The Chair, d’Amanda Peet et Annie Julia Wyman

Série US de 2021. A 46 ans, Ji-Yoon vient d’être nommée directrice du département d’anglais de son université, première femme et première personne racisée à accéder au poste. Mais le poste en question est un enfer, elle doit gérer crise sur crise alors que la direction générale essaie de mettre à la retraite trois de ses enseignants, que ceux-ci n’ont plus d’étudiants dans leurs cours, que son professeur star (qui est aussi son crush) décide soudain de faire un salut nazi en cours et refuse de s’excuser au nom de la liberté d’expression… Et par dessus tout ça, elle doit gérer sa vie personnelle qu’elle case dans les trous qui restent dans son emploi du temps, sa fille étant compliquée, son père peu aidant et ses amis limités à son idiot de crush.

J’ai beaucoup aimé. J’ai trouvé tous les personnages et toutes les lignes narratives réussis : côté vie privée, le personnage de Ju-Hee est très réussi, le côté gamine précoce et vindicative qui est très cool quand on interagit avec elle de loin ou qu’on la voit en temps que spectateur, mais qui est infernale à élever. La relation que Bill a avec elle, en mode « je te parle comme à une adulte » = exactement ma façon d’interagir avec des enfants. L’ensemble de la communauté coréenne est très drôle, dommage qu’on ne les voit que dans un épisode à part le père de Ji-Yoon.

Côté professionnel, les différents collègues sont très bien caractérisés. Pour commencer par un personnage mineur, le Dean en personnage visqueux et secrètement méprisé par les enseignants qui le considèrent comme un bureaucrate parvenu est très bien mis en scène. David Duchovny et tout l’arc autour de lui est très réussi aussi, mais impacte peu l’histoire générale. Dans les enseignants du département d’anglais, Joan vole la vedette avec son side-plot sur son bureau et son enquête sous couverture pour trouver son élève nemesis. Le côté ultra intense du personnage fonctionne très bien en tant que ressort comique. Les autres collègues âgés sont plus effacés. Yaz est un personnage super intéressant mais qui aurait mérité plus de temps d’écran, elle fonctionne surtout comme un miroir plus jeune de Ji-Yoon, mais sinon elle agit peu. Le personnage de Bill est à mon sens une très grande réussite. Le côté chien battu, professeur-star-mais-qui-a-été-marqué-par-la-vie et décide plus ou moins consciemment de tout saborder marche très bien. Il a objectivement des côtés attachants (il fait bien la cuisine, il sait donner des cours passionnants, il est drôle), et en même temps il est près à se comporter comme un connard total et refuser d’assumer, quelles que soient les conséquences, pour lui ou pour les gens autour de lui. Il est persuadé d’être dans son bon droit et qu’il lui suffit d’attendre pour que le monde se rallie à son point de vue. Et du coup même s’il aime beaucoup Ji-Yoon, il est la source de 90% de ses emmerdes et ne fait strictement rien pour les prendre en charge (après Ji-Yoon arrive à générer une partie de ses propres emmerdes : elle n’arrive pas à choisir sa posture face au Doyen, alternant coups de pression et soumission, elle vole les notes de cours de Bill, elle abandonne le cas de Joan, elle ne soutient qu’à moitié Yaz et se lave les mains de la suite… Comme elle le dit, elle a récupéré le département dans un état de merde (et elle a zéro supporting crew), mais elle empire encore la situation (mais il n’est pas clair qu’elle avait des ressources et un environnement qui lui permettait de faire mieux). Globalement, tous les personnages sont attachants, mais tous les personnages font de la merde. Pour moi la fin n’est pas un happy-end de romcom, mais une appeased end : les personnages n’ont plus de responsabilités, la pression est partie : oui c’est un échec – Ji-Yoon a été démissionné de son poste ; Bill est viré, mais en même temps c’est une situation où Ji-Yoon n’a plus à stresser en permanence pour gérer 4000 trucs. Est-ce que c’est pas mieux pour elle ? On a l’impression que le poste à responsabilités, dans la configuration, ne pouvait juste pas bien se passer (the only winning move is not to play?), quelle que soit la personne (et bonne chance à Joan d’ailleurs). Alors on voit l’échec d’une femme de couleur, mais le tenant précédent du poste était Bill, est visiblement ça n’était pas la folie non plus, et rien n’est résolu au départ de Ji-Yoon en terme d’enjeux liés au poste.

The Thing, de Matthijs van Heijningen Jr.

Préquel/remake de 2011 au film éponyme de John Carpenter. En 1982 des scientifiques norvégiens découvrent le corps d’un alien dans un vaisseau spatial en Antarctique. L’alien en question s’avère hostile et métamorphe, et tue peu à peu les membres de la base, en se faisant passer pour eux. Le pitch est vraiment le même que celui du film de Carpenter. La créature peut déformer son corps, le séparer en plusieurs parties, muter à volonté, on est en plein dans le body horror. Je n’ai pas vu l’original, mais j’ai bien aimé celui là. Les effets spéciaux de la créature sont plutôt réussi, le côté huis-clos en Antarctique aussi. Le scénario n’est pas très épais et la caractérisation des personnages bien mince, mais c’est pas vraiment ce que je venais chercher dans le film donc je m’en fiche un peu.

Le Bateau-Usine, de Takiji Kobayashi

Livre japonais de 1929, qui raconte la vie sur un bateau usine qui va pêcher et mettre en conserve des crabes au large du Kamtchatka. La vie à bord est atroce, les marins, les pêcheurs et les ouvriers sont mis en concurrence par le contremaître et l’intendant qui représentent la compagnie qui a affrété le bateau, qui se foutent éperdument de leur vie tant qu’ils peuvent gratter un peu plus de profits. Les journées durent 10 à 13h, les dortoirs collectifs sont immondes, les chaloupes sortent même par avis de tempête… Kobayashi dépeint dans son roman la réalité du travail de l’époque (une postface à l’édition française raconte comment il s’est documenté), et comment c’est l’action collective qui permettra aux exploités de réussir à faire ralentir la cadence, par une grève largement suivie (mais après plusieurs morts et de nombreux estropiés…).

Ca se lit vite et c’est un témoignage intéressant sur les conditions de vie des ouvriers japonais de l’époque (à rapprocher de La Scierie) et de comment les idées communistes tentent de se diffuser à l’époque.

The Green Knight, de David Lowery

Film états-unien de 2021, inspiré de la légende arthurienne de Gauvain. Le jour de Noël, le chevalier vert fait irruption à Camelot et défie les chevaliers de la table ronde : Gauvain répond à son défi de le frapper et de venir recevoir le même coup un an plus tard, et décapite le chevalier. Celui-ci emporte sa tête sous son bras et dit à Gauvain qu’il attend sa visite.

Le film va suivre Gauvain, qui n’aspirait visiblement pas plus que ça à rentrer dans la légende (un petit écho du dilemme d’Achille ici) mais qui se résigne à tenir sa parole et se lancer dans sa quête. On le voit quitter Camelot et passer par plusieurs péripéties sur sa route, avant de finalement retrouver le chevalier vert et se préparer à recevoir son coup. Il a l’air assez fidèle dans son déroulement à la légende dont il s’inspire, en détaillant plus largement des péripéties seulement évoquées dans le texte.

J’ai bien aimé. Il y avait un côté assez psychédélique, avec des visions que reçoit Gauvain, des événements dont on ne sait pas trop s’ils sont imaginés ou s’ils arrivent parce qu’il y a de la magie dans l’univers. Certains aspects de mise en scène et décors font un peu penser à The Favourite. On retrouve aussi logiquement pas mal de tropes des films de chevalier, notamment les scènes où le héros avance à cheval (ou à pied, Gauvain perd rapidement son cheval dans ce film) dans un paysage désolé, style le Septième Sceau. Visuellement le film était assez beau, avec le paquet mis sur les décors.

Anima, de Wajdi Mouawad

Pour le point de vue d’OC sur le même roman, allez voir ici.

Roman de 2012. Au Québec, une femme est assassinée de façon sordide. Son mari va se mettre à la recherche du meurtrier, à travers le Québec, les réserves indiennes d’Amérique du Nord, les États-Unis. Toute la narration va être faite du point de vue d’animaux présents sur les lieux où le mari se rend.

Le concept est intéressant, mais j’ai été assez déçu par la réalisation. D’une part, le fil narratif à base de femme assassinée pour que des mecs puissent faire des affaires de bonhommes, bof. Surtout que le motif est réitéré plus loin. Y’a d’autres occurrences de violence assez gratuite par ailleurs, et clairement décrites avec trop de détails pour mon goût.

Et de plus, le côté « voix animales » est assez mal rendu je trouve : on passe par plein de narrateurs et d’espèces, mais à part pour quelques unes, le côté préoccupation et perceptions spécifiques à une espèces sont peu rendues : les animaux se préoccupent avant tout de la présence de cet humain spécifique dans leur environnement. Le style est par moment beaucoup trop ampoulé pour moi aussi.

Concept intéressant mais thème et réalisation décevante, je ne recommande pas. Lisez plutôt du Morizot pour des points de vue animaux.

Quinzinzinzili, de Régis Messac

Nouvelle de post-apo française de 1935. Régis Messac imagine en 1935 une seconde guerre mondiale qui éclate l’année même, opposant Allemagne, Japon et Angleterre à la France, l’URSS et les USA. Peu importent les détails du conflit, l’usage d’une arme secrète vient bientôt éradiquer les deux camps entièrement, en répandant du gaz hilarant en quantité mortelle sur tous le globe.

Le narrateur survit parce qu’il était en train de faire de la spéléo dans une grotte en tant que moniteur d’une sortie d’un sanatorium pour enfants. De ce qu’il en sait, l’Humanité se réduit désormais à lui et une demi-douzaine d’enfants, qui régresse à un stade d’intelligence inférieur, s’inventent une espèce de patois pour communiquer et s’encombrent de toute une superstition qui prend de plus en plus de place.

C’est un texte assez misanthrope, avec un narrateur sévèrement déprimé qui méprise totalement les gamins qui constituent les derniers représentants de l’Humanité. La nouvelle décrit leur vie dans ce monde bouleversé, et les relations violentes entre les membres de la communauté, jusqu’à la mort du narrateur. C’était intéressant comme exemple d’une SF post apocalyptique d’époque, mais c’était pas un texte incroyable en soi.

Tomboy, de Céline Sciamma

Mickaël, 10 ans déménage avec toute sa famille dans une nouvelle résidence en raison de la grossesse de sa mère. Il rencontre Lisa, une fille qu’il aime, bien et commence à fréquenter les autres enfants du quartier pendant les dernières semaines d’été avant la rentrée. Mais à la maison, ses parents appelent Mickaël Laure, et sa mère n’est pas très ok avec le fait qu’il ne se reconnaisse pas dans le genre qui lui a été assigné.

J’ai beaucoup aimé. La plupart des acteurs sont des enfants, mais ils jouent super juste. La performance de Zoé Héran dans le rôle principal est très réussie. La petite soeur de Mickaël, Jeanne (6 ans), est un super personnage aussi. Il ne se passe pas énormément de choses dans le film, on voit l’évolution de la relation de Mickaël avec son entourage et ses astuces pour changer sa présentation de genre, mais ça rend très bien.

Je recommande.

Comment je suis devenu super-héros, de Douglas Attal

Film français produit par Netflix et sorti en 2020. Une France alternative où certaines personnes ont des super-pouvoirs. On suit un policier, ancien agent de liaison d’une équipe de super-héros, désormais flic ordinaire et dépressif, qui est affecté à une enquête sur une drogue qui donne des super-pouvoirs temporaires à des gens ordinaires.

Ça a les qualités et défauts habituels d’un film Netflix : y’a de bons éléments, le côté « super-héros dans un contexte franchouillard » est assez attirant, l’installation de l’univers plutôt réussie. Y’a de bons acteurs (Poelvoorde qui joue un ancien super-héros avec Parkinson est très réussi et très touchant), mais clairement il aurait fallu quelqu’un pour relire le scénario. On n’est pas au clair sur le statut des gens avec super-pouvoirs : on voit que peu deviennent des héros et que ça pose beaucoup de questions psychologiques aux gens avec des pouvoirs qui se sentent surtout différents, mais on ne sait pas pourquoi certains cachent leurs pouvoirs, on sait pas pourquoi les vilains veulent écouler une drogue qui donne des super-pouvoirs, on a une romance qui sert totalement à rien, des gens qui se relèvent magiquement de blessures ultra graves… On a vraiment l’impression qu’ils ont totalement rushé l’écriture, avec des trucs pas résolus dans tous les sens parce que la flemme.
Sur la façon dont c’est filmé, pas de recherche de style particulière, le film est vraiment là pour raconter une histoire. Quelques jolis décors dans un centre commercial abandonnés, pour le reste c’est Paris, filmé à hauteur de passant, ce qui marche bien avec le côté « vie ordinaire mais y’a des pouvoirs ».

Sympa à regarder mais loin d’être inoubliable.