Archives de catégorie : Arbres morts ou encre électronique

East of West, de Jonathan Hickman et Nick Dragotta

Série de comics en 10 tomes (et terminée). Dans un univers alternatif, la guerre de Sécession américaine a pris un tour différent avant d’être brutalement interrompue par la chute d’une météorite sur le continent américain. Ce qui dans notre réalité correspond aux USA est divisé en 7 pays différents. Durant la seconde moitié du XXIe siècle, la réapparition des cavaliers de l’Apocalypse sur ce territoire va conduire à la mise en branle des événements conduisant à l’Armageddon tel que décrit dans Le Message, un livre sacré écrit sur le territoire américain.

L’univers est intéressant, c’est un mélange de SF et de western dans un univers uchronique. On suit plusieurs factions : La Mort qui a fait sécession des trois autres Cavaliers, les 3 cavaliers, et différentes dirigeants des Nations d’Amérique, croyant au Message et déterminé à le faire advenir. Ça fait parfois dans le gore un peu gratuit, avec des démons plein de pustules, mais l’univers est très original et le dessin est beau. L’histoire oscille entre mysticisme, manipulations politiques, surnaturel et donc western et SF.

Pour l’Empire, de Bastien Vivès et Chabane Merwan

Bande dessinée française. Un Empire non nommé mais qui est clairement l’Empire Romain à son apogée envoie une troupe de soldats sur les traces des civilisations passées, au delà du monde connu ; très vite le voyage des soldats prend une dimension symbolique, le paysage et le passage du temps n’obéissant plus aux règles de la physique

Le dessin est beau, j’ai bien aimé le 3e tome, mais le second était assez pourri et sexiste. Le premier installe les choses et est lent. Du coup dans l’ensemble je dirai bilan un peu négatif ? Y’avait du potentiel mais il n’a pas été correctement exploité.

Article invité : Anima, de Wajdi Mouawad

J’étais pourtant prévenue : « C’est bien mais c’est trash ». J’ai lu Anima en quelques semaines, à raison de quelques chapitres chaque soir, et je l’ai plusieurs fois refermé avec les tripes retournées.

Wahhch, le personnage principal, cherche l’homme qui a tué sa femme. Ou plutôt : qui l’a violée et massacrée de manière atroce. Sa quête le conduit à travers le Canada et les États-Unis dans des réserves autochtones et des villages paumés, sur la piste du tueur mais aussi de sa propre histoire. Et tout cela, raconté dans une succession de courts chapitres, par des animaux : le poisson du coroner, le chien d’un chef de gang, un pigeon, une mouche, un singe, etc. qui voient, sentent, perçoivent, entendent et interagissent avec les humains, chacun de manière particulière, et permettent de reconstituer le parcours de Wahhch. Avec en filigrane des questions sur la bestialité, la sauvagerie, la monstruosité, l’identité, ce qui fait l’humanité, la frontière entre homme et animal.

Le roman est une succession de moments extrêmement violents (viols, meurtres, tortures), et (volontairement) éprouvant à lire à cause de cela (le dernier chapitre est particulièrement hardcore). C’est aussi un roman hyper masculin. Les quelques personnages de femmes servent de moteurs pour faire avancer l’histoire (en étant tuée par un homme, en sauvant un homme (et en couchant avec lui au passage), en étant la femme, la fille ou la sœur d’un homme qui tue des femmes ou qui veut se venger), elles ont un rôle narratif mais très peu de profondeur ou de passé (à l’exception de Winona). Quand Wahhch évoque Léonie, sa femme, c’est toujours pour s’examiner lui, plongé dans une quête de vérité qui ne le concerne en fait que lui-même. Ni cette femme, ni leur relation passée ne sont décrites : ce n’est pas le propos. En résulte un univers violent d’hommes violents, vu à travers les yeux d’un papillon ou d’une souris, au sein duquel un homme sans repères cherche à se retrouver (ou se perdre).

Sans déconseiller ce roman qui est vraiment impressionnant dans son écriture et frappant par les questions qu’il aborde, je dois avouer l’avoir fini en me demandant si j’avais bien fait de m’infliger ça…

Yoga, d’Emmanuel Carrère

Le dernier Carrère paru. E. Carrère y parle de sa pratique de la méditation, du yoga et du taichi, de son internement à Saint-Anne suite à un épisode de dépression particulièrement violent, de son séjour à Léros pour donner des cours dans un camp de réfugiés, et de son processus d’écriture et son rapport à ses éditeurs.

Le livre est écrit en chapitres relativement courts, souvent deux trois pages, ça fait presque une écriture fragmentaire. Son projet initial était de parler uniquement de yoga et méditation, projet avorté quand il doit quitter son stage de méditation à cause d’événements extérieurs, puis à cause de sa dépression. Il entremêle donc les thèmes, et le livre parle de comment son propre sujet a été détourné. C’est, comme tous ses bouquins, très autocentré, mais ça m’a plus gêné dans celui là que dans d’autres ; il se lit bien mais il n’est pas au niveau de Limonov ou D’autres vies que la mienne.

Le Dernier Atlas, de Fabien Vehlmann, Gwen de Bonneval, Hervé Tanquerelle et Fred Blanchard

Une uchronie française avec des robots géants et une guerre d’Algérie qui a eu lieu 10 ans plus tard. Mais ça reste un fond assez lointain pendant une bonne part de la BD, qui parle de gangs mafieux et de phénomènes physiques inexplicables.

Le scénario est dense et intéressant, j’aime beaucoup le dessin, l’uchronie est à la fois discrète et originale (la divergence et la chronologie de la France sont détaillée à la fin du 1er tome), grosse recommandation. Le tome 2 sortira normalement en mars 2020.

Couverture du tome 1

EDIT 10/2020 : Le tome 2 était très bien aussi, l’histoire continue à se développer, l’Atlas a un équipage au complet, et on commence à se demander si la construction des Atlas ne va pas être relancée, avec un scénario qui fait légèrement penser à Neon Genesis Evangelion sur certains points qui font vraiment Mecha vs Aliens. On a aussi la backstory de pourquoi le George Sand était un Atlas particulier. Vivement le tome 3.

Le Continent de la douceur, d’Aurélien Bellanger

Aurélien Bellanger entremêle 5 fils narratifs avec pour point commun une principauté européenne imaginaire, un micro-État perdu sur la frontière austro-slovène, le Karst. On suit Jan, le prince héritier en exil depuis le passage du Karst sous régime communiste à la fin de la seconde guerre mondiale ; Ida, héritière de la seule entreprise industrielle du Karst et financière à Wall Street ; QPS, aventurier-philosophe français passionné par le conflit yougoslave (toute ressemblance est clairement voulue), son fils Olivier qui flirte avec l’extrême droite, et Flavio, mystérieux fils adoptif d’un couple de dourdannais sans histoire. Leurs histoires et l’histoire contemporaine du Karst s’entremêlent et permettent à Bellanger de discuter de l’histoire de l’Europe depuis la fin des guerres mondiales, de la montée du nationalisme, du conflit des Balkans, de la mathématisation de la finance et de la mondialisation des élites.

C’était sympa mais j’ai moins aimé que les premiers Bellanger (La Théorie de l’Information et Le Grand Paris). Y’a plein de trucs intéressants mais comme dans L’Aménagement du Territoire, il est plus en train de s’amuser avec une sorte d’histoire secrète qui au final ne marche pas si bien que ça. Tous les passages sur QPS sont très drôles à lire, mais c’est pas le plus intéressant que puisse faire Bellanger : c’est facile de se moquer de BHL, même si c’est toujours rigolo.

La partie sur les mathématiques (l’ouverture du livre sur les mathématiciens qui font de l’acrobranche est très bien) est intéressante, mais tant qu’à fantasmer une histoire secrète avec un programme spatial yougoslave et une industrie de pointe basé sur des calculateurs mécaniques décentralisés, autant y aller all the way et partir en uchronie, là au final il ne fait rien de son calculateur ultra perfectionné qui peut stocker un nombre secret qui peut casser les mathématiques. Il aurait fallu aller plus loin dans cette direction, et partir plus loin sur les descriptions techniques minutieuses, à mon sens.

The Goldfinch, de Donna Tartt

Lors d’une visite au musée, un préadolescent perd sa mère, rencontre une fille et vole un tableau inestimable. Les conséquences de ces événements l’accompagneront toute sa vie, et notamment lors des ~15 ans que parcourt le roman.

Trois points que j’ai trouvé dommage dans le roman :

  1. Les personnages féminins sont très archétypaux. Pippa est l’obsession romantique du narrateur, Kitsey est l’archétype d’une bourgeoise sans affect. Sa mère est une incarnation de la perfection qui disparaît très vite. Xandra et Mrs Barbour sont plus intéressantes, deux figures maternelles mais radicalement opposées. Mais elles ont quand même un développement beaucoup plus faible que les figures d’Hobbie ou de Boris par exemple.
  2. Le narrateur est orphelin et évolue dans la haute-bourgeoisie newyorkaise sans en être lui-même. On pourrait s’attendre à ce que les questions de différences de classe et surtout les questions d’argent soient un peu plus présentes, mais absolument pas, le narrateur n’a jamais de soucis d’argent. C’est un peu surprenant. </analyse marxiste>
  3. La conclusion où le narrateur philosophe et expose son point de vue sur le sens de la vie sur plusieurs pages m’a semblé assez peu intéressante, une conclusion plus centrée sur les événements aurait été plus adéquate, pour moi.

Ces trois points mis à part, j’ai beaucoup aimé. Le roman fait 700 pages mais il se lit très bien, il est plus prenant que The Little Friend, l’autre Donna Tartt que j’ai lu. La vie du narrateur part dans toutes les directions, mais ça garde une crédibilité. La façon dont le syndrome post-traumatique qu’il trimballe est structurant pour sa vie mais n’est évoqué à chaque fois qu’en passant marche très bien avec la narration à la première personne. J’ai aussi trouvé intéressant le fait que le narrateur évolue aussi dans un monde d’adulte, il est forcé de devenir mature avant l’heure, se passionne pour la restauration de meubles anciens, interagit avec le monde ultra-codifié de la bourgeoisie, il projette volontairement une image contrôlée de maîtrise des codes, et en même temps il reste un enfant, il ne réfléchit pas du tout aux conséquences de certaines actions, reste dans la pensée magique comme mode d’appréhension du monde (sa gestion du tableau, son rapport à Pippa, sa fraude aux antiquités).

Bref, je recommande.

Opération Shylock, de Philip Roth

Roman de 1993. Philip Roth se met en scène en tant que narrateur. Sortant d’une grave crise psychique due à un médicament sur le point d’être retiré du marché, il quitte les États-Unis pour Israël pour interviewer un écrivain et ami. Il apprend avant d’arriver sur place l’existence d’un autre Philip Roth, qui lui ressemble physiquement, se fait passer pour lui, et utilise sa célébrité pour pousser le diasporisme, une idéologie visant à encourager les Juifs israëliens à retourner dans les pays européens pour éviter la mort lors d’une guerre nucléaire entre Israël et les pays environnants. Roth décide de se faire passer pour son imposteur pour en apprendre plus sur lui, avant de le rencontrer, de discuter avec lui, de prétendre qu’il y a bien unicité entre eux deux auprès d’un ancien ami, de reprendre ses distances…

C’était intéressant. Ça part pas mal dans tous les sens comme souvent chez Roth. Il brouille pas mal la frontière fiction/réalité, prétendant que le bouquin est un récit d’événement réels dont il aurait supprimé un chapitre pour ne pas compromettre des agents du Mossad qui l’auraient recruté pour une mission ponctuelle. Un problème (récurrent chez Roth) cependant, le personnage féminin complètement sexualisé. Je sais pas quel problème il avait avec les femmes/le sexe, mais c’est chelou.

Axiom’s End, de Lindsay Ellis

En 2007, en succession rapide, deux astéroïdes tombent sur le territoire des États-Unis. Un site du style de Wikileaks publie un mémo affirmant que le gouvernement donne refuge depuis plusieurs dizaines d’année à un groupe d’aliens et que ces astéroïdes sont liés aux aliens, potentiellement les prémices d’une invasion. Le gouvernement réplique qu’il s’agit de théories du complot, mais il s’avère qu’il y a des éléments de vérité dans cette histoire : une vingtaine d’aliens sont bien hébergés par le gouvernement, mais toute communication avec elleux est impossible, et les astéroïdes sont bien de nouveaux aliens, mais venant prendre contact avec le groupe de réfugié.e.s, pas une invasion. L’héroïne du roman se retrouve coincée au milieu de tout ça : son père absent est le fondateur et éditorialiste du site de leaks, exilé en Allemagne. Toute sa famille est sous surveillance à cause des activités paternelles, et elle se retrouve en contact direct avec un des aliens nouvellement arrivés, assumant un rôle d’interprète (l’alien pouvant parler anglais, mais manquant de références culturelles lui permettant d’appréhender le monde moderne).

Y’a des éléments sympas, ça se lit bien, y’a une uchronie en arrière-plan (Bush est forcé à la résignation après avoir menti sous serment). Le concept de la difficulté à communiquer avec des aliens, à avoir des éléments de compréhension mutuelle en venant d’origines si différentes est bien rendue. Y’a une petite vibe Loving the Alien aussi. Après ça ne m’a pas transcendé pour autant, c’était sympa mais les concepts n’étaient pas révolutionnaires.

Comédies françaises, d’Éric Reinhardt

Roman français de la rentrée littéraire 2020. On suit la vie d’un jeune journaliste qui enquête sur les prémices françaises d’Internet, l’invention du me dans les années 70 par Louis Pouzin, le réseau Cyclades, et comment ce projet a été torpillé en faveur du minitel et d’intérêts industriels privés. Cette partie était intéressante, mais on suit en parallèle la vie sentimentale du journaliste qui est obsédé par une femme (et obsédé tout court), ça c’était un peu relou.

Y’a pas mal de répétitions dans l’ecriture. L’histoire du datagramme était intéressante, mais j’ai un peu eu l’impression de lire du sous-Bellanger.