Archives de catégorie : Arbres morts ou encre électronique

Trilogie Les Mystères de Larispem, de Lucie Pierrat-Pajot

Tome III : L’Élixir Ultime
La conclusion de la série. Assez classique dans son déroulement, pas de grandes révélations dans ce tome mais une conclusion satisfaisante à l’histoire. J’ai apprécié que globalement les personnages soient nuancés : on a assez peu de méchants très méchants pour le plaisir de la méchanceté, on comprend les motivations des uns et des autres. Du point de vue géopolitique, les questions intéressantes soulevées par le tome II sont par contre malheureusement mises de côté.
Une bonne trilogie dans l’ensemble, une excellente oeuvre de littérature jeunesse.

Tome II : Les Jeux du Siècle
Je l’ai préféré au tome I : j’étais davantage dans l’histoire, il y’avait moins d’exposition, les personnages interagissent beaucoup plus et du coup leurs différents points de vue sont plus que des histoires parallèles… Bref c’était très bien, y’a notamment une légère intrigue politique qui est plutôt intéressante, avec la question de la survie possible d’une Cité-Etat en environnement hostile, du risque de recréer une nouvelle classe dominante…

Petit bémol sur une révélation sur la fin du roman qui est un peu cheap (à la Star Wars, tous les personnages important ont des liens familiaux). Globalement j’ai hâte de lire le III.

Tome I : Le Sang n’oublie jamais
Premier tome d’une série jeunesse qui se passe dans une uchronie steampunk où la Commune a gagné, avec des héroïnes badasses, de l’argot louchebem, du féminisme, de la magie. What’s not to like?

A boy with a scar, de dirgewithoutmusic

Une série de fanfictions autour d’Harry Potter, partant à chaque fois d’un point de divergence :
Et si la prophétie parlait d’Hermione ?
Et si la tante Pétunia avait élevé Harry comme un fils ?
Et si Dudley était un sorcier ?

Etc…

Globalement c’est fort bien écrit et c’est très intéressant à lire en connaissant déjà le matériau-source. L’autrice décale le point de vue : au lieu de suivre Harry Potter, gamin ébahi qui découvre peu à peu un monde insoupçonné, on suit la vie de l’ensemble des personnages qui interviennent dans la série, des personnages qui comme le lecteur de la fanfic connaissent déjà les tenants et aboutissants de ce monde. Au vu de ce que raconte la série des HP (une guerre contre le fascisme étalée sur 2 générations), je pense que ce point de vue est largement plus intéressant. Mais il nécessite d’en être passé par la découverte du monde par l’intermédiaire d’Harry pour être suivi facilement.

Par ailleurs dirgewithoutmusic se concentre je trouve largement plus que JKR sur les sentiments des personnages, l’effet de long terme des événements et notamment des décès de leurs êtres chers (là aussi, c’est largement plus facile à faire une fois que le boulot de description du monde et les scènes d’action ont déjà été écrites, mais je pense que JKR pêche quand même beaucoup sur cet aspect, ça aurait pu être largement plus présent dans son oeuvre originale).

L’aspect whatif/uchronie est fort intéressant aussi dans le fait qu’il permet dans le style de se référer au texte originel : pour certaines fics, on a un jeu avec une anaphore, de nombreux paragraphes commençant par « The story went different » ou « The story went the same », et les variations entre. L’effet d’accumulation provenant du fair de lire toutes les fics à la suite permet aussi de dégager des motifs, des comportements de personnages ou des événements de l’histoire considère comme des invariants : si la mère d’Harry survit, elle devient une Auror, si son père survit il devient prof particulier de Quidditch. La guerre finit toujours sur une bataille à Poudlard.

Personnellement j’ai beaucoup aimé l’attention portée dans l’écriture à processus de deuils et aux relations entre les adultes, notamment les maraudeurs, que je trouve super bien caractérisés. J’ai beaucoup aimé aussi l’attention portée au doute, à la peur d’échouer, que ce soit celle de l’Élu.e. de la Prophétie (la version où c’est Ron, les deux versions où c’est Neville sont vachement bien de ce point de vue). Le doute des adultes sur leur capacité à élever des enfants, à adapter leur vie à la perte, aux circonstances imprévues. Les personnages féminins enfin, sont vachement bien. Hermione, évidemment, mais Hermione était déjà réussie dans la version originelle, mais aussi Ginny, notamment les motifs autour de sa possession par Voldemort dans le tome 2, son rapport à sa famille. Et beaucoup de personnages féminins d’arrière plan qui sont assez unidimensionnels dans la VO, les Griffondores notamment, Lavender, Padma et Pavarti…

Grosse recommandation

Debout-payé, de Gauz

Un court roman sur les vigiles parisiens depuis 1970 et sur comment ces postes et le secteur privé de la sécurité sont liés à l’immigration depuis les pays africains. La narration oscille entre le parcours de plusieurs immigrés, leurs jobs dans le secteur de la sécurité, leurs galères pour obtenir des papiers, les variations de politiques concernant le secteur (avant le 11/09, il y avait plein de boîtes de sous-traitances tenues par la diaspora ivoirienne qui géraient la sécurité non-sensible (gardiennage de bâtiments abandonnés, vigiles dans les magasins), avec des réseaux informels et des retours d’ascenseur. Au 11/09, brusque tour de vis sur la réglementation, et globalement toutes les petites boîtes ont coulé. De nouvelles ont émergé, avec toujours des vigiles noirs, mais cette fois-ci des patrons blancs, jusque dans la sous-traitance.

En plus de ces parties intéressantes, il y avait aussi des parties du livre sous forme d’énumération de définition de termes ou concepts spécifique au secteur, mais qui tournent surtout au jeu de mots facile. Ça n’apportait pas grand chose au roman, qui était déjà assez court et qui aurait gagné à étoffer le reste. Le bouquin vaut quand même le coup dans l’ensemble ; je lirai le suivant du même auteur, sorti cette année. 

Manifeste Négawatt, de l’association éponyme.

Essai sur une trajectoire potentielle de transition énergétique pour la France à l’échelle 2050, visant à sortir conjointement du nucléaire et très largement des énergies fossiles, avec pour axe principal une réduction de la consommation d’énergie. Le livre balaie tous les domaines de consommation et de production d’énergie, en mettant en avant des principes de sobriété, décarbonation, subsidiarité de la décision. Le manifeste s’appuie à un scénario simulant la consommation énergétique française heure par heure jusqu’en 2050, considère les différents types d’énergie et leurs usages, les questions de perte en ligne, de fiscalité et taxation incitative, d’indépendance énergétique…

C’est intéressant, fort complet, et une excellente base de réflexion. Je vais essayer de lire ausi le scénario Afterres 2050, sur l’usage des sols en France en 2050, construit avec le même genre de démarche.

Steampunk World, édité par Sarah Hans

Recueil de nouvelles steampunk. Une introduction au début du recueil explique la démarche : il s’agit de faire sortir le steampunk du monde occidental (et de la période de la révolution industrielle) pour voir comment les éléments constitutifs s’adaptent à d’autres contextes historiques.
Et ça marche ma foi assez bien. Toutes les nouvelles ne sont pas du même niveau, mais il y en a de très cools dont on voudrait bien voir les univers étendus, notamment celle qui raconte le mélange du steamkraft inventé en Prusse avec les traditions de l’empire Ottoman, celle au Siam, celle avec l’enquêtrice néo-zélandaise du Bureau des Phénomènes Inhabituels de la Couronne Britannique. 

Le Sommet des Dieux, de Jiro Taniguchi

Manga en 5 tomes qui met en parallèle trois histoires, celles de trois ascensions de l’Everest : celle de Mallory et Irvine, ascension réelle, la première qui a peut-être atteint le sommet (mais on ne sait pas, les deux alpinistes sont morts avant de revenir à leur camp, mais avant ou après avoir atteint le sommet ?), et deux ascensions imaginaires, celle d’Habu, alpiniste japonais hors pair qui vit par et pour la montagne, et celle de Fukamachi, photographe qui commence par enquêter sur l’appareil photo de Mallory, croise le chemin d’Habu, décide d’en savoir plus sur lui et finalement se retrouve possédé par l’alpinisme aussi. Le manga raconte les vies d’Habu et Fukamachi, leurs différentes ascensions à travers le monde et leur relation, ainsi que celle d’Habu à Hase, un autre alpiniste japonais.

L’histoire est assez simple (« c’est l’histoire de mecs qui veulent atteindre le plus haut point du monde ») mais prenante, la narration bien pensée, et surtout le dessin (des montagnes, surtout) très beau, plongeant bien le.a lecteurice dans l’histoire. Les femmes servent d’intérêt amoureux uniquement par contre, c’est une histoire à la Hemingway pour ça, très sympa dans le côté « Man vs Wild » mais des côtés machos pas géniaux.

Ne suis-je pas une femme ?, de bell hooks

Essai afro-féministe de 1981. bell hooks analyse comment le racisme et le sexisme s’entrecroisent dans la vie des femmes noires aux États-Unis, pour générer une forme d’oppression spécifique aux femmes noires : elles ne subissent pas les mêmes oppressions racistes que les hommes noirs d’un côté et les mêmes oppressions sexistes que les femmes blanches de l’autre : elles sont en prise avec des stéréotypes, des violences qui leur sont propres. Par exemple pendant la période de l’esclavage, il y avait des violences sexuelles envers les femmes noires qui étaient considérées comme des corps à disposition des hommes blancs (amplifié par le fait que leurs enfants naissant esclaves, c’était avantageux pour les propriétaires…), leur valant l’hostilité des femmes blanches, les considérant comme sexuellement permissives, plutôt que de faire preuve de solidarité féminine.
bell hooks montre aussi que la prétention à l’universalisme des mouvements féministes initiés par des femmes blanches et bourgeoises qui prétendent parler au nom de toutes les femmes masque en fait un discours très situé socialement, et qui refuse (dans la plupart des cas) de prendre en compte d’autres problèmes que ceux de ces initiatrices (tout en se lamentant de ne pas réussir à intéresser d’autres groupes sociaux). Par exemple, la réclamation à l’accès au travail à certaines époques était en fait une réclamation de l’accès pour les femmes bourgeoises aux postes de direction : ça faisait longtemps que les femmes noires et des classes populaires travaillaient en usine sans se sentir particulièrement libérées par cet accès égalitaire aux emplois du bas de l’échelle sociale (par contre on retrouvait en plus du racisme dnas ces emplois, avec des vestiaires réservés aux blanches par exemple).

Un peu daté par certains aspects et focalisé sur les USA, mais très intéressant et très accessible, je recommande.

Vongozero et Le Lac, de Yana Vagner

04/11/2017, Vongozero :
Un roman de science-fiction post-apocalyptique russe. Une épidémie ravage le monde. Une petite bande de banlieusard moscovites tente de rejoindre un lac perdu dans le Grand Nord qu’ils espèrent assez isolé pour pouvoir survivre.

Comme c’est de la littérature russe, tout le monde boit comme un trou. C’est intéressant parce que leurs plus gros problèmes c’est les autres humains (classique) et le froid/la neige. C’est assez sombre, mais ça change de la SF américaine, c’est cool. Après c’est sympa mais pas incroyable, assez terre à terre dans la description du road-trip. Je lirai bien le tome 2 (une fois qu’ils sont arrivés au lac) si j’arrive à le trouver en poche.

20/09/2018, Le Lac :
J’ai donc trouvé le tome 2 en .epub. Comment survivre en plein hiver en Carélie quand on est dans une cabane de pèche sur un lac gelé, sans carburant ni électricité, et qu’on est 11 citadin.e.s moscovites dont 2 enfants, sans expérience de la nature ? Le roman commence juste à la fin du tome précédent, avec l’arrivée dans la cabane de pèche, et raconte comment passent l’hiver, le printemps et l’été. L’épidémie est toujours une menace lointaine, mais le manque de nourriture est une préoccupation bien plus immédiate. Quelques interactions avec d’autres survivants, la difficulté de vivre les un.e.s sur les autres… Je pense que j’ai préféré au tome 1. Il y avait une interview de l’autrice à la fin du livre, où elle disait qu’elle était très contente que la trad française ait réussi à conserver le côté phrases interminables mais fluide à lire qu’elle avait utilisé pour restituer le monologue intérieur de la narratrice, et effectivement ça se lit très bien et on a bien l’impression d’être dans la tête d’Anna.

Tuer Jupiter, de François Médeline

Un polar de politique-fiction. Le livre s’ouvre sur la panthéonisation d’Emmanuel Macron suite à son assassinat. Puis, chaque chapitre remonte dans le temps pour montrer comment on en est arrivé là. Ça commence bien, les premières scènes sont intéressantes, puis ça se perd en route. Déjà par un manque flagrant de politique (y’a pas d’intérêts contradictoires et de lobby d’influence, t’as juste des gens puissants qui décident des trucs.) t puis bon parce qu’en dehors de l’habillage politique-fiction, avec la reprise des noms des personnages connus de la politique actuelle, l’histoire n’a pas un très grand intérêt. Du coup ça marche bien sur les scènes d’émotion nationale du début, moins quand on rentre dans les détails du plan.

De quoi TOTAL est-elle la somme ?, d’Alain Deneault

Multinationales et perversion du droit.

Un livre qui retrace l’Histoire de TOTAL, depuis la fondation de la CPF par l’État français jusqu’à la période actuelle, pour la prendre comme exemple de comment les multinationales se jouent des droits nationaux en utilisant leur présence internationale, au point d’échapper quasi-totalement à toutes les lois et juridictions, tout en développant leur propre vision et application du droit.

C’est dense mais très documenté, très intéressant et un peu flippant. Pour le dire à gros traits, Total hérite de la CPF l’insertion dans des trusts pétroliers, le fonctionnement en oligopole et les ententes entre compagnies sur les prix, et d’Elf l’insertion dans les tous les réseaux d’influence de la Françafrique, Elf ayant représenté à une époque une diplomatie parallèle de la France, avec une confusion des genres assez incroyable (c’est assez révoltant ce qui s’est passé en terme d’asservissement des pays et parodie d’indépendance dans la Françafrique, mais l’histoire d’Elf là dedans ferait une série télé incroyable). Total dit avoir laissé toutes ces pratiques derrière elle, mais sa puissance actuelle est bâti sur les bénéfices qu’elle en a retiré, et l’expertise qui s’est constitué dans la compagnie dans ces domaines n’a pas disparu du jour au lendemain, même si on accepte de les croire sur le fait qu’elle n’est plus directement employée.

Par ailleurs, ce qui continue de façon certaine c’est les pratiques d’optimisation fiscale par les filiales dans des paradis fiscaux, (l’ancien PDG De Margerie ayant même déclaré que TOTAL estimait le taux d’impôt qu’elle devait payer localement pour que ses activités ne rencontrent pas une trop grande contestation et se l’appliquait ! That’s not how taxes are supposed to work.), l’appui sur la puissance française quand ça arrange la firme, y compris pour des interventions armées (Serval et Barkane ont notamment sécurisé l’accès de Total à un champ pétrolier), et la puissance de lobbying, l’armée d’avocats et l’usage des tribunaux d’arbitrage pour faire en sorte au maximum que les lois soient interprétées de la façon dont Total les interprète, voire amendées.