Archives par mot-clé : science-fiction

Toxoplasma, de Sabrina Calvo

Roman de science-fiction/fantastique de 2016. Second roman de Calvo que je lis après Melmoth Furieux (mais qui est paru avant). On retrouve des thèmes similaires puisqu’on assiste là aussi aux derniers jours d’une Commune libertaire, ici celle de Montréal. Au milieu de la fin de l’existence de cette enclave assiégée par un pouvoir fasciste (l’autrice ne détaille pas, mais il est mention de guerres civiles dans plusieurs des Etats d’Amérique post-Trump, et d’une invasion partielle du Canada par son voisin du Sud pour le contrôle des nappes phréatiques), on suit en parallèle deux femmes :

  • Nikki, qui travaille dans un vidéoclub qui propose des VHS de films de genre (on sait pas trop pourquoi les VHS sont revenues, il y a visiblement une vague de nostalgie des 80’s mais là non plus ça n’est pas détaillé) et enquête sur les disparitions d’animaux dans son quartier.
  • Kim, hackeuse qui monte des infiltrations des réseaux corporate sur la Grille, le réseau qui a remplacé le Net à son effondrement.

Les deux femmes sortent ensemble au début du roman, mais elles vont se séparer et suivre chacune de leur côté un fil narratif à base d’événements mystérieux qui mêlent meurtres d’animaux, symboles occultes, magouille d’une corporation, passé colonial du Canada, et événements magiques qui brouillent la frontière entre réel, virtuel et onirique.

J’ai une fois de plus beaucoup aimé. L’histoire part moins dans le symbolique que dans Melmoth, même si les niveaux de réalité s’interpénètrent là aussi. L’univers est très intéressant, on ne sait pas les détails de ce qui a amené à la situation présente, mais la Commune semble réaliste, alors même que Calvo donne peu d’éléments, mais elle réussit à rendre le tout très évocateur. Le côté rétro des technologies avec la guerre VHS/Betamax et toute l’intrigue cyberpunk autour de l’infiltration des réseaux corporate est très sympa, le mix d’époque (en mêlant ça au retour trumpiste du fascisme) est réussi, et l’ajout du réalisme magique au tout fonctionne.

Bref, je recommande.

Subtil Béton, des Aggloméré·es

Dystopie française. 2040qqch, dans une France dont l’histoire a divergé durant les années 2010. Une dictature écolofasciste est au pouvoir, le dernier grand mouvement social en 2037 a été largement réprimé, les collectifs et les réseaux d’entraide survivent dans une clandestinité toujours plus compliquée. On suit en parallèle les destins d’une petite dizaine de personnes qui participent de plus ou moins près à des actions et modes de vie de résistance.

Globalement, c’était un peu déprimant. L’histoire raconte la mise en place d’une nouvelle lutte, la complexité de se battre contre un État répressif avec une pléthore de moyens, les burn-out militants, la gestion des sentiments dans les groupes affinitaires… Ça finit bien, mais pour en arriver au happy end faut se fader toute la souffrance des personnages dans cet univers avant. Alors ça se voit que c’est issu de vrais questionnements dans le cadre de luttes, et l’écriture et les points de vue choraux sont intéressants, mais en ce moment les dystopies c’est pas forcément le truc dont on a besoin collectivement.

J’ai mis un peu de temps à rentrer dedans mais au bout d’un moment l’écriture et le récit sont prenants et je l’ai fini à pas d’heure.

Village of the Damned, de Wolf Rilla

Film anglais de 1960, adapté d’une nouvelle de John Wyndham. Durant plusieurs heures, le village de Midwich en Angleterre est sous l’influence d’une force mystérieuse qui endort tous les êtres vivants. Neuf mois plus tard, durant la même nuit, une dizaine de femmes du village donnent naissance à des enfants similaires les uns aux autres, qui se développent plus rapidement que des humains, partagent un lien télépathique et peuvent lire et influencer les pensées des gens autour d’eux. L’armée anglaise surveille la situation, mais le professeur Gordon Zellaby les persuade de le laisser éduquer les enfants, convaincu qu’ils pourront apporter des découvertes scientifiques au monde, avant de réaliser que les risques sont bien trop grands.

C’était sympathique sans être renversant. C’est un classique donc je suis content de l’avoir vu, mais je n’ai pas eu le même sentiment de « ah oui je comprends pourquoi c’est devenu culte » qu’avec The Wicker Man par exemple.

Children of Time, d’Adrian Tchaikovsky

Man-spider, man-spider, doing whatever a human can...

Roman de science-fiction publié en 2015. J’ai *beaucoup* aimé. Je recommande de le lire sans se spoiler plus avant, surtout si vous aimez le worldbuilding, le temps long et les intelligences non-humaines. Un caveat cependant : le roman implique des araignées, donc si vous êtes arachnophobes, ça peut ne pas être votre came (mais ce sont des descriptions, pas des images, donc comme vous le sentez).

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The Host, de Bong Joon-ho

Film coréen de 2006. Suite à des rejets de produits chimiques dans une rivière, un poisson mute en un monstre mangeur d’hommes. Après une attaque du monstre sur les berges de la rivière, le gouvernement évacue la zone et place toutes les personnes en quarantaine, les États-Unis ayant noté sur un de leurs soldats présents que le monstre était porteur d’un virus dangereux. Une famille qui tenait un stand sur le bord de la rivière choisit de s’échapper de la quarantaine et de retourner dans la zone évacuée, pour chercher la fille de l’un d’entre eux, enlevé par le monstre.

J’ai bien aimé. Ça faisait longtemps que je voulais le voir, j’avais bien aimé plusieurs autre films du réalisateurs (Parasite, le Transperceneige, Memories of Murder), et la vidéo de Bolchegeek sur Squid Game m’a remotivé (oui cette phrase c’était la fête du lien).
Plusieurs thématiques qui m’ont plu dans le film : la mise en scène de l’incompétence des gouvernements dans la crise sanitaire : le gouvernement coréen s’aligne totalement sur ce que lui disent les États-Unis, la réponse passe essentiellement par la militarisation de la question, puis le déploiement d’une arme expérimentale avec d’énormes impacts sur la population. Ce que disent les gens sur place est ignoré, le gouvernement gère entre sachants (ça sonne familier ?, attendez la suite). Le problème principal posé par le monstre est qu’il serait porteur d’un virus respiratoire type SRAS (un coronavirus, donc), et on voit les gens porter des masques dans le film. Ça rend le tout très actuel.
A côté de l’incompétence gouvernemental, il y a le plan façon système D de la famille de protagonistes, pour tenter de retrouver la cadette. Ce qu’ils tentent foire assez généralement et assez largement, mais au moins ils tentent des trucs, ils se serrent les coudes. Le combat final contre la créature et les actions des différents membres de la famille, leur coordination qui réussit finalement à se mettre en place est notamment très réussi, sans que ce soit très chorégraphié, ça en fait un combat intéressant à voir. Le fait de montrer que leur victoire ne résout pas grand chose est intéressant aussi : les personnes mortes sont toujours mortes, le gouvernement déploie quand même son arme chimique. Mais ça reste une victoire malgré tout.

Enfin, un élément qui ne pouvait que me plaire, c’est quand c’est quand même Dessous de Ponts : le Film. Toutes les séquences où les héros tente de débusquer la créature, c’est des ballades sous les différents ponts de la rivière Han, l’exploration de tunnels de service, plein de dessous d’architectures industriels et de vides techniques. Ca fait de jolis décors pour les gens qui aiment les piliers en béton (=moi).

Exhalation, de Ted Chiang

Recueil de nouvelles de science-fiction, écrites entre 2005 et 2019, de longueurs assez variables. J’aime bien l’écriture de Ted Chiang, je trouve qu’il fait des trucs très réussis et originaux sur des thèmes pourtant très classiques de la SF. Les formes les plus courtes (What’s Expected of us, Dacey’s Patent…, The Great Silence) étaient sympathiques mais manquait un peu de place pour poser des idées vraiment intéressantes. A l’inverse la plus longue, The Lifecycle of Software Objects était un peu trop longue par rapport à son fond j’ai trouvé, mais c’était raccord avec le projet de raconter l’évolution d’une relation sur 20 ans. J’ai beaucoup aimé Omphalos et Anxiety is the Dizziness of Freedom, qui traite de thème très différents l’une de l’autre, mais ont la même démarche de creuser loin les implications sur divers plan d’une découverte/invention, un genre de hard SF que j’aime beaucoup.

Je recommande le recueil.

Bolchoï Arena, d’Aseyn et Boulet

Premier tome d’une bande dessinée qui parle de monde virtuel. Marje est une nouvelle dans Bolchoï Arena, une simulation gigantesque qui représente plusieurs systèmes solaires, dont le notre, avec un niveau de détails hallucinant. Elle y est venu pour faire de l’exploration spatiale, son sujet de recherche dans le monde réel, mais elle s’avère incroyablement douée en combat virtuel, un atout appréciable dans un monde numérique qui brasse un argent gigantesque.

J’avais repéré la BD par hasard, parce qu’Aseyn a aussi dessiné dans le même style la réclame du Monde Diplomatique. Je suis content de cette sérépendité, le scénario est super bien (je n’ai lu que le premier tome so far donc rien n’est résolu), et le dessin est super.

Deuxième tome

Plus de questions, quelques révélations mais pas vraiment de réponses définitives en plus, mais l’histoire tient toujours la route. Vivement la suite !

Troisième tome

Je suis assez bluffé par la capacité des auteurs à étendre l’univers à chaque tome, tout en gardant une cohérence d’ensemble. Dans ce tome encore pas mal de nouvelles questions, une évolution intéressante et crédible des relations entre les personnages. Par contre j’ai l’impression que la question « qui a créé le Bolchoï ? » est assez centrale depuis le second tome, et que c’est un point qui reste pour le moment totalement ignoré par les protagonistes.

Illustration d’Aseyn pour le Diplo, sur leur twitter

There is no antimemetics division, de qntm

Fiction paranormale, publiée en 2021. Le livre consiste en une collection de nouvelles mettant en scène la division antimémétique de la Fondation SCP. Quelques précisions sont d’entrée nécessaire : la « Fondation SCP » est une organisation fictionnelle au coeur d’un projet d’écriture collaboratif. Cette organisation gère des objets, des entités et des événements paranormaux, pour préserver les apparences de normalité de notre monde. Le projet collaboratif consiste (pour son émanation principale) en un wiki recensant les rapports rédigés par les agents de la Fondation, détaillant dans un style bureaucratiques les différents items ou incidents gérés par la Fondation. Le tout forme un lore détaillé et entremêlé, dans un style d’univers que j’aime beaucoup. Cet univers à notamment inspiré le jeu vidéo Control, qui met en scène le même type d’organisation occulte.

Pour en revenir à There is no antimemetics division, l’œuvre met en scène une division particulière de la Fondation : celle qui gère les artefacts avec des propriétés antimémétiques, ie les artefacts qui empêchent la transmission d’information à propos d’eux-mêmes ou sont capables de supprimer de l’information. Les différentes nouvelles qui composent l’œuvre imaginent comment il est possible d’étudier ou de combattre de tels objets et entités, comment la division travaille, comment ses membres sont affectés par leur travail quotidien. D’autres textes existent qui parlent de la Fondation et de sa division antimémétique, mais ceux rassemblés dans cet ouvrage émanent d’un·e seul·e aut[rice|eur], qntm, et sont connectés entre eux pour raconter principalement l’histoire de Marion Wheeler, une des directrices de la Division. Globalement j’ai beaucoup aimé, le postulat et l’univers sont originaux. La forme de l’écriture – par fragments agrégés, se référant à un univers plus large, m’a fait penser à certaines fanfictions que j’ai pu lire, on est vraiment sur un style d’écriture et un format d’œuvre pour lequel on voit la différence avec un roman « classique ». Il y a quelques faiblesses dans l’écriture qui découlent du format cependant, avec des répétitions entre fragments qu’un meilleur travail d’édition aurait pu effacer. Le texte est en deux parties, et si je suis enthousiaste sans réserve sur la première, la seconde me semble plus faible. Si certains passages horrifiques de cette seconde partie sont très réussis et exploitent à fond l’aspect antimémétique (selon le même type de mécanisme que le Silence et les Anges dans Doctor Who), d’autres me semblent plus de la boilerplate horror, avec un côté « mélangeons fascisme/bad trip/eldritch, ça ne peut pas rater ». Mais globalement le livre vaut largement le détour si vous n’avez rien contre l’horreur, les nouvelles et les concepts originaux. Merci à Ted pour la recommandation !

Chronique du Pays des Mères, d’Elisabeth Vonarburg

Roman francophone de science-fiction de 1992. L’histoire se passe dans l’Europe d’un lointain futur. Après des catastrophes liées au changement climatique, et un effondrement des sociétés, celles ci se sont reconstruites en le Pays des Mères, une matriarchie où les hommes, en nombre très largement inférieur aux femmes sont des citoyens de seconde classe. On suit le point de vue de Lisbeï, une chercheuse qui va découvrir un carnet remettant en cause le dogme religieux du pays des Mères. Le roman va présenter la vie de Lisbeï, l’organisation du Pays des Mères, ses débats internes, son Histoire, et les controverses théologiques soulevées par la découverte de Lisbeï.

C’était très bien. La société présentée est super intéressante, montrée avec suffisamment de détails pour se rapprocher des Dépossédés, mais avec une ligne narrative plus appuyée avec les recherches en théologie de Lisbeï et sa relation aux autres personnages. Le livre met en scène une société où l’homosexualité est la norme, où le féminin l’emporte sur le masculin dans le langage. Je ne suis pas entièrement convaincu par la fin, mais sinon le roman vaut le coup.

Heaven’s Vault, du studio Inkle

All of this has happened before and all of this will happen again

Jeu vidéo sorti en 2019. L’histoire se passe dans la Nébula, un ensemble de petites lunes reliées par des courants d’eau passant d’une planête à l’autre. On suit le point de vue d’Aliya, une chercheuse en archéologie, envoyée par sa directrice à la recherche d’un collègue disparu lors d’une campagne de fouille. Notre quête va nous faire découvrir progressivement l’Histoire de la Nébula, dont les traces abondent mais qui n’intéresse personne, la religion dominante stipulant que le temps est cyclique et que les choses finiront par revenir.

J’ai beaucoup aimé l’ambiance du jeu. L’univers de la Nebula est orientalisant et sur le Déclin : on découvre partout des endroits qui ont connu leur heure de gloire bien des années auparavant. Ça donne de très beaux décors, dans lesquels on se déplace pour trouver des fragments de texte que l’on essaye de déchiffrer pour comprendre le passé (la compréhension du langage Ancien est une des mécaniques centrales du jeu). Les personnages sont réussis, l’histoire et l’Histoire présentées riches en rebondissements, la bande-son discrète mais belle. Et surtout une narration très réussie, avec différents arcs que l’on peut découvrir ou non, certains choix mutuellement exclusifs, le tout réalisé d’une façon très fluide (à l’inverse, il y a quelques moments où l’envers du décor se voit un peu, avec des interactions où tu comprends pas comment ton personnage comprend ou affirme certains trucs, mais c’est assez mineur. Dans le même style, certains éléments apparaissent un peu trop tôt sur la carte je trouve. Je regrette aussi l’impossibilité d’explorer plus avant certains aspects, comme le passé commun d’Aliya avec ses amis, mais de ce que j’ai compris le studio a manqué de fonds pour finir de développer le jeu autant qu’iels l’auraient voulu).

Bref, je recommande chaudement. Dans le pitch il y a des similitudes avec Outer Wilds, mais dans les mécaniques de jeu, dans l’esthétique et dans l’histoire assez peu.