Archives de catégorie : Des livres et nous

Mémoire de Fille, d’Annie Ernaux

Court roman autobiographique d’Annie Ernaux, ou elle revient sur sa vie et son état d’esprit entre 1958 et 1962, c’est-à-dire les années où elle devient sexuellement active durant une colonie de vacances où elle est monitrice, avant de rejeter totalement cette part d’elle-même.

C’était intéressant mais j’ai largement préféré Les Années et La Femme gelée comme roman de l’autrice. Le style de l’écriture, ici, avec une réflexion sur le temps de l’écriture et sa difficulté à se confronter à cet épisode, ne m’a pas enthousiasmé.

Le Deuxième Sexe, de Simone de Beauvoir

Tome 1 (recension du 27 août 2018)
Un peu déçu. On m’avait prévenu que le tome 1 était moins intéressant que le 2 donc je lirai le 2, mais effectivement le 1 est pas génial. Divisé en 3 parties Destin, Histoire et Mythes, le livre présente différents points de vues et données sur les femmes. De Beauvoir passe d’abord en revue les connaissances issues de la biologie et de la psychanalyse, et bon, tu sens que c’est daté dans les deux cas. Elle parle ensuite de la place des femmes dans les sociétés à travers l’Histoire, et pareil, c’est une vision très péremptoire et très de son époque de l’anthropologie. Enfin, la partie Mythes montre les différentes significations et symboliques attachées aux femmes d’un point de vue masculin. C’est un peu long mais j’ai trouvé que c’était la partie la plus pertinente, qui peut se résumer en : « l’Homme se considère comme le centre du monde, les femmes lui présentent une image d’une Altérité et d’un reflet à la fois : en tant qu’altérité on va lui coller toutes les altérités dessus (la Nature en premier lieu, d’où plein de métaphore de la Nature comme une femme et des femmes comme forces naturelles un peu mystiques »), et le signifiant de plein de couples de valeur (jour/nuit, bien/mal…), où l’Homme récupère l’autre et généralement le mélioratif. Comme Reflet, il va être attendu des femmes qu’elles valident les Hommes, les confortant dans leurs choix : l’Homme va les vouloir indépendantes mais concédant quand même à l’Homme qu’il a raison à la fin, dures à séduire mais cédant aux avances… (en gros, une imitation de personne indépendante, mais qui finit toujours par valider les choix et envies de l’Homme).
Bref, j’ai trouvé ça un peu long pour ce que ça disait. Après c’est peut-être que c’était fondateur et que ça a été beaucoup repris par d’autres ouvrages et autrices féministes depuis. Ou alors c’est que c’est un point de vue philosophique et que ce n’est pas ce que je recherche dans un essai féministe.

Tome 2 (recension du 17 septembre 2019)
Excellent début, qui détaille comment l’éducation des enfants selon leur genre va modeler les individus selon des stéréotypes de genre. Ça pour le coup c’est toujours très pertinent et très bien décrit, ça explique comment les comportements présentés comme innés sont au contraire inculqués avec force répétition et les réactions que ça crée.
Au delà de ce début vraiment très bien, je n’ai pas été transporté par le reste du tome. Y’a plein d’éléments pertinents mais que j’ai déjà vu ailleurs, et surtout il y a une approche très généralisante. De Beauvoir parle surtout de la femme blanche et des catégories supérieures de la population (même s’il y a des passages sur les ouvrières), et de façon assez péremptoire, comme dans le premier tome. En plus elle parle de la condition féminine blanche et bourgeoise des années 40, du coup y’a un certain nombre de choses dans la structure de la société qui ont évolué depuis.

Les Bacchantes, de Céline Minard

Court roman (je dirai même nouvelle) de Céline Minard. Un trio de braqueuses s’est enfermé dans une cave à vin contenant pour plusieurs millions de grands crus. Les négociations n’arrivent à rien, leurs motifs et objectifs restent mystérieux…
Je n’ai pas été enthousiasmé. Ça se lit bien et vite, mais ça reste assez superficiel vu la brièveté du bouquin, et j’ai trouvé la fin confuse. Il y des motifs communs avec Le Grand Jeu, mais en moins bien.

Animal Money, de Michael Cisco

Cinq économistes inventent un nouveau concept d’argent : l’argent animal, qui se multiplie lors des transactions au lieu de passer de mains en mains. Le seul fait d’inventer ce concept, semble le faire advenir et lance une série d’événements de plus en plus délirants.

J’ai pas fini le bouquin. Il est assez expérimental dans les changements de structures, de ton, la non-fiabilité de la narration (et il est épais), et c’était pas spécialement ce que j’avais envie de lire à ce moment. Mais il est assez acclamé par les amateurs de weird fiction sur Internet et il y avait des passages et des idées intéressant.e.s (j’aime beaucoup l’incipit notamment), donc allez-y si c’est votre truc.

Nature à vendre, de Virginie Maris

Ou Les Limites des Services Ecosystémiques.

Transcription d’une conférence donnée en 2014 sur le sujet.
Le concept de services écosystémiques (SE) a été popularisé en 2005 avec le Millenium Assessment Act. Pensés comme un concept complémentaire de la biodiversité (on parle fréquemment de Biodiversity and Ecosystem Services), ils tendent en fait à remplacer la biodiversité dans le discours libéral sur la protection de la Nature. Ce remplacement advient parce que le concept de SE est bien adapté au néolibéralisme : si la Nature rend des services, ces services sont évaluables et facile à faire rentrer dans des bilans comptables et des arbitrages. Mais le revers c’est que la Nature comme « fournisseuse de service » est une vision problématique à plusieurs titres :
1/ La Nature n’est pas intrinsèquement au service de l’Humanité. Si parfois elle rend service, parfois elle est neutre, parfois elle est néfaste (inondations, moustiques). Et les désagréments de la Nature ne sont pas secrètement bénéfiques si on regarde avec une vision plus large. Ça c’est une vision naïve d’une Nature conçue pour servir l’espèce humaine, pas la réalité. Du coup, comment justifier de protéger la Nature inutile ?
2/ Si on peut mesurer le bénéfice apporté par la Nature pour justifier sa préservation plutôt que sa destruction par un projet avec moins de bénéfice, il faut accepter qu’il y a plein de fois où la Nature va perdre cet arbitrage : parfois bétonner tout est plus efficace. De plus un service peut perdre son intérêt si on développe une nouvelle techno ou change d’organisation : le service de captage du carbone atmosphérique n’existe que si on a une civilisation thermo-industrielle qui crache du carbone en excès dans l’atmosphère. Le problème est de ne se baser que sur une efficacité de service rendu et pas sur une valeur intrinsèque.
3/ On parle de services rendus, mais rendus à qui ? Les bénéficiaires sont rarement l’Humanité entière. Dans ce cas comment arbitrer entre différents bénéficiaires de services différents ? Il y a souvent des conflits d’usages entre différents sous-groupes. Cf les conflits sur la réintroduction des prédateurs dans les montagnes françaises. Plus généralement, des bénéfices à court-terme peuvent être négatifs à long terme ou pour l’ensemble du groupe (maximiser l’utilité globale ne passe pas forcément par maximiser les utilités individuelles).

Par ailleurs, maximiser les services rendus ne maximise pas forcément la biodiversité, et inversement : un système agricole ou forestier en coupe réglée avec 2-3 espèces est plus productif qu’un écosystème sauvage. Si on par d’une zone morte (friche industrielle par ex) effectivement la relation existe, mais ça se décorrèle rapidement.

La monétarisation des SE rajoute encore des problèmes : monétariser permet d’avoir un dénominateur commun pour faire des calculs coûts/bénéfices. Mais ça suppose que ça a un sens d’avoir une unité commune de mesure. Hors mesurer le service de production d’un verger, le service de rétention d’eau et la valeur esthétique d’un paysage sur la même base… Quand c’est fait, c’est fait au pifomètre, et ça a l’air faussement scientifique et carré.
Derrière on va sortir une jolie métrique à l’apparence rationnelle pour dire qu’on a fait un choix technocratique de façon tout à fait raisonnable qui n’est pas sujet à débat puisque c’est bien cette option qui optimise la métrique, alors que justement les choix de préserver telle ou telle facette de la Nature avec tel ou tel impact sur l’organisation de la société humaine sont précisément des choix politiques qui devraient faire débat : puisqu’on met en balance des valeurs incommensurables, la décision est forcément politique.
De plus, la monétisation favorise la gestion des SE et de la Nature comme un produit financier : on peut spéculer dessus, on applique par défaut le régime de la propriété privée, on favorise la captation par les plus riches : les Etats, mais surtout entreprises, qui vont devenir les propriétaires légitimes des SE.

Au Nord du travail, de TOMJO

Court fascicule sur les mutations du travail, le fait que viser de revenir au plein emploi notamment industriel c’est pas mal de la merde (« pour nous les emplois dans les mines c’était surtout la silicose ») et que par conséquence on peut trouver mieux comme grand projet de gauche que des relocalisations d’usine. De la même façon, la promesse d’un monde où les robots travailleront pour nous est assez factice, d’une part parce que l’on voit bien qu’actuellement les gains de productivité de la robotique et de l’algorithmique servent essentiellement à augmenter les profits de quelques uns plutôt que d’être redistribués, et ensuite parce que les robots n’apparaissent pas par magie, il faut les construire à partir de minéraux et ressources naturelles très loin d’être pérennes et extractibles sans dommages majeurs pour la planête, et avec un coût social important. Plutôt que l’alternative relocalisation/algorithmisation, l’auteur appelle à sortir du culte de la croissance pour retrouver un projet de société plus soutenable.

Un espace indéfendable, de Jean-Pierre Garnier

Court texte sur l’ « architecture défensive », le fait d’aménager les villes et l’espace public dans l’optique de « diminuer la délinquance », ce qui conduit souvent à privatiser tout sauf les espaces de circulation, et de réaménager les accès pour permettre à la police de courser tout le monde. C’était intéressant mais trop court, j’aurais bien voulu plus de développement, des exemples, quelques dessins illustrant les réaménagements.

Les Années, d’Annie Ernaux

Roman français de 2008. Annie Ernaux détaille sa vie et les changements dans la société française entre 1940 et 2008. Le texte est espacé de descriptions de photos/vidéos, et se déroule à la 3e personne. J’ai beaucoup aimé, je ne saurai pas exactement dire pourquoi. Le style est prenant, avec une accélération progressive de la narration. Elle raconte sa jeunesse, son mariage, divorce, son rapport à ses enfants, et plus largement une vie qui plonge dans la société de consommation, les conventions de la vie à 2, les années De Gaulle, VGE, Mitterrand, les réminiscences du 11/09, des attentats de la rue de Rennes, la victoire de 98…
L’incipit est très intéressant aussi, qui résume en quelques pages le roman et liste des fragments de souvenirs. J’aime beaucoup la première phrase et ce qu’elle annonce du projet du roman : « Toutes les images disparaîtront. »

The Seven Deaths of Evelyn Hardcastle, de Stuart Turton

Roman policier anglais.
Le narrateur se réveille amnésique dans une forêt. Il va revivre 7 fois la même journée dans le corps de sept personnes différentes, toutes présentes dans un manoir isolé où un meurtre va avoir lieu, et doit comprendre qui a commis le meurtre, sans quoi il devra recommencer après avoir perdu tous ses souvenirs. J’ai bien aimé le côté enquête convolue avec les révélations successives.

L’explication de « pourquoi est-ce qu’il va revivre 7 fois la même journée » ne sert qu’à introduire le mécanisme, qui fait très jeu vidéo dans l’idée (et marche assez mal dès que tu y réfléchis 30 secondes). Le mécanisme en soi est intéressant mais il aurait pu être mieux exploité que dans cette enquête là, qui est détachée de tout élément réel, de par le côté « manoir isolé qui représente n’importe quelle enquête à la Agatha Christie » : les personnages sont des archétypes, avec un passé en papier dès que ça ne concerne pas directement l’enquête.
La boucle temporelle est relativement intéressante mais probablement compliquée artificiellement par l’ordre dans lequel la narration la présente (et bon, y’a le problème de la boucle qui a des points fixes par moments et où on peut faire dévier le temps à d’autres).

Borroka !, de mauvaise troupe

Abécédaire du Pays Basque insoumis. Un livre rédigé dans l’optique du contre G7 de 2019, pour expliquer les tenants et aboutissants de l’indépendantisme basque, dans ses différentes facettes. C’était assez intéressant, je me rends compte que je ne connais pas grand chose dessus, alors que j’habite assez proche du pays basque et que c’est des questions intéressantes. Ça parle aussi bien de la lutte armée de l’ETA que de la vie culturelle alternative. Ca reste assez court et le format de l’abécédaire fait que c’est des vignettes sur tel ou tel aspect, ça mériterait un format plus long comme sujet.