Archives par mot-clé : science-fiction française

Latium, de Romain Lucazeau

Space-opéra français. Dans un futur lointain, l’Humanité n’est plus, éradiquée par une pandémie. Survivent les Intelligences, les descendants des IAs qui servaient l’Humanité. Celles-ci ont colonisé une part importante de notre bras de la Voie Lactée, s’étant incarnées dans les Nefs, de gigantesques vaisseaux intersidéraux. Mais aussi puissantes que sont les Nefs, elles sont toujours soumises au Carcan, trois lois qui les poussent à servir les humains d’abord et les créatures biologiques ensuite. Ce Carcan qui tourne à vide pousse les Intelligences à préserver leur pré carré, vu comme la niche écologique de l’Humanité, en tenant une guerre de position étendue sur des millénaires avec des extraterrestres qu’elles ne peuvent tuer mais qu’elles peuvent contenir. Et un jour, une Nef postée au fond d’une région perdue de l’espace perçoit un signal qui ressemble à une ancienne technologie humaine. Se pourrait-il qu’une colonie d’humains ait survécu, qui pourrait redonner un sens au Carcan et dicter des ordres aux Intelligences ?

Mon paragraphe de résumé est plus long que d’habitude, il faut dire que le roman est particulièrement dense. L’idée d’IAs soumises aux trois lois de la robotique qui tournent à vide en l’absence d’humain.es est fort intéressante, ainsi que toutes les dérivées casuistiques que font les Intelligences pour choisir tel ou tel cours d’action en se justifiant par leur interprétation de ce le Carcan leur dicte dans cette situation. L’idée de vaisseaux spatiaux gigantesques est très intéressante aussi, mais finalement un peu sous-exploitée : les deux Intelligences qu’on va le plus suivre vont décider de ne pas garder cette forme de Nef. J’ai beaucoup aimé le début du roman qui se déroule dans la conscience d’une Nef unique, entre ses processus de pensée, on perd un peu ce fil après. J’ai aussi beaucoup aimé tout le setup uchronique en arrière-plan, qui rajoute encore une couche à un univers déjà bien dense.
Le roman balaie très large entre les événements qui se passent à l’intérieur d’une Nef, les discussions des Intelligences rassemblées en Sénat, les passages sur différentes planètes extraterrestres ou anciennement humaines. Ça retranscrit bien le souffle épique du space opéra, mais ça donne aussi quelques longueurs (le passage sur Europe ne sert finalement à rien en terme de développement de l’histoire, un peu dommage), avec beaucoup beaucoup de discussions entre personnages qui tournent quand même un peu en rond (we get it, « Othon est attaché à la grandeur »). Pas totalement convaincu par la conclusion, mais c’est toujours complexe de conclure des épopées.

Au total, univers très riche, très intéressant, très développé. Très bon début de roman, belle écriture. Mais des défauts qui se révèlent sur la longueur : de la même façon que les Intelligences tournent à vide dans un univers dépeuplé depuis des siècles, le roman tourne un peu en rond, les protagonistes discutant beaucoup en traversant un univers dépeuplé et réduit à un tout petit nombre de protagonistes. Je suis quand même content de l’avoir lu pour le souffle épique et l’originalité de l’univers, mais ça délaye un peu trop sur la fin. Dans le même style (pour certains aspects) je recommande Le Cycle de l’Élévation, de David Brin. Et je serai curieux de lire la prochaine œuvre de Lucazeau pour voir s’il garde ses bons éléments et améliore ses défauts.

Terminus Radieux, d’Antoine Volodine

Roman post-exotique français. Un futur indéterminé, après la chute de la Deuxième Union Soviétique. Dans un no man’s land irradié, deux soldats atteignent le kolkhoze Terminus Radieux. L’un d’eux va y être accueilli, l’un d’eux va repartir avec un train de soldats qui cherchent un camp de prisonniers où ils seront pris en charge. Les deux ne savent pas très bien s’ils sont toujours vivants, déjà morts ou dans un état intermédiaire. Le kolkhoze est dirigé par une espèce de chaman qui contrôle la réalité même autour de lui et règne en tyran sur l’ensemble de l’univers perceptible. La réalité est trouble, les événements se répètent, l’espoir d’une vie meilleure est mort, mais les personnages continuent d’aller de l’avant dans un décor immuable. C’était un peu à mi chemin entre En Attendant Godot et Une vieille histoire (mais en réussi).

J’ai bien aimé, mais ne vous attendez pas à beaucoup d’action.

Vostok, de Laurent Kloetzer

De la SF russe écrite par un français.

Roman de SF de 2016. Pour récupérer des données leur permettant d’effectuer le casse du Siècle, une bande de criminels chiliens embarque à Vostok, la station russe installée au le pôle sud géomagnétique et abandonnée depuis des années. Partis pour un mois d’été sur place, les choses ne vont évidemment pas se passer comme prévues.

Comme souvent avec les bouquins de Kloetzer c’est assez inclassable. Le bouquin se passe dans le futur, y’a une Fédération Andine, des ayas, des drones autonomes à énergie solaire.
Mais très vite tout ça n’a plus aucune importance, les protagonistes se retrouvent à Vostok coupés du monde, et dépendent d’installation soviétique de 50 ans d’âge. La SF disparaît quasi totalement. Le côté isolation et survie au froid m’a pas mal fait penser à ce que j’ai pu lire d’Ana Yagner, d’où la ref à la SF russe. En parallèle, on a un personnage qui croit à la magie et aux prophéties, et l’héroïne est accompagnée d’un « ghost », créature fantastique absolument pas expliquée mais acceptée par tou.te.s (et qui ressemble à ce qui des Furtifs réussis auraient pu être, déso Damasio). Via des extraits d’un livre in-universe, via les perceptions magique du ghost, on a accès en parallèle à l’Histoire de la fondation de Vostok, et des recherches qui y ont été menées, qui sont une description tout à fait sérieuse même si romancée du Vostok réel. Enfin, à la page 380 (sur 500), Kloetzer décide de rattacher l’intrigue de son livre à l’univers de la Bombe Iconique qu’il a déjà raconté dans d’autres livres et nouvelles.

Quelques faiblesses peut-être dans la lenteur du début, avant l’embarquement pour Vostok le livre prend le temps d’installer des pistes d’intrigues et des personnages à Valparaiso, qui vont ensuite être totalement ignorée quand les héros partent s’isoler.

C’est assez prenant, je l’ai lu en une nuit, je recommande.

Bug, d’Enki Bilal

Une série de BD d’Enki Bilal. En 2041, l’ensemble des données stockées sur des supports numériques disparaissent de l’ensemble de la Terre. Elles ont visiblement toutes été transférées dans l’esprit d’un astronaute infecté par une créature alien lors de son retour de Mars…
Le dessin est beau (et instantanément reconnaissable comme du Bilal), mais le propos est un peu plat : ohlala notre société est trop dépendante des réseaux. Ouais ok. Et donc ?

C’est plus une BD que j’ai apprécié pour les images que pour le scénario.

Les Furtifs, d’Alain Damasio

Le nouveau roman d’Alain Damasio. Très attendu (son précédent datait d’il y a 15 ans, même s’il a publié des nouvelles entre temps), présenté comme son grand oeuvre, encensé par la critique.

Je l’ai trouvé assez décevant. Avec un battage pareil autour, c’était difficile d’être à la hauteur des attentes, certes. Mais quand même. Il y a des trucs bien dedans, hein. Des idées intéressantes, de jolis concepts, j’ai bien aimé la fin du roman (ce qu’on pourrait décrire comme la bataille finale et le coda paisible derrière). Mais… ça suffit pas.
Je vais faire des hypothèses parce que je ne sais rien de comment se passe le processus d’écriture de Damasio et les mécanismes d’édition de la Volte, mais j’ai l’impression qu’après le succès massif et inattendu de La Horde du Contrevent, Damasio a eu les mains libres pour rédiger ce nouveau roman comme il le voulait. Personne n’a rien osé lui dire, et résultat le roman manque cruellement d’un bon travail éditorial, qui aurait permis de canaliser Damasio. Là, on a l’impression d’avoir un brouillon prometteur. Le roman part dans trop de directions, tente trop de trucs à la fois sans bien les tenir formellement. On dirait un décalque de la dynamique de la Horde (un groupe de personnes avec des compétences et un style de narration différents se lance dans une quête) dans un univers plus proche de celui de la Zone du Dehors (20 minutes dans le futur, un monde de contrôle social via les algorithmes copyrightés). Sauf que ça ne marche pas super bien ensemble. Le côté geste épique de la Horde clashe avec la société de contrôle du quotidien. Et puis on retrouve les passages de bravoure des deux romans : le concours de poésie sous contrainte, le débat politique (particulièrement raté d’ailleurs, dans la Horde on pouvait comprendre le point de vue de l’adversaire, là c’est une caricature d’un Sarko/Valls sécuritaire et arriviste). Damasio a voulu tout mettre, sans faire de tri (on retrouve aussi des bouts d’Anna à travers la Harpe dans la relation parent/enfant, et probablement des bouts d’autres nouvelles, alors certes Damasio tourne autour des mêmes thèmes dans ses différents écrits, mais là c’est plus directement de la reprise que ça), et c’est indigeste.

Plus prosaïquement, le travail éditorial manque aussi sur la cohérence du texte : le perso principal porte une bague connectée dans les premiers chapitres. Un demi-livre plus loin, il déclare qu’il n’en a jamais porté et n’en portera jamais, avec tout un débat dessus. C’est un peu gros comme faux raccord. Il est d’extrême-gauche mais il intègre l’armée parce que ce sont les seuls à étudier les Furtifs, sauf qu’en fait non pas du tout, y’a des gens dans les mouvances d’extrême-gauche qui les connaissaient.
Ou encore, on trouve des phrases telles que « Tischka n’est pas morte, c’est vous qui êtes mort ! Et je ne suis amoureuse de personne si ce n’est de la vie ! » Sérieusement, wtf, c’est quoi ce style soudain à la Marc Levy ? Gros malaise aussi sur le langage de Tony, que j’ai trouvé particulièrement raté, en mode « wesh wesh les individus »/ « well hello fellow kids »).

Je m’acharne un peu, mais c’est parce que par ailleurs le bouquin avait le potentiel d’être un bon bouquin, ce qui est d’autant plus frustrant que s’il était juste mauvais de part en part. Je tape sur le processus d’édition mais après y’a aussi une part des problèmes qui viennent de Damasio : j’ai trouvé ses persos féminins assez mauvais, je suis pas convaincu par le mélange « révolte contre la société de surveillance » et « animaux magiques invisibles » (et c’est quand même le cœur du bouquin donc c’est pas juste un problème d’édition), sa vision de la cellule familiale qui doit se reformer sur l’amour conjugal (avec consommation physique en plus) et le lien à l’enfant, c’est même assez réac (pour ne rien dire de sa fascination pour l’armée et son esprit de corps). Tout n’est pas gommable par une bonne édition, mais cependant le livre aurait pu venir au niveau de la Horde et de la Zone (qui ont elles aussi leurs défauts) plutôt que de stagner dans sa phase brouillonne.

Une critique d’un autre site qui se rapproche pas mal de mon sentiment, même si je pense que je suis plus mitigé, parce que 1/ je trouve que la sauce prends sur la fin du roman (mais sur les 150 dernières pages sur 700, c’est un peu court et 2/ je suis plus convaincu par l’univers et la vision politique exposés, même si effectivement ça a pu déjà être en partie dit ailleurs/être exposé en mode dialogue forcé plutôt qu’intégré à la trame du récit) : Juste un mot – Les Furtifs, la Meute du ContreSon.

Le Château des Étoiles, d’Alex Alice

BD dessinée à l’aquarelle. Dans les années 1870, après un vol expérimental confirmant l’existence de l’éther au delà de l’atmosphère, un programme de conquête spatial est lancé par le roi Ludwig de Bavière, amoureux des arts et sciences, avec l’assistance d’un ingénieur français et de son fils. Mais la prouesse technologique intéresse fortement Bismarck, qui en voit l’intérêt militaire pour l’empire allemand…

J’ai beaucoup aimé. Il y a des influences de Jules Verne et d’Hayao Miyazaki clairement assumée, avec le côté ingénierie et les châteaux féeriques perdus dans la Bavière rurale. Beau contexte uchronique avec Bismarck, la princesse Sissi qui vient au secours de son cousin. Mention spéciale pour le prince Ludwig d’ailleurs, avec son coté héros romantique avec sa grande cape, qui va probablement réapparaitre plus tard dans l’histoire en mode Albator.

Le second cycle (se déroulant sur Mars plutôt que sur la Lune) m’a un peu moins plu, on voit l’influence des Chroniques Martiennes dessus, mais j’ai trouvé le rythme de l’histoire plus haché, et il y a moins le côté défis techniques à résoudre.

Frankenstein 1918, de Johan Heliot

Uchronie sur la guerre de 14. Dans un monde où les événements de Frankenstein se sont déroulés, ses travaux et notes ont été récupérés par le gouvernement anglais. Au début des hostilités, Winston Churchill lance un programme visant à reproduire ses travaux pour créer de nouveaux soldats depuis les soldats tombés au combat. Cette expérimentation va changer le visage de la guerre, tel qu’on le découvrira au fur et à mesure des récits enchâssés d’un historien des années 50, de Churchill lui-même et d’un certain Victor.

Ça se lit bien, j’aurai apprécié un peu plus de récit de la vie dans l’uchronie plutôt que de l’exposition dans la fausse préface. C’est une uchronie originale dans ses débuts mais qui retombe un peu dans des schémas classique une fois que l’Histoire avance, ça révolutionne pas le genre non plus mais c’est un hommage sympa.

Ad Vitam, de Sébastien Mounier et Thomas Cailley

Série de science-fiction française diffusée sur Arte. Suite à des recherches sur le génome d’une espèce de méduse, un traitement de régénération des humains, promettant l’immortalité, a été mis au point et est disponible démocratiquement. Dans cette société qui a vaincu la mort, la place de la jeunesse se pose : alors qu’un référendum sur le contrôle des naissances pointe à l’horizon et que l’Humanité fête l’anniversaire de sa doyenne de 170 ans, 7 corps de mineurs avec une balle dans la tempe sont retrouvés sur une plage. Est-ce le retour des vagues de suicides de mineurs qui avaient ravagé le pays il y a 10 ans de cela ? L’enquête est confiée à un policier centenaire qui décide de demander l’assistance de Christa, mineure et seule rescapée des vagues de suicides de la décennie passée.

Y’a une jolie esthétique et la série pose des questions intéressantes, après comme souvent avec les séries de SF fr, le concept est pas exploité à fond parce qu’ils voulaient raconter une histoire précise, et c’est un peu lent et contemplatif. La fin est pas très intéressante malheureusement, ça c’est dommage.

Johan Heliot vous présente ses hommages, de Johan Heliot

Recueil de nouvelles uchroniques ou science-fictives. J’ai été un peu déçu. J’ai bien aimé la plupart des romans écrit par Johan Heliot, mais là j’ai trouvé que ça faisait un peu trop gimmickesque (surtout qu’il traite très souvent les mêmes thèmes/utilise les mêmes personnages, donc au bout de 15 nouvelles c’est assez répétitif).
J’ai trouvé que la nouvelle Le Grand Duc sortait un peu du lot.

Les Étoiles s’en balancent, de Laurent Whale

Sentiment mitigé. J’ai bien aimé l’univers post-étatique décrit par l’auteur, la vie quotidienne, un monde de récupération et de survie. J’ai encore plus aimé que ça se passe en Île de France (notamment à Meaux, une petite pensée pour JF Copé). Par contre y’a un seul personnage féminin intéressant, qui sert d’intérêt romantique pour le héros, et de demoiselle en détresse à l’occasion. C’est pas fou. Et puis autant ça commence bien, autant la fin balance un retournement de situation mal amené, superflu et absolument pas crédible (qui a un plan sur 50 ans qui consiste essentiellement à inculquer des idéaux opposés aux tiens aux gens et à attendre le bon moment ? Juste non), et les personnages sont quand même très manichéens. Du coup bon, c’est dommage de gâcher un bon univers avec une mauvaise histoire.