Archives par mot-clé : essai

Le Deuxième Sexe, de Simone de Beauvoir

Tome 1 (recension du 27 août 2018)
Un peu déçu. On m’avait prévenu que le tome 1 était moins intéressant que le 2 donc je lirai le 2, mais effectivement le 1 est pas génial. Divisé en 3 parties Destin, Histoire et Mythes, le livre présente différents points de vues et données sur les femmes. De Beauvoir passe d’abord en revue les connaissances issues de la biologie et de la psychanalyse, et bon, tu sens que c’est daté dans les deux cas. Elle parle ensuite de la place des femmes dans les sociétés à travers l’Histoire, et pareil, c’est une vision très péremptoire et très de son époque de l’anthropologie. Enfin, la partie Mythes montre les différentes significations et symboliques attachées aux femmes d’un point de vue masculin. C’est un peu long mais j’ai trouvé que c’était la partie la plus pertinente, qui peut se résumer en : « l’Homme se considère comme le centre du monde, les femmes lui présentent une image d’une Altérité et d’un reflet à la fois : en tant qu’altérité on va lui coller toutes les altérités dessus (la Nature en premier lieu, d’où plein de métaphore de la Nature comme une femme et des femmes comme forces naturelles un peu mystiques »), et le signifiant de plein de couples de valeur (jour/nuit, bien/mal…), où l’Homme récupère l’autre et généralement le mélioratif. Comme Reflet, il va être attendu des femmes qu’elles valident les Hommes, les confortant dans leurs choix : l’Homme va les vouloir indépendantes mais concédant quand même à l’Homme qu’il a raison à la fin, dures à séduire mais cédant aux avances… (en gros, une imitation de personne indépendante, mais qui finit toujours par valider les choix et envies de l’Homme).
Bref, j’ai trouvé ça un peu long pour ce que ça disait. Après c’est peut-être que c’était fondateur et que ça a été beaucoup repris par d’autres ouvrages et autrices féministes depuis. Ou alors c’est que c’est un point de vue philosophique et que ce n’est pas ce que je recherche dans un essai féministe.

Tome 2 (recension du 17 septembre 2019)
Excellent début, qui détaille comment l’éducation des enfants selon leur genre va modeler les individus selon des stéréotypes de genre. Ça pour le coup c’est toujours très pertinent et très bien décrit, ça explique comment les comportements présentés comme innés sont au contraire inculqués avec force répétition et les réactions que ça crée.
Au delà de ce début vraiment très bien, je n’ai pas été transporté par le reste du tome. Y’a plein d’éléments pertinents mais que j’ai déjà vu ailleurs, et surtout il y a une approche très généralisante. De Beauvoir parle surtout de la femme blanche et des catégories supérieures de la population (même s’il y a des passages sur les ouvrières), et de façon assez péremptoire, comme dans le premier tome. En plus elle parle de la condition féminine blanche et bourgeoise des années 40, du coup y’a un certain nombre de choses dans la structure de la société qui ont évolué depuis.

Nature à vendre, de Virginie Maris

Ou Les Limites des Services Ecosystémiques.

Transcription d’une conférence donnée en 2014 sur le sujet.
Le concept de services écosystémiques (SE) a été popularisé en 2005 avec le Millenium Assessment Act. Pensés comme un concept complémentaire de la biodiversité (on parle fréquemment de Biodiversity and Ecosystem Services), ils tendent en fait à remplacer la biodiversité dans le discours libéral sur la protection de la Nature. Ce remplacement advient parce que le concept de SE est bien adapté au néolibéralisme : si la Nature rend des services, ces services sont évaluables et facile à faire rentrer dans des bilans comptables et des arbitrages. Mais le revers c’est que la Nature comme « fournisseuse de service » est une vision problématique à plusieurs titres :
1/ La Nature n’est pas intrinsèquement au service de l’Humanité. Si parfois elle rend service, parfois elle est neutre, parfois elle est néfaste (inondations, moustiques). Et les désagréments de la Nature ne sont pas secrètement bénéfiques si on regarde avec une vision plus large. Ça c’est une vision naïve d’une Nature conçue pour servir l’espèce humaine, pas la réalité. Du coup, comment justifier de protéger la Nature inutile ?
2/ Si on peut mesurer le bénéfice apporté par la Nature pour justifier sa préservation plutôt que sa destruction par un projet avec moins de bénéfice, il faut accepter qu’il y a plein de fois où la Nature va perdre cet arbitrage : parfois bétonner tout est plus efficace. De plus un service peut perdre son intérêt si on développe une nouvelle techno ou change d’organisation : le service de captage du carbone atmosphérique n’existe que si on a une civilisation thermo-industrielle qui crache du carbone en excès dans l’atmosphère. Le problème est de ne se baser que sur une efficacité de service rendu et pas sur une valeur intrinsèque.
3/ On parle de services rendus, mais rendus à qui ? Les bénéficiaires sont rarement l’Humanité entière. Dans ce cas comment arbitrer entre différents bénéficiaires de services différents ? Il y a souvent des conflits d’usages entre différents sous-groupes. Cf les conflits sur la réintroduction des prédateurs dans les montagnes françaises. Plus généralement, des bénéfices à court-terme peuvent être négatifs à long terme ou pour l’ensemble du groupe (maximiser l’utilité globale ne passe pas forcément par maximiser les utilités individuelles).

Par ailleurs, maximiser les services rendus ne maximise pas forcément la biodiversité, et inversement : un système agricole ou forestier en coupe réglée avec 2-3 espèces est plus productif qu’un écosystème sauvage. Si on par d’une zone morte (friche industrielle par ex) effectivement la relation existe, mais ça se décorrèle rapidement.

La monétarisation des SE rajoute encore des problèmes : monétariser permet d’avoir un dénominateur commun pour faire des calculs coûts/bénéfices. Mais ça suppose que ça a un sens d’avoir une unité commune de mesure. Hors mesurer le service de production d’un verger, le service de rétention d’eau et la valeur esthétique d’un paysage sur la même base… Quand c’est fait, c’est fait au pifomètre, et ça a l’air faussement scientifique et carré.
Derrière on va sortir une jolie métrique à l’apparence rationnelle pour dire qu’on a fait un choix technocratique de façon tout à fait raisonnable qui n’est pas sujet à débat puisque c’est bien cette option qui optimise la métrique, alors que justement les choix de préserver telle ou telle facette de la Nature avec tel ou tel impact sur l’organisation de la société humaine sont précisément des choix politiques qui devraient faire débat : puisqu’on met en balance des valeurs incommensurables, la décision est forcément politique.
De plus, la monétisation favorise la gestion des SE et de la Nature comme un produit financier : on peut spéculer dessus, on applique par défaut le régime de la propriété privée, on favorise la captation par les plus riches : les Etats, mais surtout entreprises, qui vont devenir les propriétaires légitimes des SE.

Au Nord du travail, de TOMJO

Court fascicule sur les mutations du travail, le fait que viser de revenir au plein emploi notamment industriel c’est pas mal de la merde (« pour nous les emplois dans les mines c’était surtout la silicose ») et que par conséquence on peut trouver mieux comme grand projet de gauche que des relocalisations d’usine. De la même façon, la promesse d’un monde où les robots travailleront pour nous est assez factice, d’une part parce que l’on voit bien qu’actuellement les gains de productivité de la robotique et de l’algorithmique servent essentiellement à augmenter les profits de quelques uns plutôt que d’être redistribués, et ensuite parce que les robots n’apparaissent pas par magie, il faut les construire à partir de minéraux et ressources naturelles très loin d’être pérennes et extractibles sans dommages majeurs pour la planête, et avec un coût social important. Plutôt que l’alternative relocalisation/algorithmisation, l’auteur appelle à sortir du culte de la croissance pour retrouver un projet de société plus soutenable.

Un espace indéfendable, de Jean-Pierre Garnier

Court texte sur l’ « architecture défensive », le fait d’aménager les villes et l’espace public dans l’optique de « diminuer la délinquance », ce qui conduit souvent à privatiser tout sauf les espaces de circulation, et de réaménager les accès pour permettre à la police de courser tout le monde. C’était intéressant mais trop court, j’aurais bien voulu plus de développement, des exemples, quelques dessins illustrant les réaménagements.

Une culture du viol à la française, de Valérie Rey-Robert

Essai sur la culture du viol, par l’autrice du blog Crêpe Georgette. Un peu déçu parce que trop générique à mon goût. Je pense que je n’étais pas le public visé, le livre revenait sur beaucoup de choses dont j’étais déjà conscient. La partie sur les spécificités de la relation de la culture française à la culture du viol est finalement assez mince.

Comment tout peut s’effondrer, de Pablo Servigne et Raphaël Stevens

Essai de collapsologie publié en 2015. Les auteurs expliquent vouloir poser les bases d’un nouveau champ scientifique, la collapsologie, donc. L’idée est la suivante : la trajectoire sur laquelle est actuellement l’espèce humaine est non-soutenable, et ce à court terme. On a dépassé pas mal de limites planétaires, les rendements énergétiques sont très largement décroissants, le climat s’emballe et les écosystèmes s’effondrent. Il est certain que la fin de la civilisation thermo-industrielle est proche.

Deux points cependant :
– la « fin de la civilisation thermo-industrielle est proche » ça ne veut pas dire « la fin du monde est proche ». Il y a aura un après. Il ne va pas s’agir d’une apocalypse soudaine nous laissant dans un monde post-apo à la Mad Max, mais d’une perte graduelle de niveau de vie, qui sera ressenti d’autant plus durement dans les territoires les plus connectés à la mondialisation.
– on ne peut pas donner de date précise. D’une part parce qu’il ne va pas s’agir d’un phénomène soudain, et que ce sera sûrement appréhendable surtout a posteriori, comme souvent avec les processus ; d’autre part parce qu’il y a plein d’incertitude sur la finitude des ressources, les réponses qu’on peut donner aux crises, la résilience des écosystèmes, du climat, du système financier, des systèmes humains…
Ce qui reste cependant certain c’est qu’une sortie du modèle actuel de développement est inéluctable à l’échelle d’environ une génération.

Pourtant, on ne s’y prépare pas, c’est largement vu comme un non-sujet (même si de fait la collapsologie a gagné en traction depuis 2015). Les auteurs analysent ce phénomène à la lumière d’autres effondrement de civilisations locales : la difficulté à prévoir les changements de trajectoire, le poids des choix socio-techniques passés sur nos trajectoires présentes, la complexification des structures sociales qui les rigidifie énormément…

Le but de la collapsologie est alors de rassembler des données sur les effondrements passés, les trajectoires possibles, les réaction des sociétés, des individus, pour permettre de négocier un peu plus facilement la transition. Le champ d’étude couvrirait à la fois l’Histoire, la psychologie, la sociologie, l’écologie…

Le projet est ambitieux et intéressant, le livre n’a pas le temps de rentrer dans les détails mais pose des bases prometteuses.

A Room of One’s Own, de Virginia Woolf

Essai romancé sur les conditions permettant d’écrire et plus généralement de se réaliser intellectuellement, et en quoi ces conditions ont majoritairement été refusées aux femmes.
La thèse que Woolf développe en partant de son propre cas est la suivante : pour écrire il faut avoir un espace à soi où être tranquille et une rente quelconque qui permet de ne pas se concentrer en permanence sur les conditions matérielles. Elle note au passage qu’en plus de ces conditions matérielles, les femmes ont pendant longtemps été écartés de l’accès à la connaissance (jusqu’à son époque où l’accès aux bibliothèques des universités anglaises nécessitait pour les femmes d’être accompagnées), considérées par la société entière comme inférieures, et leurs sujets d’intérêt comme moins pertinents que ceux des hommes.
Il y a quelques moments où elle se lance dans des considérations psychologiques sur le fait d’avoir une sensibilité masculine et féminine en soi qui m’ont laissé dubitatif mais sinon c’est très bien, j’aime beaucoup son style et la façon dont elle met en scène son raisonnement.

Le Propre et le Sale, de Georges Vigarello

Essai sur l’évolution de l’hygiène corporelle depuis le Moyen-Âge.
C’est assez intéressant, ça montre comment il y a toute une construction sociale de l’hygiène et de la notion de propreté qui varie avec le temps et qui est essentiellement basée sur des normes sociales.
La propreté est d’abord associé aux habits visibles, avec une notion de maintien de la tenue : il faut des étoffes de bonne qualité et en bon état, avec des notions de richesse qui viennent s’en mêler.
Puis il y a un déplacement sur le linge de corps et sur sa blancheur apparente, là aussi qui est mêlée à la qualité du tissu. Ce linge qui était avant une sous couche des vêtements devient visible (chemise qui dépasse des habits la recouvrant aux poignets et au col, notamment, avec éventuellement de fausses manchettes amovibles, il y a vraiment une notion d’apparence). Pendant tout ce temps la propreté du corps lui même n’est pas un sujet, il s’agit de changer de linge quand il est sale, parce qu’il absorbe la saleté. l’eau est mal vue, comme un élément qui affaiblit les barrières cutanées.
Passage à une hygiène du corps et à une vision positive de l’eau, avec une méfiance quand même qui reste sur l’eau chaude qui amollirait les esprits/aurait un caractère sensuel qui corromprait.
Introduction d’une vision d’ingénieurs urbanistes vers les années 1830-50 en France avec la création de circuits de canalisations pour apporter l’eau jusqu’aux maisons de façon systématiques (par opposition aux bains apportés par baquets). Introduction aussi d’une éducation des dominés à une hygiène imposée d’en haut : relayé par l’éducation dans les école, par des manuel d’hygiène. Apparition d’une opposition entre la pratique du bain dans une salle de bain privative, moment d’intimité, au niveau des classes bourgeoises, et d’une pratique de la douche, d’abord dans des établissements collectifs (prisons, casernes, internats, puis bains-douches), avec des cabines alignées, une eau et un temps rationnés, du côté des classes populaires.

Le livre ne parle pas de la réappropriation des douches par la bourgeoisie avec des douches plus luxueuses, parce qu’il s’arrête avant, mais ce serait dans la droite ligne.

Globalement c’était fort intéressant, un peu aride à lire cependant.

La Communication non-violente, de Marshall D. Rosenberg

Court livre sur les principes de la communication non-violente. Pas convaincu par la forme du livre, et ça mériterait plus de contexte sur quand il est pertinent ou non d’utiliser ce type de communication spécifiquement (typiquement, ça suppose de la bonne volonté de la part des deux interlocuteurs et des intérêts de long terme convergent, c’est pour améliorer la communication avec vos proches, pas dans les négociations salariales. En gros si tu précises pas les limites d’applicabilité ça devient un concept fortement centriste où le seul problème c’est de mettre tous les éléments sur la table et ensuite un compromis entre gens raisonnables et une solution optimale pour tou.te.s peuvent toujours être trouvés).

Cela dit, les principes présentés sont intéressants :
– Bien distinguer l’énonciation de faits de l’énonciation d’opinions sur ces faits, pour séparer le subjectif de l’objectif dans le discours.
– Expliciter son ressenti sous forme de sentiments précis (et qui soient des sentiments, pas une interprétation du comportement des autres : « je me sens incompris » ça marche pas, « je me sens en colère/triste parce que j’ai l’impression de ne pas être compris » oui), et en exposant ce qui a provoqué ce sentiment (la partie « parce que je ». L’auteur insiste sur le fait que le « parce que » doit être suivi de « je » : on est dans les opinions, on reste à parler de son ressenti.)
– Expliciter ce qu’on demande aux autres/ce qu’on attend d’eux, en étant le plus précis possible (ne pas dire « je voudrais que tu passes moins de temps au boulot » pour « je voudrais qu’on passe plus de temps ensemble »). Après je suis d’accord que c’est bien d’expliciter et d’être clair, mais c’est volontairement ignorer qu’il y a plein de motifs de communication qui par politesse/convention passent par de l’implicite et du sous-entendu.
– Enfin, accepter que les gens puissent ne pas répondre positivement à notre demande parce qu’ils ne sont pas en état de le faire (et c’est là où pour moi du coup ça limite vachement le contexte dans lequel c’est applicable en nécessitant que les deux interlocuteurs soient de bonne foi à la base).