Le Capitalisme paradoxant, de Vincent de Gaulejac et Fabienne Hanique

Essai sur le néolibéralisme et le management en entreprise. La thèse du livre est que ces deux concepts fonctionnent à base d’injonctions contradictoires, qui placent les gens qui les subissent dans la position inconfortable d’avoir à travailler sans pouvoir faire tout ce qu’on leur demande ou sans pouvoir mettre en adéquation la réalité de leur travail avec les descriptions officielles qui en sont faites.

Les injonctions contradictoires les plus classiques :
– Soyez autonomes et exercez votre libre arbitre, mais dans le cadre des valeur et référentiels de la compagnie
– Surpassez-vous en permanence (si c’est permanent on va bien atteindre une limite de ce qu’on peut faire, et what then?)
– Soyez le meilleur, mais dans le cadre d’une collaboration avec les autres (rien que soyez le meilleur, comme injonction adressée à tou.te.s, c’est fort toxique : par définition il ne peut y en avoir qu’un.e)

Dans beaucoup d’organisation modernes, le cadre d’action est défini par un ensemble complexe de référentiels et normes : plus personne n’est responsable, on ne peut pas s’opposer à des décisions personnifiées : d’une part ça enlève la responsabilité juridique, mais aussi ça enlève du pouvoir aux employés, et surtout ça gomme les conflits : ces référentiels sont présentés comme des évidences naturelles et non pas comme la cristallisation d’un processus de décision qui a impliqué des choix et qui avantage certain.e.s. Cette gouvernance est présentée comme neutre alors qu’elle ne l’est pas du tout. On demande une adhésion aux valeurs de l’entreprise plutôt qu’à la figure du Président/Directeur/whatever. On peut même en arriver à vouloir faire fonctionner la boîte malgré des désaccords flagrants avec le PDG/la hiérarchie, parce qu’on a l’impression qu’on est celle/celui qui a mieux compris les valeurs et que ce sera reconnu. Sauf que des valeurs affichés ne représentent pas la réalité de l’action effectuée.
Le langage managérial et les référentiels promeuvent l’efficience et autres valeurs consensuelles (qui peut être contre l’efficience ? Vous voulez que les choses soient inefficaces, vous ?) sans expliciter ce qu’est cette efficience, qui elle arrange, sans permettre la remise en cause des indicateurs de ce que serait l’efficience.

Démultiplication du temps passé en évaluation des activités plutôt que dans les activités elles-même, avec en plus une incitation à déformer la production pour qu’elle aille dans le sens des indicateurs.

Faute de pouvoir être perçus comme dépendant de l’organisation, les conflits qui peuvent surgir sont le plus souvent perçus comme relationnels et interpersonnels (même si ce n’est pas forcément incompatibles, les deux peuvent exister et se nourrir l’un l’autre).

On demande aussi aux manageurs/euses à la fois de s’impliquer totalement dans leur métier, et de ne pas exprimer d’émotions négatives, de ne pas apparaître faibles, de toujours afficher un discours de réussite même s’ils ont sous les yeux une réalité toute autre. Grosses dissonances cognitives en perspectives.

J’ai trouvé ça intéressant. Il n’y a rien de révolutionnaire dans le livre, mais ça articule pas mal d’éléments que j’avais déjà perçu, j’y retrouve beaucoup mon expérience de travail des deux dernières années. Un peu trop psychologisant par moment, mais ça reste circonscrit à de courts passages.

Cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Paul

Weekend à Nantes ! Le temps a été atroce mais on a quand même tenté de se promener un peu dans la ville le samedi entre deux averses et deux interruptions de ligne de bus demandées par la préfecture. On a pu visiter la cathédrale, plutôt jolie et vaste.

Façade de la cathédrale de Nantes
Vitrail moderne
Nef de la cathédrale
Orgue et vitrail
Restauration d’une chapelle latérale
Ornement qui reprend l’aspect d’une des tours (j’aime beaucoup quand les artisans font ça dans les églises, ce petit trip de l’ornement fractal)
Divers vitraux et formes de fenêtres
Bas-relief légendé
Nef et lumière
Vitrail moderne

Francis Rissin, de Martin Mongin

Roman expérimental, constitué de 11 récits différents, tournant autour du même thème : des affiches portant le nom de « Francis Rissin » et des slogans électoraux/religieux sont posées partout en France, en commençant par des territoires enclavés. Bientôt Francis Rissin renverse le gouvernement et prend le pouvoir en France, à laquelle il veut rendre sa grandeur. Les différents récits montrent différentes étapes du processus, donnent différentes origine à Francis Rissin, se contredisent sur le déroulé des événements, leur véracité, l’existence ou non d’un ou de des Francis Rissin. Ça m’a fait penser à Une vieille histoire dans le dispositif, mais en plus intéressant (car beaucoup moins répétitif). On ne sait pas trop où le roman veut en venir, plusieurs incarnations de Rissin on l’air assez peu sympathique voir franchement fasciste, pas toutes cependant même si toutes ont ce trip de la nostalgie de « la Grandeur de la France », mais présenté avec une certaine distance par la narration. Cet aspect-là (+ la France périphérique) fait un peu penser aux romans de Philippe Vasset aussi.

Bayonne

Passage rapide par Bayonne ce weekend. Je n’avais jamais visité la ville, j’ai rattrapé cet oubli en attendant mon train pour Pau. Une belle cathédrale et de jolies rues anciennes dans le centre-ville, c’est mignon mais ce n’est pas très grand. Le fait d’avoir une rivière – la Nive – et un fleuve (l’Adour) dans la ville lui ajoute du charme.

Street art sur bâtiment condamné
Avion au dessus de la Nive
Façade basque en retrait
Cathédrale depuis le cloître – un petit air d’université anglaise
Intérieur de la cathédrale
Détail du cloître
Cloître et pelouse
Intérieur de la cathédrale – thème de Noël

Baron Noir, de Eric Benzekri et Jean-Baptiste Delafon

Série politique française. J’avais gavisionné la saison 1 à sa sortie et là j’ai gavisionné la saison 2. Beaucoup aimé la saison 1, à laquelle je reproche juste d’avoir un PS qui propose des trucs de gauche alors que bon, dans la réalité… Sinon c’était assez cool de voir une série type House of Cards mais avec les institutions françaises et des lieux français. Par rapport à HoC ce qui est bien aussi c’est que tous les personnages sont intelligents et manigancent, pas juste le perso principal qui est surhumain. Du coup c’est plus intéressant, et les stratagèmes des un⋅e⋅s peuvent plus souvent échouer face à ceux des autres.

La saison 2 j’étais un peu partagé. Je trouve que l’actrice qui joue la présidente fait un peu forcée quand elle parle. Par ailleurs, ça manque des points de vues de gens qui ne sont pas des professionnels de la politique, des syndicalistes, des gens ordinaires… Là c’est vraiment l’Histoire faite par les grands hommes. Par contre ça présente une vision intéressante du passage clivage droite/gauche à droite nationaliste / centristes / gauche.
Leur Mélenchon-like est très bien fait, leur Valls-like aussi. J’ai pas trop trop reconnu les autres mais les personnages sont bien écrits.

Saison 3 ! Remotivé sur l’histoire. Les personnages sont bien écrits, on recolle aux événements de la politique française réelle. La saison parle d’alliance tactique et de campagne politique, et la série est plus intéressante là-dessus que sur l’exercice du pouvoir, je trouve. Il manque toujours le point de vue de la politique via les mouvements sociaux, là tout passe par les partis (mais magiquement sans lobbys). Dorendeu fait une libérale intéressante, mais avec beaucoup plus de convictions que les vrai.e.s. Globalement ils rendent le PS, LRM et les fachos plus sympathiques que ce qu’ils devraient, mais bon, c’est difficile comme genre d’exercice.
Sur les mouvements sociaux d’ailleurs, c’est dommage d’avoir incarné les gilets jaunes dans la figure de Mercier, alors qu’un des intérêts du mouvement c’est bien qu’il a refusé toute forme de porte-parolat. De la même façon, la contestation de la politique de Dorendeu passe par la contestation de sa personne, ce qui certes est un des éléments de la détestation de Macron, mais sans parler du refus spécifique de ce qu’il y a dans sa politique. C’est bien les privatisations, la réforme des retraites, la casse du service public en tant qu’éléments spécifiques qui sont contestés dans la vie réelle. Mais là on touche à une des limites de la série : les gens n’ont pas vraiment de différents politiques irréconciliables, parce qu’il faut que Rickwaert puisse aller parler avec tous pour faire ses petites manœuvres. Du coup il aime bien Dorendeu tout autant que Vidal, alors que normalement il devrait lui aussi haïr Dorendeu pour sa politique.
Enfin, je n’ai pas été convaincu par la fin (à partir de la fin d’avant-dernier ep), ce retournement de situation fait totalement forcé et pas crédible, jamais personne n’accepterait de faire ça dans la vie réelle. Ça c’était meh.
Enfin, super utilisation de la bande-son, avec un thème musical décliné de plein de façons (ce que Canal + avait aussi un peu fait sur Les Sauvages).

Happycratie, d’Edgar Cabanas et Eva Illouz

Un peu dense, mais intéressant à lire. En résumé :

Le livre revient sur l’invention de la psychologie positive, branche récente de la psycho qui veut s’intéresser à « l’individu qui va bien ». Il y a de grosses controverses sur le fait que ça ait de réelles bases scientifiques, mais ça permet d’étendre largement le champ d’action de la psychologie et donne des occasions de publis, du coup ça a été en bonne partie accepté par la communauté des psychologues.

En parallèle, les économistes mettent en avant le bonheur des gens comme une mesure quantifiable, sommable et pertinente pour mesurer l’impact d’une politique : avoir un indicateur chiffré du bonheur permet d’objectiver des choix technocratiques comme littéralement « for the greater good« .

Gros problèmes méthodologiques dans ces deux approches qui définissent le bonheur via les choix individuels des gens avant de « découvrir » qu’augmenter les libertés individuelles au détriment des cadres collectifs augmente le bonheur : un beau raisonnement circulaire. Accent mis aussi sur le changement intérieur et le bonheur comme un état d’esprit quel que soient les circonstances extérieures : mieux vaut méditer que militer, du coup.

Dans le monde de l’entreprise, ça se traduit par une inversion de la relation
{un travail intéressant et stimulant –> des employé.e.s heureu[ses|x]} vers
{des employé.e.s heureu[ses|x] –> des employé.e.s performants (et donc un travail bien fait)}. Toute la responsabilité est reportée sur l’individu. Et du coup si seul les travailleureuses heureu[ses|x] sont producti[ve|f]s, il est légitime de chercher à se débarrasser. Coïncidence, les personnes revendiquant que des choses ne vont pas dans l’organisation du travail n’ont justement pas l’air très contentes de leur sort, si on s’en débarrassait ? Il faut s’aligner sur les valeurs et objectifs de la boîte, pas juste bien faire son travail, pour être considéré.e comme un.e bon.ne employé.e.
Du coup double discours qui promeut des employé.e.s autonomes, adaptables et flexibles, mais seulement dans les limites de ce que l’entreprise décrète comme pertinent. fausse autonomie qui conduit à de belles dissonances cognitives.

Il existe aussi tout un secteur marchand qui va vendre les clefs de la transformation en un individu heureux. En gros, trois grands axes :
1/ La capacité à adapter son ressenti émotionnel des situations. C’est tous les trucs de méditation qui répètent « Je mérite de réussir, je suis apprécié par mes pairs » et compagnie, les philosophies à base « d’accepter ce qu’on ne peut changer » et de voir que la responsabilité de nos échecs et réussites nous incombent. Bref, que des éléments focalisés sur des changements de court terme, qu’on pourrait théoriquement mettre en œuvre individuellement sans avoir à remettre en cause des éléments structurels (on retrouve là des éléments aussi développés dans Egologie).
Pour ce genre de trucs, une petite application sur ordiphone est le medium idéal. Des applications qui vont proposer n minutes de méditation par jour, de faire telle ou telle action pour se remémorer les éléments positifs de sa vie… Bref, plein de trucs courts, gamifiés, et produisant à balle de données personnelles revendables ensuite. C’est un des avantages d’avoir fait du bonheur une métrique chiffré : on peut en faire une donnée exploitable.
2/ L’authenticité. Faut être soi-même. Encore mieux, faut montrer qu’on est soi, et unique, et intéressant. Bienvenue dans le monde merveilleux du self-branding. On met en scène sa vie sur les réseaux sociaux, on s’affirme authentique mais on met en scène que les moments positifs pour être inspirant et montrer qu’on a une vie intéressante de gagnant de la course au bonheur. On peut montrer des échecs, mais inscrits dans une narration où on montre comment ils nous ont permis de rebondir après en avoir tiré des leçons.
3/ L’épanouissement. Là c’était plus confus j’ai trouvé. Globalement l’idée serait que c’est un processus plus qu’un état, on peut toujours s’épanouir davantage, du coup on peut toujours se faire vendre plus d’épanouissement.

Conclusion : Sacrée coïncidence que l’individu heureux défini par les psychologues positifs corresponde si bien avec l’employé idéal pour une entreprise. On a une pseudoscience complaisante avec l’armée, les gouvernements, les grands groupes capitaliste, qui définit ce qu’est le bonheur. Et qui le définit comme un état intérieur, pas comme un espoir qui inciterait à changer les conditions matérielles. What could possibly go wrong?

Amatka, de Karin Tidbeck

Roman dystopique suédois. L’histoire se déroule dans un lieu indéterminé, une nature hostile – probablement une autre planète mais ce n’est pas précisé – dans laquelle les humain.e.s ont installé 5 colonies. On suit Vanja, qui part de la colonie principale pour étudier la possibilité de commercialiser des produits d’hygiène ne sortant pas des usines d’Etat dans une colonie agricole. L’histoire montre comment la vie des citoyen.ne.s est contrôlée par le collectif, une pratique omniprésente et renforcée par l’impératif de nommer et marquer les objets de façon régulière pour ne pas qu’ils se désagrègent et deviennent une menace. Il y a donc une réalité d’Etat qui influe sur la matière même des choses. Progressivement, Vanja en vient à questionner le pourquoi de cette organisation et la remet en cause. C’est intéressant, c’est assez fortement dans la ligne de Nous Autres j’ai trouvé, mais avec un propos beaucoup plus subtil sur cette question du contrôle par l’État.
Je recommande.