Archives de catégorie : Des livres et nous

The Great Eastern, d’Howard Rodman

Bouquin de 2019 qui pastiche les livres de la fin du XIXe. L’auteur imagine l’affrontement entre le capitaine Nemo et le capitaine Ahab autour de l’enjeu de la pose d’un câble télégraphique transatlantique, et en présentant la carrière d’un bateau réel et emblématique de l’époque, le Great Eastern du titre…

Dit comme ça, ça semble assez alléchant, mais j’ai été assez déçu par l’exécution. L’auteur écrit dans un style d’époque, mais du coup ça donne beaucoup de répétition de tournures de phrases typiques, qui alourdissent la lecture. Le point de vue de la narration bouge beaucoup, avec un narrateur omniscient, un narrateur qui suit un personnage, de la narration à la première personne alternant entre différents personnages, des extraits de journaux intimes et des coupures de presse. Ça fait plus fouillis que dispositif intéressant.

Par ailleurs la narration est incohérente sur certains points – bon déjà elle ne respecte pas le canon alors qu’il y avait clairement moyen de le faire (à mon sens, présenter les événement relatés comme des passages inconnus dans la vie des personnages telle que relatée dans Moby Dick et les œuvres de Verne aurait été plus intéressant, faisant de l’œuvre une insertion dans le canon reliant les deux romans) mais ça c’est un choix, même si l’auteur ne fait pas grand chose de ces divergences. Mais de plus, on comprend assez mal quelles ont été les actions de Nemo par rapport au câble transatlantique : il semble ne s’y attaquer qu’une seule fois, mais en même temps il est sous-entendu que c’est ses attaques précédentes qui ont poussé Field à engager Ahab. Le retournement de situation de la bataille navale semble très gratuit, la fin avec Nemo lors de la Commune de Paris aussi.

Bref, globalement déçu, un gros potentiel gâché par l’exécution.

Ring Shout, de P. Djèlí Clark

Court roman fantastique. En 1922 aux États-Unis, une organisation clandestine mène la lutte contre un Ku Klux Klan qui s’est allié à des monstres surnaturels. On suit une cellule de combattantes, Maryse, Chef et Sadie, alors qu’elles tentent d’empêcher une projection de Birth of a Nation au sommet d’une montagne avec des propriétés magiques…

C’était très bien. C’est une bonne histoire d’horreur cosmique, on trouve des thèmes lovecraftiens, mais traités du point de vue de l’antiracisme plutôt qu’avec la vision xénophobe de Lovecraft lui-même. Y’a une cohérence stylistique qui était ce qui m’avait manqué dans Lovecraft Country. La description des monstres, axée sur le body horror, est très réussie, surtout celle de la Grande Cyclope. Quelques répétitions dans les passages qui décrivent les moment où Maryse invoque son épée, mais c’est un défaut assez mineur.

Ecotopia, d’Ernest Callenbach

Roman états-unien de 1975. Les trois États de la cote pacifique ont fait sécession 20 auparavant, rompant tout contact avec les États-Unis. Un journaliste new-yorkais est invité à franchir la frontière pour voir comment ce nouvel État, Ecotopia, a évolué durant l’intervalle. Le roman consiste en ses articles très factuels envoyés à son journal aux USA, le Times-Post, et ses notes dans son journal personnel, racontant son histoire plus personnelle.

Ecotopia est un État qui a mis l’écologie au centre de ses préoccupations (avec un débat interne persistant sur la question de savoir s’il est possible de réaliser l' »écologie dans un seul pays »). Le pays a radicalement modifié son fonctionnement, ses taxes, ses rapports sociaux, ses infrastructures pour atteindre un « état stable » de consommation et régénération des ressources naturelles. Au passage, la semaine de 20h a été institué, ainsi qu’un revenu de subsistance universel. Les rapports sociaux se sont apaisés, la production a été socialisée, le parti au pouvoir – le Parti Survivaliste – est dirigé par des femmes.

Ecotopia est une utopie, à laquelle le narrateur va peu à peu se rallier. Les idées écolos présentées sont intéressantes (surtout pour un roman de 75), mais en terme de narration, Ecotopia est trop parfaite pour être intéressante. Certains aspects de la société font penser aux Dépossédés, mais sans la réflexion critique que présente Le Guin. Par ailleurs, en dehors de l’écologie, certains aspects ont mal vieillis : les trips sur la sexualité (notamment le point de vue du narrateur dessus), le passage « ah oui les populations noires ont décidées de se ségréger en cités-États indépendantes », tout n’est pas parfait dans les thèses présentées. Le principe de la double voix du narrateur entre ce qu’il écrit officiellement et son journal intime, et comment les deux se répondent est intéressant par contre.

Lutter Ensemble, de Juliette Rousseau

Essai sur les possibilités et modalités pratiques de convergences des luttes à gauche. Juliette Rousseau parle de comment il est possible pour des mouvements marginaux de travailler avec des mouvements plus insérés dans le jeu institutionnel, et comment faire en sorte de prendre en compte les différentes dominations au sein des mouvements de gauche, pour éviter de reproduire les hiérarchies dans les mouvements sociaux. J’ai trouvé le texte assez inégal, mais il y a des passages super intéressants. Les témoignages issues de femmes et de personnes racisées prenant part à la ZAD de NDDL notamment étaient super bien ; les façons dont les organisations palestiniennes posent des conditions avant de travailler avec des organisations israéliennes et en parallèles comment les petites organisations marginales ont travaillé avec les grosses organisations institutionnelles pour la préparation des marches pour le climat newyorkaises était aussi très intéressant. Les réflexions sur les associations qui ont des fonctionnements en non-mixité ou en mixité choisie pour permettre aux dominé.e.s et aux premièr.e.s concerné.es par les causes de s’exprimer plus facilement sans se faire dépasser par les allié.e.s plus privilégié.e.s sont intéressants aussi ; avec le constat que ça marche bien quand c’est prévu dès le départ, et beaucoup plus compliqué à rajouter a posteriori.

Vostok, de Laurent Kloetzer

De la SF russe écrite par un français.

Roman de SF de 2016. Pour récupérer des données leur permettant d’effectuer le casse du Siècle, une bande de criminels chiliens embarque à Vostok, la station russe installée au le pôle sud géomagnétique et abandonnée depuis des années. Partis pour un mois d’été sur place, les choses ne vont évidemment pas se passer comme prévues.

Comme souvent avec les bouquins de Kloetzer c’est assez inclassable. Le bouquin se passe dans le futur, y’a une Fédération Andine, des ayas, des drones autonomes à énergie solaire.
Mais très vite tout ça n’a plus aucune importance, les protagonistes se retrouvent à Vostok coupés du monde, et dépendent d’installation soviétique de 50 ans d’âge. La SF disparaît quasi totalement. Le côté isolation et survie au froid m’a pas mal fait penser à ce que j’ai pu lire d’Ana Yagner, d’où la ref à la SF russe. En parallèle, on a un personnage qui croit à la magie et aux prophéties, et l’héroïne est accompagnée d’un « ghost », créature fantastique absolument pas expliquée mais acceptée par tou.te.s (et qui ressemble à ce qui des Furtifs réussis auraient pu être, déso Damasio). Via des extraits d’un livre in-universe, via les perceptions magique du ghost, on a accès en parallèle à l’Histoire de la fondation de Vostok, et des recherches qui y ont été menées, qui sont une description tout à fait sérieuse même si romancée du Vostok réel. Enfin, à la page 380 (sur 500), Kloetzer décide de rattacher l’intrigue de son livre à l’univers de la Bombe Iconique qu’il a déjà raconté dans d’autres livres et nouvelles.

Quelques faiblesses peut-être dans la lenteur du début, avant l’embarquement pour Vostok le livre prend le temps d’installer des pistes d’intrigues et des personnages à Valparaiso, qui vont ensuite être totalement ignorée quand les héros partent s’isoler.

C’est assez prenant, je l’ai lu en une nuit, je recommande.

Divergences 001, anthologie dirigée par Alain Grousset

Anthologie de nouvelles uchroniques écrites par des auteurs français (+ une republication d’une nouvelle d’un auteur britannique) pour une publication à destination d’un public jeunesse en 2008. C’est – comme souvent pour les recueils de nouvelles – assez inégal. Pas mal de nouvelles n’échappent pas à l’écueil de la surexposition ; les premières du recueil ont des points de divergence trop anciens pour être vraiment intéressant à mes yeux.

Le petit coup d’épée de Maurevert (Michel Pagel) était la meilleure pour moi, avec une narration dynamique et une divergence originale. Reich Zone (Xavier Mauméjean) réussit à être originale en partant de la divergence la plus classique possible, et rappelle un peu Ruled Britannia de Turtledove dans son idée. De la part de Staline (Roland C. Wagner) est sympa pour la divergence mais très anecdotique dans la narration. La divergence dieselpunk de L’affaire Marie Curie est sympa, la narration est dynamique, mais la nouvelle devient de moins en moins vraisemblable, hélas.

Globalement le recueil se lit vite et permet de balayer largement une variété d’uchronies, en montrant des réussites et les défauts classiques du genre ; ça en fait une excellent introduction.

Spinning Silver, de Naomi Novik

Livre de fantasy basé sur la mythologie polonaise. C’est le deuxième bouquin de Novik que je lis, après Uprooted, Et je pense que j’ai encore plus aimé. On suit l’histoire de Myriem, une prêteuse d’argent dans un village rural, qui remplace son père qui n’est pas assez froid pour faire ce métier. Le champ de l’histoire s’élargit progressivement, à la fois par l’augmentation des enjeux auxquels est confrontée Myriem, et par l’ajout progressif de d’autres narrateurices.

Cet ajout de d’autres narrateurices est très réussi je trouve, permettant de montrer au début d’autres points de vue d’une même situation qui jettent une nouvelle lumière sur les enjeux, avant de les faire partir vers d’autres événements pour faire avancer l’intrigue.

Les Staryks sont très réussis comme peuple magique, fonctionnant selon les règles des Fées, où la parole donnée lie absolument et où les noms ont du pouvoir. Toute la partie sur la maison magique était super cool aussi, j’en aurai voulu plus.

Le côté non-magique de l’univers est très réussi aussi, avec une société rigide, avec un tsar, des nobles, des boyars, des paysans, et une minorité juive toujours à risque de servir de boucs émissaires. De façon générale, gros coup de coeur sur l’univers.

Le défaut que je vois au livre est la structure des relations amoureuses, exactement la même entre elles et que celle d’Uprooted : une honnête jeune fille est appariée à une créature puissante et monstrueuse, mais découvre avec le temps qu’au fond il est bon, humain et désirable. M’ouais. Ok une fois, mais ce serait bien d’avoir d’autres types de relation.

Habiter en oiseau, de Vinciane Despret

Essai qui revient sur les notions de territoire et de relation interpersonnelles chez les oiseaux. Vinciane Despret explique quelles sont les observations scientifiques et les théories qui ont été faites sur ces concepts, détaille l’évolution des conceptions, comment les notions sont liées aux présupposés des observateurices, aux évolutions de ces notions dans les sociétés humaines, comment l’ornithologie elle-même a évolué.

L’idée principale est que la notion de territoire chez les oiseaux n’a pas un côté propriété permanente comme chez les humain.e.s. Les oiseaux peuvent défendre un territoire, mais ponctuellement, contre certain types d’incursion et pas contre d’autre. Leur territorialité peut évoluer avec les saisons ou avec le groupe, même au sein d’une espèce. Il y a même des cas où un changement de configuration du paysage change le comportement des oiseaux : ils ne défendent plus leur territoire sur un lac qui a gelé. Ce n’est donc pas tant le lieu que ses propriétés qui les intéressent. Elle discute de ce que le territoire peut représenter pour les oiseaux : un point de rencontre sur lequel un couple s’est mis d’accord, une zone de réserve de bouffe, une zone qui permet de se faire voir pour une parade nuptiale, une zone connue dans laquelle il est facile de se cacher, ou juste… un endroit qu’ils aiment bien. Elle ne tranche pas entres les hypothèses qui de toute façon peuvent être simultanément vraies, et en proportions variables selon les espèces ou les groupes.

L’autrice parle aussi de la tension chez les oiseaux à avoir un comportement grégaire et territorial à la fois : ils cherchent un territoire mais ont tendance à les coller les uns aux autres mêmes si ce n’est pas le plus pertinent en terme de ressources. Il y a une socialité des oiseaux. Les conflits sont d’ailleurs ritualisés, et les oiseaux s’observent beaucoup les uns les autres (apprentissage ?).

Enfin l’autrice parle aussi de territoire non physique : on observe des communautés de plusieurs espèces d’oiseaux qui se répartissent les fréquences sonores et les intervalles de champ pour permettre que tout le monde soit audible. Les oiseaux utilisent aussi d’autres espèces comme points de repère : par exemple certains oiseaux se retrouvent les uns les autres en visant où il y a des hirondelles, plus facilement repérables.

Bref, c’était intéressant, ça se lit bien avec des chapitres courts, c’est un bon essai d’écologie.

Une Ombre qui marche, de Tiphaine Le Gall

Roman français sorti en 2020. L’oeuvre prend la forme d’un essai sur un roman publié en dans les années 2030 et qui révolutionne radicalement la littérature et au delà le rapport des humain.e.s au monde. Particularité de cette œuvre révolutionnaire, elle est composée de 283 pages blanches, jouant avec le blanc de la page et donnant une place centrale au silence et à la subjectivité du lecteur.

L’autrice signe une forme de parodie référencée d’analyse littéraire, comparant le texte de Timothy Grall à ses références (Montaigne, Nietzsche), à ses œuvres précédentes (L’ouverture de la porte, Ethique et Métaphysique du gros orteil droit), à sa vie en tant qu’écrivain ayant grandi dans le tumulte du début du XXIe siècle. Elle parle de l’écriture fragmentaire, de l’importance des blancs autour du texte dans les poèmes, du genre auquel rattacher un roman entièrement blanc, de la mise en avant de la matérialité de l’objet livre, et de l’impossibilité d’épuiser les interprétations. Faut avoir un penchant pour la théorie littéraire à la base mais c’est trippant à lire.

Les derniers Parfaits, de Paul Béorn

Roman de fantasy occitane. L’histoire se passe dans un univers assez sombre où la magie existe. Suite à un cataclysme qui a touché l’Empire Romain, la carte de l’Europe a été remodelée. Des siècles plus tard, l’Occitania est indépendante du royaume de France, la religion cathare y est officielle, et les légion catharis montent à l’assaut du royaume de France, aidée d’alliés surnaturels. Au milieu du conflit, un groupe de 4 prisonniers de guerre réussissent à s’évader et décident de descendre au cœur du territoire occitan…

C’était intéressant d’avoir de la fantasy avec des prémices françaises, y’a matière à. C’est de la dark fantasy, pas mon genre favori, mais c’est plutôt bien fait, l’univers est cohérent et réussi. C’est pas le bouquin de fantasy du siècle mais c’était une bonne lecture.