Série de roman de fantasy en trois tomes, dont le dernier n’est pas encore sorti. On retrouve l’univers du Vieux Royaume, plus précisément le duché de Bromael. Suite à la décision du duc de répudier sa femme et de se remarier avec la fille du Podestat de Ciudalia, les fils du duc organisent un tournoi pour défendre les couleurs de leur mère, entrant ainsi en rébellion feutrée contre leur père. Cet affront a lieu alors que le duc souhaite mener une campagne militaire contre les clans Ouroumands, que de la nécromancie fait sa réapparition dans le Duché et que des Elfes semblent enlever des enfants…
J’ai beaucoup aimé, surtout le premier tome. Dans le second on retrouve le point de vue de Benvenuto Gesufal, le narrateur de Gagner la Guerre, qui est gouailleur mais un peu trop cynique pour nous faire totalement vibrer en empathie. Dans le premier tome par contre, on suit plusieurs points de vue mais les principaux appartiennent tous à des chevaliers de Bromael, qui ont une vision très « amour courtois et intrigues de cour ». C’est très bien écrit, avec des descriptions qui font qu’on s’immerge dans le pays, et avec de beaux effets de style : on va par moment adopter le point de vue d’une rivière, d’un chat ou d’anguilles pour passer d’un lieu à un autre. On a aussi une énigme sur l’identité du narrateur de toute l’histoire (qui relate depuis une mystérieuse maison la chronique de la Guerre des deux duchesses, et qui est allé demander ses souvenirs à Benvenuto, ce qui forme la matière du second tome). L’intrigue fonctionne bien, les rebondissements, les différents fils narratifs et même ce qui se cache dans les ellipses est prenant.
[EDIT 02/2024 suite à lecture du 3e tome] On retrouve dans ce tome le style du premier. On suit très majoritairement le point de vue d’Ædan de Vaumacel, le chevalier aux Épines du titre, qui s’accroche aux valeurs chevaleresques (au point d’en agacer fortement ses interlocuteurices qui voudraient souvent plus que des déclarations de principe) et sa loyauté partagée entre plusieurs dames qu’il sert. L’action est relativement resserrée par rapport aux premiers tomes, puisqu’après une première partie autour de Vekkinsberg, l’essentiel de l’action va se concentrer autour du château de Vayre, ses cours, ses souterrains, ses toitures et sur quelques jours. C’est très prenant (j’ai lu les 500 pages sur 2 jours), mais pas grand chose n’est résolu à la fin, tbh. Ce qui est logique pour un roman qui se présente comme la chronique des retournements politiques d’un pays, mais j’avoue une certaine frustration à ne pas avoir les tenants et aboutissants des affrontements entre les différentes factions, ni de certitudes sur l’identité du narrateur. Ça manque d’un tome 4, à mon sens (en ce moment, clairement je suis preneur de tout ce que Jaworski écrit, et je vais me remettre à lire Les Rois du Monde.) Mais même sans résolution, tout le roman se lit très bien, c’est toujours super bien écrit, super puissance d’évocation pour plonger dans des embrouilles politiques ou des lieux avec une géographie compliquée.
Bande-dessinée qui reprend (la première partie de) l’histoire de Beowulf en remplaçant les guerriers par des enfants. On découvre comment une bande d’enfants dans une banlieue nord-américaine indéterminée à construit une cabane gigantesque dans un arbre et accumulé un trésor gigantesque en jeux et bonbons. Mais furieux de leur bruit incessant, le monstreux M. Grindle va envahir leur sanctuaire, adultifier les adultes et nettoyer la cabane. Douze nuit durant les enfants seront terrorisés, jusqu’à ce que de la banlieue voisine, Bea Wolf, envoyée de la reine Heidi, vienne vaincre le monstre et restaurer la paix-d’après-l’heure-du-coucher.
C’était très chouette. C’est superbement illustré, les allitérations et le kenning rendent bien le sentiment d’une épopée, on est vraiment impliqué dans cette histoire d’enfants qui se battent pour préserver leur royaume de sodas et de nerf guns.
Un nouvel article de Maxime.Attention, cette analyse divulgâche tout ou partie de l’intrigue, notamment ses aspects vestimentaires.
Lecteur, lectrice, je vous ai compris·e ! Vous avez déploré la brièveté de mes derniers billets en ces lieux, moins de deux mille mots. Votre gourmandise de longueur en fut frustrée. Car ce que vous souhaitez, au plus profond de vous, c’est une analyse-fleuve comme celle de Mario. Bien entendu, pas exactement la même, sinon vous vous lasseriez, vous voulez quelque chose de similaire mais tout de même différent. Bref, vous voulez de la répétition, mais de la répétition qui donne du sens. Cela tombe bien, j’ai justement ce qu’il vous faut, grâce à la trentaine de robes à la chinoise du chef-d’œuvre In the Mood for Love de Wong Kar-wai. Au menu du jour donc, nous allons nous intéresser à la technique de la répétition dans l’art cinématographique avec une attention particulière pour les robes. Mais avant cela, commençons par un petit rappel de haute couture.
Cantonnons-nous aux robes cantonaises
Une « robe à la chinoise », plus précisément un qipao (du même mot en mandarin) ou un cheongsam (du cantonais changshan), c’est une robe qui, dans sa version classique, se caractérise grosso modo par :
un col droit assez prononcé (« col mandarin »),
des épaules couvertes mais des bras nus (courtes manches, voire pas de manche du tout),
une ouverture asymétrique, sur le côté droit de la poitrine, souvent refermée par des brandebourgs (des sortes de boutons-nœuds décoratifs),
une coupe élancée,
un bas fendu sur les côtés, parfois longuement, jusqu’au haut de la cuisse.
C’est un monument intemporel d’élégance. Elle réussit, grâce à cette fente géniale, de nombreux compromis rares dans la mode féminine : être à la fois sexy sans être open bar (les bras sont nus et la fente laisse entr’apercevoir une cuisse lors de certains mouvements mais la robe tombe assez bas et n’a pas de décolleté), déshabillée mais couverte (le dos et la poitrine ne sont pas nues ; le vent ne s’engouffre pas si facilement dans ces fentes mouvantes) et, surtout, cintrant mais libérant un petit peu les mouvements (les fentes permettent quelques modestes enjambées).
J’ai toujours été un grand fan de l’esthétique de ces robes mais n’idéalisons pas, elles comportent bien sûr des défauts. Évidemment, il n’y a d’ordinaire pas de poche : il ne faut pas déconner non plus, ça reste une robe. C’est une coupe qui se marie plutôt à des gabarits minces et élancés : pour la body-neutrality, on repassera. La version sans manche implique de prendre position sur la question de la pilosité des aisselles. Les fentes peuvent permettre quelques enjambées mais ça reste une tenue de ville, pas une tenue pour courir un cent-mètres. Et (même si ce n’en est pas un défaut intrinsèque), dans nos sociétés occidentales, elles véhiculent inévitablement un orientalisme érotisant qui peut être malaisant. Heureusement le film du jour est hongkongais donc nous n’aurons pas à traiter de ce dernier point1.
Une élégance intemporelle ne signifie pas que cette robe n’a pas un ancrage historique. Dans sa forme actuelle, c’est un vêtement relativement récent, du début du XXe siècle. Son origine exacte est controversée, il pourrait avoir évolué depuis des robes mandchoues féminines traditionnelles de la fin du XIXe siècle ou être une appropriation féminine de robes masculines consécutive au Mouvement du 4 Mai (mouvement d’étudiant·e·s protestant contre le traité de Versailles). Toujours est-il que c’est un vêtement populaire en Chine continentale et surtout à Shanghai dans les années 1920. Ensuite, après la guerre civile, il tombe en désuétude sur le continent car il est considéré comme bourgeois par le parti communiste (et pouvait même être criminalisé lors de la Révolution culturelle, avec des gardes rouges brûlant des garde-robes de qipaos). Sa popularité n’y reviendra qu’après la mort de Mao. Entre temps, de nombreux tailleurs de qipaos avaient fui vers, notamment, Hong Kong, où il était omniprésent dans les années 1950 et 1960 (où se déroule le film). Il est ensuite peu à peu abandonné à partir des années 1970, sous l’effet de l’occidentalisation des vêtements d’une part et des émeutes de 1967 d’autres part — il n’est alors surtout porté, à cette époque, que par la haute société ou lors de grandes occasions. Il revient sur le devant de la scène à partir des années 2000, entre autres grâce au film du jour (qui est mentionné par toutes les références sur le cheongsam postérieures à 2000 que j’ai pu trouver). Aujourd’hui, c’est redevenu un élément central de la mode chinoise (du continent et d’ailleurs), porté par le regain d’intérêt du Parti communiste pour la culture chinoise. C’est aussi un symbole débattu, travaillé, étudié, comme l’attestent les installations de l’artiste-chercheuse Wessie Ling, les nombreuses expositions qui lui ont été consacrées, les éditions spéciales de Barbies chinoises ou encore les collections « ethniques » de Jean-Paul Gaultier2.
Le qipao est le principal type de robes qu’on aperçoit dans In the Mood for Love. Et ce n’est pas peu dire : on en verra une trentaine de modèles différents. Il y aura également quelques apparitions, très fugaces, d’un autre type de robe (« à l’occidentale »). C’est un détail important (j’y reviendrai au moment voulu) mais unique et, par conséquent, quand j’utiliserai ici le mot « robe » ce sera toujours pour désigner un qipao.3
Le film a-t-il d’autres obsessions vestimentaires ? Oh oui, notamment du côté des accessoires. Mme Chan porte ainsi au moins dix-huit paires de boucles d’oreilles différentes. Malheureusement, ces petits accessoires sont difficiles à repérer et la caméra s’y attarde peu, sauf dans une scène. Elles doivent donc sans doute plutôt être considérées, hélas, comme un plaisant œuf de Pâques plutôt que comme une clef d’analyse. En revanche, les sacs à main (au moins quatre différents) et les pantoufles de Mme Chan disposent de leur propre trame narrative.
De leur côté, les hommes ne portent ici que le vêtement le plus ennuyeux de toute la mode, le complet classique (chemise de couleur claire et veston de couleur foncée), sur lequel nous ne nous attarderons donc pas. En revanche, nous jetterons tout de même un rapide coup d’œil aux quinze cravates de M. Chow, qui disposent aussi de leur trame narrative. Enfin, de façon complètement anecdotique, M. Ping espère draguer Mme Chan avec son chapeau.
In the Dress for Love
Avant d’entrer dans le vif du sujet, résumons à grands traits l’histoire du film. Nous sommes à Hong Kong en 1962. Mme Chan (interprétée par l’excellente Maggie Cheung), travailleuse de la classe moyenne mais l’immobilier est cher à Hong Kong, loue, pour elle et son mari, un homme d’affaires, une chambre à Mme Suen. Au même moment, M. Chow (interprété par l’excellent Tony Leung Chiu-wai), travailleur de la classe moyenne mais l’immobilier est cher à Hong Kong, loue, pour lui et son épouse, une femme d’affaires, une chambre à M. Koo, voisin de palier de Mme Suen. Mme Chan et M. Chow ont des horaires de bureau plutôt réguliers mais passent beaucoup de leur temps seuls car leurs conjoints respectifs, ayant plus de responsabilités, sont souvent absents pour cause de réunion tardive ou de voyage d’affaires. On comprend assez vite que M. Chan et Mme Chow trompent en fait leur conjoint respectif.
Un début d’amitié se noue entre Mme Chan et M. Chow, notamment autour des romans d’arts martiaux publiés en feuilletons. Une tension s’installe aussi mais pas exactement une tension amoureuse : chacun cherche en l’autre quelque chose ; on ne sait pas encore très bien quoi. Ce mystère est résolu à la fin du premier acte (après environ trente minutes) : en fait, chacun a compris que l’amant·e de son conjoint était le conjoint de son voisin·e et cherche donc en ce·tte voisin·e ce qui devrait lui rappeler son conjoint. Vous suivez ?
Notons au passage que cette prise de conscience a eu lieu grâce aux accessoires de modes, la cravate de M. Chow et le sac à main de Mme Chan — la présence de ce dernier étant nécessaire vu l’absence de poche du qipao.
Mme Chan et M. Chow vont ensuite vouloir comprendre comment et pourquoi leurs conjoints vivent leur relation adultère, en se plaçant dans leur peau (donc M. Chow dans celle de M. Chan et Mme Chan dans celle de Mme Chow). Iels vont « jouer » à tomber amoureux du personnage de l’autre. Bien entendu, iels finissent par tomber vraiment amoureux de l’autre. Cependant iels choisissent de garder leur idylle platonique.
À la fin, M. Chow, piégé dans son amour impossible pour Mme Chan, décide de partir à Singapour y refaire sa vie. Il propose alors à Mme Chan de le suivre (et donc implicitement de divorcer). Celle-ci ne peut s’y résoudre à temps.
Un an plus tard, Mme Chan se rend à Singapour. Elle se retrouve dans l’appartement de M. Chow mais celui-ci est au travail. Elle y téléphone mais, en entendant sa voix, Mme Chan perd sa résolution et repart pour Hong Kong. M. Chow comprend cependant plus tard que c’était elle qui l’appelait depuis son appartement (prise de conscience liée cette fois-ci à une histoire de pantoufles).
Trois années plus tard, Mme Chan, désormais mère d’un enfant, récupère l’appartement de Mme Suen (qui part pour les États-Unis). De son côté, M. Chow veut rendre visite à son ancien propriétaire, M. Koo, mais celui-ci aussi a déménagé. Le nouveau propriétaire lui apprend alors que Mme Suen a déménagé et que l’appartement est maintenant occupé par « une dame avec son enfant ». On comprend donc que Mme Chan a fini par divorcer. Malheureusement M. Chow ne reconnaît pas Mme Chan dans cette description (en même temps…) et les retrouvailles n’ont donc pas lieu. Le film se termine par un M. Chow en voyage au Cambodge pour clore cette histoire d’amour unique, ce qui permet de caser un petit caméo du général de Gaulle (attends, quoi ?).
Call me by your last name
D’après le générique, les protagonistes ont des prénoms : Mo-wan pour M. Chow et Li-zhen pour Mme Chan. Ceux-ci ne sont toutefois quasiment pas utilisés dans le film4. Pour un film tournant autour de la notion de couple, conjugal et extraconjugal, ce n’est évidemment pas un hasard. D’ailleurs, quand Mme Suen demande à Mme Chan comment elle doit l’appeler, celle-ci répond « Le nom de mon mari est Chan. » Évidemment, cette réplique sera répétée cinq minutes plus tard quand M. Chow pose la même question à Mme Chan.
Dans cet article, pour simplifier un peu la lecture, j’utiliserai « Chan » pour signifier uniquement Mme Chan, jamais son époux. De même, « Chow » désignera uniquement M. Chow, jamais son épouse.
L’art de la répétition dans l’art
Venons-en à la couture principale de cette analyse, la répétition. Il s’agit d’un procédé omniprésent dans l’art : qu’on pense à la rime, aux leitmotive, aux deux types de comiques, etc. Avant de nous intéresser spécifiquement à son usage dans In the Mood for Love, passons rapidement en revue quelques-unes des techniques de répétition utilisées par le cinéma.
La plus simple, à laquelle aucune grosse production hollywoodienne ne peut échapper, est le thème musical, qui sert principalement à conférer une identité au film et à en souligner les moments-clefs. Souvent, on le joue pendant une scène non parlée, comme une respiration après un moment de tension ou avant une scène d’action, voire pendant les scènes épiques. Parfois le motif musical n’est pas le thème du film en lui-même mais seulement d’un de ses éléments, c’est alors le leitmotiv (c’est un procédé qui remonte à l’opéra et plus spécifiquement à Wagner). L’exemple le plus célèbre est peut-être la Marche impériale de Star Wars, thème musical de Dark Vador et depuis lors largement repris pour souligner le caractère démoniaque de votre patron ou de votre première ministre. Dans un cas comme dans l’autre, le moteur du mécanisme est que la répétition est, par nature, aisément reconnue à l’oreille, ce qui facilite la mémorisation et l’identification du thème avec un film ou un de ses éléments. Quand vous entendez « si-do ; si-do-si-la-do-si ; mi », vous vous cramponnez avec angoisse à votre siège car vous savez que l’Anneau unique est en train d’étendre son emprise5.
Autre technique simple, la répétition d’une scène ou d’un de ses éléments afin de souligner une constante. C’est très pratique pour introduire un univers fictif différent du nôtre : on la retrouve ainsi dans les premières minutes de Barbie (« Hi Barbie ! », pour exposer l’univers parfait et répétitivement parfait de Barbieland).
Plus audacieuse, la répétition d’un plan. C’est moins courant car on risque vite d’ennuyer le·a spectateur·ice mais ça peut typiquement servir à montrer la monotonie de la vie d’un personnage. C’est ainsi utilisé avec succès pour la routine matinale du protagoniste de Paterson.
Moins intéressante, la répétition d’une image, d’un rush. Cela s’utilise typiquement lorsqu’un personnage « revit » une scène marquante précédemment montrée. À utiliser parcimonieusement et de préférence si l’évolution de l’histoire permet au spectateur un regard nouveau sur la scène — sinon on risque vite d’obtenir un effet « cheap », de faire croire qu’on a voulu faire des économies de bobines.
À côté du thème musical, la deuxième technique majeure est la répétition avec variations. Il s’agit cette fois, au contraire, de prendre les éléments répétés comme arrière-plan afin de mieux souligner une évolution du film. Vous connaissez bien ce procédé : on a vu précédemment comme la répétition du petit-déjeuner dans Mario servait à comprendre toute la psychologie du personnage principal et tout le drame de son couple.
Un mécanisme central dans la répétition est de jouer avec l’anticipation du spectateur·ice. Dans les trois premiers cas évoqués ci-dessus, il s’agit de confirmer l’anticipation, ce qui crée une sorte de connivence et aide à immerger dans le récit. Dans le dernier cas au contraire, il s’agit de tromper cette anticipation afin de mettre en relief certains détails.
In the Mood for Love ou l’art de la fugue cinématographique
On le voit, la répétition est un procédé somme toute banal au cinéma. Mais In the Mood for Love va le placer à un tout autre niveau, dans un enchevêtrement de répétitions qui donnent le tournis. Un enchevêtrement de répétitions, autrement dit, oui, une fugue.
Je ne vais pas pouvoir toutes les relever ici car les répétitions sont omniprésentes dans ce film. Avant de nous attarder avec un plaisir gourmand sur celles qui me paraissent les plus significatives (notamment les répétitions vestimentaires), mettons-nous en bouche en évoquant rapidement quelques répétitions plus classiques, qui sont exécutées ici certes avec brio mais dont on trouverait des exemples similaires dans d’autres films :
Le thème musical, le « thème de Yumeji6 », est entendu huit fois (plus une fois avec le générique de fin), lors de chacune des scènes muettes au ralenti servant à illustrer l’évolution de la psychologie des personnages. Il s’agit d’une valse (normal pour un film d’amour) en do mineur (normal pour une histoire triste) dont la basse est elle-même ostinato, c’est-à-dire répétitive. Elle répète 104 fois (!) le même motif rythmique (noire pointée à la contrebasse, demi-soupir-croche-croche au violoncelle) en alternant entre trois-quatre accords. (Ah, qu’il doit être pénible d’être bassiste !)
Répétition d’une scène : Chan, secrétaire de M. Ho, téléphone plusieurs fois à l’épouse ou à la maîtresse de M. Ho pour couvrir ce dernier qui se trouve chez l’une quand il n’est pas chez l’autre. Il s’agit ici d’abord de faire entendre un écho à l’adultère de M. Chan et Mme Chow et ensuite d’inverser cette scène lorsque c’est Chan qui se met à recevoir des appels privés de Chow à son bureau.
Répétition d’une interaction : Chan se voit proposer quatre fois de dîner avec sa logeuse, Mme Suen. Elle refuse les trois premières fois et accepte la quatrième. Il s’agit de souligner le fait que cette acceptation se fait à contre-cœur (car à ce moment Mme Suen a des soupçons sur sa relation avec Chow ; Chan se sent donc obligée de rester à la maison quand son mari est absent).
Répétition d’une habitude : les parties de mah-jong de Mme Suen et Mme Koo, les logeuses respectives des Chan et des Chow, nous sont montrées ou évoquées à cinq reprises. C’est donc une habitude solidement ancrée dans le quotidien, ce qui rend crédible la scène où Mme Chan et M. Chow sont bloqués dans la chambre de ce dernier car les époux Suen et Koo jouent au mah-jong toute la nuit (sans honte pour leur famille).
Répétition d’un même élément graphique sur deux supports différents. Ce genre de clins d’œil esthétiques sert à donner une ambiance ou une cohérence visuelle. Par exemple, cet intérieur de l’appartement des Koo qui apparaît au début du film : la corbeille de pommes sur la commode est répétée par la nature morte au mur. Il s’agit ici d’une variété rouge vif : le fruit défendu, couleur plaisir. Mais c’est une nature morte, donc peut-être aussi un memento mori des sentiments. Autre exemple, cette magnifique scène aux trois jonquilles (dans le vase, sur la robe et comme boucles d’oreilles). Nous sommes au deux-tiers du film, Chan, éprise désormais de Chow, est contrainte de rester assister à la partie de mah-jong de sa logeuse pour faire taire les soupçons d’adultère. Il y a là une double symbolique de la couleur jaune : symbole chinois de l’héroïsme (ici psychologique, dans le sens où Chan réprime ses passions) mais aussi symbole occidental de trahison et donc, surtout associé à une fleur, d’adultère7. Relevons au passage l’omniprésence des motifs floraux dans cette scène : orchidées de Hong Kong sur l’abat-jour, roses sur les rideaux, tulipes sur le verre que tient Chan entre ses mains, reines-marguerites sur la toile des chaises, boucles d’oreilles en forme de lys asiatiques pour Mme Suen, hellébores sur les coussins : Jardiland a été dévalisé.
On pourrait continuer longtemps. En fait, j’ai vérifié pour vous, de la première à la huitante-huitième minute du film, toutes les scènes seront répétées d’une manière ou d’une autre. Il y aurait peut-être des choses à dire ici sur le sens et la prégnance de la répétition dans les cultures chinoises, des réincarnations bouddhiques au procédé lexical de doublement de syllabes, mais je ne vais pas me hasarder sur ce terrain.
L’art de la répétition de la répétition de l’art
Passons maintenant à une thématique répétitive centrale du film : Chow et Chan répètent les scènes de couple. Au sens ici de « répétition avant une représentation » (rehearsal). Il y en a d’abord trois, où Chow et Chan s’imaginent comment la liaison entre leurs conjoints se déroule :
Répétition du « premier pas » entre M. Chan et Mme Chow.
Répétition des dîners.
Répétition d’une scène de sexe à l’hôtel.
Ensuite, M. Chow et Mme Chan vont interpréter de nouveaux rôles et répéter des « scènes futures » qu’ils s’imaginent avoir.
Répétition de l’aveu d’adultère de M. Chan à son épouse.
Répétition de la séparation à venir entre Chan et Chow. C’est la plus belle des cinq répétitions et la plus émouvante. Car, cette fois, Chan et Chow jouent leur propre rôle dans leur propre histoire.
On passe ensuite un cran méta plus loin, car les scènes de répétitions 1, 2 et 4 sont elles-mêmes répétées (au sens d’itération). Ainsi, la première est jouée une première fois en imaginant que M. Chan a fait le premier pas, puis rejouée en imaginant que c’est Mme Chow qui a fait le premier pas. La quatrième est répétée car la réaction de Chan à l’aveu de son mari est insatisfaisante, elle doit mieux s’y préparer.
Au fait, comment être certain que la répétition n°2 est elle-même répétée ? Vu qu’iels sont dans le même restaurant et mangent les mêmes plats, ne s’agit-il pas d’une seule longue scène ? Il est temps, enfin, de faire intervenir les vrais protagonistes de ce film, à savoir les vêtements.
Vingt-et-une fois sur le métier, répétez votre ouvrage
Attendant le retour de son mari Ulysse, Pénélope tisse, détisse et retisse la même toile pendant dix ans. Mme Chan est visiblement plus efficace puisqu’elle dispose de pas moins de vingt-et-un cheongsams différents. Voici la galerie :
Cette abondance de robes ne doit pas vous tromper : Chan n’est pas une victime de la mode qui refuserait de porter deux fois le même vêtement. En fait, la moitié de ses robes seront portées à au moins deux occasions différentes, et certaines jusqu’à sept fois.
Par ailleurs, en dépit de l’élégance véhiculée, ces robes, dans le Hong Kong des années 1960, transcendent les classes sociales et les âges : elles peuvent ne pas être particulièrement onéreuses, selon les tissus et les brandebourgs choisis8. Ainsi, nous verrons douze autres cheongsams portés par quatre autres personnages féminins (Mme Suen, Mme Koo, une inconnue dans la rue et une collègue anonyme de Chow).
En dehors des cheongsams, on apercevra trois autres robes (« à l’occidentale ») dans le film. Je vous le donne dans le mille : elles sont portées par Mme Chow.
Le contraste symbolique avec Mme Chan est fort. Car rappelons-le, Mme Chow n’est jamais présente, toujours en réunion ou en voyage d’affaires. Il est logique donc que cette éternelle absente porte des robes de l’ailleurs, alors que Chan, elle, ne porte que des robes d’ici, de Hong Kong9.
Néanmoins, cette diversité vestimentaire n’est pas cantonnée aux robes. Comme déjà mentionné, Chan dispose aussi d’une vingtaine de boucles d’oreilles et Chow d’une quinzaine de cravates.
Cette attention aux détails vestimentaires irrigue à vrai dire tout le film et touche aussi les personnages secondaires, même les plus mineurs. M. Ho dispose aussi de plusieurs cravates, Mme Kuen de plusieurs qipaos, M. Ping de plusieurs chemises, etc.
Mais revenons à nos qipaos. Un point est évident : si un film prend la peine d’avoir vingt-et-une robes différentes pour son actrice principale, d’en réutiliser certaines mais pas d’autres, c’est qu’il ne s’agit pas uniquement d’une pure lubie visuelle. Il suffit de comparer avec le reste de la filmographie de Wong Kar-wai pour s’en convaincre : les qipaos y sont aussi présents mais certainement pas filmés de la même manière, la caméra s’y attardant peu. Ainsi donc, ces robes ont ici une signification, que nous allons tenter de décortiquer.
Q1, Q12, Q7, C5 : qipao coulé
Le qipao principal du film, que nous nommerons Q1, est ce très lumineux cheongsam bleu ciel à roses rouges (avec quelques feuilles vertes).
De telles couleurs sautent aux yeux, ce qui est le but : il s’agit d’attirer l’attention du spectateur. C’est peut-être celui que nous verrons le plus longtemps. C’est aussi le premier qipao du film, que nous voyons littéralement à la première seconde. Le spectateur va donc d’autant plus facilement le remarquer quand on le reverra, ce qui est habilement utilisé par Wong Kar-wai : Chan le porte à chaque moment-clef de l’évolution de sa relation avec Chow, avant que l’amour ne s’installe. En effet, nous le verrons :
Lors de la première scène, c’est-à-dire quand Chan visite l’appartement (début d’une nouvelle période de sa vie) et littéralement quand elle rencontre Chow pour la première fois.
Lors de la « rencontre au sommet », quand Chow et Chan, au restaurant, se révèlent qu’iels savent que leurs conjoints respectifs les trompent ensemble.
Quand Chow annonce à Chan qu’il va louer un petit studio dans un hôtel, ce qui leur permettra de se voir en tête-à-tête et poussera furieusement leur relation vers la transgression.
Un autre cheongsam important apparaît fugacement après la rencontre au sommet et plus tard trois fois. Nous le nommerons Q12 car Chan en a porté dix autres entre temps, soit une impressionnant moyenne d’un qipao toutes les deux minutes trente de film. Il s’agit d’un pendant chromatique et sémantique à Q1 : c’est à nouveau un cheongsam floral dans les tons bleus, rouges et verts mais cette fois-ci le vert est la couleur du fond, les roses sont bleues telles des violettes et quelques glycines roses viennent relever le tout.
Chan le porte cette fois-ci à chaque moment-clef de l’évolution de sa relation avec Chow, quand l’amour s’installe, c’est-à-dire :
Lors d’une scène centrale du film, que j’appellerai « la scène des quatre qipaos » et que nous analyserons plus bas, où Chow et Chan deviennent amoureux.
Lorsque Mme Suen confronte Chan avec ses soupçons : c’est le moment où le rêve se brise, Chan doit s’admettre que les sentiments qu’elle éprouve confinent à l’adultère, tout platonique qu’il soit, et qu’elle doit donc tenir compte du regard des autres.
Lors de leur dernière scène commune, quand Chan et Chow répètent leurs adieux.
Le troisième principal qipao du film, que nous nommerons Q7 en raison d’une logique numérique qui ne vous aura pas échappé, est un qipao aux bandes de couleurs typiquement sixties.
Les sixties, cette période de révolte contre le conformisme, de remise en question de la notion même de couple. C’est le qipao que porte Chan soit lors des moments de solitude dans laquelle la laisse son mari, soit lorsque des signes d’adultère l’obligent à réfléchir à son mari. Ainsi, nous le verrons :
Deux fois lorsqu’elle se rend au stand de nouilles (pour y manger seule parce que son mari est absent).
Lorsqu’elle excuse, auprès de sa maîtresse, M. Ho, qui ne peut échapper à un dîner avec son épouse dont c’est l’anniversaire.
Lorsqu’elle découvre que Mme Chow et M. Chan sont ensemble.
Lors de la première répétition (celle où Chow et Chan se demandent qui a fait le premier pas).
Lorsque Chow reçoit une lettre du Japon, confirmant que Mme Chow et M. Chan roucoulent à quelques milliers de kilomètres.
Enfin, nous le verrons une dernière fois dans une scène muette qui combine ces deux fonctions, lorsque Chow et Chan écrivent ensemble un roman d’art martial. C’est un moment de complicité — et donc, en creux, ce qui manque entre Chan et son mari — mais aussi un jalon qui mènera à l’adultère (platonique) entre Chow et Chan.
De façon très intéressante, Chow dispose aussi d’une cravate, C5, qui remplit le même rôle que Q7. Là, chère lectrice, cher lecteur, je te sens incrédule voire sceptique. On ne va tout de même pas analyser des cravates ? Peut-être dois-je ici justifier mon analyse du film par le film lui-même, car comme tout bon mystère il contient des indices sur sa clef. En effet, il y a une quatrième scène où Chan porte son qipao principal Q1, celui qui, rappelons-le, est le plus voyant et à même d’éveiller l’attention du spectateur·ice. Au début du film, Chan le porte au bureau, dans une scène où elle remarque la nouvelle cravate de M. Ho, qui est un cadeau de sa maîtresse. Ce dernier s’étonne qu’elle note la différence avec la précédente, qu’il trouve « très similaire ». Elle répond « On remarque les choses quand on y prête attention ». Au plan suivant, M. Ho, qui s’apprête à retrouver son épouse, a remis son ancienne cravate, ce dont Mme Chan s’étonne à son tour. M. Ho, qui, il y a trois minutes, voyait à peine la différence entre les deux cravates, lui répond maintenant « Elle est trop voyante, elle ne correspond pas à mon style habituel. » Évidemment, au sein du film, cette réplique brise le cœur de Mme Chan, qui se dit que M. Ho, lui, a au moins la délicatesse d’essayer de cacher son adultère à sa femme afin de ne pas la blesser (au contraire de M. Chan qui porte fièrement la cravate que lui a offerte Mme Chow). Mais le point le plus intéressant est le message métadiégétique : il nous est demandé de prêter attention aux détails du film, et en particulier aux cravates.
Dont acte. La cravate C5 de Chow (en nuances d’acajou avec un léger motif en losanges) est celle qu’il porte lorsqu’il est confronté à des signes d’adultères ou lorsqu’il doit réfléchir à son couple. Nous la verrons :
Quand, en voulant rembourser un cuiseur à riz, il se rend compte que son épouse a des interactions qu’elle lui cache avec M. Chan.
Quand Ping lui demande de l’aider à draguer Chan, ce qu’il refuse d’un « c’est une femme mariée ».
Quand Mme Chow lui refile de mauvaises excuses au téléphone pour justifier son absence subite.
Deux fois quand il se rend au stand de nouilles (pour y manger seul parce que son épouse est absente).
Quand il small-talke avec Chan sur le fait que leurs conjoints respectifs sont tout deux absents.
Enfin, à la fin de sa période hongkongaise, lors de son dernier retour en taxi avec Chan.
On pourrait continuer longtemps l’analyse de ces vêtements. Par exemple, relevons que les cheongsams de Chan et les cravates de Chow sont plutôt floraux et printaniers au début de leur histoire puis évoluent lentement vers des couleurs et des motifs automnaux voire hivernaux à la fin du film10.
Cette évolution n’a du reste pas lieu à la même vitesse pour les deux personnages : elle est plus rapide pour Chow, qui est aussi plus rapide à admettre ses sentiments pour Chan.
De même, si la temporalité exacte du cœur du film n’est que légèrement suggérée, des indices nous sont donnés par, à nouveau, les vêtements. Au début du film, Chan, qui est allée chercher des nouilles vêtue d’un léger cheongsam à courtes manches, doit éponger la sueur de son visage : c’est l’été subtropical, chaud et moite. Plus tard, elle portera un long manteau par dessus un qipao noir et blanc : c’est l’automne, voire l’hiver.
En fait, tout le film est souligné par les costumes. Je résiste cependant à la tentation de vous décortiquer chacune des autres robes et cravates du film. À la place, intéressons-nous maintenant à quelques problèmes cinématographiques que le film résout magistralement à l’aide de ces vêtements.
Donne-moi mille baisers, puis encore cent, puis encore mille, puis encore cent
Il y a un mode sentimental qu’il est aisé de représenter au cinéma, c’est peut-être même l’art où c’est le plus facile : la puissance du sentiment soudain et inattendu. Rien de plus simple que de représenter un coup de foudre entre deux inconnus : un échange de regards, un ralenti, et l’affaire est dans le sac. Si vous êtes fancy vous pouvez ajouter un aquarium au milieu de vos deux tourtereaux mais ce n’est pas indispensable.
Bien. Mais comment représenter au contraire l’amour lent, celui qui s’immisce progressivement dans vos veines, jour après jour, imperceptiblement et puis un matin vous vous réveillez et vous vous rendez compte que vous êtes amoureux·se, que l’autre vous est devenu·e indispensable et irremplaçable — mais impossible de remonter à un événement précis ? Cet amour qui « rampe en vous sans que vous le remarquiez », comme dit Chow ?
Le premier cas est simple car il s’agit de faire ce que l’art fait de mieux : étirer et grossir un instant. Le second cas, lui, implique au contraire de condenser une période : il faut arriver à résumer en une ou deux scènes une progression des sentiments qui s’étalent sur quelques mois. Qui plus est, le quotidien de tout un chacun est fait de répétitions monotones, ce qui est difficile à montrer sans ennuyer. Il faut donc ruser : par exemple, au lieu de montrer qu’une complicité s’est installée parce que les protagonistes se voient tous les matins sur le chemin du boulot (boooring), vous pouvez montrer une succession rapide de rendez-vous ou de moments de complicité identiques mais dans un cadre différent : au parc, au restaurant, au cinéma, dans le bus, à la plage, au bar, etc. Histoire d’enfoncer le clou, coupez les dialogues et mettez une petite musique du type valse en fond sonore. Classique Hollywood.
Maintenant, compliquons les choses. Imaginons que vous n’ayez pas le droit à autant de cadres différents. Par exemple parce que votre couple en train de se créer est extraconjugal et que ça ferait jaser, il n’est pas question d’aller s’exhiber aux quatre coins de Hong Kong. Vos protagonistes ne peuvent se voir librement qu’en un endroit, la petite chambre d’hôtel louée par Chow pour écrire des feuilletons d’arts martiaux. Mais si le cadre est unique, comment bien faire comprendre que vous montrez plusieurs moments s’étalant sur plusieurs semaines voire mois, et non pas une seule longue soirée ? La solution de Wong, aussi simple qu’élégante, tient en un mot : qipao ! Ainsi, à la 56e minute, on voit Chan et Chow en train d’écrire un roman d’art martial, chacun tenant le stylo à son tour, puis ils mangent ensemble et enfin ils chantent. Cela pourrait être le programme d’une seule soirée. Mais Chan porte successivement quatre qipaos, on comprend donc qu’il s’agit d’au moins quatre rendez-vous : c’est leur quotidien. En outre, pour ces rendez-vous, Chan sort toutes ses robes ayant comme couleur majeure le vert, couleur de l’espérance et du printemps : c’est l’éclosion des sentiments.
De même, la répétition des scènes de dîner que j’évoquais plus haut nous est montrée d’abord avec le qipao à jonquilles, ensuite avec le qipao en dégradé noir-blanc à zigzags. Enfin, dans le taxi les ramenant du restaurant, Chan porte cette fois-ci son qipao en dégradé jaune à carreaux avec liseré et brandebourgs en fleurs bleu ciel. La scène du dîner a donc été répétée au moins trois fois. (Chan a aussi changé de boucles d’oreilles et Chow a porté trois cravates différentes.)
Bien entendu, faire changer vos personnages de vêtements lorsque vous les montrez sous différents jours paraît le b.a.-ba du réalisme cinématographique. Toutefois, c’est normalement un détail sur lequel l’esprit ne s’attarde pas, car le reste du décor ou de l’histoire nous indique déjà la flèche du temps. Ce qui est intéressant est qu’ici Wong Kar-wai non seulement s’abstient de tout autre signe temporel mais en plus peut se le permettre car tout le film nous encourage à faire attention aux vêtements.
Le désir démesuré sur mesure
Second problème cinématographique : comment représenter, voire consacrer, l’intensité de l’amour qu’on peut éprouver pour une personne qui nous est devenue chère, unique, irremplaçable ? Il y a, dans les imaginaires de la fiction, un topos qui a la vie dure : celui de marquer le coup par un contact corporel intime (un baiser ou du sexe, cela dépendra de la classification MPA que vous visez). Il suffit de feuilleter à peu près n’importe quel shojo pour s’en convaincre. Tout le monde ou presque sait pourtant que c’est plus compliqué que cela dans la vraie vie11 mais néanmoins cela reste une technique narrative fréquente.
Or In the Mood for Love a beau être un film suintant le désir de la première à la dernière minute, c’est aussi un film avare en contacts corporels. Pas le moindre bisou (pas même sur la joue). Chow prend certes deux fois Chan dans ses bras — mais uniquement pour la consoler car elle s’est effondrée en larmes. Le summum du contact corporel direct se trouve dans des mains qui se tiennent. Et encore, ça n’arrive que deux fois et demi dans tout le film.
Mais Wong a d’autres cordes à son arc pour représenter la passion, grâce aux vêtements et accessoires. La première est un qipao rouge vif, couleur du désir, porté par Chan lorsqu’elle répète avec Chow la nuit d’hôtel passée par leurs conjoints adultères. L’intensité de ce qipao est souligné par le fait qu’elle ne le porte qu’une seule fois dans tout le film. (La cravate que Chow porte dans cette scène est aussi un hapax. Les boucles d’oreilles de Chan aussi, ce qui pour une fois se voit assez bien car la caméra zoome dessus.)
La seconde astuce de Wong est la cravate de M. Chow et mérite qu’on s’y attarde un petit peu. Quelle est la fonction érotique d’une cravate dans l’imaginaire collectif ? Elle est double. La première, évidente, est que cette sorte de laisse permet de « dominer » qui la porte, de l’attirer à soi. Je ne parle pas ici de BDSM mais d’une représentation plus symbolique : l’homme a abdiqué sa volonté sous la puissance de son propre désir et il est attiré vers sa ou son partenaire par « quelque chose de plus fort que lui ».
La deuxième fonction12 repose sur ce que représente la cravate dans la garde-robes contemporaine. La cravate n’est pas neutre : c’est l’accessoire par excellence de « l’homme rangé », celui qui participe à faire tourner la société et à en perpétuer l’ordre. Elle est portée typiquement par les politiciens (surtout de droite), les hommes d’affaires, les employés de bureau des grosses entreprises, les diplomates, les hauts fonctionnaires et les jeunes garçons des lycées qui imposent des uniformes. Un peu moins à droite mais toujours comme symbole de perpétuation de l’ordre, c’est aussi un accessoire fréquemment porté lors des rites institutionnels comme les mariages ou une cérémonie de remise de diplômes. À l’inverse, c’est un accessoire rare dans les métiers artistiques ou chez les révolutionnaires (sous sa forme classique du moins). Et c’est bien pour cela qu’une image fréquente dans les couples de la fiction est celle de la cravate qu’on dénoue ou retire avant les ébats : c’est l’homme rangé qui sort de l’ordre pour (re)devenir un homme de pulsion, sauvage et presque animal.
Évidemment, Wong Kar-wai n’est pas un réalisateur de l’explicite : il ne va pas nous montrer directement ces deux fonctions picturales classiques de la cravate. À la place, il va jouer sur le fait qu’elles sont tellement ancrées dans nos imaginaires qu’il va lui suffire de les évoquer. Ainsi, la première fonction est suggérée lors de la première répétition, quand Chan imagine que c’est Mme Chow qui a fait le premier pas vers M. Chan. Elle va jouer ce premier pas avec des œillades, des sourires et en montrant que sa main se dirige vers la cravate de Chow. Notons que Chan ne va pas au bout de son geste. Comme elle l’explique, elle « n’y arrive pas » : saisir la cravate serait aller trop loin dans l’érotisme et lui est trop douloureux.
Pour la deuxième fonction, il faut remarquer que M. Chan porte tout le temps la cravate. Tout le temps ? Non, deux irréductibles scènes résistent encore et toujours à l’ordre envahissant13. La première est la fameuse scène des quatre qipaos dont je parlais plus haut, qui nous montre les tête-à-tête du couple. M. Chow y fait une première apparition sans cravate — torride ! À partir de ce moment, ça y est, Chow est intensément amoureux de Chan : son désir déborde de son col. La seconde apparition sans cravate est dans la scène suivante, où les protagonistes répètent l’aveu d’adultère de M. Chan. Chow y interprète justement ici un M. Chan bravache qui admet être sorti de l’ordre conjugal et qui donc a retiré sa cravate.
Notons que cette symbolique de la cravate est aussi utilisée, sans sous-entendu directement sexuel, pour le personnage de M. Ping. Celui-ci nous est en effet montré comme un gars un peu lourdaud qui, contrairement aux convenances, cherche à draguer grossièrement une femme mariée, s’exprime vulgairement et admet aller fréquemment au bordel. Ce n’est donc manifestement pas un homme rangé : ainsi, dans deux de ses quatre apparitions, il ne porte pas la cravate.
Puisque je te ne le répète pas (personne ici n’a commandé de qipao géant)
Étant donné que les répétitions forment le moteur du film, il est logique d’analyser le film lui-même sous l’angle des mécanismes de la répétition et de s’intéresser à ce que les répétitions mettent en lumière, à savoir précisément ce qui n’est pas répété.
Selon moi, tout ce film tourne autour de la répétition afin de souligner l’unicité de l’histoire d’amour entre Chan et Chow. Lorsque Chan refuse qu’elle et Chow dépassent le stade platonique, elle le justifie en disant « Nous ne serons pas comme eux [= leurs conjoints] », c’est-à-dire qu’ils ne répéteront pas l’adultère — et cette phrase est évidemment répétée un peu plus tard par Chow. Car l’adultère est une histoire qui se répète, dans la vie et dans le film même (Mme Chow et M. Chan d’une part ; M. Ho d’autre part). Ils ne veulent pas non plus répéter l’histoire banale des époux trompés qui se vengent en cocufiant à leur tour.
Cinématographiquement, l’unicité de cet amour est magnifiée par la scène finale. User de répétitions dans la scène finale d’un film est une technique classique, pour ne pas dire éculée. On peut le faire avec variations, pour montrer l’évolution (souvent positive) qu’ont vécue les personnages. C’est le retour à l’école de Nemo dans Finding Nemo, cette fois avec la confiance de son père. Ce sont Merida et Elinor qui tissent ensemble une tapisserie dans Brave, cette fois avec complicité.
Cas particulier fréquent, la dernière scène répète la première, afin de montrer un retour à la normale, la reprise d’une vie paisible après un élément perturbateur. C’est la naissance de la fille de Simba et Nala dans The Lion King (reprise du cycle éééterneeeeel). C’est le retour à la Comté de Sam dans le troisième volet de The Lord of the Rings, retour paisible à la maison, qui reprend la première scène du premier volet, arrivée perturbatrice de Gandalf dans la Comté.
Cet usage peut aussi être renversé pour montrer au contraire que l’histoire qu’on croyait présentée comme unique ou comme perturbation d’un quotidien s’insère en réalité dans un cycle de répétitions plus ou moins immuable. Ce sont les mafiosi qui viennent rendre hommage à leur nouveau parrain à la fin de The Godfather : l’histoire particulière de Michael Corleone est en fait l’archétype de toute accession au sommet d’un parrain de la mafia. C’est Paul qui vient demander des œufs à une autre voisine à la fin de Funny Games : Paul et Peter ne sont pas juste des psychopathes mais aussi des tueurs en série.
Donc, trois grands cas de figure : une évolution après avoir surmonté des épreuves, un retour heureux à la normale ou une histoire appelée à se répéter. Or, bien entendu, rien de tout cela n’est possible pour In the Mood for Love. À la rigueur, on pourrait imaginer un retour malheureux à la normale pour Chow et Chan dans leurs vies de couples. Mais a) ce serait un peu téléphoné et b) pour pouvoir répéter cela, il faudrait avoir introduit au préalable des scènes avec leurs conjoints, qu’on n’a jamais vraiment vus du film.
Et c’est là que le génie de la répétition de Wong va révéler toute sa puissance. Pour souligner l’unicité de cette histoire d’amour, il va utiliser une scène finale ne répétant aucun élément du reste du film. Au-cun. Chow se rend au Cambodge (pays qui n’a jamais été évoqué), dans les ruines d’Angkor (alors que tout le film se situe dans la modernité du temps présent, avec évocation des avancées technologiques et des émeutes de l’époque), en plein air (tout le reste du film est soit en intérieur, soit dans des ruelles étroites), dans la nature (le reste du film est en ville), sous un ciel bleu (première fois qu’on aperçoit un personnage sous le ciel dans le film). Même la musique innove en changeant de thème et en confiant la mélodie au violoncelle (elle était auparavant jouée par un violon). Côte caméra, c’est aussi l’unique moment où ce film utilise des images d’archives, ainsi qu’une succession de plans fixes (et pas moins de huit, histoire d’être certain de ne pas passer à côté).
Là, Chow va suivre une vieille tradition consistant à confier un secret dont on veut qu’il ne soit répété à personne à un trou creusé dans un arbre puis à boucher le trou afin de couvrir à jamais ce secret. Bien entendu, symboliquement, Chow veut ainsi non seulement qu’on ne répète pas son histoire d’amour mais aussi qu’elle ne se répète pas, afin d’en éviter à nouveau la douleur et également, sans doute, d’en préserver ce qui fait sa beauté, à savoir son unicité. Un moine est témoin de la scène : filmé de dos, il agit comme un double du spectateur. Mais il contraste aussi avec le fait qu’on ne nous a jamais montré Chan et Chow vus dans leur histoire par d’autres protagonistes du film, ni même par des figurants.
Vestimentairement, pour son ultime apparition, Chow ne porte pas de cravate, ce qu’on avait certes déjà vu mais cela prend ici un tout autre sens, évidemment non sexuel : Chow s’est libéré de son histoire. Libéré, délivré, vraiment ? La réponse dans le troisième volet de la trilogie, 2046.
Ah, pardon, j’ai peut-être omis de mentionner qu’In the Mood for Love est le deuxième volet d’une « trilogie informelle » (c’est-à-dire dont chaque épisode est assez indépendant), consacrée à l’amour (comme toutes les trilogies informelles ?). Le premier, Days of being wild, a pour thème l’amour maladif et compulsif. Chan y a une première aventure de courte durée avec un stalker maniaco-dépressif à la recherche de sa mère ; Chow n’y apparaît pas. Dans le troisième volet, 2046, qui a pour thème la fuite dans l’amour, Chow tente désespérément d’oublier Chan en tombant amoureux d’une homonyme en qipao, ce qui, étrangement, n’est pas très efficace (la vraie Chan n’apparaît virtuellement pas).
Répète pour voir
Au risque de me répéter, In the Mood for Love est un film unique. Il n’est pas d’un abord facile. Outre l’ambiguïté du jeu de Chow et Chan (jouent-iels vraiment le rôle du conjoint de l’autre ou jouent-iels leur propre rôle ?), la narration n’hésite pas à recourir aux ellipses et aux allusions subtiles, et même à un flashforward anticipé (à Singapour, on voit d’abord la scène où Chow comprend que Chan est venue dans son appartement avant de voir celle montrant que Chan est venue à Singapour)14. Du côté des conjoints, Mme Chow et M. Chan ne sont jamais montrés de face et n’ont qu’une dizaine de répliques, ce qui complique l’identification de leurs rares apparitions15. Et nous avons vu dans cette analyse qu’il y a beaucoup, beaucoup d’implicite à décortiquer.
En fait, c’est un film qu’on ne peut saisir en le voyant une seule fois. Il faut le voir, le revoir et le revoir encore. Quoi de plus normal pour un film sur la répétition ?
Notes
J’ai vu passer quelques commentaires sur l’érotisme des qipaos dans In the Mood for Love, j’expliquerai plus bas pourquoi il s’agit, selon moi, d’un contre-sens. ↩︎
On est sur un blog sérieux ici donc je cite mes sources : – Hazel Clark, The Cheongsam, Oxford University Press, 2000. – A Century of Fashion: Hong Kong Cheongsam Story (catalogue d’exposition) Hong Kong Museum of History, 2013. ↩︎
À propos de synonymie : le mot qipao est utilisé plus fréquemment dans les sources francophones ; le mot cheongsam est préféré par les sources anglophones. L’un comme l’autre désigne dans ces langues la robe à laquelle je m’intéresse ici. Mais, dans leurs langues originales, ces mots peuvent désigner plus largement d’autres types de robes : l’étymologie de qipao est simplement « robe mandchoue » et celle de cheongsam, « longue robe ». Il existe notamment une version masculine du cheongsam, dont l’impact sur la mode mondiale est toutefois faible (comme, du reste, toutes les robes masculines). Dans cet article, on se simplifie la vie : robe = qipao = cheongsam. ↩︎
On entendra juste un collègue de M. Chow l’appeller « Chow Mo-wan » à la 52e minute. ↩︎
Bien entendu, votre angoisse est aussi liée à votre crainte de vous faire chopper par le Père Blaise en pleine écoute d’une quarte augmentée résolue par une septième mineure. ↩︎
Ce thème est repris d’un film japonais de 1991, Yumeji, sur un peintre et poète du même nom. ↩︎
La culture hongkongaise se nourrissant de Chine et d’Occident, en raison de la colonisation britannique, il est permis d’y voir un symbole ambivalent. ↩︎
Je n’ai malheureusement pas l’œil pour vous parler des tissus choisis par In the Mood for Love, navré :(. ↩︎
Pour revenir à la question de l’érotisme : un tiers des qipaos du film sont donc portés par des personnages auxquels n’est associée aucune sensualité. À l’inverse, le seul personnage féminin adultère porte une robe occidentale. C’est pourquoi il serait un contre-sens teinté d’orientalisme de voir dans les qipaos de ce film une robe intrinsèquement séduisante voire aguichante. ↩︎
Je parle ici de la première apparition de ces vêtements — la répétition tardive de certaines robes printanières est justement assez éloquente quant aux illusions auxquelles s’accrochent Chan. ↩︎
Sans même parler des questions de représentations de l’asexualité, encore très peu explorées par le cinéma. Voir à ce sujet le film Slow de Marija Kavtaradze, 2023. ↩︎
Qui sert aussi à effacer toute représentation BDSM d’homme dominé qu’aurait pu faussement véhiculer la première fonction et qui serait fâcheuse pour le patriarcat. ↩︎
Cela dit, ce film relève globalement d’une narration étonnamment linéaire pour Wong Kar-wai, qui est d’ordinaire très friand de ces flashforwards anticipés. ↩︎
Par exemple, la main qui frappe à la porte d’une chambre d’hôtel vers la 22e minute est bien celle de M. Chan car la montre se trouve au poignet gauche alors que Chow porte la sienne au poignet droit. ↩︎
Série télé uchronique. En 1969, l’URSS réussit le premier alunissage de l’Humanité, avant de surenchérir avec l’alunissage d’*une* cosmonaute. En réaction et sous pression de la Présidence, la NASA accélère fortement son programme spatial, décide de l’ouvrir aux astronautes femmes, et lance la construction d’une base permanente sur la Lune.
Saison 1 :
J’ai beaucoup aimé. On commence avec des astronautes (et leur entourage) qui sont des stéréotypes en carton-pâte, et la série les déconstruit progressivement pour en faire de vraies personnes avec des vies compliquées. Il y a une palanquée de problèmes techniques dans l’espace qui tiennent les spectateurices en haleine, et ce d’autant plus qu’en bonne série post-GoT, les scénaristes n’hésitent pas à tuer des personnages principaux (en terme de tension qui te tient rivé à ton siège, mention spéciale à l’épisode 9).
C’est fortement dans la même veine que The Calculating Stars, même si l’uchronie et la période temporelle sont un peu différentes, et c’est très cool de voir ce genre d’histoire sous la forme d’une série avec un bon budget pour les décors.
Film d’animation français présentant une enquête policière dans un monde de science-fiction, et paru en 2023. Dans un futur indéterminé, l’Humanité est une espèce transplanétaire, avec des colonies sur la Lune et une grosse cité sur Mars. Les robots sont monnaie courante, dans des versions plus ou moins androïdes mais toutes assujetties aux Humain.es via un équivalent des Trois Lois de la Robotique. Aline Ruby (humaine) et Carlos Rivera (androïde) sont deux détectives privés qui vont enquêter sur la disparition de deux étudiantes de l’université martienne. Ce faisant, il vont mettre à jour une conspiration aux ramifications gigantesques, comme de bien entendu dans un polar.
L’enquête est assez classique, mais dans le bon sens du terme, on est en terrain tout à fait familier pour un polar, avec des recettes qui marchent. Et c’est tout à fait bienvenu parce que l’univers par contre est beaucoup plus surprenant. On est toujours dans un capitalisme débridé qui ne parle pas du tout d’environnement et prone le consumérisme, mais le rapport des humains aux robots, les avancées de la cybernétique, tout ça rajoute plein d’éléments, qui sont introduits de façon très fluide dans l’histoire mais qu’on ne comprend que petit à petit (ou qui sont juste évoqués en passant, vu que pour les personnages c’est leur quotidien).
Série télé de 2022. On suit les aventures d’une version fictive de Stede Bonnett, un propriétaire terrien de la Barbade qui a abandonné sa vie à terre pour devenir un pirate. On suit notamment sa relation avec Barbe-Noire, la fascination qu’ils exercent l’un sur l’autre puis la romance qui se développe entre eux.
J’ai beaucoup aimé. Il y a un côté très théâtral dans le côté « low-budget » de la série, où c’est souvent 10 personnes sur un bateau perdu au milieu de l’océan. La série a un ton comique, pas du tout historique. On s’attarde surtout sur les émotions des personnages et leurs relations, le décalage entre les attentes de Bonnett et la réalité de la vie de pirate (et comment c’est sa vision qui finit par s’imposer). Taika Waititi est excellent dans le rôle de Barbe-Noire, il a un magnétisme incroyable. Globalement, tous les rôles (et les relations entre les persos) sont très réussis, mention spéciale à Israel Hands qui a l’air de Malcolm de The Thick of It perdu dans un univers où tout le monde ignore ses tentatives d’intimidation.
Grosse recommandation, et j’espère qu’il y aura une seconde saison.
EDIT 2023 :
Il y a eu une seconde saison (mais vu sa conclusion c’est probablement la dernière, ce qui est pas mal narrativement pour éviter que ça ne s’épuise) ! Démarrage un peu lent avant que les persos principaux ne soient réunis, le côté pétage de câble total de Barbe-Noire est bien réussi. Tout le monde est encore plus choupi et gay que dans la saison 1, c’est vraiment très bien.
Film de kaiju sorti en 2016, qui reboote la franchise Godzilla. Une créature gigantesque est repérée dans la baie de Tokyo et commence à entre dans la ville et à la détruire. On suit les efforts du gouvernement japonais pour comprendre la situation puis lutter contre la créature, tout en étant paralysé par sa bureaucratie et son inféodation aux États-Unis.
J’ai beaucoup aimé. Le design de la créature qui utilise des effets spéciaux manuels est très cool, les plans sont originaux, le point de vue sur/depuis la machine bureaucratique qu’est le gouvernement aussi, comme le fait de centrer les enjeux sur la menace de la radioactivité et de l’ingérence des autres pays plutôt que sur la menace que fait peser le kaiju sur la ville. Très bonne surprise, grosse reco.
Série québécoise de 4 saisons, sorties entre 2017 et 2020 et accessible en streaming farpaitement légal sur TV5 Monde Plus.
Une série drôle, fine et émouvante sur le burn-out (et plein d’autres choses, notamment les relations familiales/filiales et on sait que j’aime ça), avec des personnages géniaux (du genre aussi insupportables qu’attachants, fortiches et vulnérables comme des bébés chats), mille punchlines hilarantes par épisode, des acteurices excellentissimes, une référence à Jean Leloup ♥, deux premières saisons formidables et deux suivantes certes un peu en dessous mais toujours un régal, bref, à gavisionner sans attendre.
Roman post-apocalyptique français paru en 1972. En 77, une explosion nucléaire (de ce qu’en suppose les personnages, mais ce n’est jamais confirmé) dévaste la Terre. Dans un château fort du Périgord, une bande d’ami d’enfance a survécu, abrités par la cave du château et par la falaise surplombante (roman typiquement français, les personnages sont sauvés parce qu’ils sont allés embouteiller du vin). Peu à peu, ils vont organiser leur survie, reprendre des relations avec les quelques survivants du village voisin, discuter organisation spirituelle…
J’ai beaucoup aimé. C’est fort cool d’avoir un point de vue français et des années 70s sur le post-apo vu le revival actuel. Tout est loin d’être parfait dans ce roman (déjà, la place des femmes est désastreuse, même s’il y a des personnages féminins (la Menou) très réussis, ça sort quand même pas beaucoup de la dichotomie maman/putain) ; mais c’est une lecture prenante, selon un dispositif intéressant : le récit correspond à un texte laissé par Emmanuel, le leader de fait de la communauté de Malevil, qui relate sa jeunesse puis la vie après l’événement. De temps en temps, son récit est interrompu par des « notes » de Thomas, un autre personnage, qui a pris la tête de la communauté après la mort d’Emmanuel et amende le récit d’Emmanuel, qui mets sous le tapis certains points. Le thème de l’affrontement ou de la collaboration des pouvoirs spirituels et temporels et du dévoiement de ces pouvoirs (que ce soit les actions de Fulbert et Vilmain, adversaires extérieurs bien visibles), ou celui de Colin ou d’Emmanuel lui-même, qui prônent une démocratie qui est quand même bien alignée derrière leur leadership est bien mis en scène. Les tensions entre croyants et athée, militant au PC et traditionalistes, ruraux et urbains (et ceux qui parlent ou non le patois) fonctionnent bien aussi.
Palme d’or 2023. Sandra, écrivaine, vit dans un chalet alpin avec son mari Samuel et son fils Daniel. Un jour, Samuel est retrouvé mort. Le film va montrer le déroulé du procès visant à établir si Sandra est responsable de la mort de Samuel.
J’ai beaucoup aimé. J’avais peur que 2h30 de film de procès ce soit un peu long, mais à part les 10 dernières minutes (après l’annonce du verdict, en gros), on ne les voit pas passer. Le film prend le temps d’installer les éléments de l’intrigue au début, et d’un coup ça décolle et on est dans un tunnel, la Palme est totalement méritée. Le film montre la perception de la relation de Sandra et Samuel à travers les yeux de Sandra, de Daniel, et via un discours rapporté et des enregistrements, à travers les yeux de Samuel – ainsi que la perception de leur relation par le grand public. C’est très bien joué (sauf peut-être les rôles de la présidente de la cour d’assise et celui de l’avocat général, qui semblent être là pour faire les antagonistes, et je ne suis pas convaincu non plus par le personnage de Marge) – même le chien joue bien. Les enjeux de plurilinguisme (même si on peut regretter de ne pas entendre un mot d’allemand alors que le personnage principal est allemande, pourquoi elle parle en anglais et pas en allemand au procès ?) et d’écriture/création sont réussis.
C’est un peu un retournement du trope de la femme dans le réfrigérateur : la mort d’un homme donne le point de départ de toute l’intrigue, il y a des enjeux de tension dans le couple mais c’est Samuel qui se plaint d’être enfermé à la maison pendant que sa compagne à une carrière brillante – je fais un peu un rapprochement avec Revolutionary Roadaussi.