Archives de catégorie : Textes & Réflexions

Retour sur les derniers jours

Or donc, j’ai presque fini mon rapport de stage. Presque, parce que j’attends encore que l’on m’envoie les sorties d’un modèle que mes données ont aidé à paramétrer et que ça ferait bien d’avoir ça dans le rapport. J’ai plus de place pour les caser, mais passons.

Les derniers jours ont été intéressants. J’ai bossé. Beaucoup bossé, parce que j’étais clairement en retard sur ce rendu. Par un certain côté ça a été satisfaisant de bosser comme ça, je ne l’avais plus fait depuis la prépa et c’est cool de m’apercevoir que j’en ai encore la capacité, quand y’a une motivation. En même temps, j’aurais largement préféré faire les choses plus tôt et plus calmement, et aussi mieux. Parce que je suis pas vraiment satisfait de ce stage.
J’aurais dû plus m’impliquer dans la vie du labo. J’aurais dû faire plus de bibliographie au départ. J’aurais dû me souvenir de trucs basiques que je savais très bien faire dans mes stages précédents.
J’ai réalisé des trucs cependant. Je bosse mieux quand je suis pas en France, parce que je suis éloigné des gens qui me proposent des distractions. Je suis pas sûr que ce soit très positif, cependant. J’ai réalisé qu’il me fallait des deadlines à court terme et pas juste un « t’auras un rapport à taper dans quatre mois ». Ça confirme que j’ai bien fait de faire une prépa et pas la fac, c’est plutôt cool.
Tout ça me laisse tout de même un peu inquiet sur mon avenir professionnel. Disons que le monde de la recherche semble de moins en moins être celui qu’il faut pour que je m’épanouisse dans mon travail, sans pour autant que se dessine une alternative viable. Mon implication dans mes différentes activités extra-professionnelles a été productive, cependant. Y a-t-il moyen de professionnaliser l’exploration urbaine, la gestion du logement de 400 étudiants ou le détournement d’affichages publics ? Ce serait pratique.

Le goût de l’essence.

L’avantage quand vous enchainez les infortunes, c’est que vous pouvez blogguer sur une base quotidienne. Oh, bien entendu cela présuppose d’avoir un blog, mais c’est mon cas, comme vous avez pu le remarquer.

Nous étions donc sur la superhighway qui relie le cœur de Nairobi à Thikka (et passe incidemment par la banlieue où se trouve l’ICIPE). Janis Joplin conduisait, je regardais devant moi en résolvant des équations à dix-huit inconnues dans ma tête. Nous passons un dos d’âne (oui, il y a des dos d’âne sur la superhighway, avant les passages piétons. Mais ils sont en train d’installer des passerelles aériennes et de retirer les dos d’âne). Nous passons un dos d’âne, écrivais-je, quand soudain, plus de reprise, l’accélérateur s’enfonce à vide. le dialogue suivant s’ensuit
« On avance plus, on fait quoi ?
-Euh…
-Je continue, je sors ?
-Bah sors quand même. Et mets les warnings.
-Oh putain. »
Les ancêtres étant avec nous, nous étions devant une pente descendante. Avec l’élan et une bénédiction divine, nous avons traversé les trois voies, visé la sortie, remonté un petit bout de pente, puis stoppé sur la sortie. Janis sort mettre le triangle, j’éteins l’autoradio qui fournissait une bande son un peu trop joyeuse pour les circonstances. Elle tente de redémarrer, miracle. on récupère le triangle, on fait deux cent mêtres, le moteur se rééteint au milieu d’un rond point. Entre temps nous avons appelé Han Solo (le chauffeur de notre patron Babar, il faut suivre) pour lui faire part de nos tourments.
« It must be the gas, try putting some and call me back. », déclare-t-il, visiblement pas plus troublé que ça. Là, il faut que je précise que la jauge de notre voiture ne fonctionne pas. Nous nous basons sur le kilométrage pour estimer notre consommation. Le kilométrage affirmait que nous étions encore large. Le kilométrage est de toute évidence un sale menteur.
Re triangle, on garde les warnings allumés. À quatre cent mètres de l’autre coté du rond point, l’on peut apercevoir la coquille Shell qui dépasse des toits. Je sors, traverse le rond-point et arrive à la station, ou j’explique dans un anglais impeccable mais essouflé que l’on est tombé en panne d’essence et que l’on serait bien aimable de me vendre de l’essence et préter un conteneur. Le pompiste récupère un vieux bidon d’huile, le nettoie et le remplit. Je repart avec mon carburant tenu à bout de bras, au vu de son état de saleté extérieure. Des pensées de bonzes tibétains qui s’immolent par le feu me traversent l’esprit. J’arrive à la voiture, tente de verser le liquide dans le réservoir, la moitié part sur le sol. Je récupère un tuyau dans le coffre (bénie soit la Science et ses instruments étranges partout transportés), j’improvise un siphon. L’essence m’emplit la bouche, le goût refuse de partir. Mais le réservoir se remplit ; assez pour repartir, rouler jusqu’à la station. Un plein, nous voila de nouveau sur la route, puis à l’ICIPE, ou la cantine me débarrasse enfin du film liquide qui tapisse mes muqueuses.

The Reign of the High Voltage Queen

Le Kenya sachez-le, vous surprendra sans cesse.
Revenant des hauteurs, fourbus mais en liesse,
Nous pensions naïfs, pouvoir nous délasser ;
Mais c’était sans compter sur l’électricité.
Une privation, crois-tu, internaute ?
L’étrangeté est quelque peu plus haute.

Sous la douche installé, j’ai le bras engourdi,
pendant que sous l’évier, soudain l’éclair jaillit.
Mes colocs affolés par la folle étincelle
Ne posent questions, oublient l’existencielle
Allant à la source sans une hésitation
Arrêtent le courant, éteignent la maison.

Oubliez l’expression, elle n’est plus de mise
Débranchez vos ordis, gardez-vous de la prise
Non il n’y a pas d’électricité dans l’air
Ce n’est ce milieu qui transporte l’éclair
Mais c’est la plomberie qui sera fatale
Les tuyaux sont chargés, craignez l’eau étale.

Lavabo anodin ? Mieux vaudrait se méfier,
Robinets sous tension, liquide électrifié
Ici c’est eau courante à tous les étages
Ici c’est haut courant, t’as tout le voltage.

Marcel Proust & les Aventuriers du Temps Perdu.

Une fois que l’idée était lancée, je n’ai pas pu résister… Rien à voir avec l’Inde donc, mais tant pis.

La porte claqua, faisant vibrer la batisse ; Indiana se tenait dans l’embrasure, découpé sur l’or du soleil couchant, campé là comme s’il était l’évidence ; il y avait dans ce tableau un sentiment d’éternité, comme si Indiana n’avait jamais cessé de se tenir sur mon seuil, et que jamais il ne cesserait, dut-ce l’univers prendre fin ; et pourtant il bougea, et l’instant fut brisé, le sentiment balayé.
« Marcel. J’ai besoin de toi.
– Indiana. Cela fait longtemps. Après la dernière fois, je ne pensais plus te revoir. »
Indiana… Après la mort d’Albertine, brisé par le chagrin, je m’étais rendu aux Amériques, tentant de noyer mes pleurs dans la beauté du monde. Mais là où le monde n’avait rien pu, la beauté d’un homme m’avait sauvé. Indiana Jones, professeur et aventurier ; avec lui j’avais gravi des montagnes, exploré les plus vieux vestiges de l’Humanité, cherché de mystérieux artefacts. Las, après tout ce que nous avions vécu ensemble, quand j’avais rassemblé le courage nécessaire et déclaré mes sentiments à Indiana, il m’avait repoussé. Le cœur brisé une seconde fois, chancelant sous le poids des peines, je m’étais retiré à Guermantes dans la propriété familiale, où je n’aspirais qu’à panser mes plaies. Et aujourd’hui le passé et l’aventure se tenaient une nouvelle fois devant moi, et ils avaient le sourire d’Indiana.
« Marcel… Je ne t’aurais pas recontacté si la question n’était pas vitale. Je suis sur la piste de la couronne de Charlemagne. Mais je ne suis pas le seul. Cette couronne soulève l’intérêt de bien des gens malintentionnés. Sans ta connaissance de la société française, je n’ai aucune chance. Il existe une société secrète qui cherche la couronne, et qui possède un parchemin indiquant son emplacement. J’ai réussi à identifier certains de ses membres. J’aurais besoin que tu m’introduises chez un certain Verdurin. »
La tête me tournait. Indy, l’aventure, une quête mystérieuse, tout cela pouvait-il appartenir au même univers que la société feutrée qui emplissait les salons parisiens ? Indiana me regardait, attendant ma réponse. Guermantes me sembla tout d’un coup trop étroite, comme une mue qu’il me fallait abandonner pour aller de l’avant ; les boiseries de la vieille demeure m’avaient soutenu un temps mais maintenant qu’Indiana était là Guermantes prenait un coté absurde, elle palissait à coté du torrent perpétuel, du brasier de vie qu’était Indiana. Je l’ai regardé dans les yeux et je lui ai dit oui, de ce même oui que l’on dit en réponse au prêtre, de ce oui que l’on crie dans l’extase, de ce oui qui clamait que contre vents et marées contre lui et contre moi, je serais à ses cotés.

Odyssée.

Nous partîmes fringants et pleins d’espoir, le passeport en bandoulière, le visa s’étalant fièrement à la vue de tous. L’obtention avait été tumultueuse, mais nous étions en règle, prêt à laisser de coté toute tracasserie administrative pour se focaliser sur la Science et les voyages. De quelle naïveté ne faisions nous pas preuve !
Cette euphorie fut de courte durée. Sitôt arrivé, on nous signala, à demi-voix, l’existence du « Herrero », monstre mythique qui terrorisait le pays. Chaque nouvel arrivant devait se mesurer à lui et espérer en sortir indemne. Tel le Sphinx, le Herrero fonctionnait par énigmes. Il demandait au voyageur un tribut sous forme de parchemins difficiles à collecter, un certificat d’affiliation, une preuve de logement… Et refusait bien souvent des tributs pourtant conforme aux règles qu’il venait d’énoncer, son humeur changeante et capricieuse voulant désormais que tel parchemin soit présent deux fois ou signé de la main d’un vieux sage.
Je cheminai vers la tanière du monstre plein d’appréhension. En effet, mon visa était vicié : là où « IFP » devait s’afficher, une regrettable confusion à l’Ambassade avait laissé pour marque les mots « Alliance Française ». Le monstre n’eut que dédain pour mes tentatives de l’amadouer. Il me fallait une quittance de l’Alliance et non pas de l’IFP. « Mais je n’appartiens pas à l’Alliance », me débattais-je tel Alderaan face aux Siths. Le minotaure pondicherrien me laissa une ultime chance : Si je pouvais faire un duplicata de tous mes parchemins, alors il laisserait les parchemins accomplir une quête, une quête jusqu’à Chennai, cité mythique et lointaine, où ils subiraient l’ordalie d’un groupe de sages. La route jusqu’à Chennai était longue et semé d’embûches, et nul ne saurait si mes parchemins avaient péri en route. L’attente deviendrait mon credo, jusqu’à l’hypothétique appel qui me signalerait le retour sain et sauf de mon dossier. La mort dans l’âme, je regardais le Herrero sceller le destin et l’enveloppe de mon dossier.
Deux longs mois passèrent, un hiver de mon âme où je fus tel Pénélope. Et par un matin brûlant comme seul Pondy sait les créer, une sonnerie se fit entendre. La voix était ténue, couverte par les parasites, pourtant quelques mots firent sens, allant droit à mon cœur : « file… Chennai… back ». Il avait réussi le voyage ! Pour autant, l’ordalie avait-elle été un succès ?
Le lendemain, à l’heure où blanchissait la campagne, je partis. J’allais par Nehru Street, j’allais par le canal : je ne pouvais rester sans nouvelles plus longtemps. Dans la tanière du monstre pourtant, il me fallut patienter encore : trop tôt arrivé, la bête n’était point éveillée. Enfin j’aperçus mon dossier. Le Léviathan hésita, frémit, puis me tendit sa serre. De mes mains tremblantes s’échappèrent mon passeport, la bête me fis signe de revenir à la tombée du soleil, quand elle aurait fait agir sa magie.
Le soir donc je revins, et mon passeport me fus rendu, orné d’une rune proclamant que la bête m’accordait droit de cité.

Étais-ce la fin ? Il me plaît de l’espérer.
Et cependant, tel un cadeau empoisonné,
La bête a laissé une énigme à méditer :
Si je pose mon regard sur mon laisser-passer,
Et que je compte les jours qui me sont échoués,
Pour atteindre mon avion, il me manque une journée.