Bouvard et Pécuchet, de Flaubert

Roman français de 1881. Les deux héros du roman se rencontrent par hasard à Paris et deviennent très amis. Les deux sont employés de bureau et insatisfaits de leur vie. Quand l’un des deux hérite, ils décident de partir vivre à la campagne, ayant acheté un manoir et une ferme qui leur assure une rente.
Ils se mettent à l’agriculture en amateurs, puis appliquent à la même (absence de) méthode à tous les domaines possibles (sciences, religion, archéologie, gymnastique, politique, éducation), allant de catastrophe en catastrophe et enchainant les pertes sèches d’argent sans jamais perdre confiance en eux-mêmes.

C’était plaisant à lire, ce qui n’est pas gagné d’avance avec du Flaubert. Le roman est inachevé, le dernier chapitre n’existe que sous forme de plan, mais ça ne gène pas la lecture.

The Big Short, d’Adam McKay

Film américain de 2015, présentant les ressorts financiers de la crise de 2008. On suit trois groupes de financiers à l’extérieur de l’écosystème mainstream de la Bourse américaine, qui réalisent dès 2005 que les produits financiers les plus en vogue, officiellement solides car adossés au marché de l’immobilier, sont en fait complètement vérolés : ces produits sont des agrégations d’assurances sur les défauts de paiement des crédits immobiliers, mais aucune vérification n’est fait a priori sur la solvabilité des gens qui contractent les crédits. De plus, les mécanismes d’agrégation agglomèrent des crédits avec des taux de risque différente, et considèrent ce panachage en soi comme une garantie de solidité. Enfin, tout un marché secondaire s’est mis en place avec des produits qui sont basiquement des assurances sur le défaut de paiement des assurances sur le défaut de paiement, ce qui fait qu’il y a une somme d’argent gigantesque brassée, le tout basé sur un marché de l’immobilier qui est clairement une bulle.

Les acteurs principaux de la Bourse sont tellement impliqués jusqu’au cou dans ces transactions qu’ils n’ont pas intérêt à y regarder de trop près, c’est pourquoi ce sont des outsiders qui vont voir l’embrouille, prendre des positions boursières contre la tendance à la hausse du marché (shorter le marché, d’où le titre du film), et voir à leur grand désarroi tout le marché secondaire rester à la hausse bien plus longtemps que ce qu’il aurait dû si les acteurs boursiers divers faisaient correctement leur travail, aggravant d’autant plus la crise subséquente.

Niveau mise en scène, c’était intéressant, il y avait plein d’acteurs bankables à contre emploi. Le film prend le temps d’expliquer quelques passages techniques dans des séquences didactiques. Par contre il ne faut pas avoir peur de voir 2h10 pleines de testostérone et de gens en costard cravate assez antipathiques. Mais ça vaut le coup, le film réussit bien à expliquer des mécanismes complexes, et comment personne n’a fait son taff correctement face à la perspective de profits à court terme.

Quiz, de James Graham

Mini-série documentaire anglaise en trois épisodes. On suit la création du programme télé Who wants to be a millionnaire (adapté en France comme Qui veut gagner des millions), énorme succès d’audience et qui est vendu par la télé anglaise au reste du monde et notamment aux américains (plutôt que l’inverse, ce qui était le cas habituel). On suit surtout l’engouement que le programme suscite, et comment une communauté de fans de pub quiz vont s’unir pour passer les étapes de présélection. Et surtout comment parmi ceux là, le cas d’une famille ou un frère, une sœur et son mari vont successivement se retrouver candidats du jeu, le mari devenant la seconde personne de l’histoire du programme à atteindre le million, mais d’une façon qui mènera à un procès pour fraude. On suit alors les arguments de l’accusation puis de la défense, la question de la médiatisation du procès et de la présentation des preuves (la chaine télé qui est partie au procès éditant le montage mettant en évidence les éléments de fraude).

J’ai bien aimé le côté fiction documentaire. La période couverte est à la fois proche de nous (le jeu est inventé en 1997, l’émission où le mari est soupçonné d’avoir triché est filmée le 09/09/2001, l’enquête se passe dans les jours qui suivent le Onze Septembre) et fort différente dans l’accès aux informations – internet existe mais n’est pas du tout omniprésent comme aujourd’hui. Les personnages sont très très anglais (la série en joue), c’est sympa à regarder sans être inoubliable.

L’Usine, d’Hiroko Oyamada

Livre japonais sur la vie de trois personnes travaillant sur un site industriel gigantesque. On suit trois employés, un ingénieur affecté au bureau de végétalisation des toits, une contractuelle qui s’occupe de la destruction des documents internes, et un intérimaire qui travaille à la correction de documents. Dans les trois cas, le but de leur travail reste relativement obscur, leur hiérarchie assez peu existante, et le cœur de métier de l’Usine à la fois loin de ce qu’iels font et mystérieux à appréhender. L’Usine semble avoir des dimensions et une occupation changeante, le temps s’y écoule différemment d’à l’extérieur, et elle contient une multitude de sous-services et d’annexes qui permettent de passer une vie entière en son sein sans jamais manquer de rien. Peu à peu, l’intrigue va se resserrer sur des animaux qui semble n’exister qu’au sein de l’Usine, et se multiplient de plus en plus.

C’était assez étrange comme lecture. Une espèce de fantastique corporate, avec les codes japonais de l’attachement à l’entreprise (mais réactualisés pour une époque où l’emploi à vie n’est plus qu’un lointain souvenir). Ça se lit vite et on se laisse prendre à l’histoire.

Dieu, le temps, les hommes et les anges, d’Olga Tokarczuk

Roman polonais de 1996. On suit sur un demi-siècle la vie dans le petit village polonais d’Antan. Il s’avère qu’Antan est l’axe du monde, et que tout ce qui s’y passe est d’une importance cruciale. Le livre est composé de court chapitres, variant à chaque fois le point de vue. Certains reviennent et sont des fils conducteurs, d’autres ne sont présentés qu’une fois. La majorité sont des points de vue d’humains, mais on a aussi ceux d’objets, d’animaux ou d’anges gardiens. On voit l’influence des deux guerres mondiales sur Antan ainsi que les évolutions propres au village, les mariages, les enfants. Deux éléments de fantastiques parcourent le roman sans être approfondis plus que ça : un des personnages explique à un moment que rien n’existe hors d’Antan et que les gens qui pensent en sortir restent paralysés à la frontière du village et forment de faux souvenirs ; un autre personnage reçoit un jeu qui est supposé représenter la totalité de l’univers et est composé de huit mondes enchâssés successivement créés par Dieu, avec Antan au centre.

C’était sympa à lire, sans être la révélation de l’année.

Un Air de Famille, de Cédric Klapisch

Film français adapté d’une pièce de théâtre du duo Jaoui/Bacri, dans lesquels ils jouent tous les deux. Vendredi soir, petite ville indéterminée du Sud de la France. Comme chaque vendredi Henri accueille son frère, sa sœur et sa mère dans son bar avant qu’ils aillent au restaurant tous ensemble. Aujourd’hui, c’est l’anniversaire de Yolande, la femme de son frère Philippe, le frère en question est passé à la télé, sa sœur à dit ses 4 vérités à son patron insupportable, et la femme d’Henri a décidé de prendre une semaine « pour réfléchir ».

Ça crie beaucoup. Le film met en scène une famille dysfonctionnelle et ça s’entend. Henri a repris le bar que son père tenait, sa mère voit ça comme un échec, et ne se prive pas de lui faire savoir. Bacri campe un personnage de râleur (surprise) un peu réac mais qui devient attachant quand on voit ses faiblesses : son attachement à son chien paralysé, son désarroi devant le départ de sa femme, sa relation tout en coup de gueule mais néanmoins attachée à son employé (Denis, joué par Darroussin). Le film est un presque huis-clos, logique vu qu’il est adapté d’une pièce de théâtre. Quelques longueurs mais de belles scènes : Bacri qui tente de voir sa femme partie chez une amie, avec tout les gamins qui zonent en bas de l’immeuble qui l’encouragent ; Darroussin et Frot qui dansent ensemble. D’ailleurs le personnage de Catherine Frot est très réussi et très bien joué, j’ai l’impression qu’elle est toujours un peu castée dans le même rôle, mais là elle y ajoute une certaine subtilité – en comparaison avec Cuisine et Dépendances, son personnage de bourgeoise un peu cruche est quand même mieux réussi que celui de Zabou.

Je recommande, si vous n’avez rien contre les gens qui s’engueulent en criant.

Cuisine et Dépendances, de Philippe Muyl

Film adapté d’une pièce d’Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri, où les deux jouent. Un couple tombe par hasard sur un de leurs anciens amis devenu célèbre et l’invite à dîner. On ne voit rien du dîner lui-même, mais tout le contrechamp de la cuisine, où les personnages se croisent et viennent faire des apartés, les relations entre les différents participants étant houleuses. C’était sympa mais de facture très classique, avec des ressorts qui reposent sur le ressentiment et les divergences de vue entre des personnages plutôt à l’aise dans la vie (je ne me remets pas de l’appartement parisien immense), un peu de sexisme gratuit par moment. Une très bonne scène où Bacri tente par téléphone de savoir si un hôtel dispose de chambres libres. Pour un Jaoui Bacri, je recommande plutôt Le Goût des Autres.

Disco Elysium, de ZA/UM

RPG vidéo sorti en 2019. On incarne un détective amnésique qui doit enquêter sur la mort d’un homme retrouvé pendu dans une arrière cour, dans une cité en déliquescence, sur fond de négociations entre une entreprise transnationale et un syndicat de dockers. Le jeu propose pas mal de miniquêtes annexes, et surtout un système de compétences et d’objets équipables permettant de façonner la personnalité et les capacités du héros, modifiant les interactions que l’on peut avoir avec l’environnement et les PNJ.

J’ai beaucoup aimé. L’environnement est original (des années 70’s alternatives dans une cité anciennement impériale, désormais sur le retour et victime d’un néocolonialisme déguisé, avec des aspirations à l’autogestion contrecarrée), avec un arrière plan ultra riche et travaillé dont on voit finalement très peu par rapport à toutes les pistes qui sont données. Le narrateur est en sale état, et les différentes compétences que l’on développe prennent la forme de voix intérieures qui nous donnent des indications sur comment gérer nos interactions avec les autres persos, et donnent des bonus sur les lancers de dés qui gouvernent toute la mécanique du jeu. Mais ces voix intérieures ne sont pas toujours fiables, les suivre aveuglément n’est pas toujours idéal. De même, épuiser toutes les options de dialogue n’est pas toujours une bonne idée, de la même façon que dire tout ce qui nous passe par la tête dans la vie réelle n’est pas idéal. On peut modifier l’alignement politique du personnage (et même si ce n’est pas dit comme ça, il y a aussi une grille lawful/chaotic|good/bad). En terme de graphismes l’environnement est très beau dans le genre ruines réaménagées, avec plein de petits détails.

Grosse recommandation.

Exit le fantôme, de Philip Roth

Roman américain de 2007. Philip Roth reprend pour un dernier roman le personnage de Nathan Zuckerman, son alter ego fictif. Après 11 ans de retraite dans la campagne américaine, Zuckerman revient à New York pour une opération de la prostate. Se replongeant d’un coup dans l’agitation urbaine dans les jours qui entourent la réélection de Bush, il va renouer avec une vieille connaissance, se prendre le bec avec un jeune écrivain ambitieux, et être bien libidineux et craignos avec une jeune écrivaine.

C’était assez malaisant. On a un narrateur de 71 ans qui passe son temps à parler de son désir pour une femme de 28, et de sa volonté qu’on n’aille pas déterrer la relation incestueuse entre un écrivain qu’il admirait et mort depuis 30 ans et sa sœur. C’est dommage que ces thèmes principaux soient aussi craignos (mais je crois qu’il faut que je me résolve à ce que j’apprécie les livres de jeunesse de Roth mais qu’il a salement dérivé avec l’âge), parce qu’il y avait des éléments intéressants : le narrateur sent le poids des années et de sa condition physique qui se délabre, aussi bien en terme de trous de mémoire que de façon plus prosaïque par le fait de devoir gérer une incontinence. Deuxième point intéressant, le texte alterne entre des segments écrits à la façon d’un roman et d’autres à la façon d’une pièce de théâtre, qui sont des conversation imaginaires écrites par le narrateur pour remplacer ce qu’il n’a pas osé dire ou demander à des gens. Mais de façon générale, je ne recommande pas ce livre, lisez plutôt Le Complot contre l’Amérique ou Pastorale américaine du même auteur.

The Wicked + The Divine, de Kieron Gillen et Jamie McKelvie

Série de comics. Tous les 90 ans, 12 dieux se réincarnent pour deux ans dans des adolescents, qui se retrouvent soudain munis de capacité à générer des miracles et parler le langage des dieux. On suit le destin des 12 membres de la résurgence de 2013, qui deviennent des stars adulées mondialement dans le Londres moderne, et qui tentent de comprendre les tenants et aboutissants de leur espérance de vie raccourcie à deux ans, l’origine de cette Résurgence, et pourquoi quelqu’un semble tenter de tuer certain.e.s d’entre elleux.

J’ai été un peu déçu par rapport à mes attentes. La série commence très bien, propose un univers riche et original, mais la résolution des mystères et la conclusion de l’histoire laissent un peu à désirer, j’ai trouvé. Le dessin est beau mais assez lisse, le design des personnages est très réussi par contre.