Archives de catégorie : Longs métrages

Tatie Danielle, d’Étienne Chatiliez

Film français de 1990. Danielle Billard est une octogénaire acariâtre qui méprise tout le monde, et surtout les gens qui s’occupent d’elle : sa gouvernante d’abord, puis ses neveux et nièces, et enfin la jeune fille au pair qui doit la gérer pendant un été. Elle traumatise tout le monde autour d’elle à coup de petites remarques fielleuses et de gaslighting.

C’était sympa. Y’a un problème de rythme dans le film avec des parties qui sont un peu décousues, mais les personnages sont très réussis. Danielle forcément, mais aussi son entourage, que ce soit les gens bienveillants autour d’elle qui en prennent plein la figure (mention spéciale à sa belle-nièce) ou la jeune fille au pair qui va lui résister et lui dire d’aller se faire voir quand elle abuse. Ça donne des personnages féminins qu’on a pas trop l’habitude de voir à l’écran, aussi bien pour le côté âgé que pour le côté infernal.

Sans que ce soit le film du siècle, j’ai passé un bon moment devant.

Mandibules, de Quentin Dupieux

Film français sorti en 2021. Deux amis un peu stupides trouvent une mouche géante et décident de la dresser à leur rapporter des objets, tout en se démerdant pour vivre au jour le jour en récupérant de la bouffe et un logement par diverses combines.

Comme toujours chez Dupieux c’est fort absurde. Les deux personnages principaux sont très réussis dans leur amitié entre mecs pas très dégourdis, l’animation de la mouche géante est très bien faite. On reconnait bien la côte d’Azur pleine de fric avec un arrière pays beaucoup plus pauvre comme décor (mention spéciale à Roméo Elvis en fils de bourge insupportable).

Un bémol cependant, pas très convaincu par le personnage d’Agnès, assez rapidement insupportable, et qui se fait accuser à tort dans le scénario : faire un personnage de femme handicapée, le rendre relou pour le spectateur puis la faire disparaître pour un truc qu’elle n’a pas commis, c’est un peu malaisant (mais peut-être c’est pour qu’on s’interroge sur la complicité qu’on a avec les personnages que ça arrange qu’elle disparaisse ?)

Pour un Dupieux c’était quand même curieusement linéaire, avec un petit fond de critique sociale(en plissant les yeux). Je recommande.

Tout simplement noir, de Jean-Pascal Zadi et John Wax

Ouvrir la voix x Dix pour cent.

Film français sorti en 2020. Jean-Pascal Zadi joue son propre rôle, celui d’un acteur noir qui galère à se faire une place dans le cinéma français. Il décide de se faire connaître en lançant une grande marche « pour les Noirs » qu’il publicise avec des vidéos humoristiques dénonçant la situation des Noirs en France. Au fil du film, il va rencontrer une palette de personnalités publiques noires pour tenter de les motiver à faire de la publicité à la Marche, avec des résultats plus que mitigés.

Le sujet était assez casse-gueule mais le résultat est très réussi. Il y a un côté « et si Ouvrir la voix avait été une comédie ? » : le film parle de la place des Noir·es dans l’espace public en France, en présentant différents points de vue internes à la communauté, notamment ceux de célébrités de différents domaines qui jouent leurs propres rôles. Après je pense que le film est très ancré dans son époque et va mal vieillir : les blagues sur Case Départ et Première étoile c’est pas ultra intemporel. Mais le casting est assez fou et le principe de la fiction où tout le monde joue son propre rôle tout en interagissant avec un personnage principal bras cassé marche très bien.

Dirty Dancing, d’Emile Ardolino

Film américain de 1987. Dans les années 60, une famille bourgeoise passe trois semaines dans un village-vacances. La pension est soigneusement organisée pour permettre une endogamie de classe : tous les pensionnaires sont bourgeois, et les serveurs sont recrutés en tant que job d’été parmi les étudiants qui vont aller dans les colleges prestigieux. Les deux filles de la famille sont d’ailleurs immédiatement entreprises par un étudiant en médecine et le fils du propriétaire de la pension. Mais la plus jeune, que tout le monde surnomme Bébé, n’est pas du tout attirée par ce mode de vie. Elle se rapproche des autres employés de la pension, qui viennent d’un milieu bien plus prolétaire et travaillent en tant que saisonniers. Parmi eux, elle est surtout séduite par Johnny Castle, le professeur de danse de la pension.

C’était très bien. Le film épouse le point de vue de Bébé, on voit son désir à elle pour Johnny, c’est son corps à lui qui est objectifié et mis en scène. Excellente scène d’ouverture qui pose les enjeux à travers une exposition en voiceover par Bébé (« That was the summer of 1963, when everybody called me « Baby » and it didn’t occur to me to mind.« ). Le film pose dès sa première phrase qu’il va nous parler d’agency, what’s not to like?
Et effectivement le film parle des choix de Bébé : le choix de s’éloigner des rituels de sa classe sociale et des tentatives de la jeter dans les bras d’un héritier insipide, le choix de passer du temps avec les prolétaires et leur façon de danser comme à peu près tout le monde danse actuellement, ie collé serré et sans le formalisme des danses de salon. Le choix surtout de s’accrocher à son idéalisme et de vouloir changer le monde y compris et essayant de résoudre les problèmes des gens qui ne sont pas ses pairs sociaux. Et évidemment le choix d’assumer son désir puis son amour pour Johnny, même si sa famille et sa classe sont contre. Les enjeux sociaux du film sont de façon générale très réussis : les prolos ont tort par défaut, Johnny peut être accusé de vol avec zéro preuve et viré, aucun souci. De façon générale iels sont considérés comme des gigolos et des filles faciles par les bourgeois, qui peuvent aller prendre du bon temps avec eux tant que c’est en toute discrétion : c’est très clairement explicité dans le cas de Johnny. Par contre Bébé devrait évidemment en tant que fille de bonne famille rester vierge et pure, et Johnny est vu comme un prédateur et un irresponsable. Mais le film n’est pas non plus manichéen sur ce point : Johnny a pour premier réflexe de mettre une raclée à Benny qui insulte sa pote, le père de Bébé est montré comme une personne droite, qui est capable de dépasser ses a priori de classe (même s’il faut lui expliquer longtemps. Par ailleurs le film le montre aussi comme un mec typique, qui regarde fixement l’horizon quand il n’est pas content et que sa fille essaie de communiquer avec lui). Plus intéressant, on voit surtout le complexe de Johnny, frustré de ne pas avoir pu aider Penny, qui se compare aux compétences de médecin du père de Bébé. (Mention spéciale aussi au personnage de la mère qui est largement insignifiante tout au long du film mais se révèle en deux répliques lors de la scène finale).

Le film parle aussi – logiquement – de danse. Mais de la danse comme un travail : on voit les scènes où Johnny et Penny dansent sans efforts, mais on voit surtout tout le travail de Bébé pour apprendre à reproduire la chorégraphie du mambo, comment ça lui demande des efforts pour apprendre des techniques et des gestes précis. La danse comme un travail qui permet à Johnny de faire autre chose que le travail que son père lui propose – peintre plâtrier. On voit aussi la danse comme marqueur social avec les danses de salon de la classe bourgeoise vs les danses plus libres et sexualisées du staff.

Film social où les enjeux de la lutte des classes et du désir féminin sont révélés par la suspension des conventions permise par le cadre d’un village vacances, Dirty Dancing porte un discours sans concession sur le rapport bourgeois au corps et sur les mécanismes de l’endogamie de classe, le tout porté par une bande-son magnifique. Je recommande fortement.

The Prom, de Ryan Murphy

Streep saves a saccharin-soaked script and steals the scenes, ou une ethnologie des rites de passage nords-américains.

Dee Dee (Meryl Streep ♥) et Barry, deux vedettes de comédies musicales, voient leurs espoirs d’un Tony Award s’évanouir quand leur nouvelle comédie fait un flop le soir de sa première. À la recherche d’un peu de mise en valeur facile, ils décident d’aider Emma, une jeune lesbienne de l’Indiana à pouvoir aller à son bal de fin d’année, que l’association de parents d’élèves veut garder hétéro. Bien intentionnés malgré leurs arrières pensées, ils vont débarquer dans la vie d’Emma et bouleverser la vie de la petite ville de l’Indiana non sans elleux-mêmes apprendre quelques leçons sur les valeurs de l’amour.

Ça commençait bien, mais c’est quand même très mièvre. C’est vraiment la tolérance et l’inclusivité à la sauce major hollywoodienne et néolibéralisme. Tout le monde est beau, les couleurs sont vives, les problèmes économiques n’existent pas, l’inclusivité est juste one tap dance number away. Mais bon y’a Meryl Streep qui porte le film, et les personnages d’Emma et Barry sont plutôt réussis aussi (excepté le fil narratif de la famille de Barry). Les autres personnages secondaires sont assez anecdotiques.

Idoine pour les soirs de petite forme émotionnelle.

Coup de Torchon, de Bertrand Tavernier

All Colons Are Bastards.

Film français de 1981. Dans une petite ville d’Afrique Occidentale Française en 1938, Lucien Cordier est l’unique policier et représentant de l’ordre colonial. Ordinairement totalement amorphe, il décide un jour, poussé à bout par deux proxénètes et les moqueries de son supérieur de la grande ville, de faire le ménage dans les personnes qu’il considère comme mauvaises. Mais sa moralité est toute personnelle, et il va surtout éliminer celles et ceux qui le dérangent personnellement, sans remettre en question l’ordre en place quand il va dans son sens, tout en s’autopercevant comme une espèce de figure messianique.

J’ai bien aimé. C’est une ambiance assez particulière, un système colonial où l’on voit une petite notabilité blanche s’entredéchirer, sur fond de menace de guerre permanente et de délitement de toutes valeurs. L’espèce de croisade cheloue de Cordier peut faire un peu penser à un Apocalypse Now à la française – ou à un film sur un tueur en série, entrecoupé de scènes de séduction avec Isabelle Huppert.

Un ami à moi que nous nommerons Saul a aussi bien aimé. Il trouve que c’était « un peu comme un épisode de Rick & Morty », mais il n’a pas compris les scènes d’intro et de fin. « Ça illustrerait son passage en mode full nihilisme ? ». Une autre amie, Cénédicte , a trouvé ça un peu bizarre « mais a bien aimé Isabelle Huppert ».

Palm Springs, de Max Barbakow

Le Sens de la Fête x Groundhog Day

Film de boucle temporelle sorti en 2020. Nyles est à un mariage d’amis de sa femme. Et il est coincé dans une boucle temporelle. Lors d’une itération, il emporte accidentellement Sarah, la sœur de la mariée, dans la boucle. Ensemble, les deux vont tuer l’éternité comme il peuvent, s’entraînant dans une spirale nihiliste tout en profitant de la compagnie de la seule autre personne avec qui ils peuvent avoir une conversation originale.

C’était fort réussi. Une belle proposition sur le thème de la boucle temporelle, avec des personnages attachants et crédibles, terriblement imparfaits. J’ai beaucoup aimé la façon dont la boucle temporelle est finalement résolue. C’est pas un film particulièrement profond, mais il est réussi dans ce qu’il propose et joliment filmé tout en couleurs saturés

The Map of Tiny Perfect Things, de Ian Samuels

Film financé par Amazon et sorti en 2021. Variation sur le thème de la boucle temporelle : deux adolescent.es sont coincé.es dans une journée qui se répète en boucle de leur réveil à minuit pile. Ils vont se trouver puis trouver ensemble un moyen de sortir de la boucle, après avoir appris la valeur des bonheurs simples et des leçons sur l’inévitabilité du temps qui passe.

J’ai trouvé ça chiant. Y’a du mumbo jumbo scientifique sur le pourquoi de la boucle temporelle, les deux personnages sont ultra lisses et ne veulent que faire le bien autour d’elleux, la clef de la sortie de la boucle c’est évidemment l’amour, et les personnages sont poussés ensemble par le film. Tout est bien propre, bien léché rien qui dépasse. Regardez plutôt Palm Springs (dont je croyais avoir fait la revue mais visiblement non ; bientôt sur ce blog !)

J’ai toujours rêvé d’être un gangster, de Samuel Benchetrit

Film français de 2008. J’ai beaucoup aimé. Le film est tourné en noir et blanc avec de vieilles caméras qui donnent un grain à l’image, avec des plans fixes ou des travelings et zoom légers. L’histoire se passe en 2008, mais tous les lieux où elle prend place sont vieillots, ce qui fait que ça pourrait être la France des années 70s. On suit plusieurs séquences qui tourne autour des mêmes lieux ou de personnages qui s’entrecroisent et qui parlent toutes de criminalité, une criminalité idéalisée par ses protagonistes, qui sont essentiellement incompétents en tant que criminel (et du coup assez attachant) et qui zonent dans ces lieux un peu hors du temps en convoquant l’image des gangsters des 30 Glorieuses.

Le film met bien en scène les paysages routiers de l’Île de France, que ce soit la cafétéria ou prend place une grande part de l’action, les énormes lignes électriques à travers champs qui alimentent la capitale, les immeubles défraîchis des années 70 (totalement ma came en terme d’esthétique des zones urbaines un peu en déshérence). Les acteurs sont globalement très bons, surtout ceux qui jouent les cinq anciens vrais gangsters, ainsi que Mouglalis.

Dumbo, de Tim Burton

Film de 2019, remake du dessin animé de 1941 en film live-action. J’ai pas été subjugué. Il y a de l’argent pour les décors, y’a des choix intéressants sur la façon de rendre hommage au film originel tout en virant certaines parties bien datés (les blagues sur le fait de ne pas filer d’alcool à un bébé, et la scène des éléphants en bulles). Mais le film était trop long et les personnages sont pour beaucoup particulièrement insipides. Holt et ses deux enfants servent essentiellement à commenter l’action, la troupe du cirque ils ont chacun deux lignes, Colette idem. Et comme on a un point de vue humain, les animaux ne parlent pas. Le comportement de Dumbo d’ailleurs varie beaucoup d’un moment à l’autre du film, avec une anthropomorphisation de ce comportement qui s’adapte à ce dont le film a besoin à ce moment.

La partie vraiment intéressante pour moi était celle sur les questions de pouvoir et d’argent sous-jacentes au monde du spectacle. Les personnages les plus réussis sont donc Maximilian Medici et Vandemere (portés par leurs acteurs) et toutes les réflexions sur le prestige, la mise en scène du rêve, le concept de Dreamland (et les besoins d’inviter des banquiers) étaient cools. Mais bon, c’est une intrigue fortement parallèle à l’intrigue impliquant un éléphant avec des grandes oreilles, et mieux vaut voir The Greatest Showman qui traite de ces thèmes avec aussi une approche « film hollywoodien à gros budget » et sans se laisser parasiter par une seconde intrigue.