Roman étatsunien de 2022. Long story short : grosse reco, sans prérequis sur ce que vous aimez par ailleurs.
Le roman est centré sur les vies et la relation amicale et professionnelle de Sadie et Sam, deux créateurices de jeux vidéos, de leur enfance à leur quarantaine, dans les années 90s et 2000. Le roman alterne entre les points de vue des deux personnages principaux, de leur enfance (une partie racontée linéairement et une partie en flash-back), à leur vie professionnelle ensemble, en passant par leurs rencontres et leur études. On a leur ressenti sur les mêmes événements, leurs différentes sensibilités artistiques, leurs relations avec différents personnes secondaires.
C’est très bien écrit, notamment les personnages. Bien évidemment ça s’applique aux deux principaux, qui fonctionnent comme des personnages réels mêmes s’ils sont des petits génies de la création de jeu :
- Sam en tant que mec à la fois entitled et insecure qui peut être ultra cruel sans le vouloir (ou en le voulant par moment), pensant qu’il a été très clair sur le fait d’avoir dit aux gens qu’il tient à elleux alors qu’il n’a rien dit, poussé dans la lumière et refusant de gérer son handicap avant de le reclaim
- Sadie qui doit lutter contre un monde qui la considère longtemps comme la muse de Sam plutôt qu’une créatrice à part entière, qui se force à jouer le rôle de la cool girl et de l’infirmière pour les hommes autour d’elle alors que c’est elle la programmeuse et game designeuse à la base.
Au delà de ces deux-là, les personnages secondaires sont crédibles aussi qu’ils soient attachants (Marx) ou repoussants (Dov). Le roman m’a évoqué The Goldfinch (mais en mieux), et pour le chapitre écrit du point de vue de Marx, le passage en flux de conscience de la Semaine Sainte, d’Aragon. D’ailleurs tout ce passage où on a un troisième point de vue et le passé de Marx est très réussi, c’est assez pertinent d’avoir ce point de vue qui était jusqu’ici à l’arrière-plan, mais qui est déjà présenté comme essentiel au fonctionnement de l’univers professionnel de Sam et Sadie.
Les frustrations des persos sur leur position dans le monde, la façon dont ils sont perçus par le monde plus largement (via le sexisme, le racisme et le validisme de l’époque, qu’on leur renvoie ou internalisé) et la façon dont les non-dits et les suppositions sur les raisons d’agir des autres personnes peuvent pourrir les relations interpersonnelles fonctionnent tous les trois bien, ainsi que les passages qui sortent du temps de la narration pour citer une interview des personnages dans un magazine de jeu vidéo des années plus tard, ce qui permet d’avoir leur point de vue sur les événements avec du recul.
L’exploration des différentes relations amicales et professionnelles (et un peu amoureuses, mais c’est en arrière-plan – on a la relation de Sadie et Dov mais c’est une relation clairement dysfonctionnelle, bien écrite, mais qui sert surtout à montrer l’impact que ça a sur les autres relations de Sadie avec d’autres personnes et sur ses projets professionnels) est très réussie et intéressante.
La conclusion du bouquin est un peu plus faible que le reste, ainsi que tout le passage dans Pioneers, mais je pense que c’est toujours compliqué de finir un bouquin intense comme ça.
Once again, je recommande.