Archives de catégorie : Des livres et nous

Le Sang des Princes, de Romain Delplancq

Roman de fantasy français en 2 tomes, parus en 2016 et 2019. On est dans le même univers que dans La Ville au plafond de verre, mais pas dans le même pays ni la même époque. Nous sommes en Slasie, un pays féodal où la famille ducale des Spadelpietra va marier l’héritier du titre à la famille royale. Les Spadelpietra sont des modèles de vertu : adulés par le peuple, ils ont mis fin à la corruption qui était le lot des familles nobles jusqu’ici. Dépensant sans compter pour construire des moulins, des fontaines, des relais de poste, il semble pourtant qu’une partie de la famille est prête à mettre toute cette image publique aux orties pour mettre la main sur l’auteur de tableau qui semblent terrifier les chefs de famille. En parallèle, les clans austrois, des ingénieurs et artistes nomades, accueillent un peintre qui a dû quitter le monastère qui l’hébergeait en catastrophe, et découvrent que certains secrets de leur art semble avoir été découverts par des populations sédentaires, remettant en cause l’équilibre des pouvoirs entre les différents royaumes et nations où ils voyagent…

C’était assez cool, j’ai bien aimé le lire après La Ville… et avoir une autre visions sur le dynamon et ses usages. L’univers est original et bien construit, on s’y plonge vite. La résolution est assez rapide, mais c’est toujours un truc compliqué à faire dans de la fantasy un peu épique. A part ça, on arrive bien à s’y retrouver dans toute une galerie de personnages bien caractérisés, la géographie est relativement claire, les mécanismes « magiques » originaux et clairs.

Recommandé si vous aimez l’epic fantasy à la sauce Renaissance avec une touche de steampunk.

La ville au plafond de verre, de Romain Delplancq

Roman de fantasy français paru en 2023. Korost est la capitale économique des Trois Terres, dont la richesse est assise sur la maîtrise des techniques de forge de l’arnoire par la classe bourgeoise. Ce métal, correctement forgé, est capable de réagir à la lumière du soleil pour produire de l’énergie alimentant des machines. Mais Korost est aussi la cité des verriers, ces ouvriers qui soufflent les ouvrages permettant de canaliser la lumière du soleil vers les mécanismes d’arnoire. Et les verriers, rassemblés en soviet velast, en ont assez de ne récupérer que des miettes de la richesse de la ville. On va suivre le destin de trois personnages de trois classes sociales différentes qui vont traverser les troubles politiques et militaires d’une cité en pleine révolution industrielle.

J’ai beaucoup aimé, et ça vaut le coup de le lire sans en savoir davantage.

Divulgâchage ci-dessous

Nos puissantes amitiés, d’Alice Raybaud

Essai paru en 2024, sur les liens d’amitié et la place qui leur est donné dans nos sociétés occidentales modernes. Ca souffre d’un défaut qui est celui de l’« essai de journaliste » : par rapport à des essais de chercheureuses, c’est beaucoup moins fouillé, ça présente des éléments intéressant mais j’ai tout le temps envie que ça aille plus loin. Et par ailleurs la maison d’édition a mal fait son travail, il y a des coquilles dans le texte, ce qui sort de la lecture.

Ces éléments posés, quid ? Le livre se divise en 8 chapitres, qui traitent respectivement de l’Histoire de l’amitié, des amitiés genrées (entre hommes, entre femmes, entre les deux genres principaux), de récupérer des dispositifs pensés pour les couples pour des relations amicales (PACS, cohabitation), d’avoir (ou d’éduquer) des enfants entre ami.es, des amitiés queer, de liens entre militantisme et amitié, de travail/production dans des groupes amicaux (plutôt que dans du salariat classique) et de la vieillesse (avec l’exemple de la maison des Babayagas).

L’ouvrage évoque les soutiens mutuels que peuvent d’apporter des amie.es, la notion de non-exclusivité des amitiés (et le fait que ça n’empêche pas une possible jalousie), le fait qu’au contraire de la relation romantique souvent avec l’amitié on ne met pas « tous ses œufs dans le même panier », ie on ne demande pas à une seule personne d’être à la fois un.e confident.e, un.e partenaire sexuel.le, un.e coparent.e, un soutien psy… Il parle aussi de l’intérêt (et des risques) de mêler militantisme et amitié (avec l’exemple des luttes féministes, mais c’est probablement transposable). Il montre bien que la relation romantique (et la filiation) est la seule envisagée dans les dispositifs légaux d’entérinement des unions entre personnes. Dans la vision du monde c’est pas mal le cas aussi (le couple comme « relation prioritaire » sur les amitiés), mais moins que dans la loi quand même.

Intéressant, mais mériterait d’être encore approfondi comme sujet.

A City on Mars, de Kelly et Zach Weinersmith

Essai scientifique publié en 2023. Les auteurices expliquent qu’au regard des évolutions récentes du coût des lancements spatiaux, les rêves d’expansion spatiales sont devenus largement plus réalistes. Ils ont en conséquence voulu écrire un livre sur les points techniques que ça pouvait impliquer, mais en creusant, ils se sont rendus compte que les infos qu’ils espéraient trouver n’existaient principalement pas, et ils sont surtout devenus beaucoup moins convaincu que l’expansion spatiale de l’Humanité était une bonne idée.

Dans le préambule ils passent en revue les arguments classiques en faveur de l’expansion spatiale et concluent que seuls deux d’entre eux sont réellement valides : celui en faveur de la survie sur le long terme de l’Humanité (mais la survie sur le court terme n’est en rien aidé par l’expansion spatiale, qui pour permettre des habitats autoportés demandera des siècles) et l’argument de « because we can » (qui est valable mais pas très basé moralement).

Les auteurices passent ensuite en revue les connaissances sur la vie hors de la gravité et la magnétosphère terrestres : globalement elles sont très éparses et ne couvrent que des gens qui sont resté sur des périodes courtes en orbite, pas des années, et encore moins des gens qui sont nés et ont grandi en orbite. Les radiations sont un problème, la perte osseuse et musculaire est un problème, les compétences pour faire des opérations médicales mêmes simples en microgravité sont quasi non existantes, le comportement des fluides dans le corps en orbite conduite à une perte de vue. Pour une colonie qui s’autogère, on a globalement l’idée qu’il est possible de faire du sexe dans l’espace (et des FIV seraient possibles aussi), mais la question de la grossesse et de l’accouchement est totalement un mystère : une des solutions envisagées serait de mettre les femmes enceintes dans des centrifugeuses pour 9 mois pour reproduire la gravité terrestre (pas sûr que ça enthousiasme beaucoup les femmes enceintes en question).

Gros manque de données aussi sur les risques psychologiques liés à l’espace : pas de données sur des séjours longs toujours, et en plus les astronautes ont fortement intérêt à cacher leurs pbs mentaux pour ne pas être exclu.es des vols. Cependant, rien pour le moment qui laisse penser qu’il y aurait des problèmes différents de ceux qu’on a sur Terre, mais ceux qu’on a sur Terre nécessitent des professionnels pour les traiter, voire des médicaments, et ça implique d’avoir une masse critique de personnes sur place et une chaine de prod (ou d’approvisionnement régulier) de médicaments.

En termes de systèmes fermés permettant la vie humaine, des expériences ont été menées sur terre (notamment Biosphère 2) qui n’ont pas été très conclusives dans un sens ou dans l’autre : l’expérience a pu être menée à terme sans être interrompue, mais les participant.es étaient affamés et devaient travailler 8h/jour 6jours/7 pour produire la nourriture : pas très compatible avec les autres tâches qui seront nécessaires sur un habitat en dehors de la Terre. Des économies d’échelles sont réalisables avec un habitat plus gros, mais pas prouvées pour le moment dans un cadre expérimental un peu carré.

Concernant l’énergie, les auteurs concluent que ce sera nucléaire ou rien (pas de fossiles sur les autres planètes, vent très faible, solaire trop intermittent (lune) ou trop faible (mars). Pour l’habitat lui-même, la solution idéale semble être les lava tubes (des tubes creusés par la lave qui a fait des parois et laissé un espace vide au centre), pour autant qu’une cité souterraine puisse être qualifiée d’idéale, mais règle le problème des radiations, des variations de température et des régolithes abrasifs. Sinon, habitats possibles divisés en 3 classes : apporté tel quel dans un vaisseau spatial, assemblé depuis des éléments apportés par un vaisseau, construit avec des matériaux sur place. Dans tous les cas, besoin d’une couche isolante rajoutée pour se protéger des radiations (défléchies par la magnétosphère sur Terre), très probablement en régolithe vu l’abondance du matériau (faisable aussi avec les réserves d’eau).

Arguments pour et contre installer une colonie sur la Lune :

  • proche de la Terre, possible de s’installer dans des lava tubes à moindre frais, faible gravité qui facilite fortement les lancements.
  • toute petite zone réellement intéressante (cratères aux pôles avec du jour perpétuel sur la bordure pour avoir de l’énergie solaire, et de la nuit perpétuelle au fond pour espérer avoir de la glace) qui risque de mener à des tensions pour se l’approprier, très peu de ressources sur place (pas de carbone, l’helium 3 est en réalité pas du tout rentable à exploiter, stock de glace même dans les cratères très très limité), couvert de régolithe statiquement chargé et ultra abrasif qui flingue tout en surface

Arguments pour et contre une colonie sur Mars :

  • Une gravité proche de la Terre qui limitera probablement les problèmes de santé afférents (mais pas celle de la Terre, donc pas 0 risque), du carbone, de l’hydrogène et de l’oxygène facilement obtenable dans l’atmosphère, ainsi que de l’eau sous forme de glace, des températures sur certaines zones qui se rapprochent de celles de la Terre (mais pas partout ni tout le temps)
  • des régolithes comme sur la Lune mais en plus ils sont toxiques parce que plein de perchlorates, la distance au Soleil fait que les panneaux solaires sont moins efficaces (sans mentionner les tempêtes de poussière toxique à l’échelle planétaire). La distance à la Terre implique une d’être fortement autonome sinon tout incident sera mortel.

Les auteurices s’attardent pendant la seconde moitié du livre sur les lois et traités internationaux relatifs aux activités dans l’espace : globalement actuellement, l’Outer Space Treaty (OST) interdit de saisir des territoires (donc les installations ne peuvent être que temporaires) et d’exploiter des ressources. L’espace est vu comme un commun de l’Humanité, avec des règles d’usage très restrictives. Il n’est donc pas possible dans le cadre légal actuel de créer des États outre-spatiaux indépendants, ni que les États actuels colonisent l’espace. Pour eux, cet état de fait n’est pas un problème en soi : à l’heure actuelle, une expansion territoriale dans l’espace pose largement plus de problèmes qu’elle n’en résout, et comme vu dans la partie 1, toutes les questions de comment faire fonctionner une installation humaine permanente dans l’espace ne sont pas du tout résolues. Mais le cadre légal empêche aussi formellement de mener les expériences qui permettraient de résoudre ces questions. Pour les auteurices, rapprocher la gouvernance de l’espace de celle de l’Antarctique (qui est aussi un commun à l’heure actuelle) serait un progrès (mais que ça a déjà été tenté avec la proposition de Moon Agreement de 1979, rejeté parce que les US et l’URSS n’étaient pas ok avec ce que ça impliquait en termes de répartition des coûts et bénéfices. Les auteurices notent que la question de la loi est souvent ignorée par les personnes militant pour l’installation de bases spatiales, qui considère que c’est une technicalité qui s’effacera devant l’awesomeness de l’expansion spatiale, mais que la réalité est que les lois internationales sont tout à fait liantes et lentes à être changées.

Enfin, ils reviennent sur les deux arguments du début et note qu’en l’état actuel des choses, avoir des installations humaines hors de la Terre est un facteur aggravant des tensions géopolitiques actuelles : non seulement la question d’un cadre légal permettant leur existence sans que des États se sentent lésés n’est pas réglés, la possibilité de balancer des astéroïdes sur la Terre est un peu préoccupante, et surtout avoir des populations humaines dans des puits de gravité différents garantis que si on balance une arme chimique/bactériologique/nucléaire sur l’autre puits de gravité on n’a aucun risque de se prendre des retombées de sa propre arme dessus, ce qui est un argument de moins pour ne pas utiliser ce genre d’armes atroces.

Bref, les auteurices notent qu’en l’état actuel des choses, iels considèrent qu’il faut faire largement plus de recherche sur la vie dans l’espace, changer le cadre légal, plus généralement pacifier la Terre (et essayer de ne pas la flinguer environnementalement, ce que la recherche sur les écosystèmes nécessaires pour l’établissement des colonies spatiales aidera à faire) et adopter une stratégie de « Wait and go big » plutôt que de vouloir envoyer des gens dans l’espace tout de suite. Iels notent au passage que la stratégie « Wait and do nothing » fonctionne aussi : s’iels aiment l’idée de l’expansion spatiale sur le papier, iels sont persuadé.es à la fin de leur recherche qu’elle n’apportera aucun bénéfice de court ni moyen termes à l’Humanité.

Je recommande, c’était une lecture fort intéressante et facile d’accès sur le sujet.

La Coureuse, de Maïa Mazaurette

Roman français paru en 2012. Je l’avais lu à sa sortie et je voulais savoir si je le gardais dans ma bibliothèque vu que je n’en avais pas beaucoup de souvenir. Globalement, l’histoire raconte une année de relation entre Maïa, française et pigiste qui rédige la chronique sexologie de magazines, et Morten, entrepreneur danois qui gagne beaucoup beaucoup d’argent. Maïa a tendance à passer de relation en relation, Morten sait toujours ce qu’il veut et considère que puisqu’il a choisi d’être en couple avec Maïa c’est forcément le bon choix et qu’ils passeront leur vie ensemble. Il est contrôleur, fait dans le negging, bref c’est un connard mais il est beau et incroyablement riche. En fait on est sur un bouquin de romance très très classique, la seule différence étant que Maïa considère avoir pas mal d’agency et d’expérience. Ok, mais elle est aussi amoureuse, séduite par le luxe, donc on renverse pas trop les schémas non plus. Ça se lit bien mais ça n’a rien d’extraordinaire.

La vie sexuelle des cannibales, de Marteen Troost

Récit de voyage paru en 2004. Dans les années 90, Marteen Troost, un vingtenaire étatsunien, suit sa compagne qui a accepté le poste de directrice du FSP (un programme d’aide au développement) aux îles Kiribati. Attirés tous les deux par l’idée de vivre dans un paradis tropical, ils vont au cours de leurs deux années sur place découvrir la réalité de la vie insulaire dans un pays particulièrement pauvre. Au delà des attendus sur l’électricité sporadique et l’approvisionnement épisodique en denrées venant du monde extérieur, c’est l’absence de tout à l’égout, de traitement des déchets, de nourriture fraîche autre que du poisson (potentiellement contaminé par les eaux usées), et d’eeau si la sécheresse dure trop longtemps qui vont se faire sentir. Troost raconte sa vie sur place dans un style pince-sans-rire, et un quotidien où en tant qu’homme au foyer il occupe ses journées à trouver du poisson comestible, l’inspiration pour un roman qu’il n’écrira jamais, ou la bonne façon de bodyboarder une vague sans attirer un requin. Le récit est entrecoupé d’info sur l’Histoire des Kiribati et leurs relations avec les autres pays océaniens.

C’est un récit de voyage moderne assez réussi et qui se lit bien. Une sorte d’anti-récit de voyage vu que tout épique en est absent, je recommande si vous aimez ce style de récit.

Le Soin des choses, de Jérôme Denis et David Pontille

Essai sur la maintenance, d’un point de vue à la fois pratique et philosophique, publié en 2022.

Historiquement, la maintenance s’oppose à la valorisation historique du jetable comme une source de croissance et de diminution de la charge mentale. Enjeux de propriété intellectuelle sur la réparabilité des objets. Elle s’oppose aussi aux discours sur la disruption et l’innovation technique comme moteurs du progrès : les innovations le sont possibles qu’en s’appuyant sur des technologies et infrastructures préexistantes et maintenues dans un état fonctionnel : c’est cette maintenance de l’existant qui permet de construire du nouveau. La maintenance s’oppose aussi à la réparation : la réparation propose un récit d’une remise en état, d’un retour au status quo du fonctionnel, avec une intervention humaine ponctuelle. La maintenance est à l’inverse la perpétuation du présent : pas de tension narrative de la remise en état, et un travail de l’ombre, cyclique. Elle fait aussi disparaitre l’idée d’un état normal fonctionnel des choses : les choses ont différents états qui sont toujours dans un état d’usure variable et évolutif.
La perception habituelle des objets les conçoit comme « cristallisés », ie comme un objet qui forme un tout fonctionnel et immuable, alors que la réalité est que les objets utilisés par les humain.es sont formés de différents composants et matériaux qui interagissent au long de leur vie, s’usent, se modifient. Le point de vue de la maintenance est une vision éclatée et évolutive des objets. L’idée de l’objet cristallisé se rapproche de l’idée de la personne autonome : dans la réalité, humain.es comme objets nécessitent un travail de care : sont dans des relations auxquelles iels participent activement et qui leur permettent de fluctuer entre différents états.

Les auteurs identifient quatre grands types de maintenance :

  • La prolongation, la plus classique, qui consiste a étendre au jour le jour la fonctionnalité d’un objet. Pas d’horizon temporel précis en tête. Certaines caractéristiques peuvent être sacrifiées (la forme à la fonction, des fonctions annexes à la fonction principale : réparation d’une voiture en mettant une pièce de carrosserie d’une autre couleur, scotch pour faire tenir le câble d’un vélo, court-circuitage d’un interrupteur non fonctionnel…)
  • La permanence, vise à l’immuabilité d’un objet sur le temps long (exemple des enjeux mémoriels du corps de Lénine ou du village d’Oradour-sur-Glane, mais aussi le système signalétique du métro parisien) : beaucoup d’actes de maintenance suivant un protocole strict, beaucoup d’actions nécessaire pour que l’objet ne bouge pas. Maintien de la forme de l’objet ou de certaines caractéristiques, en sacrifiant les autres pour cet objectif.
  • Le ralentissement considère l’objet comme très peu modifiable parce que la question de son authenticité/intégrité est prééminente (œuvre d’art par ex) et voué inévitablement à la disparition, mais tente de tout faire pour la ralentir : contrôle de l’environnement et petites modifications (support pour éviter que des fissures ne s’agrandissent sur une œuvre d’art). Peut y avoir une tension usage/muséification et des divergences d’opinions sur ce qui constitue une modification acceptable : ce qui serait de la maintenance pour certain.es serait de la dégradation pour d’autres.
  • L’obstination va dans le sens opposé aux autres formes de maintenance : les objets durent plus que prévus initialement (une sonde spatiale, le rover Curiosity, des déchets radioactifs) et se posent la question de comment les humain.es le gèrent alors que ce n’était initialement pas prévu, avec souvent des budgets qui deviennent contraints. Plus généralement, question de quels objets méritent ou nécessitent d’être maintenus et quelles caractéristiques de ces objets : si pour un vélo c’est une question personnelle de l’énergie que l’on veut mettre dedans et de si la maintenance globale du vélo c’est la maintenance pièce à pièce ou le remplacement des pièces en bloc, la question se pose aussi à l’échelle collective avec les infrastructures héritées du développement passé : pipelines, centrales nucléaires, réseaux énergétiques…

Je recommande fortement.

Les Aiguilles d’Or, de Michael McDowell

Roman étatsunien de 1980. Durant l’année 1882, on suit la lutte entre deux familles newyorkaises.
D’un côté d’influents républicains, les Stallworth, bien décidés à gagner encore en influence en mettant en scène leur croisade contre le crime et le vice.
De l’autre les Shanks, famille des bas-fonds qui vie de diverses combines criminelles (avortement, recel, vol à la tire…), se retrouve pointée du doigt par les Stallworth et organise leur contre-attaque.
C’est un bon pageturner, avec une très jolie couverture pour la VF, mais c’est loin d’être inoubliable, l’histoire d’affrontement et de manigances est assez classique, et l’écriture est blanche.

Féminicène, de Véra Nikolski

Essai antiféministe paru en 2023. C’était … intéressant à lire. C’était mauvais, hein, mais édifiant. Globalement, l’ouvrage part avec une thèse intéressante : le progrès technique a permis une élévation incroyable du niveau de vie de tous les humain.es, et encore plus de ceux vivant dans les société occidentales, qu’on a totalement occulté parce que l’on vit dedans. Cette progression des conditions de vie a encore plus bénéficié aux femmes qu’aux hommes parce qu’elle a permis de gommer les fondations de l’inégalité H/F.

Pour l’autrice, qui insiste sur le fait que naturel ne veut pas dire moralement juste, il y a bien une fondation originelle à cette inégalité : le dimorphisme sexuel notamment en termes de force physique moyenne et le handicap temporaire que sont la gestation et l’allaitement ont conduit à une spécialisation sexuée des rôles, qui a ensuite été rétrojustifiée en raisons morales et religieuses, et étendues à toutes les femmes en tant que groupe sans tenir compte des différences individuelles. Je suis pas très convaincu par le besoin d’un dimorphisme originel pour avoir une brisure de symétrie, mais soit. Le passage à des sociétés agricoles avec des grossesses potentiellement plus rapprochées (variation sur l’apport calorique) mais plus de mortalité infantile (conditions de vie) a encore aggravé cette différence entre les sexes et empiré la position féminine.

Là dessus arrive la révolution industrielle et la mécanisation, qui permette de faire disparaitre le besoin de force physique dans l’agriculture, dans l’industrie, et crée un secteur des services où elle n’a jamais été nécessaire. Décollage aussi de la médecine, avec l’asepsie, les antibios : effondrement de la mortalité infantile, puis techniques de contrôle des naissances (qui pour l’autrice sont la cerise sur le gâteau mais bien moins cruciales que la baisse de la mortalité infantile et des risques liés à l’accouchement), et financement collectif du système de santé et d’éducation (école, modes de garde, hôpital public). Dans notre monde dopé à l’énergie abondante, toutes les raisons qui pouvait expliquer historiquement (selon l’autrice) une différence de rôle H/F ont été supprimées par la technique. Ce serait ce phénomène selon elle, et non pas les combats féministes, qui expliquent les progrès de la cause des femmes dans le monde (elle concède que c’est pas le cas partout, même dans des pays industrialisés comme l’Arabie Saoudite, mais c’est selon elle 1/une survivance de l’ancien système et 2/ le poids de la religion).

Mais du coup, dans un monde qui voit arriver une triple crise climatique/des ressources/de l’antibiorésistance qui risque de gommer ces progrès techniques, sera-t-il possible de préserver le progrès social ? L’autrice note qu’on ne va pas avoir le retour au moyen-Âge : les connaissances, notamment en termes de médecine, ne vont pas disparaitre. Mais il y a un risque réel, et les débats actuels du féminisme ne se focaliseraient pas sur ce risque mais sur des combats juridiques/législatifs qui ne serviront à rien si l’État de droit disparait. Pour elle le féminisme devrait pousser les femmes à investir les domaines techniques pour pérenniser les techniques qui sous-tendraient leur émancipation.

Ça, c’était la partie intéressante de l’ouvrage. C’est une thèse avec des éléments pertinents, je suis pas d’accord avec tout, mais ça pose des sujets intéressants. Mais c’est noyé dans des attaques totalement gratuites sur le mouvement féministe actuel, et l’autrice n’a pas peur de nous ressortir tous les poncifs du genre, dans une magnifique bingo de droite : les féministes se trompent de combat, desservent la cause, ne s’intéressent qu’au point médian et à la dénonciation de doléances individuelles et n’incitent pas les femmes à s’engager dans les sciences dures (ah). On a le marqueur ultime de la droitardise recuite : un nombre hallucinant d’ad hominem sur Sandrine Rousseau. Parmi les affirmations gratuites, visiblement les féministes actuelles ne se préoccupent pas de santé (toutes les personnes bossant à ou soutenant le Planning Familial apprécieront), et personne ne fait le lien entre changement climatique et féminisme (deux lignes plus loin elle cite un rapport de l’ONU sur le sujet). Et puis les féministes ne connaissent pas le nom de l’inventeur de l’asepsie alors qu’il a tant fait pour les femmes (je gage que l’autrice ne le connaissait pas non plus avant de le googler pour l’écriture du livre). C’est quand même tout à fait dommage de gâcher un propos de fond qui gagnerait à être effectivement débattu par autant d’attaques complétement gratuites.

Pour en revenir au fond, j’ai l’impression que même si la thèse est intéressante, l’autrice mélange un peu trop progrès relatif et progrès absolu : oui les femmes ont beaucoup gagné aux progrès de la médecine depuis le Moyen-Âge. Les hommes aussi. Peut-être que les femmes comparativement un petit peu plus, mais je ne vois bien en quoi ce serait pour autant la tâche des féministes en particulier de sauvegarder les acquis de la médecine plus que de n’importe quel humain.e. De plus, si un monde instable va effectivement affecter les femmes encore plus que les hommes, l’enjeu n’est pas tant pour moi de sauvegarder la flamme de la civilisation dans la tempête (mais je suis pas surpris de cette vision décliniste de la part d’une personne de droite) que de réfléchir à une décroissance planifiée et socialement juste pour que la baisse de conso des ressources amène à perdre les voyages en avion plutôt que le système hospitalier. Bref, l’argument de la crise climatique sert surtout à dire que les féministes se trompent de combat et ferait mieux de devenir physicienne et militaire plutôt que de réclamer sans cesse. Dommage, parce qu’il y a un vrai sujet de comment aller vers un monde à +2°C qui reste le plus juste possible, mais la première étape n’est pas de taper sur le féminisme.

Rosie Carpe, de Marie Ndiaye

Roman français de 2001. Rose-Marie Carpe grandit à Brive-la-Gaillarde, dans une famille sans amour. Elle monte à Paris pour ses études avec son frère, les abandonne, va travailler dans un hôtel à Antony. Elle couche avec le manager assistant, a un enfant, retrouve son frère, part le rejoindre en Guadeloupe. Pendant ce temps elle est dissocié, comme à côté d’elle même, spectatrice de sa propre vie.

C’est un roman assez déprimant, les personnages sont globalement tous infects (sauf Lagrand, mais qui n’est quand même pas incroyable) et veules, surtout la protagoniste principale (il lui arrive plein de merdes mais elle est aussi horrible elle-même). Mais c’est bien écrit et prenant (alors qu’il ne se passe pourtant pas grand chose).