Archives de catégorie : Arbres morts ou encre électronique

Divergences 001, anthologie dirigée par Alain Grousset

Anthologie de nouvelles uchroniques écrites par des auteurs français (+ une republication d’une nouvelle d’un auteur britannique) pour une publication à destination d’un public jeunesse en 2008. C’est – comme souvent pour les recueils de nouvelles – assez inégal. Pas mal de nouvelles n’échappent pas à l’écueil de la surexposition ; les premières du recueil ont des points de divergence trop anciens pour être vraiment intéressant à mes yeux.

Le petit coup d’épée de Maurevert (Michel Pagel) était la meilleure pour moi, avec une narration dynamique et une divergence originale. Reich Zone (Xavier Mauméjean) réussit à être originale en partant de la divergence la plus classique possible, et rappelle un peu Ruled Britannia de Turtledove dans son idée. De la part de Staline (Roland C. Wagner) est sympa pour la divergence mais très anecdotique dans la narration. La divergence dieselpunk de L’affaire Marie Curie est sympa, la narration est dynamique, mais la nouvelle devient de moins en moins vraisemblable, hélas.

Globalement le recueil se lit vite et permet de balayer largement une variété d’uchronies, en montrant des réussites et les défauts classiques du genre ; ça en fait une excellent introduction.

Spinning Silver, de Naomi Novik

Livre de fantasy basé sur la mythologie polonaise. C’est le deuxième bouquin de Novik que je lis, après Uprooted, Et je pense que j’ai encore plus aimé. On suit l’histoire de Myriem, une prêteuse d’argent dans un village rural, qui remplace son père qui n’est pas assez froid pour faire ce métier. Le champ de l’histoire s’élargit progressivement, à la fois par l’augmentation des enjeux auxquels est confrontée Myriem, et par l’ajout progressif de d’autres narrateurices.

Cet ajout de d’autres narrateurices est très réussi je trouve, permettant de montrer au début d’autres points de vue d’une même situation qui jettent une nouvelle lumière sur les enjeux, avant de les faire partir vers d’autres événements pour faire avancer l’intrigue.

Les Staryks sont très réussis comme peuple magique, fonctionnant selon les règles des Fées, où la parole donnée lie absolument et où les noms ont du pouvoir. Toute la partie sur la maison magique était super cool aussi, j’en aurai voulu plus.

Le côté non-magique de l’univers est très réussi aussi, avec une société rigide, avec un tsar, des nobles, des boyars, des paysans, et une minorité juive toujours à risque de servir de boucs émissaires. De façon générale, gros coup de coeur sur l’univers.

Le défaut que je vois au livre est la structure des relations amoureuses, exactement la même entre elles et que celle d’Uprooted : une honnête jeune fille est appariée à une créature puissante et monstrueuse, mais découvre avec le temps qu’au fond il est bon, humain et désirable. M’ouais. Ok une fois, mais ce serait bien d’avoir d’autres types de relation.

Habiter en oiseau, de Vinciane Despret

Essai qui revient sur les notions de territoire et de relation interpersonnelles chez les oiseaux. Vinciane Despret explique quelles sont les observations scientifiques et les théories qui ont été faites sur ces concepts, détaille l’évolution des conceptions, comment les notions sont liées aux présupposés des observateurices, aux évolutions de ces notions dans les sociétés humaines, comment l’ornithologie elle-même a évolué.

L’idée principale est que la notion de territoire chez les oiseaux n’a pas un côté propriété permanente comme chez les humain.e.s. Les oiseaux peuvent défendre un territoire, mais ponctuellement, contre certain types d’incursion et pas contre d’autre. Leur territorialité peut évoluer avec les saisons ou avec le groupe, même au sein d’une espèce. Il y a même des cas où un changement de configuration du paysage change le comportement des oiseaux : ils ne défendent plus leur territoire sur un lac qui a gelé. Ce n’est donc pas tant le lieu que ses propriétés qui les intéressent. Elle discute de ce que le territoire peut représenter pour les oiseaux : un point de rencontre sur lequel un couple s’est mis d’accord, une zone de réserve de bouffe, une zone qui permet de se faire voir pour une parade nuptiale, une zone connue dans laquelle il est facile de se cacher, ou juste… un endroit qu’ils aiment bien. Elle ne tranche pas entres les hypothèses qui de toute façon peuvent être simultanément vraies, et en proportions variables selon les espèces ou les groupes.

L’autrice parle aussi de la tension chez les oiseaux à avoir un comportement grégaire et territorial à la fois : ils cherchent un territoire mais ont tendance à les coller les uns aux autres mêmes si ce n’est pas le plus pertinent en terme de ressources. Il y a une socialité des oiseaux. Les conflits sont d’ailleurs ritualisés, et les oiseaux s’observent beaucoup les uns les autres (apprentissage ?).

Enfin l’autrice parle aussi de territoire non physique : on observe des communautés de plusieurs espèces d’oiseaux qui se répartissent les fréquences sonores et les intervalles de champ pour permettre que tout le monde soit audible. Les oiseaux utilisent aussi d’autres espèces comme points de repère : par exemple certains oiseaux se retrouvent les uns les autres en visant où il y a des hirondelles, plus facilement repérables.

Bref, c’était intéressant, ça se lit bien avec des chapitres courts, c’est un bon essai d’écologie.

Une Ombre qui marche, de Tiphaine Le Gall

Roman français sorti en 2020. L’oeuvre prend la forme d’un essai sur un roman publié en dans les années 2030 et qui révolutionne radicalement la littérature et au delà le rapport des humain.e.s au monde. Particularité de cette œuvre révolutionnaire, elle est composée de 283 pages blanches, jouant avec le blanc de la page et donnant une place centrale au silence et à la subjectivité du lecteur.

L’autrice signe une forme de parodie référencée d’analyse littéraire, comparant le texte de Timothy Grall à ses références (Montaigne, Nietzsche), à ses œuvres précédentes (L’ouverture de la porte, Ethique et Métaphysique du gros orteil droit), à sa vie en tant qu’écrivain ayant grandi dans le tumulte du début du XXIe siècle. Elle parle de l’écriture fragmentaire, de l’importance des blancs autour du texte dans les poèmes, du genre auquel rattacher un roman entièrement blanc, de la mise en avant de la matérialité de l’objet livre, et de l’impossibilité d’épuiser les interprétations. Faut avoir un penchant pour la théorie littéraire à la base mais c’est trippant à lire.

Article invité : Flipette & Vénère, de Lucrèce Andreae

Déjà, c’est une histoire de sœurs : cette BD de 340 pages d’une autrice qui est aussi réalisatrice de films d’animation partait avec une longueur d’avance dans mon cœur.

Ensuite, c’est une histoire qui incarne les atermoiements politico-existentiels qui sont les miens et ceux des milieux que je fréquente : Flipette-Clara est l’artiste intello, photographe prometteuse et/mais flippée de s’engager politiquement, découvrant avec maladresse et pas mal de narcissisme les milieux anarcho-associativo-militants que fréquente sa petite sœur, Vénère-Axelle.

Après plusieurs années d’éloignement, les deux jeunes femmes se (re)trouvent mutuellement à la faveur d’un accident d’Axelle. Clara découvre la galerie de personnages haut·es en couleurs (ce qui n’est pas qu’une expression, l’utilisation des couleurs dans la BD est travaillée de façon très frappante, avec un dessin très « clair » et pêchu qui attrape les postures, les gestes, les expressions avec beaucoup d’élégance) entourant sa frangine et confronte ses grands principes, souvent hors-sol, à la « réalité du terrain » parfois pragmatique à rebours des idéaux politiques.

Les sœurs râlent, gueulent, s’engueulent, chialent, s’aiment fort (évidemment) sans trop bien savoir comment se le dire (évidemment) ; il y aurait sans doute des choses à redire, mais ça sera pour vous qui commenterez après avoir lu cette BD que, évidemment, je recommande !

Les derniers Parfaits, de Paul Béorn

Roman de fantasy occitane. L’histoire se passe dans un univers assez sombre où la magie existe. Suite à un cataclysme qui a touché l’Empire Romain, la carte de l’Europe a été remodelée. Des siècles plus tard, l’Occitania est indépendante du royaume de France, la religion cathare y est officielle, et les légion catharis montent à l’assaut du royaume de France, aidée d’alliés surnaturels. Au milieu du conflit, un groupe de 4 prisonniers de guerre réussissent à s’évader et décident de descendre au cœur du territoire occitan…

C’était intéressant d’avoir de la fantasy avec des prémices françaises, y’a matière à. C’est de la dark fantasy, pas mon genre favori, mais c’est plutôt bien fait, l’univers est cohérent et réussi. C’est pas le bouquin de fantasy du siècle mais c’était une bonne lecture.

Potentiel du Sinistre, de Thomas Coppey

Un jeune cadre dynamique prometteur est engagé dans Le Groupe, n°2 du secteur bancaire. Intégré à une équipe de R&D pour imaginer et gérer de nouveaux produits financiers exotiques, il développe l’idée de titriser la réassurance des catastrophes naturelles. On suit sur plusieurs années son évolution dans Le Groupe, son adhérence initiale puis sa dissociation d’avec les valeurs corporate.

On sent que l’auteur a travaillé en entreprise, il rend à merveille le vocabulaire et l’ambiance corporate, la façon de parler par éléments de langage qui permettent de se raccrocher à ce qui est dicible, dans des rapports qui sont très largement hiérarchiques même si on a un vernis de cool dessus.

C’est un roman assez peu joyeux du coup, on sent bien toute la puissance du néolibéralisme qui pèse sur les personnages qui veulent dévier du credo. Mais c’est un roman réussi dans ce qu’il montre.

Century Rain, d’Alastair Reynolds

200 ans dans le futur, les humains sont divisés en deux factions, les Treshers qui limitent leur usage de la technologie, et les Slashers, qui l’embrassent sans restriction. Les premiers contrôlent le voisinage de la Terre inhabitable, les seconds un réseau de trous de vers à travers la galaxie. Alors que les relations entre les deux factions se tendent de plus en plus, promettant une nouvelle guerre dans un futur proche, les autorités Treshers recrutent une archéologue : une réplique de la Terre des années 50s – dont l’Histoire aurait divergé dans les années 30 – a été découverte dans un artefact alien gigantesque. Une planète entière déjà habitable, une découverte majeure qui pourrait changer le cours de la guerre à venir.
On suit en parallèle l’Histoire de cette archéologue envoyée infiltrer Terre-2, et celle d’un natif de ce monde, un détective privé franco-américain. Évidemment les deux vont se rencontrer et s’épauler.

J’ai bien aimé. Les codes du polar noir mis en œuvre sont intéressant, avec de brusques changements de tons suite à l’irruption de partie SF. Ca donne parfois un peu trop dans le cliché du détective dur à cuire qui tombe amoureuse de clientes mystérieuses et dangereuses mais ok. J’aurai bien voulu plus de détails sur ce monde au développement arrêté (la prémice fait un peu penser à celle de Burning Paradise, de RC Wilson). Sans être le roman de la décennie, on passe un très bon moment avec.

Dans un rayon de soleil (On a sunbeam), de Tillie Walden.

Roman graphique de 400 pages. Mia termine ses études en pensionnat et rejoint l’équipage d’un vaisseau spatial qui rénove des bâtiments. On découvre en parallèle sa vie avec l’équipage du vaisseau et ses années en pensionnat. C’est difficile d’en dire plus sans divulgacher, et ça vaut le coup de rentrer dedans sans en savoir trop. L’univers est très original, limite onirique et très clairement poétique. Ça parle d’exploration spatiale, d’Histoire, d’architecture et de rénovations, de Sentiments, de liens familiaux. Le dessin est juste magnifique. J’avais bien aimé Sur la route de West de la même autrice mais sans plus, là c’est une grosse claque, probablement ma recommandation de l’année 2020.

C.O.W.L., de Kyle Higgins

Chicago, années 60. Les super-héros existent. Ils sont regroupés dans un syndicat, la Chicago Organized Workers League, qui a un contrat avec la ville leur donnant juridiction pour intervenir contre les super-vilains, sous certaines conditions, et avec une rémunération, des horaires de travail, des primes de risque… Le dernier des grands super-vilains a été appréhendé, et la renégociation du contrat avec la Mairie est en cours, ce qui risquent d’influencer sur ses clauses – en effet, les super-héros coutent cher, en l’absence de menace la ville peut-elle vraiment se permettre un contrat si onéreux ?

J’ai beaucoup aimé. Les super-héros sont surtout un prétexte pour parler de thèmes sociaux. La ligne narrative sur l’héroïne qui n’en peut plus du sexisme ambiant qui fait qu’on la considère comme de seconde catégorie alors qu’elle est surpuissante est réussie (même si le personnage fait un peu trop de la schtroumpfette), le dessin est cool et rend bien l’atmosphère de film noir de l’histoire.