Politiser le bien-être, de Camille Teste

Essai paru en 2023, sur les pratiques et le secteur marchand du bien-être, leur compatibilité actuelle avec le néolibéralisme et des pistes pour en faire quelque chose de plus progressiste.

Déconstruire le bien-être
Le bien-être représente un marché lucratif : différentes sous-parties avec à la fois les soins du corps, le sport, les régimes, la santé mentale (notamment via des applis). Un marché tout à fait exploitable. En plus mettre l’accent sur le bien être comme une responsabilité individuelle est totalement un discours néolibéral : ce n’est pas un problème collectif qui appelle une réponse collective mais un problème individuel qui reflète la valeur morale de l’individu (aller mal c’est être mauvais : une bonne personne aurait pris son destin en main et résolu ses pbs, puisque ce sont des problèmes individuels) et sur lequel on doit apporter des réponses personnelles. On peut donc vendre aux gens une solution à leurs problèmes internes et éviter d’adresser les questions collectives d’organisation du travail et de la société. Et comme on n’adresse pas le problème sous-jacent, on le résoudra jamais donc on pourra continuer à vendre des solutions avec un objectif inatteignable ! (Bémol : certains problèmes sont effectivement résolubles à l’échelle individuelle. Tout n’est pas à jeter dans l’idée du bien-être et du self care).

Le secteur du bien-être va donc diffuser une idéologie néolibérale de responsabilité individuelle parce que c’est dans son intérêt marchand. Et la diffuser d’autant plus facilement que c’est un espace qui se prétend apolitisé et un safe space où on peut baisser la garde vs un monde hostile, donc un endroit où on sera + perméable à une idéologie cachée.

En plus du néolibéralisme, le secteur du bien-être va aussi promouvoir des idéologies conspi et fachos, avec la porte d’entrée du New Age et de sa spiritualité un peu attrape-tout : on arrive rapidement sur du conspirationnisme par rapport au covid, une défiance de l’État, et des promotions du jeune pour soigner le cancer (le new New Age est malheureusement de plus totalement soluble dans le néolibéralisme : on vous vend des cristaux et des retraites et un positionnement anti-système sans aucun problème de dissonance cognitive).

Réhabiliter le bien-être
A gauche, méfiance globale sur le bien-être (cf XR qui se fait démonter pour ses ateliers yogas) : le côté « spiritualité » est rapidement entendu comme poudre aux yeux et opium du peuple (envoyons un sortilège sur Trump ou prions la Pachamama plutôt que d’aller réellement faire une action de blocage, ce qui pour le coup est un reproche un peu fumeux à faire à XR (ce que souligne l’autrice) : ils combinent côté cringe sur l’anthroposophie et actions réelles). Cette méfiance est alimentée par une vision sacrificielle de l’engagement militant : il y a tellement de problèmes en ce monde qu’on n’a pas de temps à perdre en self-care – excellente recette pour le burn-out militant. Besoin de dépasser la « vision productiviste du militantisme », qui est directement une importation du système que l’on veut combattre. Est-ce qu’on ne peut combattre le feu que par le feu ?

Un bien-être à visée révolutionnaire doit remplir deux conditions :
1/ Contribuer à l’émancipation des individus.
Donc ne pas imposer d’injonction (à la minceur, à l’amélioration de soi…), être inclusif (notamment au niveau des corps accueillis (racisés, âgés, gros, …), sortir de la logique de la binarité de genre (avec notamment toutes les références au féminin sacré qui serait le pôle de la douceur quand le masculin serait le pôle de la puissance…), ne pas créer de logique de dépendance ou de soumission (gourous).
2/ Faciliter les luttes.
Donc ne pas faire appel à la pensée magique ou aux explications métaphysique des malheurs du monde ; ne pas se reposer sur de l’appropriation culturelle sans réflexion sur les (et rétribution aux) cultures d’où proviennent les pratiques mises en œuvre ; ne pas servir de béquille à la croissance mais au contraire aider les gens à « se désadapter du système : encourager la lenteur, la paresse, le repos plutôt que la productivité et l’hyperactivité.

Je recommande, ça se lit bien, c’est très sourcé, et c’est un sujet intéressant. Vous pouvez aussi trouver une recension (en anglais) du livre sur le blog d’a3nm.

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