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Immortality, de Sam Barlow

Jeu vidéo sorti en 2022. Le concept se rapproche du précédent jeu de Barlow auquel j’avais joué, Her Story : on dispose d’une masse de clips vidéos dans laquelle il va falloir rechercher des informations pour comprendre l’histoire. Dans Her Story il s’agissait d’interrogatoire de police et l’interface était textuelle. Ici, il s’agit des rushs non-montés des trois films dans laquelle a joué l’actrice Marissa Marcel, récemment redécouverts, et l’interface se fait en sélectionnant des éléments du film, pour atterrir dans une autre séquence contenant cet élément. Pour une personne apparaissant à l’écran ça va être une autre séquence où elle est présente, pour les objets ça va être un objet de la même catégorie (sélectionner une chaise peut faire arriver sur un autre modèle de chaise, une pomme sur un autre type de fruit, etc…).

Globalement, j’ai beaucoup aimé le concept, mais je suis moins convaincu par l’exécution. Par rapport à Her Story, la taille plus ambitieuse du jeu fait qu’on s’y perd un peu, et la navigation random d’une séquence à l’autre rend difficile d’avoir l’impression de maîtriser ce qui se passe. Idéalement j’aurais voulu pouvoir taguer les séquences, faire des collections dans lequel je les ordonne. Dans le genre « enquête dans des couches multiples d’histoires » j’ai trouvé que Return of the Obra Dinn avait une interface plus réussi pour laisser du contrôle à la joueuse. J’ai aussi déclenché la fin du jeu après avoir passé déjà un peu de temps dessus mais clairement pas compris l’histoire globale.

Pour les points positifs par contre, la masse de travail pour réaliser le concept général est impressionnante (cet entretien avec Barlow réalisé par Libération est d’ailleurs fort intéressant). Les trois films rendent bien (moins convaincu par celui des années 90, mais les deux premiers, et surtout le premier donnent vraiment envie de voir les films montés, le grain de la pellicule est bien rendu, et tout le côté « comprendre à la fois l’histoire des films et via les éléments autour du tournage la vie des acteurs » est très cool. Je pense que pour améliorer le jeu il aurait fallu encore plus de séquence hors tournage, du type tournées promotionnelles ou autre pour avoir plus que la vies des acteurs principaux de détaillée, et avoir des intrigues juste sur la vie des gens en dehors de l’arc principal.

Globalement, concept de jeu original et qui veut le coup d’être testé, mais réalisation pas parfaite (masse d’info impressionnante, mais manque d’outil pour la traiter facilement). Je met le tag recommandé mais c’est « je recommande d’aller jeter un coup d’oeil au concept », pas « précipitez vous dessus ».

Journey, de Thatgamecompany

Jeu vidéo indépendant publié en 2012. Dans des environnements désertiques et des ruines, on contrôle un petit personnage muni d’un écharpe qui lui permet de voler. On peut libérer d’autres écharpes qui rechargent notre pouvoir de vol, activer des runes pour augmenter la taille de notre écharpe, chanter pour attirer ou réanimer des écharpes et faire briller des rochers, et c’est globalement tout. L’histoire du monde est expliqué par des bas reliefs et des visions, on progresse lentement vers une montagne fissurée avec de la lumière qui s’en échappe.

C’est pas très long (j’ai fini en 2h), mais c’était assez cool. Les environnements sont jolis, rien de très compliqué à faire mais on se laisse porter par l’histoire. Et je n’ai compris qu’à la fin du jeu qu’il était en fait multijoueur : on croise d’autres personnages identiques à nous de temps à autre, et ce sont en fait d’autres joueurs qui font telle section du monde en parallèle de nous (c’est un peu le précurseur des marques d’invocation dans Dark Souls), on peut interagir de façon très limité avec elleux mais la proximité de deux joueurs recharge les deux écharpes, c’est bien fait.

Bref, cool petit jeu indé paisible et beau.

The Scholomance, de Naomi Novik

Tome 1 : A Deadly Education

Galadriel, fille d’une mage-guérisseuse hippie, a été acceptée dans la Scholomance, la seule école de magie du monde. Si on y apprend bien l’usage des sorts, la fonction principale de la Scholomance est plus basique : elle sert de forteresse pour protéger les jeunes sorciers de toutes les créatures maléfiques qui se nourrissent de magie et visent en priorité les magiciens les plus inexpérimentés. Mais les défenses de l’École sont imparfaites, et des maleficaria parviennent régulièrement à entrer, fournissant le parfait incitatif pour apprendre au plus vite des sorts pour se protéger.

J’ai beaucoup aimé (j’ai lu le tome plus ou moins d’un seul coup). Beaucoup de questions qui restent sans réponse à la fin, mais le tome a quand même en soi une fin satisfaisante. J’espère que Novik va aborder dans le tome suivant les raisons qui font qu’à la fois l’école et la magie de l’univers fonctionnent d’une façon qui semble faite pour tuer les élèves et créer des prophéties autoréalisatrices ; parce que ça fait un fort bon univers mais si la réponse est juste « parce que c’est fun » c’est un peu dommage.

Le fonctionnement de la communauté magique est intéressant et original : la magie demande beaucoup plus d’énergie pour fonctionner en présence des personnes sans pouvoirs, ce qui justifie l’isolation de la communauté magique. Parallèlement, la magie est une énergie convoitée par toutes les créatures maléfiques, ce qui fait que les sorcièr.es sont toujours sur la défensive. Toute la mise en scène d’une méritocratie biaisée en faveur de ceux déjà au sommet de la pyramide est fort intéressante, et très réussie.

Enfin, par rapport aux Novik précédents (ceux que j’ai lus en tous cas), la dynamique de couple est plus intéressante et moins clichée. J’espère que ça va continuer dans les tomes suivants. De ce point de vue là j’ai un peu l’impression de lire une version réussie de La Passe-Miroir. Le personnage de himbo d’Orion est très réussi. Pour l’intrigue plus générale, l’école de magie où les élèves sont misérables et en danger de mort fait penser à Vita Nostra, en moins russe et plus jeunesse dans l’écriture.

Tome 2 : The Last Graduate

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Écofascismes, d’Antoine Dubiau

Essai publié en 2022. L’auteur note que si en France l’écologie est entrée dans le champ politique à la faveur de mai 68 et a été en conséquence étiquetée à gauche, il n’est pour autant pas impossible d’avoir des mouvements libéraux ou fascistes écologistes et autocohérent, qui ne seraient pas juste du greenwashing. Pour l’heure, le fascisme occidental reste largement un carbofascisme, défendant les fossiles tant qu’il peut, mais deux processus conjoints de fascisation de l’écologie (en même temps que du reste de la société) et d’écologisation du fascisme (avec l’intégration d’éléments nouveaux dans les doctrines des fascismes historiques) rendent possible la bascule vers un écofascisme.

Fascisation de l’écologie
Plusieurs axes possibles. Des postures misanthropes (l’Humain est pourri par essence, il faut s’en débarrasser pour sauver la planète) et malthusiennes (le problème c’est la surpopulation) glissent très facilement vers des postures racistes (il faut se débarrasser de certaines catégories de la population, pour laisser de la place pour d’autres, par essence meilleures).
Par ailleurs « l’Humain est par essence violent et destructeur de la Nature » peut servir à excuser des dominations au sein de l’espèce humaine : si on prétend que la domination est naturelle, allons-y à fond les ballons.
Les récits effondristes et survivalistes participent aussi de la fascisation : ils présentent l’effondrement et la mort de millions de gens comme un mal nécessaire pour redémarrer sur des bases plus saines (c’est aussi une vision très occidentalo-centrée puisque la crise climatique en place plutôt que l’effondrement qui vient est le quotidien de beaucoup de populations dans le monde déjà). De plus, on est sur une rhétorique de la survie des plus forts, bien en phase avec une société de la loi du plus fort.
Idée aussi de l’inefficacité de la démocratie : elle serait trop court-termiste (avec la durée des mandats et l’objectif de la réélection) et trop lente (avec la recherche du consensus) pour pouvoir répondre à la crise. Il faudrait dès lors un État d’urgence ou un régime autoritaire pour sauver l’environnement, une sorte de dictature éclairée en vert.

Écologisation du fascisme
Si le fascisme est initialement à fond pour les fossiles, depuis les réinventions idéologiques de la Nouvelle Droite, du GRECE et d’Alain de Benoist, intégration d’éléments écologiques depuis les années 80, avec une vision antimoderniste de l’écologie, mélant conservatisme, critique de la société de consommation et de l’uniformisation du monde et défense des particularismes régionaux.
La défense des races humaines supérieures était devenu la défense des cultures humaines supérieures chez les fachos. Avec les apports de l’écologie, proposent d’en revenir aux groupes ethniques : les populations humaines seraient adaptées finement à leur environnement comme n’importe quelle espèce dans son environnement (vision fausse de populations statiques). Du coup, il y a une adéquation population/environnement et il faut protéger ce couple : justifie la défense de «  » »notre patrimoine » » » contre des invasions extérieures de populations maladaptées au milieu. C’est à la fois la pureté de la race et la protection de l’environnement naturel et culturel. Mobilisation du vocabulaire de l’écologie pour soutenir des thèses racistes et xénophobes en les couvrant d’un vernis pseudoscientifique.
Un autre courant (le précédent étant généralement antichrétien, glorifiant les populations de l’Europe païenne contre un christianisme tête de pont de la modernité) est l’écologie intégrale (catholique). Ce courant considère que la Nature pose des bornes à ce que l’Humain doit faire. Dépasser ces bornes est contre-nature et rompt l’équilibre H/Nature. Sans surprises, ces bornes sont l’avortement, la remise en question de l’hétérosexualité, la PMA, et tous les autres marqueurs de la modernité sociale (qui n’irait donc plus juste contre les traditions mais contre l’équilibre de la Nature)

Nature de l’écofascisme
Du coup, l’écofascisme, quid ? Ce serait un fascisme qui s’intéresse pas seulement à la Nature en tant que grand concept (l’ordre naturel dont il se réclame vs la modernité décadente), mais en tant qu’environnement immédiat, parce que l’environnement du groupe humain qui se revendique du fascisme est dans cette idéologie inextricablement lié à cet environnement, qui l’a façonné. La défense du groupe passe donc par la défense de l’environnement, contre l’étranger inadapté qui va l’abimer (en excédant sa capacité de charge mais aussi parce qu’intrinsèquement il n’est et ne peut lui être adapté) en plus de dégrader la culture du groupe fasciste (ça c’est un élément qui persiste depuis le fascisme classique). Le fascisme reprétend s’appuyer sur des bases biologiques dans l’écofascisme. La vision fixiste des communautés qui ne se mélangent pas et qui sont adaptées à leur environnement a pour corolaire que les frontières sont vues comme naturelles : si elles séparent des communautés par nature incompatibles, il faut les défendre, et elles ne pouvaient pas être à une autre place puisqu’elles séparent des communautés naturellement différentes.

Shining Girls, de Silka Luisa

Série télévisée états-unienne de 2022. Elisabeth Moss joue la survivante d’une tentative de meurtre dans les années 90. Depuis la tentative de meurtre, son environnement change parfois autour d’elle, de petits détails ou des pans entiers de son passé. Quand un meurtre au modus operandi similaire au sien a lieu, elle fait équipe avec le journaliste couvrant le sujet, pour tenter de démasquer le tueur et de trouver un sens à ce qui lui arrive.

J’ai bien aimé. En huit épisodes, ça forme un polar efficace, ancré dans les années 90s, avec des personnages principaux réussis. Le côté journaliste alcoolique qui enquête sur les meurtres que la police classe trop hâtivement fonctionne bien. Les éléments métaphysiques sont bien amenés, le fait de ne pas tenter de les expliquer est réussi aussi. Elizabeth joue bien un perso à la Elizabeth Moss. Le meurtrier avec ses pouvoirs surhumains et son comportement ultracreepy avec les femmes m’a rappelé Kilgrave dans Jessica Jones.

Je recommande si vous voulez un polar sans prétentions.

Maus, d’Art Spiegelman

Bande-dessinée étatsunienne publiée entre 1980 et 1991. L’auteur met en scène le témoignage de son père, rescapé de la Shoah. Dans le livre, les polonais sont représentés par des cochons, les nazis par des chats et les juifs par des souris. On alterne entre le récit du père d’Art et le contexte de l’enregistrement de son témoignage par Art aux États-Unis dans les années 80.

Le livre entremêle l’Histoire de l’Europe nazie, la vie personnelle d’Art et de son père (en Europe et en Amérique), la difficulté de la relation père/fils dans ce contexte, et l’impact de la parution de la bande dessinée sur son auteur.

C’est très puissant et un Pulitzer bien mérité, je recommande fortement (par contre, obvious TW racisme, antisémitisme et génocide).

Nope, de Jordan Peele

Film étatsunien de 2022. OJ et Emerald Haywood vivent sur le ranch familial, où ils dressent des chevaux qui sont utilisés dans des films. Suite à la mort de leur père, l’entreprise est en mauvaise posture. Mais OJ découvre qu’une créature mystérieuse (et dangereuse) rode dans le désert. Les deux adelphes décident de filmer la créature et de vendre le film pour renflouer leurs finances.

J’ai beaucoup aimé. Le scénario est assez minimaliste, mais il mêle pas mal de thèmes : le cinéma, la relation aux animaux, les relations familiales… de façon réussie. L’extraterrestre est original (avec un design assez low-fi mais qui fonctionne bien), le rapport qu’ont les humains avec lui aussi. C’est très bien filmé et très beau, les personnages sont très réussis. Mêmes les digressions sur le passé de Jupe qui n’ont à première vue pas grand chose à voir avec l’intrigue originale (même si en fait un peu) sont réussies. C’est un peu l’anti-Prey.

Je recommande fortement.

A Serious Man, des frères Coen

Film étatsunien sorti en 2009 et réalisé par les frères Coen. On suit quelques semaines de la vie de Larry Gopnik, un professeur de physique membre de la communauté juive américaine, alors que tout semble s’effondrer autour de lui : un de ses élèves tente de le soudoyer, sa femme lui demande le divorce, son frère squatte son canapé, ses deux enfants n’arrêtent pas de le submerger de demandes.

J’ai beaucoup aimé. Sans surprise puisque ça parle de la vie dans une communauté juive étatsunienne, ça m’a rappelé certains romans de Philip Roth. Il y a un humour très pince-sans-rire. C’est très bien filmé, très bien reconstitué. C’est difficile de dire en quoi c’est un bon film parce qu’il a l’air très basique, très resserré sur une histoire particulière, mais ça l’est.

Tinker, Taylor, Soldier, Spy, de John Le Carré

Roman d’espionnage britannique paru en 1974. George Smiley, ancien espion récemment à la retraite depuis une opération qui a catastrophiquement mal tourné, est rappelé officieusement par des agents toujours actifs. Une découverte récente laisse penser qu’il y aurait une taupe russe au plus au niveau du Cirque, l’agence britannique de renseignements. Smiley doit conduire une enquête en dehors de tous canaux officiels, pour démasquer la taupe sans l’alerter. Vont suivre 300 pages d’espionnage débridé, a base de courses poursuites à Venise, gadgets astucieux et… Non. Ce n’est pas ce genre de roman d’espionnage. 300 pages d’espionnage dans les règles de l’art à base de coups de fils passés depuis une cabine téléphonique à chaque fois différente, code a base de bouteilles de lait laissées sur le perron et entretien avec d’anciens agents pour corroborer leurs versions d’une nuit cruciale arrivée 3 ans auparavant. L’ambiance est crépusculaire, avec des agents vivant dans le souvenir d’un Empire britannique au centre du Grand Jeu alors que l’Empire n’est plus, professant se battre pour des valeurs quand finalement l’espionnage ne vaut plus que pour lui même, et des recrutements effectués au sein de la noblesse britannique et des grands colleges anglais avec un élitisme décomplexé.

Je recommande.

Suspiria, de Dario Argento

Film italien de 1977. Susie, une danseuse new-yorkaise, arrive à Freiburg pour intégrer une académie de danse prestigieuse. Le soir de son arrivée elle croise une élève terrifiée qui meurt dans la nuit. Alors qu’elle voulait être externe, elle se retrouve poussée très fortement à être interne. Sa cothurne lui fait par de ses suspicions qu’il se passe des événements paranormaux dans le bâtiment, et une série de morts vient appuyer cette thèse, jusqu’à un affrontement final entre Susie et l’équipe enseignante.

J’ai beaucoup aimé. Le scénario, n’est pas très élaboré, mais les visuels sont incroyables. Il y a des couleurs dans tous les sens, l’architecture de l’école est magnifique. Les meurtres et plus généralement la mise en scène sont assez outrés, mais ça marche bien dans l’ambiance du film. Mention spéciale à la bande-son, très présente et qui porte énormément l’ambiance du film.

Je recommande, on voit pourquoi c’est un classique du genre.

J’ai depuis vu le remake de 2018, qui présente des défauts (la longueur, des arcs narratifs sans intérêt) mais vaut le coup d’être regardé pour la comparaison.