Archives par mot-clé : recommandé

Heaven’s Vault, du studio Inkle

All of this has happened before and all of this will happen again

Jeu vidéo sorti en 2019. L’histoire se passe dans la Nébula, un ensemble de petites lunes reliées par des courants d’eau passant d’une planête à l’autre. On suit le point de vue d’Aliya, une chercheuse en archéologie, envoyée par sa directrice à la recherche d’un collègue disparu lors d’une campagne de fouille. Notre quête va nous faire découvrir progressivement l’Histoire de la Nébula, dont les traces abondent mais qui n’intéresse personne, la religion dominante stipulant que le temps est cyclique et que les choses finiront par revenir.

J’ai beaucoup aimé l’ambiance du jeu. L’univers de la Nebula est orientalisant et sur le Déclin : on découvre partout des endroits qui ont connu leur heure de gloire bien des années auparavant. Ça donne de très beaux décors, dans lesquels on se déplace pour trouver des fragments de texte que l’on essaye de déchiffrer pour comprendre le passé (la compréhension du langage Ancien est une des mécaniques centrales du jeu). Les personnages sont réussis, l’histoire et l’Histoire présentées riches en rebondissements, la bande-son discrète mais belle. Et surtout une narration très réussie, avec différents arcs que l’on peut découvrir ou non, certains choix mutuellement exclusifs, le tout réalisé d’une façon très fluide (à l’inverse, il y a quelques moments où l’envers du décor se voit un peu, avec des interactions où tu comprends pas comment ton personnage comprend ou affirme certains trucs, mais c’est assez mineur. Dans le même style, certains éléments apparaissent un peu trop tôt sur la carte je trouve. Je regrette aussi l’impossibilité d’explorer plus avant certains aspects, comme le passé commun d’Aliya avec ses amis, mais de ce que j’ai compris le studio a manqué de fonds pour finir de développer le jeu autant qu’iels l’auraient voulu).

Bref, je recommande chaudement. Dans le pitch il y a des similitudes avec Outer Wilds, mais dans les mécaniques de jeu, dans l’esthétique et dans l’histoire assez peu.

Les Strates, de Pénélope Bagieu

Bande-dessinée française autobiographique publiée en 2021. L’album est constitué d’histoires courtes qui courent sur quelques pages, dessinées au crayon en noir et blanc. Les histoires couvrent différentes périodes de la vie de Pénélope Bagieu, des événements ou relations qui l’ont marquée. Ça se lit très bien, ça tape un peu émotionnellement. Le dessin au crayon à papier est intéressant et correspond bien à la tonalité des récits.

(oui c’est une critique succincte, j’ai bien aimé mais je vois pas trop quoi dire de plus)

Les Ignorants, d’Étienne Davodeau

Bande dessinée française autobiographique et pédagogique. Davodeau décide de collaborer avec un vigneron, Richard Leroy, pendant un an. Il participe aux travaux de la vigne, et Leroy va lui apprendre les différentes facettes du métier de vigneron. En échange, Davodeau lui montre comment fonctionne la création d’une bande dessinée et lui fait lire les œuvres de différents bédéastes. La BD retrace cette année et les échanges entre les deux hommes et leur entourage. C’est intéressant à lire pour apprendre des choses à la fois sur les deux univers. J’avais assez peu aimé la précédente BD de Davodeau que j’avais lue, mais celle-là m’a réconcilié avec l’auteur. J’ai trouvé assez intéressant par rapport à la démarche d’avoir au milieu une page dessinée par Trondheim, ça rentre bien dans la démarche globale de l’ouvrage.

Je recommande donc.

La Modification, de Michel Butor

Roman français publié en 1957. On suit un homme lors d’un voyage en train de Paris à Rome. Le roman est narré à la seconde personne du pluriel, et au cours du voyage le flux de conscience du personnage principal ne va pas cesser d’osciller entre les différentes fois où il a fait ce trajet, ses différents séjours à Rome et sa vie à Paris. Le trajet va aussi progressivement modifier son état d’esprit et il va arriver à Rome en ayant décidé de prendre la décision inverse de celle qui l’avait motivé à entreprendre le trajet.

C’était bien. Je l’ai commencé dans un train pour ajouter une petite couche de méta, mais clairement le rapport au voyage en train des années 50 n’est pas le même que celui qu’on a en 2021. Le Paris-Rome dure pas loin de 24h, le narrateur est dans un wagon de 3e classe, il prend des tickets repas pour aller au premier ou au second service du wagon restaurant. L’intérêt principal du récit se situe dans les sauts temporels de la narration qui collent au plus près au flux de conscience du protagoniste, et qui se font sans être annoncés, avec juste des juxtapositions indiquées par des variations de la météo, de la luminosité, de l’horaire de passage dans une gare (quand c’est un voyage différent qui est évoqué, c’est plus apparent quand on passe à un séjour à Rome). On a même des fragments de rêve du personnage qui viennent s’intégrer au récit quand il somnole, qui se distinguent du reste de la narration par l’usage d’une narration à la troisième personne plutôt qu’à la seconde.

Plutôt que d’autres roman, la façon dont les lieux convoquent différentes couches de souvenirs ou d’époques m’a évoqué le jeu vidéo Return of the Obra Dinn. On retrouve ce même mécanisme de navigation entre plusieurs époques, et la façon dont l’histoire nous est dévoilée progressivement au cours du roman fonctionne de façon similaire au déverrouillage de nouvelles zones dans le jeu vidéo.

The Matrix Resurrections, de Lana Wachowsky

Quatrième film de la saga Matrix, sorti en 2021. Il y a de gros défauts, mais globalement j’ai passé un bon moment au cinéma. On profite largement plus du film en ayant en tête les enjeux posés dans les trois premiers, et en allant le voir en en sachant le moins possible dessus, j’avertis donc sur les spoilers que contient cet article.

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Klara and the Sun, de Kazuo Ishiguro

Roman de science-fiction publié en 2021. Un futur indéterminé. Les humains ont inventé des robots de compagnie, les AF (pour Artificial Friends), qui servent notamment de compagnons aux enfants. Klara est un de ces robots. On suit sa vie dans une boutique puis auprès de Josie, une adolescente rendue malade par la thérapie génique qui doit lui permettre de faire partie de l’élite de la future humanité (un aspect qui n’est abordé que très incidemment dans le roman, mais qui le place directement dans la lignée de Gattaca, surtout au vu de la division dans la société qui s’opère entre les enfants réhaussés et normaux. On suit toute l’histoire du point de vue de Klara, de sa compréhension parcellaire du monde des humains, forcée de composer avec la place qui lui est laissée entre compagnon et objet selon les humains (Ishiguro rend d’ailleurs très bien ces nuances d’interactions des différents personnages avec une intelligence robotique), gérant une vision qui est définitivement non humaine (sa capacité à reconnaitre les formes comme des personnes disparait par moment, sa vision se divise en portions auxquelles elle attribue des qualités différentes), suivant des superstitions liés aux explications partielles qu’on lui a donné du fonctionnement du monde.

On est fortement dans la lignée de Never Let Me Go, mais dans un univers différent. Sans avoir le même impact que Never Let Me Go, le roman se lit très bien, l’univers est intrigant et accrocheur, je recommande.

Ramkoers, de la compagnie BOT

Concert/performance de « musique industrielle », vu à la scène nationale d’Albi. La scène commence totalement vide. Puis un ventilateur envoie valser des feuilles de journal, une tige tombe, un accordéon rampe sous le rideau, un artiste en apporte un autre en train de jouer du piano sur un diable… A la fin du spectacle, la scène était remplie d’un capharnaüm d’instruments de musique fabriqués à partir d’objets divers. Par manque de connaissance du néerlandais je n’ai aucune idée du message des chansons, mais la performance était impressionnante dans la créativité déployée pour la fabrication des instruments et dans la coordination pour gérer l’espace de la scène, les changements entre les divers instruments. C’était un truc finement chorégraphié, dont la minutie était dissimulée sous une esthétique industrielle. J’ai beaucoup aimé.

Double Murder de la compagnie Hofesh Shechter

Spectacle de danse à la scène nationale d’Albi. Spectacle en deux parties (Clowns et The Fix) écrites à deux moment différents et séparées par 20 minutes d’entracte.

J’ai beaucoup aimé Clowns, moins The Fix. Clowns est très intense, ça commence par cinq minutes survoltés sur un french cancan qui ressemble à un échauffement d’impro surtravaillé/une entrée de clowns sur scène (raccord avec le titre), puis durant 50 minutes, les mouvements sont repris et mis en scène sur une musique plus sombre et lourde, limite lancinante. Le spectacle met en scène sans explication des meurtres à répétition des acteurs les uns par les autres, séparés par des interactions plus légères. Le travail de synchronisation des artistes entre eux et avec la musique est impressionnantes, je note notamment un moment où les acteurs sont en rythme pas seulement sur le temps de base mais sur les variations des percussions, c’était très beau. Le salut chorégraphié qui enchaîne plein de petits tableaux/pas de danse était une super idée aussi. Un bémol sur la gestion des transitions sonores, où il y avait des tracks qui coupaient abruptement, c’était dommage parce que c’était vraiment le seul détail en dessous du reste dans l’exécution de la pièce.

The Fix souffre de la comparaison avec Clowns : la mise en scène est plus moderne, avec une lumière très crue, des acteurs en vêtement ordinaire (la lumière était plus basse et plus chaude dans Clowns, avec des guirlandes de guinguette et des acteurs en costumes crème qui faisaient clowns). La bande-son est plus anecdotique, il y a toujours des mouvements de danse qui sont très beaux mais l’ensemble est moins cohérent, et le final à base de « on va dans la salle faire des câlins aux spectateurs » m’a un peu blasé, j’ai l’impression que c’est la tarte à la crème du bris du quatrième mur.

Spencer, de Pablo Larraín

Film sorti en 2021. L’action se passe à Noël 1991, sur les trois jours que la famille royale anglaise passe dans un château à la campagne, suivant scrupuleusement un certain nombre de traditions. Nous suivons le point de vue de Diana née Spencer (jouée par Kristen Stewart), épouse du Prince Charles et particulièrement mal à l’aise dans le cérémonial exigé d’elle par les traditions. Elle se retrouve perpétuellement en retard, à contre courant, incapable d’avaler quoi que ce soit durant les repas cérémoniels, voulant se promener alors que la Couronne veut contrôler chaque image que les paparazzi pourrait prendre, s’opposant à la chasse aux faisans traditionnelle… Elle lutte comme elle peut, consciemment ou non, contre l’impression (et la réalité dans certains cas) de ne plus avoir de contrôle sur sa vie, et plus elle se débat, plus des mécanismes se mettent en place pour contrôler plus finement son comportement : ça fait un film en tension perpétuelle, ou chaque acte est négocié.

En plus de Diana elle-même, on voit occasionnellement le point de vue de différents membres du personnel, qui sympathise plus ou moins avec la princesse de Galles, mais doivent aussi faire en sorte que le séjour se déroule comme il est supposé se dérouler. On voit le chef cuisinier, les différentes habilleuses de Diana, le chef du protocole. Diana a aussi des visions d’Ann Boleyn, épouse d’Henry VIII, qui a été exécuté pour que le roi puisse librement vivre sa liaison avec sa maîtresse : Diana se sent coincée dans le même rôle. Pour survivre à la tension, le film ménage quand même quelques échappées : les échanges de Diana avec ses fils, avec une de ses habilleuses – et le court séjour sur la côte qui s’ensuit – et l’échappée finale, quand Diana retourne à Londres et peut revenir à ce qui lui semble une vie normale.

J’ai bien aimé. La façon dont c’est filmé confine au film d’horreur par moment, ce qui est raccord avec le thème de l’héroïne coincée dans un environnement hostile et observée de toutes parts. Les décors sont très beaux dans le style château anglais pompeux et figé dans un paysage gris. Le film dure 2h, je pense qu’il aurait pu être raccourci un peu (mais tbh je pense ça de quasi tous les films de 2h).

Warhol invaders, de Nicolas Labarre

Uchronie française publiée en 2021. En 1968, deux ingénieurs informatiques présentent un prototype de console de jeux à Andy Warhol. Celui-ci va saisir le potentiel de l’objet et le commercialiser. Avec des décennies d’avances, l’informatique personnelle va s’imposer au monde, bousculant la géopolitique internationale, le mouvement hippie/libertaire, les élections américaines…

J’ai beaucoup aimé. C’est une uchronie pour un public de niche, mais je suis pile dedans je pense. Ça parle de philosophie du libre vs systèmes fermés, bulles de filtre et analyse statistique massive, détournement des idéaux initiaux et stratégies commerciales. L’essentiel de l’histoire se déroule en Amérique, mais l’auteur inclut toute une partie en Touraine, ce qui marche assez bien comme décalage du regard.

Grande recommandation, univers original et uchronie technique très bien menée.