Archives par mot-clé : collapsologie

Génération Collapsonautes, d’Yves Citton et Jacopo Rasmi

Essai de 2018 sur la collapsologie. Je n’ai pas été convaincu par tout. Il y a des chapitres que j’ai trouvé très pertinents, et au milieu un ventre mou où j’étais moins convaincu par les concepts mobilisés et le fait qu’ils aient un intérêt au delà du jeu sur les mots.

Pour les parties que j’ai appréciée :

Le livre ouvre sur la remarque que le fait de parler de collapse ou d’effondrement oriente fortement les représentations : un effondrement c’est soudain. Dans Comment tout peut s’effondrer, y’a pas mal de précautions pour dire que les auteurs ne parlent pas forcément de phénomènes soudain, mais de fait avec ce terme c’est forcément ce à quoi on pense. Du coup fantasme de grand renouveau, de tabula rasa, etc. Pour les auteurs, d’autres termes auraient pu être mobilisés, comme « affaissement » ou « délitement ». On est dans des représentations plus exactes. C’est progressif, ça ne touche pas tout le monde, ça peut arriver sur des morceaux de la structure en en laissant d’autres intacts. Ça peut faciliter le fait de proposer des luttes locales contre, pour s’opposer à un effet local du délitement. C’est plus facile de dire qu’on est déjà dans le délitement de nos sociétés que dans leur effondrement, que ce délitement passe par le démantèlement des protections sociales et des services publics. Bref, ça permet d’articuler plus facilement les discours collapso avec les luttes de gauche.

Les acteurs parlent aussi de l’occidentalocentrisme du concept. L’effondrement/délitement de nos sociétés de pays du Nord est le quotidien depuis bien longtemps des pays moins dominants. Faut-il vraiment un nouveau concept pour en parler juste parce que ça nous touche nous ? Parle aussi du concept d’Anthropocène, qu’ils considèrent plus pertinent, en reprenant l’approche d’Anna Tsing et Donna Haraway, de nommer Plantacionocène : les impacts sur la planète ne sont pas dus à tou.te.s les humain.e.s de façon indifférenciée mais au système d’exploitation de l’espace, des humain.e.s, du vivant qu’est celui de la plantation : mettre en coupe réglée un milieu, pour le rendre productif, maximiser son rendement aux dépens de tous les phénomènes complexes qui s’y jouaient et de sa survie sur le long terme.
Détour aussi par l’extraction des savoirs : les luttes indigènes et locales, les savoirs produits par les marges sont récupérés par les grandes université du Nord, pour redynamiser leur cursus et leurs sujets d’études. Dans le savoir comme partout dans le libéralisme, les acteurs dominants bénéficient plus que les autres des productions de tou.te.s, même de leurs opposants (les auteurs remarquent qu’ils sont dans un tel cas avec leurs positions universitaires et l’écriture de ce bouquin).

Autre point d’intérêt : la remarque que l’Effondrement comme horizon inexorable de nos sociétés, en s’appuyant sur les courbes de l’exploitation des richesses, est un retournement du discours sur le Progrès : ce sont les mêmes chiffres qui sont mobilisés dans les deux cas mais pour appuyer un discours différent. L’Effondrement comme point de bascule serait le négatif de la Singularité dans les discours technosolutionnistes et transhumanistes. Les thèses collapso ont aussi un rapport avec la religion, dans leur façon de proposer une vérité révélée suivi par un nombre d’adeptes (ok, après c’est vrai de beaucoup de discours humains, d’avoir des points de comparaison avec un discours religieux).

Les auteurs soulèvent que parler d’Effondrement (plutôt que de Délitement) conduit à se focaliser sur des symptômes ponctuels : une sécheresse, une famine… Et à traiter ces symptômes. On est dans la réponse aux urgences, sans remettre en cause les problèmes systémiques qui les créent.

Enfin, reviennent sur le côté « les courbes montrent que l’on va dans le mur, c’est inéluctable ». Mettre en avant un côté inéluctable de l’Effondrement, c’est dire qu’il n’y a pas besoin de faire la Révolution en quelque sorte : le système s’effondrera de lui-même. On revient un peu aux thèses du jeune Marx sur le Capitalisme qui s’auto-dévore. L’Histoire a montré que c’était pas trop ça. Du coup mieux vaut lutter contre cette vision, ainsi que celle d’un Effondrement qui serait un grand Reset ponctuel qui permettrait de revenir à de meilleures valeurs précapitalisme : déjà parce que la vision d’un Âge d’Or post effondrement ça peut être affreusement réac (cf la fin de Ravage, de Barjavel), et aussi parce qu’on a un bon exemple d’effondrement dans le passé proche : l’URSS. Son délitement n’est pas allé avec la chute de l’État, au contraire c’est bien le truc qui a résisté et le délitement a touché le social. Il est donc important de lutter contre ce Délitement avec un point de vue et les outils de la Gauche, pour limiter la casse.

L’Heure de la Sortie, de Sébastien Marnier

Film français de 2018. Professeur remplaçant dans un collège privé, Pierre Hoffmann se retrouve confronté à une bande d’élève de troisième « précoces ». Toujours ultra sérieux, détachés des autres, soudés en un petit groupe, ils braquent le reste du collège mais sont encensés par l’équipe enseignante ravie de la réputation d’excellence qu’ils apportent au collège. Pierre se retrouve rapidement en conflit avec la bande qui refuse l’intervention des adultes quand l’un d’eux se fait frapper par un autre élève du lycée. Sur fond de canicule, la tension va grandissante alors que Pierre découvre des films enregistrés par la bande.

Continuer la lecture de L’Heure de la Sortie, de Sébastien Marnier

Comment tout peut s’effondrer, de Pablo Servigne et Raphaël Stevens

Essai de collapsologie publié en 2015. Les auteurs expliquent vouloir poser les bases d’un nouveau champ scientifique, la collapsologie, donc. L’idée est la suivante : la trajectoire sur laquelle est actuellement l’espèce humaine est non-soutenable, et ce à court terme. On a dépassé pas mal de limites planétaires, les rendements énergétiques sont très largement décroissants, le climat s’emballe et les écosystèmes s’effondrent. Il est certain que la fin de la civilisation thermo-industrielle est proche.

Deux points cependant :
– la « fin de la civilisation thermo-industrielle est proche » ça ne veut pas dire « la fin du monde est proche ». Il y a aura un après. Il ne va pas s’agir d’une apocalypse soudaine nous laissant dans un monde post-apo à la Mad Max, mais d’une perte graduelle de niveau de vie, qui sera ressenti d’autant plus durement dans les territoires les plus connectés à la mondialisation.
– on ne peut pas donner de date précise. D’une part parce qu’il ne va pas s’agir d’un phénomène soudain, et que ce sera sûrement appréhendable surtout a posteriori, comme souvent avec les processus ; d’autre part parce qu’il y a plein d’incertitude sur la finitude des ressources, les réponses qu’on peut donner aux crises, la résilience des écosystèmes, du climat, du système financier, des systèmes humains…
Ce qui reste cependant certain c’est qu’une sortie du modèle actuel de développement est inéluctable à l’échelle d’environ une génération.

Pourtant, on ne s’y prépare pas, c’est largement vu comme un non-sujet (même si de fait la collapsologie a gagné en traction depuis 2015). Les auteurs analysent ce phénomène à la lumière d’autres effondrement de civilisations locales : la difficulté à prévoir les changements de trajectoire, le poids des choix socio-techniques passés sur nos trajectoires présentes, la complexification des structures sociales qui les rigidifie énormément…

Le but de la collapsologie est alors de rassembler des données sur les effondrements passés, les trajectoires possibles, les réaction des sociétés, des individus, pour permettre de négocier un peu plus facilement la transition. Le champ d’étude couvrirait à la fois l’Histoire, la psychologie, la sociologie, l’écologie…

Le projet est ambitieux et intéressant, le livre n’a pas le temps de rentrer dans les détails mais pose des bases prometteuses.