Archives par mot-clé : recommandé

I Sexually Identify as an Attack Helicopter, d’Isabell Fall

Nouvelle étatsunienne publiée en 2020. « I Sexually Identify as an Attack Helicopter » est à la base une ««« blague »»» transphobe (enfin, *la* ««« blague »»» transphobe, parce que visiblement ils ont jamais été capables d’en inventer une deuxième). Parce que lolilol, si des gens peuvent ne pas se reconnaître dans le genre et le sexe qui leur ont été assignés à la naissance et en revendiquer un autre, alors n’importe qui peut revendiquer n’importe quoi comme genre, hein hein ? [insert cringe laughter emoji].

Partant de cette take désastreuse, Isabell Fall décide de la considérer sérieusement. Elle imagine un monde où l’armée US militarise le genre : puisque performer le genre est un ensemble de comportements réflexes que des gens mobilisent pour gérer des interactions, ne serait-il pas pratique d’avoir des pilotes pour lesquels faire fonctionner un hélicoptère serait aussi instinctif que manspreader pour votre mec blanc moyen ? Ça fait une nouvelle très réussie, qui se passe quelques années dans le futur, avec une guerre civile américaine menée aux noms d’algorithmes d’optimisation divergents. Court à lire, dispo ici et très prenant, je recommande.

Eutopia, de Camille Leboulanger

Roman de science-fiction français paru en 2022, inspiré des travaux de Bernard Friot sur le salaire à vie. Dans un futur indéterminé, le capitalisme (et plus généralement le propriétarisme) a été abattu (au moins à l’échelle d’un pays). Les gens vivent selon les principes de la Déclaration d’Antonia, un texte énumérant un certain nombre de droits pour les humains mais aussi pour le reste de la biosphère. On va suivre dans ce monde la vie d’Umo, de son enfance dans un petit village jusqu’à sa vieillesse dans un autre village qu’il a contribué à fonder. Entre temps Umo aura vécu dans différentes ville du pays, dont Antonia, fait des études à différentes périodes de sa vie, été électricien pour une entreprises qui construit des lampes, technicien son pour une troupe de musiciens, électricien pour une commune, professeur, tiré au sort pour l’assemblée générale d’Antonia, préparateur de commandes pour la logistique d’une commune, balayeur dans un cinéma. Il aura aimé et vécu avec une petite dizaine de personnes, dans diverses configurations.

Globalement, c’est sans surprise un roman à thèse, comme Ecotopia ou Les Dépossédés. La vie d’Umo nous permet de voir les différents aspects du fonctionnement d’Antonia, en parcourant un peu le pays. C’était sympa à lire, le côté utopie est cool, et la vie sentimentale d’Umo fait un fil conducteur intéressant (l’auteur.e insiste pas mal sur ce point, avec la formule « l’amour c’est du travail, le travail c’est de l’amour » qui revient comme un leitmotiv).

Quelques points négatifs cependant : le premier, c’est de la faute de la maison d’édition, il reste des coquilles dans le bouquin, et franchement ça sort de la lecture. Pas cool. Le second, plus de fond, c’est que cette utopie… fonctionne trop bien. Dans Les Dépossédés, ce qui marche particulièrement bien c’est que Le Guin creuse quand même pas mal les cas limite et comment les bonnes intentions de la révolution initiale peuvent quand même se fossiliser et recréer des structures de pouvoir. Ici, même s’il y a la question de la proposition Amistad, ça reste quand même assez léger, tout fonctionne très bien. Peut-être aurait-il plus fallu creuser aussi la question des infrastructures : y’a des trains, des ordiphones personnels (et un réseau qui les sous-tend), même avec une population fortement réduite ça demande quand même des chaînes logistiques à grande échelle qui paraissent peu compatibles avec le reste de l’idée de la déclaration d’Antonia. Enfin beaucoup de conso d’alcool et de cannabis. Pas un souci en soi mais un petit focus sur la gestion des addictions aurait été bienvenu.

Overall ça reste quand même une lecture intéressante, toute la partie sur le salaire à vie, le logement et la nourriture conventionné fonctionnent bien.

Project Hail Mary, d’Andy Weir

I spend a lot of time un-suiciding this suicide mission.

Roman de hard SF étatsunien, sorti en 2021. Un astronaute américain se réveille amnésique dans un vaisseau spatial avec deux cadavres. Il va progressivement se rappeler sa vie menant jusqu’à ce point : Il fait partie du projet Dernière Chance, une mission visant à établir pourquoi une étoile proche de la Terre est la seule qui n’est pas affectée par les astrophages, une forme de vie mystérieuse qui fait rapidement baisser l’énergie émise par le soleil et menace la vie sur Terre.

On suit en parallèle la vie de l’astronaute avant l’embarquement et sa vie à bord du vaisseau, où basiquement il utilise ses connaissances scientifiques extensives pour plein de trucs, de comprendre où il est à macGyverer des solutions aux problèmes techniques qui se posent l’un après l’autre.

Globalement, j’ai bien aimé l’histoire. L’idée des astrophages et le fait de tirer toutes les implications de leur existence est assez cool, ça fait très SF à la Arthur C. Clarke. Les problèmes techniques pour permettre l’existence du projet Dernière Chance (même si « le vote secret unanime de l’ONU fait vraiment « ta gueule c’est magique » pour permettre à l’auteur d’étaler les aspects techniques sans avoir à se préoccuper de tout le social et politique ») puis le déroulé de la mission après le réveil de Grace sont de bons rebondissements, intéressant à lire. La vision du premier contact est cool aussi même si c’est pas tant « deux espèces radicalement différents se rencontrent » que « deux nerds accessoirement d’espèces radicalement différentes se rencontrent ». Par contre, à part Rocky, tous les personnages sont assez faibles – le perso principal inclus. On sent que l’écriture de personnages et de relations c’est pas ce qui fait tripper Andy Weir. Un peu dommage que Grace retrouve la mémoire parfaitement séquentiellement aussi, ça fait un peu forcé.

Malgré ces quelques points négatifs, c’est un fort bon roman de hard SF, je recommande.

It Follows, de David Robert Mitchell

Film d’horreur minimaliste étatsunien de 2014. Jay couche avec son nouveau petit ami, et immédiatement celui-ci lui révèle qu’il vient de lui refiler une malédiction sexuellement transmissible : elle sera poursuivie par une créature polymorphe qui marchera invariablement tout droit vers elle et tentera de la tuer. Elle peut refiler à son tour la malédiction, mais si le/la nouvelle porteuse est tué·e, la créature recommencera à la chasser elle. Oh, et seules les personnes contaminées peuvent voir la créature.

J’ai bien aimé. C’est bien filmé, avec de beaux plans, dans une ambiance un peu crépusculaire où les adolescents semblent un peu livrés à elleux-mêmes (un peu un passage obligé pour un film d’horreur, mais là les adultes sont présents autour, juste visiblement pas des personnes sur lesquelles les protagonistes pensent pouvoir s’appuyer). L’environnement en décrépitude de Detroit ajoute à cette impression générale d’abandon. Le design de la malédiction marche très bien, alors qu’il n’y a quasi rien : des gens qui marchent fixement (et souvent nus). Les personnages sont assez réussis, que ce soit Jay elle-même ou les persos secondaires (notamment sa sœur qui lit L’Idiot sur sa mini-liseuse), et leur dynamique de groupe est crédible. Le film sait très bien faire monter la tension, ne se repose pas sur des jump-scares et laisse une fin ouverte.

Je recommande.

The Last of Us, de Neil Druckmann et Craig Mazin

Série HBO sortie en 2023, adaptation du jeu vidéo éponyme. Dans un monde dévasté en 2003 par une pandémie zombie causée par un champignon, Joël, un mercenaire fatigué, doit faire traverser les États-Unis à Ellie, une adolescente qui semble être immunisée au champignon.

J’ai pas été fan des deux premiers épisodes, mais la série décolle après, je trouve. L’univers est beau dans le style post-apo (même si pas toujours ultra-convaincant sur certains petits détails). La mise en scène des paysages du centres des USA est réussie. La relation entre Joel et Ellie fonctionne relativement bien, avec le côté ours bourru de Joël qui se dégèle peu à peu et est finalement près à tout pour protéger sa fille adoptive. Les moments de flash-back fonctionnent plutôt bien. Si la vie de Joel en 2003 lors du premier ep m’a laissé relativement froid, la série décolle avec les 45 minutes de flash-back sur le personnage de Nick Offerman durant l’ep 3, puis le récit de la dernière journée d’Ellie parmi les FEDRA ou sa naissance fonctionnent bien pour sortir du cadre du récit principal et rajouter de l’épaisseur aux relations entre les personnages et du lore à l’univers. J’ai par contre été agacé à chaque fois par les séquences « recréons de façon ultra artificielle des éléments de gameplay » à base de « Oh, Ellie, toi seule peut passer à travers ce mur puis m’ouvrir la porte depuis l’autre côté » ou « on est séparé par cette voiture, retrouvons nous de l’autre côté du niveau de la rue ! ». Le niveau de noirceur des épisodes varie pas mal de l’un à l’autre (bon c’est jamais ultra-joyeux), avec un déchaînement de violence dans les deux derniers, mais ça fonctionne bien.

Je recommande si vous aimez les zombies et Pedro Pascal (who doesn’t?).

Shingeki no Kyogin, d’Hajime Isayama

Manga paru entre 2009 et 2021. Dans un univers début de Révolution industrielle, l’Humanité vit derrière trois murs concentriques, le reste de la Terre ayant été abandonné aux Titans, des créatures humanoïdes de plusieurs mètres de haut et anthropophages. Au début de l’histoire, un Titan beaucoup plus grand que les autres brise le mur extérieur, forçant l’Humanité à abandonner la majeure partie de son territoire et déclenchant chez le héros la volonté d’intégrer le bataillon d’exploration, unité de l’armée qui tente d’explorer le monde extérieur et de comprendre l’origine des Titans.

J’ai bien aimé. L’univers est assez sombre, très clairement militariste, avec des personnages principaux qui adoptent des postures fascistes par moment, mais l’histoire remet clairement leurs choix en question. L’histoire elle-même avance vite, avec des révélations et des péripéties qui s’enchainent sans temps morts ni combats qui s’éternisent.

(paragraphes qui divulgâchent en dessous du séparateur)

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Toni Erdmann, de Maren Ade

Une meilleure take sur le Joker que Joker.

Film austro-allemand de 2016. Winfried, allemand de 60 ans, décide de rendre visite à l’improviste visite à sa fille Ines qui travaille comme consultante à Bucarest. Winfried passe son temps à faire des blagues et à se déguiser (notamment avec de fausses dents). Son aura chaotique clashe rapidement avec la vie professionnelle d’Ines, qui tente de se faire bien voir du PDG de la firme que son cabinet conseille, mais elle continue d’inclure son père dans sa vie – qui tourne essentiellement autour de son boulot. Winfried part au bout de quelques jours, mais revient sous une perruque et le nom d’emprunt Toni Erdmann, prétendant être le coach de vie d’un PDG connu, puis l’ambassadeur d’Allemagne.

J’ai beaucoup aimé. Le côté clash des cultures est des valeurs est bien mis en scène. Winfried est assez problématique dans la façon qu’il a de s’immiscer dans la vie de sa fille, mais comme le reste de sa vie est composé de connards prétentieux qui font du conseil, il apporte en même temps une bouffée d’air frais. C’est pas mal de ne pas être manichéen sur le côté « ouh je te fais profiter des petites choses de la vie », même si Winfried a de fait pas mal un rôle de manic pixie fairy dad. La vibe chaotique de Winfried et le maquillage qu’il porte en début de film fait aussi pas mal « je vais devenir le Joker », mais sans le côté « let’s take down a city » des blockbusters hollywoodiens. Tu sais jamais trop où le film va t’emmener, c’est assez réussi comme mouvement perpétuel. Et on n’est pas non plus sur un happy end : même si Winfried influence sa fille dans le bon sens, quand elle quitte sa boîte de connards qui lui font miroiter une promotion qui n’arrive jamais, c’est pour une autre boîte de conseil tout aussi maléfique.

Je recommande.

Pinocchio, de Guillermo del Toro

Film sorti en 2022, produit par Netflix. Une adaptation de l’histoire de Pinocchio. J’ai beaucoup aimé l’esthétique en stop motion, les décors sont très beaux, les créatures fantastiques (les esprits de la vie et de la mort notamment) sont très réussis. L’adaptation de l’histoire au contexte de l’Italie fasciste est intéressante aussi. J’ai bien aimé les chansons dans l’absolu mais j’ai trouvé que ça clashait avec le reste de l’esthétique. Sur l’évolution des personnages, on comprend assez peu pourquoi tout d’un coup Gepetto a un amour inconditionnel pour Pinocchio, mais on accepte l’idée pour profiter du film.

Je recommande pour l’esthétique (et les lapins d’outre-tombe).

Puss in Boots: The Last Wish, des studios Dreamworks

Le chat Potté de la franchise Shrek est arrivé à sa neuvième vie, à force de morts au cours de ses aventures. Craignant désormais pour sa dernière vie, il décide de prendre sa retraite. Jusqu’à entendre parler d’une étoile magique pouvant accorder un vœu à celui qui la trouve. Il se lance à sa recherche, mais il n’est pas seul sur sa trace : Boucle d’Or et sa famille d’ours, Jack Horner (c’est le personnage d’une comptine anglaise, je connaissais pas non plus) et une chatte mercenaire sont aussi sur l’affaire.

J’ai bien aimé. L’animation était très réussie à mon sens, et les personnages secondaires aussi. Si le scénario central est très classique, les persos et le voice acting font bien le taff. J’ai particulièrement apprécié Boucle d’Or, mais globalement solide travail sur la caractérisation des persos, malgré le fait qu’il y en ait beaucoup et donc pas des masses de temps d’écran pour chacun.

La Pierre Jaune, de Geoffrey Le Guilcher

Roman d’anticipation français paru en 2021. Le livre imagine les conséquences d’un attentat sur l’usine de retraitement des déchets radioactifs de La Hague : un accident nucléaire rendant toute une partie de l’Europe de l’Ouest inhabitable. Mais au lieu de suivre sur le long terme les changements géopolitiques que ça impliquerait, la narration se focalise sur une communauté autonome vivant sur une presqu’île bretonne, dans les mois suivants l’accident. La narration est portée par Jack, un policier anglais qui s’était infiltré dans la communauté dans les jours précédant l’accident pour confirmer la présence de deux militants anglais. D’une position d’outsider, il va progressivement s’intégrer à la communauté, alors que la chute des réseaux de communication le coupe de tout contact avec sa hiérarchie policière.

J’ai bien aimé. Le côté « deux minutes dans le futur » avec un faux discours de Macron fonctionne bien. Les articles de blog publiés par le collectif et repris par lundi.matin et al sont franchement crédibles. On sent que l’auteur a bossé le sujet de l’accident nucléaire (le point de départ du roman, expliqué dans la préface est un rapport scientifique sur les conséquences d’un tel accident ou attentat). Le roman est relativement court (je l’ai lu en une nuit) mais campe bien ses personnages et leurs nuances de gauchisme. Jack et son passé de flic tourmenté sont finalement les moins crédibles. Les évolutions géopolitiques transmises par bribes via les rares moments où la communauté réussit à avoir des nouvelles du monde extérieur sont tristement crédibles (une gestion du problème qui fait penser à celle du covid…), et la façon dont le livre plonge le lecteur dans le point de vue de Jack pour l’en arracher sur le dernier court chapitre fonctionne assez bien.

Je recommande.