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Ghostbusters: Afterlife, de Jason Reitman

Film états-unien de 2022. En 2021, la fille d’Egon Spengler apprend la mort de son père, qui l’avait abandonnée enfant pour aller vivre isolé dans une ferme d’une petite ville d’Oklahoma. Fauchée, elle déménage dans la ferme décrépite de son père avec ses deux enfants. Ceux-ci vont découvrir l’héritage de leur grand-père et faire en sorte de terminer la lutte contre une créature maléfique qui était la raison pour laquelle il avait déménagé en Oklahoma.

Je connais d’un peu loin le lore de Ghostbusters : j’ai vu des fragments du premier film et des épisodes de la (pas très bonne) série animée. Mais j’ai bien aimé le film : de facture très classique, il fonctionne bien en tant que divertissement (avec un bémol sur la fin <spoiler> où les anciens Ghostbusters reviennent et ça part vraiment trop dans la nostalgie</spoiler>). Les personnages principaux sont réussis : l’héroïne est très attachante, son side-kick aussi. Le grand frère fonctionne bien, la mère aussi. Toute l’esthétique de la petite ville est réussie, j’ai trouvé ça efficace de transposer l’intrigue du film depuis New York jusque dans un cadre rural.

Bien réussi comme divertissement pas trop profond, je recommande.

À l’écart de la meute, de Thomas Messias

Essai paru en 2021 sur le problème posé par les groupes d’amis composés exclusivement d’hommes cis et hétéros (points bonus s’ils sont tous blancs).

Le sujet est intéressant et l’essai soulève quelques bons points, mais globalement j’ai été déçu : l’ouvrage reste trop superficiel à mon goût, s’appuyant surtout sur du ressenti, des anecdotes personnelles ou des exemples tirés de films. J’aurais voulu que ce soit creusé davantage, là c’est un peu du pop-féminisme.

Si je résume à grands traits la thèse du livre : les groupes d’amis rassemblant des dominants ont pour effet de renforcer les mécanismes de domination, à la fois à l’intérieur du groupe et dans la société toute entière. En interne, la dynamique de groupe va conduire à une surenchère dans la domination, à renforcer un discours dominant et à établir une hiérarchie interne qui reproduit celle de la société (l’hétéropatriarcat, donc). À une échelle plus large, ces groupes homogènes fonctionnent comme des boys club qui vont permettre des retours d’ascenseur entre dominants et pousser chacun des membres à performer une masculinité toxique même en dehors du groupe. Thomas Messias exhorte les hommes cis à sortir de ce type de relations sociales et à cultiver des amitiés d’une part dans des groupes hétérogènes et d’autre part des amitiés masculines qui ne passent pas par des groupes mais par des relations entre deux hommes, pour gommer l’effet groupe. Il insiste sur le fait que l’on peut exiger des amitiés de meilleure qualité, plutôt que de juste garder les mêmes amis qu’on avait dans sa jeunesse (et donc la même dynamique de groupe juvénile) à cause du hasard des circonstances qui nous ont réunies à l’époque.

Globalement je suis d’accord avec ces points, mais le tout reste un peu léger : je pense qu’il existe des phénomènes de hiérarchie qui se mettent en place dans les groupes, indépendamment de l’homogénéité de ceux-ci. Il est clair qu’un groupe d’hommes cis qui n’a pas réfléchi aux questions de justice sociale est bien plus susceptible de faire de la merde, mais la mise en place de hiérarchies internes, reproduisant ou non celles de la société, me parait indépendante de l’endogamie sociale.

Le livre développe aussi tout un passage sur le témoignage d’une femme dont le compagnon se retrouve une fois par an avec des amis exclusivement hommes cis pour un « weekend entre couilles ». Si le terme est bien beauf (et probablement utilisé au soi-disant « second degré » des CSP+ qui adoptent un langage beauf de façon distanciée, permettant de dire des horreurs « pour blaguer », mais en les énonçant in fine), Messias semble condamner le fait que le compagnon en question veuille disposer d’un weekend où il est clair que sa compagne ne sera jamais invitée. Si le fait que ce rassemblement soit endogame entre hommes cis à blagues beaufs ne semble pas terrible, par contre ça me semble au contraire hautement bénéfique d’avoir dans un couple des moments de loisirs qui soient explicitement vécus de façon séparée. Plus généralement, j’ai l’impression que le livre tourne autour d’un point pourtant crucial pour son propos, qui est que l’on se comporte différemment avec différentes personnes et différentes configurations de personnes, et que donc le visage que l’on présente au travail, avec un ami en particulier, au sein de son groupe d’ami.es, au sein de sa famille d’enfance, au sein de son couple ou quand on est seul sont assez différents, et qu’il peut être complexe de concilier ces facettes si les situations fusionnent. Et ces changements comportementaux ne me semblent pas être des changements hypocrites, il n’y a pas un visage réel et des masques mais différents aspects d’une même personnalité (par contre certains peuvent être plus ou moins toxiques).

Autre point que j’aurais voulu voir creusé et qui me semble pertinent pour dénoncer les amitiés masculines toxiques de groupe, c’est le fait que la relation qu’on a avec un groupe n’est pas la somme des relations que l’on a avec chacun des membres du groupe. Messias aborde le sujet quand il établit que cette relation amorphe facilite le fait de reproduire les hiérarchies sociales dominantes, mais il ne détaille pas. Perso c’est un phénomène qui m’a toujours un peu fasciné et que je trouve super intéressant dans les relations de groupe, en positif comme en négatif, donc je trouve regrettable de le glisser sous le tapis comme ça.

La plus secrète mémoire des hommes, de Mohamed Mbougar Sarr

Prix Goncourt 2021. On suit en parallèle la vie de trois écrivain.es sénégalais.es de trois générations différentes : T.C. Elimane, auteur d’un unique roman qui avait défrayé la chronique française en 1938 avant de disparaître mystérieusement, Siga D. écrivaine à succès en France mais qui fait scandale au Sénégal, et Diégane Latyr Faye, jeune écrivain prometteur. Le roman adopte d’abord le point de vue de Diégane, qui tombe sur potentiellement l’unique exemplaire du roman d’Elimane toujours en circulation, et cherche à en savoir plus sur son auteur. Le roman va ensuite raconter la vie des trois écrivain.es et de plusieurs personnages autour d’eux, par fragments et allers-retours entre les époques et les points de vue.

J’ai bien aimé, mais c’était un peu trop verbeux par moment. Pas trop convaincu par la place accordée aux relations sentimentales et sexuelles, qui ont l’air d’être un truc crucial, surtout dans le fil narratif de Diégane, mais sinon le roman se lit bien, parle de littérature (et de l’univers autour, critiques, éditeurs) de façon un peu méta, explore plusieurs époques, la colonisation du point de vue des peuples colonisés. Sans me dire « mais oui c’est évident ce roman méritait totalement le prix, j’ai jamais rien lu d’aussi prenant », je recommande.

Sorrowland, de Rivers Solomon

Roman de science fiction décolonial publié en 2021. Vern a été élevée dans une communauté religieuse noire isolationniste. Si la communauté était à l’origine une expérimentation antiraciste liée aux mouvements libertaires, elle a peu a peu dégénéré en secte. Vern s’en échappe au début du roman et vit pendant plusieurs années dans la forêt, où elle va élever ses deux enfants, tout en échappant à une personne envoyée à ses trousses par la secte. Puis Vern va décider de partir à la recherche de son amie d’enfance qui avait réussi à échapper à la secte des années auparavant. C’est en revenant dans le monde civilisé qu’elle va réaliser qu’elle possède des capacités hors du commun et essayer de comprendre leur origine.

J’ai bien aimé, mais j’ai trouvé ça moins puissant que An Unkindness of Ghosts de lea même auteurice. On retrouve une héroïne assez similaire, dans un setup assez différent. Les pouvoirs de Vern et leur origine sont intéressants (mais un peu trop versatile, ça fait un peu couteau suisse entre les modifications corporelles, les visions, les toxines, la force…), le passé de la secte et son évolution aussi, mais les différentes péripéties qui jalonnent le trajet de Vern au long de la narration semble un peu arriver l’une après l’autre pour faire avancer l’histoire, là où l’univers de An Unkindness of Ghosts était vraiment crédible et fonctionnel même en dehors de la vie d’Aster.

Schmigadoon!, de Cinco Paul et Ken Daurio

Série télévisée musicale de 2021. Un couple de médecins new-yorkais de notre époque et dont la relation se déteriore se retrouve lors de vacances romantiques coincés dans la ville magique de Schmigadoon, une ville fonctionnant selon les standards des comédies musicales de l’âge d’Or. Là, leurs interactions avec les différents habitants va leur faire prendre conscience que l’amour (comme la Révolution – mais ça c’est moi qui rajoute, pas la série) n’est pas un acquis mais toujours un process.

C’était sympa (mais je suis pas très difficile en terme de série/comédie musicale), mais anecdotique. Le décalage entre les deux protagonistes modernes (dont un des deux n’aime pas les comédies musicales et refuse de chanter) et le reste du cast coincé 75 ans plus tôt et beaucoup trop réjoui fonctionne très bien. Mention spéciale à Kristin Chenoweth qui trippe à fond dans le rôle de la méchante, leader des Mothers Against the Future.