Master of Djinn, de P. Djèlí Clark

Roman de fantasy états-unien publié en 2021. Il se passe dans le même univers que la novella The Haunting of Tram Car 15, ie un Caire alternatif où les Djinns sont réapparus dans le monde humain, faisant de l’Égypte une des grandes puissances. On suit Fatma, une agent du Ministère du Surnaturel, qui enquête sur l’assassinat des membres d’une confrérie anglaise se réclamant d’Al Jahiz, le scientifique à l’origine du retour des Djinns sur Terre.

J’ai bien aimé. La structure du bouquin est assez classique (on est sur une quête/enquête où l’opposant semble de plus en plus inarrêtable, les gentils récupèrent des infos pour comprendre les tenants et aboutissants de son plan mais restent toujours un pas derrière, jusqu’à la grande confrontation finale), mais ça fonctionne bien. Quelques plot-twists qui se voient venir, mais l’univers est très imaginatif, et y’a beaucoup de rebondissement qui tiennent pas mal en haleine. Quelques tropes réimaginés (on sent que l’auteur s’est fait plaisir parce que franchement c’est pas crucial à l’intrigue : un Anneau Unique-like, un mecha géant…

Je recommande, en conseillant de commencer par les deux nouvelles dans le même univers, qui d’une part vous permettront de savoir si vous aimez le style et le décor, et d’autre part donnent quelques éléments d’arrière-plan.

Carrie, de Brian De Palma

Film états-unien de 1976, adaptation du roman éponyme de Stephen King. Carrie, élevée par une mère ultra-religieuse, est la souffre douleur de sa classe. Elle a ses règles pour la première fois en terminale et en public, en n’ayant aucune idée de ce dont il s’agit. Elle découvre au même moment qu’elle dispose de pouvoirs télékinétiques. Punies par la prof de sport pour avoir humilié Carrie au lieu de l’avoir aidé au moment de ses premières règles, les filles qui la persécutaient vont élaborer un plan particulièrement convolu pour la faire élire reine de la prom et lui balancer un seau de sang dessus devant toute l’école réunie. Traumatisée, Carrie tuera toute l’école avec sa télékinésie avant de tuer sa mère et de se suicider.

C’est un classique, mais il a été tellement repris, cité, détourné, amélioré que voir l’original est académiquement intéressant mais sans surprises. Le film est un peu daté et assez lent, certains acteurs ne jouent pas très bien (Travolta notamment). Le personnage de la mère de Carrie est assez réussi dans le genre traumatisant, un petit mix entre Mother Gothel dans Tangled et la sorcière dans Into the Woods. Globalement les scènes dans la maison de Carrie sont assez réussies. Le final lors du bal de la prom aussi, mais le reste de l’action au lycée est quand même très lent.

Le Complexe de la Sorcière, d’Isabelle Sorrente

Ouvrage français de 2020. Mi-essai, mi-autobio (ou autofiction ?). La narratrice raconte comment elle commence à imaginer de façon récurrente une sorcière. Elle va se renseigner sur le sujet des chasses aux sorcières de la Renaissance, se rendre compte de l’ampleur du phénomène, et théoriser qu’il a laissé une empreinte durable sur la psyché des femmes européennes.

Jusque là, soit. Sauf qu’elle convoque un concept de traumatisme multigénérationnel, l’illustrant avec un descendant de Louis XVI qui perdra la tête de nos jours dans un accident de ski. Désolé mais je ne crois pas à la pensée magique.

La narratrice parle aussi du harcèlement qu’elle a subi à l’école, théorisé les rapports hommes/femmes comme une relation inquisiteur/sorcière avec la rationalité froide d’un côté et l’émotivité de l’autre. Elle parle aussi de ses amies et des relations romantiques de ces dernières et d’elle même.

Globalement j’ai assez peu accroché. Il y a plusieurs thèmes intéressants qui sont abordés, mais je n’aime pas le traitement qui en est fait, j’aurai voulu un vrai essai et une approche plus matérialiste.

Le Chœur des Femmes, de Martin Winckler

Roman médical de 2009. On suit Jean, interne en médecine qui doit – pour ses 6 derniers mois avant une prise de poste – intégrer un service de gynécologie. Ce qui ne lui convient pas du tout, Jean ne rêvant que de travailler dans un service de chirurgie des organes sexuels. Mais au contact de Franz Karma, le chef du service, Jean va revoir ses conceptions sur ce que signifie être docteur et être soignant…

J’ai beaucoup aimé la partie médecine et gynécologie, c’est bien mis en scène, c’est même un page turner assez inattendu. J’ai été beaucoup moins convaincu par l’histoire en arrière plan et les révélations sur le passé des personnages. Ça fait franchement soap et on voit tout venir de très très loin. Mais j’étais content de retrouver l’univers de Winckler – si j’ai lu La Maladie de Sachs il y a trop longtemps pour me souvenir de grand chose, ça m’a par contre pas mal réévoqué de souvenir des Trois Médecins, le côté saga au long cour est plaisant.

Je recommande.

Comment parler des livres que l’on a pas lu ?, de Pierre Bayard

Essai littéraire français paru en 2006. Derrière un titre provocateur, Bayard propose un essai sur ce qu’est la lecture, une activité qui a un lien avec les livres mais dépasse largement le cadre d’un livre en particulier.

La thèse défendue est que dire qu’on a lu un livre n’a pas grand sens : la connaissance que l’on a d’un ouvrage n’est pas une notion binaire, où le fait d’avoir lu le livre fait qu’on se rappelle parfaitement de son contenu d’un bout à l’autre. On peut parcourir un livre en sautant des passages, on peut lire un livre et l’oublier, et dans tous les cas la mémoire déforme ce qu’on retient d’un livre et le colore. De toute façon, l’important pour parler d’un livre n’est pas son contenu précis, mais de savoir le placer dans un réseau de relation à d’autres livres : autre ouvrage de l’auteur, catégorisation stylistique, place dans un mouvement… Bayard théorise qu’un lecteur n’est pas quelqu’un qui a alors une relation à des livres précis, mais possède une bibliothèque intérieure, un ensemble de relation à des livres, des fragments de livres, des réinterprétations de livres modifiées avec le temps. Discuter des livres est alors comparer sa bibliothèque intérieure avec celle de quelqu’un d’autre, et regarder les points sur lesquels elle diverge ou converge.

Il conclut en citant Wilde que finalement, parler de livres est toujours parler de soi, et que savoir se détacher des œuvres permet de mieux parler de soi, et d’entrer dans une démarche créatrice : pour écrire, il faut savoir non-lire.

J’ai beaucoup aimé. C’est court, intéressant dans les théories de la lecture que ça propose, facile à lire dans le style, chaque chapitre s’appuie sur un texte pour faire sa démonstration (et donne souvent envie de (re)lire l’œuvre en question.

Suspiria, de Luca Guadagnino

Remake de 2018 du film de Dario Argento de 1977. L’action prend place dans le Berlin de 1977. La ville est divisée par le Mur, la bande à Baader a pris un vol de la Lufthansa en otage, l’agitation politique est intense. Au milieu de tout ça, l’action gravite autour de l’école de danse Markos : une nouvelle élève américaine très douée vient d’arriver, une autre élève est portée manquante, elle a confié à son psy qu’elle pense que les professeures de l’école sont des sorcières. La pratique de la danse dans l’école viserait à accomplir des rituels, notamment la régénération de la fondatrice de l’école, gravement malade.

Avis mitigé. Déjà, le film est clairement trop long. 2h26 c’est au moins 26 minutes de trop, voire 1h. Toutes les allusions au contexte politique n’apportent absolument rien à l’histoire, il est sous-entendu que Patrizia (l’élève disparue) était impliquée dans des groupes d’extrême-gauche, mais ça n’a jamais d’impact. Toute la ligne narrative autour du psy est aussi sans intérêt à mes yeux. J’ai l’impression qu’elle sert uniquement à montrer le budget qui a pu être mis dans la reconstitution du décor du Berlin de l’époque. Ce qui est certes très bien, mais si ça ne sert aucun propos dans le film…

Sur l’aspect horrifique, on a très vite des indications qu’il se passe effectivement des événements surnaturels dans l’école et que les profs sont effectivement des sorcières. C’est une variation par rapport au premier film, et qui marche bien avec les moyens qu’ils ont pour mettre en scène le surnaturel (et les scènes des sorcières qui discutent au restaurant ou dans leur cuisine collective sont assez cools en termes de dynamique de groupe), mais derrière le film met quand même beaucoup de temps à monter, avec des persos qui enquêtent sur ce qui se passe alors que le spectateur a déjà les infos. J’ai bien aimé le final qui part totalement en latte, mais le crescendo aurait pu être plus réussi.

Dans les éléments que j’ai beaucoup aimé, il y a le cast. Dakota Johnson et Tilda Swinton réussissent très bien leur rôle, et plus généralement le casting de toutes les élèves et profs fonctionne bien. Le côté béguinage maléfique de l’école de danse, avec quasi exclusivement des rôles féminins marche très bien. L’architecture de l’école de danse est intéressante dans les grands espaces, mais n’est pas aussi réussie que celle de l’originale. Les costumes (la grande robe de Tilda Swinton notamment) et les scènes de danse sont très bien, le fait de voir vraiment de la danse par rapport à l’original est un gros plus. Par contre la musique de Thom Yorke ne vaut pas celle de Goblin dans l’ambiance qu’elle installe.

En résumé, je pense que je recommande le visionnage, surtout pour comparer la proposition par rapport à l’original, mais sans être totalement convaincu par le film.

Canoës, de Maylis de Kerangal

Recueil de nouvelles français paru en 2021. Une nouvelle en quelques chapitres, puis des fragments en quelques pages. Deux éléments qui les relient : le sujet de la voix qui revient dans toutes les nouvelles, central dans les fragments, évoqué dans la nouvelle centrale ; le mot canoë, présent dans chaque nouvelle, parfois de façon assez artificielle avec l’évocation d’un pendentif canoë ou du rappel d’un souvenir qui n’a pas grand chose avec l’action principale mais qui contient un canoë.

Je n’ai pas été convaincu. La forme fragmentaire, je trouve que c’est toujours casse-gueule, et pour des nouvelles qui n’ont pas de twist ça me semble toujours inachevé. De plus, la forme nouvelles + le thème de la voix, ça m’a évoqué Calls, qui ne m’avait pas convaincu non plus.

La Mouette, d’Anton Tchekov, joué par le collectif MxM

Spectacle vu en 2022 à la Scène Nationale d’Albi. C’était la première fois que je voyais une œuvre de Tchekov, et j’en suis fort content. On suit l’histoire d’une famille étendue, et principalement de Costia, fils d’une théâtreuse qui veut se faire un nom lui aussi et n’arrive pas à se détacher du regard de sa mère.

La mise en scène était très intéressante, surtout sur les premiers actes : les acteurs jouent sur scène – parfois visible du public, parfois derrière un mur – et sont filmés. Le film est projeté sur plusieurs écrans, se superposant éventuellement à ce que font les acteurs, parfois étant dans le champ de la caméra, le décor met en scène l’intérieur de la maison, mais le lac est visible sur certains écrans, les personnages pouvant être filmés devant. Globalement le mélange théâtre/cinéma était fort réussi (moins sur le dernier acte, la majorité de l’action étant hors champ ça devient plus un film) et permet de varier les points de vue sur la pièce.

Au niveau de l’histoire, j’ai bien aimé les réflexions sur la création et ce que le statut de « créateurs » fait aux gens, entre star-system, syndrome de l’imposteur et vie ordinaire. Le côté histoire d’amour tragique m’a laissé plus froid par contre.

Je recommande (mais faut pas avoir peur du côté déprimant du théâtre russe).

Chien 51, de Laurent Gaudé

Polar de science-fiction écrit par un écrivain de littérature blanche. J’aime bien Gaudé habituellement, mais ça fait quelques romans que je trouve qu’il tourne un peu en rond. Tenter de s’approprier à la fois les codes du polars et de la SF pour se renouveler était ambitieux, mais comme souvent quand des écrivains de littérature blanche font des incursions dans la littérature de genre, ils réinventent un peu la roue. C’est le cas ici, avec des corporations qui rachètent des pays et ont des citoyens-salariés, on est dans de la SF française à la Damasio, c’est pas désagréable à lire mais ce genre de polar où un flic se retrouve confronté à des intrigues politiques bien trop grande sur fond de société de classe injuste, ça a déjà été beaucoup fait.

Ça se lit vite et c’est sympa, mais ça n’a rien de mémorable. Du même auteur lisez plutôt Le Soleil des Scorta ; dans le même genre de polar lisez plutôt du Denis Lehane, pour le setup regardez plutôt le film Renaissance de 2006.

Normal People, de Sally Rooney

Roman irlandais publié en 2018. Deux adolescents d’une petite ville irlandaise sortent ensemble, vont tous les deux au Trinity College de Dublin, rompent, sortent avec d’autres personnes, se remettent ensemble. Il vient d’une famille pauvre mais aimante, elle vient d’une famille riche totalement dysfonctionnelle.

Ça m’a laissé assez froid. C’est une histoire d’amour racontée de façon assez dépassionnée, je n’ai pas trop compris l’intérêt.