Project Hail Mary, d’Andy Weir

I spend a lot of time un-suiciding this suicide mission.

Roman de hard SF étatsunien, sorti en 2021. Un astronaute américain se réveille amnésique dans un vaisseau spatial avec deux cadavres. Il va progressivement se rappeler sa vie menant jusqu’à ce point : Il fait partie du projet Dernière Chance, une mission visant à établir pourquoi une étoile proche de la Terre est la seule qui n’est pas affectée par les astrophages, une forme de vie mystérieuse qui fait rapidement baisser l’énergie émise par le soleil et menace la vie sur Terre.

On suit en parallèle la vie de l’astronaute avant l’embarquement et sa vie à bord du vaisseau, où basiquement il utilise ses connaissances scientifiques extensives pour plein de trucs, de comprendre où il est à macGyverer des solutions aux problèmes techniques qui se posent l’un après l’autre.

Globalement, j’ai bien aimé l’histoire. L’idée des astrophages et le fait de tirer toutes les implications de leur existence est assez cool, ça fait très SF à la Arthur C. Clarke. Les problèmes techniques pour permettre l’existence du projet Dernière Chance (même si « le vote secret unanime de l’ONU fait vraiment « ta gueule c’est magique » pour permettre à l’auteur d’étaler les aspects techniques sans avoir à se préoccuper de tout le social et politique ») puis le déroulé de la mission après le réveil de Grace sont de bons rebondissements, intéressant à lire. La vision du premier contact est cool aussi même si c’est pas tant « deux espèces radicalement différents se rencontrent » que « deux nerds accessoirement d’espèces radicalement différentes se rencontrent ». Par contre, à part Rocky, tous les personnages sont assez faibles – le perso principal inclus. On sent que l’écriture de personnages et de relations c’est pas ce qui fait tripper Andy Weir. Un peu dommage que Grace retrouve la mémoire parfaitement séquentiellement aussi, ça fait un peu forcé.

Malgré ces quelques points négatifs, c’est un fort bon roman de hard SF, je recommande.

Lucifer within us, de Kitfox Games

Court jeu d’enquête. On incarne une exorciste qui enquête sur une série de meurtres dans un monastère, dans un monde où la religion est basée sur la cybernétique : les démons existent dans un monde virtuel et peuvent infecter les humains via leurs implants.

Le jeu est court, trois petites enquêtes, mais j’ai bien aimé l’univers et l’esthétique. La mécanique de la timeline à confronter est intéressant, mais il est possible de bruteforcer toutes le jeu en testant tous les configurations (ie en contredisant chaque élément de la timeline en présentant tous les indices possibles). Une fois l’enquête résolu, on doit trouver quel démon infecte le meurtrier. Cette partie pour le coup n’a aucun intérêt, on n’a le choix qu’entre quatre et c’est très transparent à chaque fois.

Globalement ambiance et graphismes sympa, mécanisme intéressant même si bruteforçable, c’est plus une démo avec de belles finitions qu’un jeu complet à ce stade je trouve, mais ça faut le coup d’y jeter un coup d’œil.

We are coming, de Nina Faure

Documentaire féministe français de 2023. Partant de la question du plaisir féminin et de l’orgasm gap, le documentaire dérive sur les groupes de paroles féminins, la réédition du livre Notre corps, nous-mêmes, et les luttes féministes, dont #metoo au premier plan, mais aussi des manifs en mixité choisie (à Bure) ou NousToutes.

Même en connaissant déjà pas mal les sujets abordés (si vous avez un peu de bagage théorique et suivez l’actualité féministe, vous n’aurez pas de gros scoop dans ce documentaire), c’était intéressant de voir le tout remis en perspective et relié. Le film donne la parole à pas mal de voix féminines différentes, de la réalisatrice et sa comparse Yelena Perret aux femmes de groupes de paroles, en passant par des colleuses d’affiches contre les féminicides ou Caroline de Haas et Sandrine Rousseau. Pas de témoignages masculins directement, une séquence expliquant que Nina Faure avait sollicité son compagnon et un ami, qui ont refusé d’apparaitre dans le film (en expliquant que « même avoir le bon rôle en tant que mec sur ce sujet, c’est avoir le mauvais rôle » – ce que je partage un peu, je vois pas comment tu peux amener une parole masculine pertinente sur ce sujet sans faire du mansplaining ou réclamer des cookies).

Transperceneige : Extinctions, de Rochette

Bande dessinée en deux tomes, parus en 2019 et 2020, préquelle du Transperceneige. La BD détaille les événements qui ont menés à la Terre gelée sur laquelle se déroule l’histoire du Transperceneige, et l’embarquement dans le train. On découvre deux groupes d’éco-activistes, les Wrathers qui tuent les dirigeants de multinationales climaticides et écocides, et les Apocalypsters, carrément accélérationnistes, qui décident de déclencher une apocalypse à grande échelle pour que l’Humanité cesse de flinguer la planète. Si j’ai trouvé les Wrathers crédibles, les Apocalypsters font quand même méchants de carton-pâte. En parallèle, on voit le milliardaire bénévolent et inventeur de génie Zheng mettre la dernière main à son train équipé d’un moteur perpétuel, persuadé que l’apocalypse est proche (il a quand même visé bien juste en devinant qu’il faudrait affronter des températures subpolaires) et que la survie résidera dans l’adaptation à tout ce qui peut arriver (et pour ça, dans une capacité préservée à se déplacer sur toute la planète). Les événements étant précipité par le plan des Apocalypsters, l’embarquement dans le train se fait dans la précipitation, expliquant la surpopulation du train que l’on retrouvera dans Le Transperceneige.

J’ai bien aimé le dessin de Rochette, mais bon, le fond de l’histoire n’est pas passionnant. Les écoterroristes accélérationnistes sont très méchant, le milliardaire est très gentil, c’est quand même un peu court comme récit de l’apocalypse climatique. La nuance qu’on avait dans les premières pages avec les Wrathers qui utilisent la violence pour protéger les écosystèmes disparait très vite.

Revolutionary Road de Sam Mendes

Film étatsunien de 2008, adaptation du roman éponyme de 1961. Frank et April sont un jeune couple persuadé qu’ils sont destined for greatness. Évidemment en moins de 7 ans ils se retrouvent avec la même vie suburbaine que toute leur classe sociale : ils ont deux enfants, elle est femme au foyer dans un pavillon, il va travailler en costard gris dans un bureau du centre-ville où il est un rouage de l’organisation interne d’une grosse firme qu’il méprise et a des aventures occasionnelles avec des secrétaires.

April va proposer qu’ils s’échappent de ce carcan normatif, prennent leurs économies et partent vivre à Paris où elle travaillera pour une agence internationale et Frank pourra avoir du temps pour lui. Mais au même moment Frank se voit offrir une promotion, et elle tombe enceinte… Frank, aidé par tout le poids du patriarcat, va alors tout faire pour saborder méthodiquement le projet de départ à Paris auquel il avait initialement souscrit.

Les rôles principaux sont joués par Kate Winslet et Leonardo Di Caprio, ie le couple mythique de Titanic, ça a beaucoup été mis en avant à l’époque de la sortie du film. C’est un peu un « et si leur aventure avait continué ? » pas très optimiste. On voit April totalement coincée par la société. Si Frank est malheureux dans son job, au moins il a un peu d’agency et il peut choisir entre plusieurs options. April est vraiment coincée dans sa vie domestique et ce couple avec ce mec qui l’épuise à tout moment. Le film n’est pas sur la dérive d’un couple : franchement le seul tort d’April dans le film c’est de ne pas se laisser faire et de ne pas accepter que Frank prenne toutes les décisions unilatéralement. C’est globalement un film sur le patriarcat et l’impossibilité pour April de sortir du conformisme qu’elle sent l’étouffer. Quand elle tente de coucher avec un voisin, il lui déclare immédiatement qu’il l’aime, alors qu’elle voudrait quelqu’un qui la prenne au sérieux sur le fait que la vie qu’ils mènent empêche toute forme d’amour réel.

J’ai bien aimé le voir, c’est bien composé, les acteurs jouent bien, après ce n’est pas un film bouleversant : le thème est paradoxalement un peu trop facile : j’ai l’impression que l’aspiration à l’exceptionnalité et l’horreur de se rendre compte que la vie quotidienne, ses propres compromis et ceux des gens autour vous coincent, c’est un sujet qui met tout le monde d’accord. On ne peut qu’empathiser avec April et détester tous les autres persos, il n’y a pas d’ambiguïté.

Histoire du Fils, de Marie-Hélène Lafon

Roman français, prix Renaudot 2020. On suit la famille d’André Léoty sur plusieurs générations et des deux côtés : la vie d’André lui même, qui grandit à Figeac dans l’entre-deux-guerres, élevé par son oncle et sa tante, mais aussi la jeunesse de son père qui ignore l’existence de son fils, différents épisodes de la vie de sa mère montée à la capitale, la mort de son oncle paternel, le point de vue de ses enfants…

La question au cœur de la vie d’André, c’est sa relation à son père absent. Sa mère a décidé de qu’il n’y avait pas besoin de lui dans le paysage (et de ce que le roman nous en donne à voir, elle a raison), mais la question est visiblement une énigme pour André, un secret de famille. L’identité de ce père lui étant révélé à l’âge adulte, il effectue deux tentatives pour l’approcher, sans succès, et visiblement la question est passé à ses enfants. Ce qui me laisse perplexe personnellement, ça n’a pas du tout l’air d’être l’élément le plus intéressant de sa vie et il n’a pas manqué de figures paternelles par ailleurs, mais bon. J’ai préféré les différentes tranches de vies des membres de la famille racontées chapitre par chapitre à cette quête centrale.

Par ailleurs, ça se lit bien, mais j’ai trouvé le style un peu artificiel par moment, avec des adjectifs mis parce qu’il faut mettre des adjectifs, et des tournures ou mots surannés qui reviennent de façon un peu forcée.

Numero Zero, d’Umberto Eco

Roman italien de 2015. L’action se passe dans les années 90s. Le narrateur est recruté pour participer à la fondation d’un journal financé par un homme d’affaires. Il s’agit sur la première année de produire douze numéro zéro, des maquettes montrant ce que le journal pourra être. Mais c’est un jeu de dupes : le rédacteur en chef prévient que l’homme d’affaires n’a pas l’intention de lancer le journal à terme, ces numéros zéro écrits a posteriori des événements doivent juste le placer en position de force (en démontrant le pouvoir de nuisance du journal) pour échanger l’abandon du journal contre une entrée au capital de telle ou telle société.

On va suivre en parallèle la construction du premier numéro zéro, qui se fait de compromission en compromission – il ne faut pas toucher aux intérêts de l’homme d’affaires, mais par contre les ragots ça fait vendre, on n’a pas de temps pour de l’enquête de fonds mais on peut repackager ce qui a été écrit dans d’autres titres… – et la théorie d’un des collègues du narrateur qui en se plongeant dans les archives historiques, échafaude l’idée que Mussolini n’est pas mort à la fin de la guerre mais s’est caché au Vatican ou en Amérique latine et qu’un coup d’état appuyé par les services secrets a failli le ramener au pouvoir…

Ça se lit vite, mais je n’ai pas été très convaincu. Disons que le côté « la presse privée c’est pas bien », en 2023 je suis assez convaincu, et en plus là le portrait en est sacrément caricatural donc on a du mal à y croire vraiment. Côté théorie du complot c’est intéressant mais il n’y a pas assez de place pour développer dans un court roman qui traite aussi d’autres thèmes. Je recommande plutôt Le Pendule de Foucault du même auteur.

Lost Nova, de Jon Nielsen

Court jeu vidéo indépendant paru en 2022. On incarne Nova, une aventurière qui crashe son vaisseau sur une planète alors qu’elle refusait de prendre des vacances. On doit alors parcourir plusieurs régions pour retrouver des pièces de vaisseau et des ressources permettant de crafter des améliorations pour notre pistolaser ou nos bottes jetpack.

C’est très wholesome, avec un univers coloré, des petites quêtes annexes et un message sur le fait de prendre du temps pour soi plutôt que de se focaliser exclusivement sur son travail. Dans le même style, j’avais beaucoup aimé A Short Hike.

It Follows, de David Robert Mitchell

Film d’horreur minimaliste étatsunien de 2014. Jay couche avec son nouveau petit ami, et immédiatement celui-ci lui révèle qu’il vient de lui refiler une malédiction sexuellement transmissible : elle sera poursuivie par une créature polymorphe qui marchera invariablement tout droit vers elle et tentera de la tuer. Elle peut refiler à son tour la malédiction, mais si le/la nouvelle porteuse est tué·e, la créature recommencera à la chasser elle. Oh, et seules les personnes contaminées peuvent voir la créature.

J’ai bien aimé. C’est bien filmé, avec de beaux plans, dans une ambiance un peu crépusculaire où les adolescents semblent un peu livrés à elleux-mêmes (un peu un passage obligé pour un film d’horreur, mais là les adultes sont présents autour, juste visiblement pas des personnes sur lesquelles les protagonistes pensent pouvoir s’appuyer). L’environnement en décrépitude de Detroit ajoute à cette impression générale d’abandon. Le design de la malédiction marche très bien, alors qu’il n’y a quasi rien : des gens qui marchent fixement (et souvent nus). Les personnages sont assez réussis, que ce soit Jay elle-même ou les persos secondaires (notamment sa sœur qui lit L’Idiot sur sa mini-liseuse), et leur dynamique de groupe est crédible. Le film sait très bien faire monter la tension, ne se repose pas sur des jump-scares et laisse une fin ouverte.

Je recommande.

Apocalypse blanche, de Jacques Amblard

Roman de science-fiction français paru en 2022 chez La Volte. En 2050, deux énormes secousses sismiques ont anéanti la majeure partie de l’Humanité, désormais réduite à quelques millions de personnes. Les secousses ont aussi rehaussé des montagnes de part le globe, notamment le mont McKinley en Alaska, nouveau toit du monde culminant à au moins 16 000 mètres. Le narrateur, alpiniste de Chamonix, va à plusieurs reprises mener des expéditions pour atteindre son sommet, mais des phénomènes mystérieux vont à chaque fois l’empêcher de dépasser le camp 4, et ceux alors qu’il se murmure qu’une nouvelle secousse sismique pourrait bien une bonne fois pour toute faire disparaître l’Humanité…

J’ai bien aimé, mais c’est de la SF pour une acceptation assez lâche du mot. Y’a plein d’éléments qui sont poétiques ou oniriques, on n’est pas du tout sur du post-apo classique (j’aurai bien aimé aussi un traitement plus classique du sujet, mais le roman tel qu’il est écrit fonctionne tout à fait), on se rapproche un peu de ce que propose Sabrina Calvo. Il y a toute une technologie développé sur le végétal (avec des tentes en feuilles de hêtre et des xylocoptères), une apocalypse qui a été curieusement sélective, une recherche sur la forme du texte (et un gros trip sur les notes de bas de page).