies) qui doit gérer le fait d’appuyer ce système. Le film met aussi très bien en scène la violence sociale qui prive les personnes de choix, présente comme des lois naturelles des décisions managériales.

Je recommande.

Vongozero et Le Lac, de Yana Vagner

04/11/2017, Vongozero :
Un roman de science-fiction post-apocalyptique russe. Une épidémie ravage le monde. Une petite bande de banlieusard moscovites tente de rejoindre un lac perdu dans le Grand Nord qu’ils espèrent assez isolé pour pouvoir survivre.

Comme c’est de la littérature russe, tout le monde boit comme un trou. C’est intéressant parce que leurs plus gros problèmes c’est les autres humains (classique) et le froid/la neige. C’est assez sombre, mais ça change de la SF américaine, c’est cool. Après c’est sympa mais pas incroyable, assez terre à terre dans la description du road-trip. Je lirai bien le tome 2 (une fois qu’ils sont arrivés au lac) si j’arrive à le trouver en poche.

20/09/2018, Le Lac :
J’ai donc trouvé le tome 2 en .epub. Comment survivre en plein hiver en Carélie quand on est dans une cabane de pèche sur un lac gelé, sans carburant ni électricité, et qu’on est 11 citadin.e.s moscovites dont 2 enfants, sans expérience de la nature ? Le roman commence juste à la fin du tome précédent, avec l’arrivée dans la cabane de pèche, et raconte comment passent l’hiver, le printemps et l’été. L’épidémie est toujours une menace lointaine, mais le manque de nourriture est une préoccupation bien plus immédiate. Quelques interactions avec d’autres survivants, la difficulté de vivre les un.e.s sur les autres… Je pense que j’ai préféré au tome 1. Il y avait une interview de l’autrice à la fin du livre, où elle disait qu’elle était très contente que la trad française ait réussi à conserver le côté phrases interminables mais fluide à lire qu’elle avait utilisé pour restituer le monologue intérieur de la narratrice, et effectivement ça se lit très bien et on a bien l’impression d’être dans la tête d’Anna.

Tuer Jupiter, de François Médeline

Un polar de politique-fiction. Le livre s’ouvre sur la panthéonisation d’Emmanuel Macron suite à son assassinat. Puis, chaque chapitre remonte dans le temps pour montrer comment on en est arrivé là. Ça commence bien, les premières scènes sont intéressantes, puis ça se perd en route. Déjà par un manque flagrant de politique (y’a pas d’intérêts contradictoires et de lobby d’influence, t’as juste des gens puissants qui décident des trucs.) t puis bon parce qu’en dehors de l’habillage politique-fiction, avec la reprise des noms des personnages connus de la politique actuelle, l’histoire n’a pas un très grand intérêt. Du coup ça marche bien sur les scènes d’émotion nationale du début, moins quand on rentre dans les détails du plan.

De quoi TOTAL est-elle la somme ?, d’Alain Deneault

Multinationales et perversion du droit.

Un livre qui retrace l’Histoire de TOTAL, depuis la fondation de la CPF par l’État français jusqu’à la période actuelle, pour la prendre comme exemple de comment les multinationales se jouent des droits nationaux en utilisant leur présence internationale, au point d’échapper quasi-totalement à toutes les lois et juridictions, tout en développant leur propre vision et application du droit.

C’est dense mais très documenté, très intéressant et un peu flippant. Pour le dire à gros traits, Total hérite de la CPF l’insertion dans des trusts pétroliers, le fonctionnement en oligopole et les ententes entre compagnies sur les prix, et d’Elf l’insertion dans les tous les réseaux d’influence de la Françafrique, Elf ayant représenté à une époque une diplomatie parallèle de la France, avec une confusion des genres assez incroyable (c’est assez révoltant ce qui s’est passé en terme d’asservissement des pays et parodie d’indépendance dans la Françafrique, mais l’histoire d’Elf là dedans ferait une série télé incroyable). Total dit avoir laissé toutes ces pratiques derrière elle, mais sa puissance actuelle est bâti sur les bénéfices qu’elle en a retiré, et l’expertise qui s’est constitué dans la compagnie dans ces domaines n’a pas disparu du jour au lendemain, même si on accepte de les croire sur le fait qu’elle n’est plus directement employée.

Par ailleurs, ce qui continue de façon certaine c’est les pratiques d’optimisation fiscale par les filiales dans des paradis fiscaux, (l’ancien PDG De Margerie ayant même déclaré que TOTAL estimait le taux d’impôt qu’elle devait payer localement pour que ses activités ne rencontrent pas une trop grande contestation et se l’appliquait ! That’s not how taxes are supposed to work.), l’appui sur la puissance française quand ça arrange la firme, y compris pour des interventions armées (Serval et Barkane ont notamment sécurisé l’accès de Total à un champ pétrolier), et la puissance de lobbying, l’armée d’avocats et l’usage des tribunaux d’arbitrage pour faire en sorte au maximum que les lois soient interprétées de la façon dont Total les interprète, voire amendées.