Archives par mot-clé : uchronie

Les Oranges de Yalta, de Nicolas Saudray

Uchronie française parue en 1992. Durant la seconde guerre mondiale, Rudolph Hess convainc le Japon d’attaquer la Russie en même temps que l’Allemagne. Prise entre deux fronts, la Russie n’arrive pas à faire face, et la guerre tourne en faveur de l’Axe. On suit le point de vue de différents personnages – figures historiques ou anonymes pris dans les événements, de 1940 à la fin des années 50. Ça se lit bien, et la multiplicité des points de vue donne un roman choral qui marche bien pour une uchronie, mais ça n’a rien de révolutionnaire, ni dans l’uchronie décrite, ni dans le style d’écriture.

Protectorats, de Ray Nayler

Recueil de nouvelles, paru en 2023 au Bélial (les nouvelles ont originellement été publiées dans des magazines en anglais, mais il n’existe pas de recueil équivalent en anglais). Certaines des nouvelles partagent un univers uchronique commun, où les États-Unis ont exploité la technologie d’une soucoupe volante tombée sur leur territoire en 38 pour gagner une énorme avance technologique et à la fin de la seconde guerre mondiale, repousser les communistes jusqu’en Russie, gardant toute l’Europe et une partie de l’Asie Mineure sous la forme de « protectorats », d’où le titre du recueil.

J’ai bien aimé l’écriture, l’auteur installe ses univers uchroniques ou science-fictif avec efficacité. Les uchronies sont l’occasion d’une SF « à la papa » avec des voitures volantes, des espions russes et des robots qui jouent au baseball, qui fonctionne très bien (surtout qu’il y a quand même un élément plus moderne dans le fait que les US ne sont pas vraiment pour autant présentés comme l’empire du Bien (que fait notre administration avec toute cette puissance ?), et que les personnages sont hantés par des PTSD liés à ce qu’ils ont fait pendant la guerre. Les nouvelles plus futuristes parlent pas mal de ce qu’est la conscience, surtout si elle devient transférable dans d’autres corps, identiques ou différents, de ce qu’est la frontière de l’Humanité avec des androïdes qui luttent pour leur droits et des IA qui élèvent des enfants.

Je recommande pour de la SF classique et efficace.

For All Mankind, de Ronald D. Moore et Ben Nedivi

Série télé uchronique. En 1969, l’URSS réussit le premier alunissage de l’Humanité, avant de surenchérir avec l’alunissage d’*une* cosmonaute. En réaction et sous pression de la Présidence, la NASA accélère fortement son programme spatial, décide de l’ouvrir aux astronautes femmes, et lance la construction d’une base permanente sur la Lune.

Saison 1 :

J’ai beaucoup aimé. On commence avec des astronautes (et leur entourage) qui sont des stéréotypes en carton-pâte, et la série les déconstruit progressivement pour en faire de vraies personnes avec des vies compliquées. Il y a une palanquée de problèmes techniques dans l’espace qui tiennent les spectateurices en haleine, et ce d’autant plus qu’en bonne série post-GoT, les scénaristes n’hésitent pas à tuer des personnages principaux (en terme de tension qui te tient rivé à ton siège, mention spéciale à l’épisode 9).

C’est fortement dans la même veine que The Calculating Stars, même si l’uchronie et la période temporelle sont un peu différentes, et c’est très cool de voir ce genre d’histoire sous la forme d’une série avec un bon budget pour les décors.

Saison 2 : (spoilers below)

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Monts et Merveilles, de Nicolas Texier

Tome 1 : Opération Sabines

Uchronie imprégnée de fantasy se déroulant dans l’Europe de l’entre-deux-guerres. La magie existe dans le monde, mais a fortement reculé en Europe continentale où la science a commencé à la remplacer. Aux Royaumes-Unis par contre, l’usage de la magie est encore une part importante de la vie quotidienne. C’est pourquoi sur les prémonitions d’une augure, les services secrets recrutent un mage et son serviteur pour aller exfiltrer un physicien vénitien qui intéresse fortement l’armée du Nouvel Empire Romain, l’équivalent dans ce monde du IIIe Reich.

C’était assez prenant. Le livre est raconté du point de vue de Julius Khool, le serviteur du mage, le plaçant dans la tradition des aventures de Sherlock Holmes ou de Hercule Poirot, d’autant plus qu’il s’agit d’un ancien militaire. Le mage n’a rien d’un détective hors pair par contre, et c’est à Julius que revient aussi ce rôle. Contrairement au rôle traditionnel du narrateur de ce genre de roman, il se met du coup beaucoup plus en avant, évoquant ses souvenirs de campagnes notamment. C’est un personnage très réussi, j’ai trouvé, et qui porte vraiment le roman.

L’univers est cool aussi, avec une inexistence du christianisme et des explosions, poussant des armées du XXe siècle à des combats à l’épée. Les éléments d’uchronie sont intéressants, l’influence de la magie et des traditions celtes sur l’univers est assez cool. C’est le premier d’une série, j’irai lire les autres.

Tome 2 : Opération Jabberwock

On retrouve le duo Caroll/Julius Khool du tome 1, qui partent cette fois-ci aux Amériques, suivant une piste provenant de feu les parents de Caroll. En jeu, rien de moins qu’Excalibur, l’épée de la légende arthurienne, qui aurait été exfiltré dans les colonies monothéistes il y a plusieurs siècles par ses gardiens, et que l’enchanteur espère retrouver pour aider les Royaumes-Unis dans la guerre qui vient de se déclencher contre le Nouvel Empire.

On retrouve plusieurs tableaux classiques de l’image littéraire de l’Amérique (dans la littérature de genre) : un Massachusetts discrètement lovecraftien, une Chicago remplie de gangsters avec un twist magique, et un western partiellement onirique, vu du côté des nations indiennes, qui semblent dans l’uchronie de Texier avoir bien mieux résisté à l’arrivée des colons blancs. Durant ces trois parties, on voit l’impact de la guerre d’influence autour d’Excalibur, qui a modifié l’histoire des États-Unis et des territoires non-incorporés. Le style reste assez fidèle à celui du premier tome, avec une grande place laissée aux émotions de Julius Khool. Comme dans le premier volume, le duo se voit accompagné par des personnages secondaires qui rajoutent des facettes à leurs échanges : un automate construit par le père de Caroll, une chanteuse de jazz native-américaine avec ses propres objectifs. Le rythme du livre est plutôt réussi, avec des péripéties qui s’enchaînent bien (après une introduction un peu lente avant que les événements ne se mettent proprement en branle).

J’ai beaucoup aimé ce tome 2 aussi, plus qu’un dernier avec ces personnages, dont j’attends la sortie en poche avec impatience.

Tome 3 : Opération Loreleï

J’ai trouvé ce dernier tome un peu moins réussi que les deux précédents. Les deux personnages principaux subissent beaucoup les situations, et le découpage en trois grandes parties (la quête du roi Arthur, la contre offensive en Angleterre et l’infiltration dans l’empire romain) sont un peu trop tonalement distinctes, on a l’impression de trois sous-nouvelles, et le côté « découverte du cadre de l’uchronie » joue moins que dans les deux premiers tomes. La conclusion boucle de façon satisfaisante le cycle par contre, en faisant revenir des personnages croisés dans le premier tome.

Louis 28, de Géraldine de Margerie et Maxime Donzel

Série télévisée uchronique française de 2023. L’action se passe de nos jours, dans une France où la monarchie absolue n’a jamais été abolie. Suite au crash de l’avion royal contenant toute la famille, l’héritier du trône se trouve être le fils illégitime d’un des princes royaux, élevé en dehors de la cour par sa mère célibataire et prof de français à Melun. Le fils et la mère se retrouvent parachutés dans le monde des intrigues de Cour, alors que la révolte gronde en arrière-plan dans le royaume et que le régent essaye d’influencer ce nouveau monarque pour mener sa propre politique, ouvertement d’extrême-droite.

J’ai beaucoup aimé, bonne découverte. Il y a la fois un côté satire sociale avec une Cour totalement déconnectée, qui fonctionne en vase clos et mène une politique réactionnaire laissée entre les mains de deux personnes seulement, -le régent et du roi – alors que le pays se casse la gueule (ça parle crise des hôpitaux, vente d’arme à d’autres dictatures, fermeture des frontières, …), un discours sur la monarchie comme un star system (les parallèles avec l’Angleterre sont vite faits) avec des médias qui commentent tout et n’importe quoi (la parodie de BFM est très réussie), un parti pris de gauche assumée (la monarchie et l’élitisme sont montrés comme de mauvaises choses sans ambiguïté, c’est pas « oh mais avec un meilleur monarque ça irait mieux »). Il y a aussi un côté « théâtre » que j’aime beaucoup dans les séries télé, où l’on voit que les moyens alloués ne permettent pas de mettre en scène des grandes scènes avec 15 000 personnes : les combats à l’épée se font hors champ, l’action se passe dans des lieux grandioses mais désertés (le fait d’expliquer in-universe pourquoi le sacre ne se fait pas à la cathédrale de Reims est très bien trouvé), avec un palais royal où un Majordome, une Générale et un Archevêque incarnent à eux trois les Institutions (on retrouve un peu la même vibe que dans Our Flag Means Death de ce point de vue là je trouve).

Globalement les personnages sont tous très bien écrits et bien joués, la série réussit assez bien à marier les effets comiques et les côtés plus réalistes, et à gérer ses changements de ton.

Je recommande.

American Hippo, de Sarah Galey

Deux novellas uchroniques états-unienne, paru en 2017 (River of Teeth et Taste of Marrow). Les États-Unis ont introduit des hippopotames en Louisiane pour en faire une source de viande. Des ranchs se sont créés, centrés autour des zones marécageuses. Toute une économie similaire à celle des troupeaux bovins et des cow-boys dans les Grandes Plaines s’est développée. Mais sur une portion du Mississipi, une population d’hippos sauvages échappés des ranchs règne sur les marais. Et les hippos étant des créatures dangereuses et vicieuses, c’est quelque peu un problème. Une équipe de hoppers (=des cowboys d’hippos) est engagée pour nettoyer la zone en sortant les hippos pour les amener sur la côte. Mais rien ne va se passer comme prévu.

C’était agréable à lire mais sans trop de fond. C’était trippant d’avoir tout ce délire sur les hippos américains, c’est un setup d’uchronie original, mais ça fait juste deux novellas marrante, j’ai pas trouvé le fond de l’histoire ou les personnages plus notables que ça.

Master of Djinn, de P. Djèlí Clark

Roman de fantasy états-unien publié en 2021. Il se passe dans le même univers que la novella The Haunting of Tram Car 15, ie un Caire alternatif où les Djinns sont réapparus dans le monde humain, faisant de l’Égypte une des grandes puissances. On suit Fatma, une agent du Ministère du Surnaturel, qui enquête sur l’assassinat des membres d’une confrérie anglaise se réclamant d’Al Jahiz, le scientifique à l’origine du retour des Djinns sur Terre.

J’ai bien aimé. La structure du bouquin est assez classique (on est sur une quête/enquête où l’opposant semble de plus en plus inarrêtable, les gentils récupèrent des infos pour comprendre les tenants et aboutissants de son plan mais restent toujours un pas derrière, jusqu’à la grande confrontation finale), mais ça fonctionne bien. Quelques plot-twists qui se voient venir, mais l’univers est très imaginatif, et y’a beaucoup de rebondissement qui tiennent pas mal en haleine. Quelques tropes réimaginés (on sent que l’auteur s’est fait plaisir parce que franchement c’est pas crucial à l’intrigue : un Anneau Unique-like, un mecha géant…

Je recommande, en conseillant de commencer par les deux nouvelles dans le même univers, qui d’une part vous permettront de savoir si vous aimez le style et le décor, et d’autre part donnent quelques éléments d’arrière-plan.

Summerland, d’Hannu Rajaniemi

Uchronie fantastique. A la fin du XIXe siècle, la rencontre entre le spiritisme et la science rend possible la communication avec l’au-delà. L’Angleterre découvre que la préservation des âmes après la mort est possible, en fournissant aux esprits un point d’ancrage et un apport régulier d’énergie psychique. La société se réorganise autour de cette nouvelle conception de la mort : la reine Victoria règne depuis l’au-delà, les progrès en terme de médecine sont abandonnés (à quoi bon ?), l’usage des médiums louant leur corps aux décédés pour qu’ils reviennent socialiser avec les vivant se répand.

Au sein du monde de l’espionnage, les capacités de déplacement instantané et de discrétion à toute épreuve des esprits sont des plus appréciés. Les services secrets britanniques se divisent en une section vivante, la Winter Court, et une section défunte, la Summer Court, avec bien évidemment de la rivalité interservices. On suit Rachel White, une agente de la Winter Court, désavantagée à la fois par son statut de vivante et son statut de femme dans un monde très masculin et très classiste. White tente de conserver sa place dans le monde de l’espionnage alors que la guerre d’Espagne devient un point d’affrontement de plus en plus important entre l’Empire Britannique et l’URSS, où l’au-delà prend la forme d’une unique conscience agrégée autour du noyau de la personnalité de Lénine…

J’ai beaucoup aimé. Le côté « le Grand Jeu, mais avec des médiums » fonctionne très bien, les personnages, leur passé et leurs motivations sont réussis. Le fonctionnement de l’Univers est expliqué au fur et à mesure, l’histoire est prenante, en terme d’uchronie avec des éléments fantastiques c’est une réussite.

Warhol invaders, de Nicolas Labarre

Uchronie française publiée en 2021. En 1968, deux ingénieurs informatiques présentent un prototype de console de jeux à Andy Warhol. Celui-ci va saisir le potentiel de l’objet et le commercialiser. Avec des décennies d’avances, l’informatique personnelle va s’imposer au monde, bousculant la géopolitique internationale, le mouvement hippie/libertaire, les élections américaines…

J’ai beaucoup aimé. C’est une uchronie pour un public de niche, mais je suis pile dedans je pense. Ça parle de philosophie du libre vs systèmes fermés, bulles de filtre et analyse statistique massive, détournement des idéaux initiaux et stratégies commerciales. L’essentiel de l’histoire se déroule en Amérique, mais l’auteur inclut toute une partie en Touraine, ce qui marche assez bien comme décalage du regard.

Grande recommandation, univers original et uchronie technique très bien menée.

Small change trilogy, de Jo Walton

Tome 1 : Farthing

Enquête policière au sein d’une uchronie. En 1940 le groupe de Farthing, une faction du parti conservateur anglais, négocie une « paix honorable » avec Hitler. Pour le Royaume-Uni, la guerre prend fin en 1941. En 1949 où se situe l’action du livre, Hitler est toujours au pouvoir et le Reich et l’URSS sont toujours en guerre sur l’unique front à l’Est.

Lors d’une soirée à Farthing, un des membres du groupe est retrouvé mort. Scotland Yard dépêche un policier sur place pour enquêter. On suit deux points de vue, celui du policier, Carmichael, narré à la troisième personne, et celui de Lucy Kahn, héritière en disgrâce de la famille Eversley a qui appartient le manoir de Farthing.

J’ai beaucoup aimé ce tome 1. Les deux points de vue sont très réussis, ils enquêtent chacun de leur côté en s’attachant à des éléments différents – Lucy est l’héritière d’une société de classe, les questions de statut et de renommée sont cruciales à ses yeux, le policier s’en fiche et de plus les nobles du cercle se couvrent entre elleux du coup il n’a juste pas accès à certaines des infos que Lucy repère – même si elles sont annexes à la résolution du crime c’était assez intéressant de montrer ces points de vue partiels.

Autre point important, le contexte de l’uchronie est distillé au lecteur avec subtilité, pas de « comme vous le savez Burton, en 1941… ». Le fait de situer l’action parmi les acteurs de la divergence aide clairement, mais ça reste très réussi. La mise en scène des compromis(sions) de l’Angleterre avec le fascisme continental (et intérieur ?) est réussie.

Bref, recommandé, et je vais enchaîner sur la lecture du T2.

Tome 2 : Ha’penny

Moins convaincu que par le tome 1. L’action sur déroule explicitement quelques semaines après les événements du premier tome, mais on a l’impression par certains éléments d’arrière plans que quelques mois voire années se sont écoulés, j’ai l’impression que ça aurait mérité une bonne relecture pour bien cadrer ça, c’est un peu dommage. Il y a aussi moins l’effet « découverte du monde qu’il y avait dans le premier tome et qui participait beaucoup du plaisir. Le côté monde du théâtre et mise en scène de Hamlet est intéressante (j’ai beaucoup aimé le coup du casting genderswapped), mais aurait mérité d’être plus qu’un arrière plan (surtout que mise en scène de Shakespeare et tyrannie, y’a des précédents, que ce soit dans la culture générale avec Lubitsch ou dans le genre de l’uchronie avec Ruled Britannia). Ça reste sympa à lire, mais en terme de whodunnit et de rythme général c’est clairement pas au niveau du premier.

Tome 3 : Half a Crown

Dix ans après les événements des deux premiers tomes. Carmichael est désormais à la tête de la police politique du Royaume-Uni. On suit toujours son point de vue, et celui d’une nouvelle narratrice, Elvira, sa fille adoptive, élevée dans la gentry sans vraiment en faire partie, qui s’apprête à être présentée à la Reine en tant que débutante, pendant que le Royaume-Uni s’apprête à accueillir la grande conférence de paix qui réglera la question du partage du territoire de l’ancienne URSS entre le reich allemand et l’empire japonais. On retrouve un peu du rythme du premier tome, sur ce point je l’ai préféré au second. Par contre je suis un peu perplexe sur l’évolution du personnage de Carmichael, que l’autrice nous présente comme un gentil qui fait ce qu’il peut en sous-main, mais bon c’est quand même littéralement le chef de la Gestapo, quoi. Le livre arrive bien a présenter comment dans cet univers alternatif fasciste plein de trucs horribles sont discutés tout naturellement par les personnages, ça fait un peu cringer mais c’est volontaire. Mais je pense que ça aurait été intéressant d’avoir plus directement le point de vue de personnage moins dans des positions de pouvoir (typiquement Jacobson a l’air d’être un personnage vachement plus intéressant que Carmichael à ce stade de l’histoire). Un peu perplexe sur la fin aussi, qui d’un coup balaye toute la complexité des enjeux politiques pour basculer sur un début de happy end parce que [deus ex monarchie].

Globalement je recommande la lecture de la trilogie, mais c’est surtout le premier tome qui est vraiment réussi, petite baisse de régime ensuite.