Archives de catégorie : Culture/Procrastination

L’Empire, de Bruno Dumont

Film français sorti en 2024. Dans les Hauts-de-France de nos jours, deux peuples extraterrestres se livrent une lutte à mort en secret : les Zéros, menés par Belzébuth, tentent de corrompre les humains et protègent le Margat, un bébé qui deviendra l’Antéchrist. En face, les Uns veulent tuer les Zéros et faire fructifier les bons aspects des humains. Les deux factions agissent en s’incarnant dans des humains. On suit en parallèle l’action sur les vaisseaux spatiaux des deux peuples, leurs interactions sur Terre et l’enquête (totalement inefficace) de la gendarmerie sur un meurtre lié au conflit entre les deux races.

On va commencer par le gros point noir du film : les rôles féminins sont assez nuls, avec les deux actrices principales qui servent d’intérêt amoureux et qui sont totalement sexualisées par la caméra, sans que ça apporte rien au film.

Ceci mis à part, c’était wtf dans le bon sens du terme. Une bonne partie des acteurices sont amateurs et ça rend bien dans l’ambiance du film, Lucchini est truculent, les vaisseaux spatiaux qui sont des palais ou des cathédrales sont très cools, les effets spéciaux rendent bien, la juxtaposition scifi/petite ville française fonctionne bien. La grande histoire de lutte millénaire entre le bien et le mal est un prétexte sans trop d’intérêt mais ça file un axe au film

The Case of the Golden Idol, de Color Gray Games

Jeu vidéo d’enquête, publié en 2022. Dans les années 1780, a travers une série de tableaux s’étendant sur une dizaine d’années, on va enquêter sur différents meurtres liés à une statuette potentiellement magique et l’ascension au pouvoir d’un nouveau parti politique.

C’était assez sympa mais assez court. Il faut enquêter dans les scènes présentées pour récupérer des mots qui permettent de compléter un texte à trou expliquant les circonstances de la mort. Les énigmes ne sont pas ultra complexes (pour le coup je pense qu’ils auraient pu rendre certains mots plus faciles à trouver mais augmenter le niveau d’intricacy des énigmes), mais l’ambiance années 1800, magie et conspiration est sympa.

Je recommande.

Techno-luttes, de Fabien Benoît et Nicolas Celnik

Essai français publié en 2023. Les auteurs retracent différentes époques de la résistance à l’implémentation de nouvelles technologies. Ils mettent en évidence que ce n’est pas une résistance dans l’absolu à toute technologie mais le plus souvent la proposition d’une alternative, d’un autre chemin technique et social. Ils insistent aussi sur le fait que présenter les technologies comme des outils neutres qui peuvent être utilisées pour le bien comme pour le mal est une arnaque : beaucoup de technologies contraignent des choix de société et ferment des chemins, elles ne sont pas neutres (pour prendre un exemple caricatural, la bombe atomique peut difficilement être vue comme pouvant être utilisée pour le bien. Et dire que c’est « le nucléaire » la technologie et qu’on peut l’utiliser pour tout n’est qu’une figure de style : déjà ce n’est pas en soi la même technologie, et le nucléaire civil est toujours lié aux programmes militaires). De façon plus générale, beaucoup de techno, notamment liées à l’électronique et au numérique enferment dans des choix de société mondialisées, très interdépendantes et exploitatrices : pas d’ordiphones sans des dizaines de composants chimiques extraits dans des conditions dégueu et aux quatre coins du globe. Le numérique, la gouvernance par indicateurs, dépossèdent aussi les gens de leur expertise pour en faire des exécutants qui doivent juste remplir correctement les tableaux (exemple des conseillers Pôle Emploi), puisque c’est le remplissage du tableau qui devient l’indicateur et donc le résultat attendu.

Face à ces évolutions, les auteurs proposent de suivre plutôt la voie des outils conviviaux proposés par Illich, Ellul et consorts technocritiques. Ils donnent l’exemple de l’Atelier Paysan qui permet aux agriculteurices de construire des outils pas connectés du tout mais adaptables à leur problème plutôt que de demander d’adapter leur pratique à l’outil. Mais ce n’est pas sans écueils : ils citent Framasoft qui propose des outils libres pour dégoogliser internet, mais les utilisateurices veulent le même fonctionnement, la même qualité de service qu’avec des outils google, les gens restent dans une posture de consommateurs. La proposition de Framasoft est alors de minimiser l’usage plutôt que de proposer une alternative à l’identique.

C’était intéressant, ça fait une bonne synthèse, mais ce n’est pas assez creusé à mon sens : c’est du journalisme et pas des sciences sociales, donc je trouve que souvent ça survole un peu le sujet.

Physical, d’Annie Weisman

Série étatsunienne de 3 saisons, diffusée entre 2021 et 2023. Dans la Californie du Sud des années 80, Sheila Rubin, femme au foyer, va découvrir l’aérobic, ce qui va changer toute sa vie : elle va devenir financièrement indépendante, gérer sa santé mentale, faire exploser son couple.

C’était assez cool, surtout la première saison (qui est vraiment très bien, petite baisse de régime après, mais ça vaut le coup d’être regardé dans son entièreté même si la saison 3 rushe la fin). La série retranscrit bien le côté individualiste des années 80 : si on est derrière Sheila pour le côté émancipation de son arc narratif, pour autant plus ça va et plus elle devient (redevient ?) de droite. Le personnage de John Breem est très réussi aussi. Globalement tous les personnages de la série sont assez détestables, à des degrés divers, sauf peut-être Bunny et Tyler, qui sont les deux seuls persos de la série qui ne font pas partie de la bourgeoisie locale.

La série réussit bien la représentation des problèmes mentaux de Sheila, à la fois sa boulimie et sa self-hate, présente d’abord comme une voix intérieure puis comme des hallucinations de différentes personnes de son entourage. La façon dont l’aérobic lui permet d’en sortir (un peu) est bien mis en scène : c’est remplacer une obsession par une autre (et potentiellement mettre sa santé en danger avec, quand elle a un problème physique qu’elle ne traite pas pour ne pas apparaitre faible), et c’est une route compliquée, ou elle va avoir des rechutes, une progression épisodique : même si elle a une épiphanie sur l’aérobic, ça ne suffit pas pour que tout aille mieux dans sa vie d’un seul coup.

Je recommande, surtout la première saison qui arrive bien à mêler les enjeux environnementaux aux autres thématiques de la série.

Simple comme Sylvain, de Monia Chokri

Film québecois de 2023. Sophia est en couple avec Xavier. Appartenant tous les deux à la bourgeoisie intellectuelle de Montréal, ils mènent une vie tranquille et sans passion. Puis Sophia rencontre Sylvain, charpentier qui rénove son chalet, et c’est le coup de foudre immédiat entre les deux. Sophia va commencer une relation adultère, puis quitter Xavier. La passion entre Sylvain et Sophia va être compliquée par les différences radicales entre leurs deux milieux et parcours.

J’ai bien aimé, mais c’est quand même assez cliché par moment. Les classes sociales sont assez monolithiques dans leurs représentations – et je pense que c’est vraiment le point faible du film, parce que cette différence de classe sociale est un des points-clefs, donc partir sur des clichés là-dessus… Par contre c’est filmé de façon intéressante (peut-être un peu trop de zoom/contre-zoom par moment pour moi mais c’est assez léger comme défaut), les interludes sur les cours de Sophia sur les différentes façon d’envisager l’amour dans la philosophie occidentale rythment bien le film. Le fait d’avoir le point de vue de Sophia et ses échanges avec ses amies sur ce que sont le désir, l’amour etc est cool aussi (même si là aussi, un peu étrange qu’elle n’ait que des amiEs avec qui parler).

Y’a un petit côté Dolan (sans surprise) dans la juxtaposition des références culturelles (Sardou et Jankélévitch, Scorpions et bell hooks), mais justement il aurait été intéressant de montrer des classes intellectuelles qui revendiquent cette juxtaposition, c’aurait été plus réaliste.

Le Chevalier aux Épines, de Jean-Philippe Jaworski

Série de roman de fantasy en trois tomes, dont le dernier n’est pas encore sorti. On retrouve l’univers du Vieux Royaume, plus précisément le duché de Bromael. Suite à la décision du duc de répudier sa femme et de se remarier avec la fille du Podestat de Ciudalia, les fils du duc organisent un tournoi pour défendre les couleurs de leur mère, entrant ainsi en rébellion feutrée contre leur père. Cet affront a lieu alors que le duc souhaite mener une campagne militaire contre les clans Ouroumands, que de la nécromancie fait sa réapparition dans le Duché et que des Elfes semblent enlever des enfants…

J’ai beaucoup aimé, surtout le premier tome. Dans le second on retrouve le point de vue de Benvenuto Gesufal, le narrateur de Gagner la Guerre, qui est gouailleur mais un peu trop cynique pour nous faire totalement vibrer en empathie. Dans le premier tome par contre, on suit plusieurs points de vue mais les principaux appartiennent tous à des chevaliers de Bromael, qui ont une vision très « amour courtois et intrigues de cour ». C’est très bien écrit, avec des descriptions qui font qu’on s’immerge dans le pays, et avec de beaux effets de style : on va par moment adopter le point de vue d’une rivière, d’un chat ou d’anguilles pour passer d’un lieu à un autre. On a aussi une énigme sur l’identité du narrateur de toute l’histoire (qui relate depuis une mystérieuse maison la chronique de la Guerre des deux duchesses, et qui est allé demander ses souvenirs à Benvenuto, ce qui forme la matière du second tome). L’intrigue fonctionne bien, les rebondissements, les différents fils narratifs et même ce qui se cache dans les ellipses est prenant.

[EDIT 02/2024 suite à lecture du 3e tome] On retrouve dans ce tome le style du premier. On suit très majoritairement le point de vue d’Ædan de Vaumacel, le chevalier aux Épines du titre, qui s’accroche aux valeurs chevaleresques (au point d’en agacer fortement ses interlocuteurices qui voudraient souvent plus que des déclarations de principe) et sa loyauté partagée entre plusieurs dames qu’il sert. L’action est relativement resserrée par rapport aux premiers tomes, puisqu’après une première partie autour de Vekkinsberg, l’essentiel de l’action va se concentrer autour du château de Vayre, ses cours, ses souterrains, ses toitures et sur quelques jours. C’est très prenant (j’ai lu les 500 pages sur 2 jours), mais pas grand chose n’est résolu à la fin, tbh. Ce qui est logique pour un roman qui se présente comme la chronique des retournements politiques d’un pays, mais j’avoue une certaine frustration à ne pas avoir les tenants et aboutissants des affrontements entre les différentes factions, ni de certitudes sur l’identité du narrateur. Ça manque d’un tome 4, à mon sens (en ce moment, clairement je suis preneur de tout ce que Jaworski écrit, et je vais me remettre à lire Les Rois du Monde.) Mais même sans résolution, tout le roman se lit très bien, c’est toujours super bien écrit, super puissance d’évocation pour plonger dans des embrouilles politiques ou des lieux avec une géographie compliquée.

Je recommande fortement.

Yannick, de Quentin Dupieux

Film français paru en 2023. Dans un théâtre de boulevard parisien, un spectateur qui trouve le spectacle incroyablement mauvais va (littéralement) prendre otage la salle et la troupe pour proposer un texte alternatif à faire jouer aux comédien.nes.

C’était assez chouette. J’aime bien les films récents de Dupieux. Celui là est étonamment straightforward pour un Dupieux mais fonctionne très bien. Le huis clos dans un théatre, les interactions de Yannick avec la troupe puis la salle marchent bien ; ça fait limite pièce expérimentale – le film est assez clair sur le fait que ça ne fait pas partie du déroulement de la pièce, mais en soi ça pourrait être un film méta sur le théâtre expérimental.

Je recommande.

Scavengers Reign, de Joseph Bennett et Charles Huettner

Série dessinée de SF, sortie en 2023. Suite à une malfonction de leur vaisseau atteint par une éruption solaire, divers membres de l’équipage du Demeter se retrouvent naufragés sur Vesta, une planète pleine d’une vie fondamentalement alien. Une douzaine d’épisodes qui permettent de voir plein de paysages de Vesta et des créatures qui les habitent. Le dessin est très beau et les auteurs sont très imaginatifs sur les créatures, mais je n’est pas trouvé les écosystèmes très crédibles : les créatures sont beaucoup là pour faire avancer l’histoire, et il y a plein de mécanismes qui sont particulièrement pratiques pour les humains (entre les créatures qui tentent de les manger ou de les parasiter). Mais si on accepte de laisser son bagage d’écologue derrière soi, c’est très sympa à regarder, avec une jolie ligne claire.

Je recommande.

Bea Wolf, de Zach Weinersmith et Boulet

Bande-dessinée qui reprend (la première partie de) l’histoire de Beowulf en remplaçant les guerriers par des enfants. On découvre comment une bande d’enfants dans une banlieue nord-américaine indéterminée à construit une cabane gigantesque dans un arbre et accumulé un trésor gigantesque en jeux et bonbons. Mais furieux de leur bruit incessant, le monstreux M. Grindle va envahir leur sanctuaire, adultifier les adultes et nettoyer la cabane. Douze nuit durant les enfants seront terrorisés, jusqu’à ce que de la banlieue voisine, Bea Wolf, envoyée de la reine Heidi, vienne vaincre le monstre et restaurer la paix-d’après-l’heure-du-coucher.

C’était très chouette. C’est superbement illustré, les allitérations et le kenning rendent bien le sentiment d’une épopée, on est vraiment impliqué dans cette histoire d’enfants qui se battent pour préserver leur royaume de sodas et de nerf guns.

Grosse recommandation.