Dirty Dancing, d’Emile Ardolino

Film américain de 1987. Dans les années 60, une famille bourgeoise passe trois semaines dans un village-vacances. La pension est soigneusement organisée pour permettre une endogamie de classe : tous les pensionnaires sont bourgeois, et les serveurs sont recrutés en tant que job d’été parmi les étudiants qui vont aller dans les colleges prestigieux. Les deux filles de la famille sont d’ailleurs immédiatement entreprises par un étudiant en médecine et le fils du propriétaire de la pension. Mais la plus jeune, que tout le monde surnomme Bébé, n’est pas du tout attirée par ce mode de vie. Elle se rapproche des autres employés de la pension, qui viennent d’un milieu bien plus prolétaire et travaillent en tant que saisonniers. Parmi eux, elle est surtout séduite par Johnny Castle, le professeur de danse de la pension.

C’était très bien. Le film épouse le point de vue de Bébé, on voit son désir à elle pour Johnny, c’est son corps à lui qui est objectifié et mis en scène. Excellente scène d’ouverture qui pose les enjeux à travers une exposition en voiceover par Bébé (« That was the summer of 1963, when everybody called me « Baby » and it didn’t occur to me to mind.« ). Le film pose dès sa première phrase qu’il va nous parler d’agency, what’s not to like?
Et effectivement le film parle des choix de Bébé : le choix de s’éloigner des rituels de sa classe sociale et des tentatives de la jeter dans les bras d’un héritier insipide, le choix de passer du temps avec les prolétaires et leur façon de danser comme à peu près tout le monde danse actuellement, ie collé serré et sans le formalisme des danses de salon. Le choix surtout de s’accrocher à son idéalisme et de vouloir changer le monde y compris et essayant de résoudre les problèmes des gens qui ne sont pas ses pairs sociaux. Et évidemment le choix d’assumer son désir puis son amour pour Johnny, même si sa famille et sa classe sont contre. Les enjeux sociaux du film sont de façon générale très réussis : les prolos ont tort par défaut, Johnny peut être accusé de vol avec zéro preuve et viré, aucun souci. De façon générale iels sont considérés comme des gigolos et des filles faciles par les bourgeois, qui peuvent aller prendre du bon temps avec eux tant que c’est en toute discrétion : c’est très clairement explicité dans le cas de Johnny. Par contre Bébé devrait évidemment en tant que fille de bonne famille rester vierge et pure, et Johnny est vu comme un prédateur et un irresponsable. Mais le film n’est pas non plus manichéen sur ce point : Johnny a pour premier réflexe de mettre une raclée à Benny qui insulte sa pote, le père de Bébé est montré comme une personne droite, qui est capable de dépasser ses a priori de classe (même s’il faut lui expliquer longtemps. Par ailleurs le film le montre aussi comme un mec typique, qui regarde fixement l’horizon quand il n’est pas content et que sa fille essaie de communiquer avec lui). Plus intéressant, on voit surtout le complexe de Johnny, frustré de ne pas avoir pu aider Penny, qui se compare aux compétences de médecin du père de Bébé. (Mention spéciale aussi au personnage de la mère qui est largement insignifiante tout au long du film mais se révèle en deux répliques lors de la scène finale).

Le film parle aussi – logiquement – de danse. Mais de la danse comme un travail : on voit les scènes où Johnny et Penny dansent sans efforts, mais on voit surtout tout le travail de Bébé pour apprendre à reproduire la chorégraphie du mambo, comment ça lui demande des efforts pour apprendre des techniques et des gestes précis. La danse comme un travail qui permet à Johnny de faire autre chose que le travail que son père lui propose – peintre plâtrier. On voit aussi la danse comme marqueur social avec les danses de salon de la classe bourgeoise vs les danses plus libres et sexualisées du staff.

Film social où les enjeux de la lutte des classes et du désir féminin sont révélés par la suspension des conventions permise par le cadre d’un village vacances, Dirty Dancing porte un discours sans concession sur le rapport bourgeois au corps et sur les mécanismes de l’endogamie de classe, le tout porté par une bande-son magnifique. Je recommande fortement.

The Prom, de Ryan Murphy

Streep saves a saccharin-soaked script and steals the scenes, ou une ethnologie des rites de passage nords-américains.

Dee Dee (Meryl Streep ♥) et Barry, deux vedettes de comédies musicales, voient leurs espoirs d’un Tony Award s’évanouir quand leur nouvelle comédie fait un flop le soir de sa première. À la recherche d’un peu de mise en valeur facile, ils décident d’aider Emma, une jeune lesbienne de l’Indiana à pouvoir aller à son bal de fin d’année, que l’association de parents d’élèves veut garder hétéro. Bien intentionnés malgré leurs arrières pensées, ils vont débarquer dans la vie d’Emma et bouleverser la vie de la petite ville de l’Indiana non sans elleux-mêmes apprendre quelques leçons sur les valeurs de l’amour.

Ça commençait bien, mais c’est quand même très mièvre. C’est vraiment la tolérance et l’inclusivité à la sauce major hollywoodienne et néolibéralisme. Tout le monde est beau, les couleurs sont vives, les problèmes économiques n’existent pas, l’inclusivité est juste one tap dance number away. Mais bon y’a Meryl Streep qui porte le film, et les personnages d’Emma et Barry sont plutôt réussis aussi (excepté le fil narratif de la famille de Barry). Les autres personnages secondaires sont assez anecdotiques.

Idoine pour les soirs de petite forme émotionnelle.

L’Âge d’Or, de Roxanne Moreil et Cyril Pedrosa

Bande dessinée médiévale en deux tomes. À la mort du roi, la princesse Tilda, qui doit hériter du trône, est exilée par le régent qui compte mettre son frère plus jeune et manipulable sur le trône. Soutenue par deux nobles en disgrâce à la cour, elle réussi à échapper à son bannissement, et se met en quête d’un mystérieux trésor que son père a évoqué sur son lit de mort. Quête classique, me direz-vous. Sauf qu’en parallèle, une révolte paysanne gronde à travers le royaume écrasé sous les taxes des nobles. Les paysans se réclament de l’Âge d’Or mythique, où la société n’était pas divisée en classe. Tilda et ses compagnons vont aussi tomber sur une communauté de femmes vivant en autarcie dans la forêt en suivant les principes de l’Âge d’Or. Ses compagnons commencent à avoir des doutes sur l’idée de soutenir un monarque contre un autre. Et quelles sont ces visions que Tilda a de plus en plus fréquemment, qui lui font voir une guerre à venir, qui semble l’épuiser et la rendre cruelle ?

C’est très dense. Ce premier tome pose largement plus de questions qu’il n’en résout, mais l’univers semble passionnant. Le dessin de Cyril Pedrosa est magnifique, grosse recommandation.

Tome 2 :
Moins convaincu. Je l’ai trouvé beaucoup moins dense que le premier. Le dessin est toujours très beau, mais l’action est très resserré sur le siège d’une forteresse, il n’y a pas le côté grand panorama qu’il y avait dans le précédent. Les fils narratifs en suspens sont tous résolus, mais il y a beaucoup moins ce souffle épique du premier. Un peu dommage.

Il faut flinguer Ramirez, tomes 1 & 2, de Nicolas Petrimaux

Bande dessinée située dans les années 80, et qui en revendique l’esthétique. Falcon City, Arizona. La Robotop, compagnie d’électroménager, s’apprête à dévoiler au public son nouveau modèle d’aspirateur, dans une mise en scène et une ferveur qui rappelle les lancements de produits Apple. Au sein du service après-vente de la Robotop, un employé hors pair : Jacques Ramirez. Muet, une tache de naissance qui lui prend la majorité du visage, et le meilleur réparateur d’aspirateur que le monde ait connu. Mais pas seulement. Un membre d’un cartel mexicain qui passe par là par hasard le croise, et réalise qu’il s’agit du tueur à gages implacable qui a trahit son cartel quelques années auparavant. Le cartel décide alors d’envoyer ses meilleurs éléments pour flinguer Ramirez…

Les pages sont très belles, avec des couleurs saturées qui revendiquent l’héritage 80’s à fond, et un choix de ne pas avoir de cadre (la bd s’étend vraiment sur toute la page). Le tome est divisé en acte, avec des publicités ou extraits de journaux à la fin des actes pour accentuer l’immersion dans l’univers.

Un reproche cependant, les personnages féminins, essentiellement deux principaux, un couple de femmes en cavale, mais qui sont mises en scène pour servir d’eye candy au lecteur masculin hétéro (bon ça arrive sur la fin de la BD mais c’est franchement nul de faire ça).

Tome 2 :
Le second tome est dans la droite ligne du précédent. Très réussi, il déploie plus largement l’histoire en rajoutant tout un pan du passé de Ramirez, et en éclaircissant les liens avec le cartel mexicain. Je suis très impressionné par les scènes de combat, qui sont ultra fluides à lire et restituent vraiment bien le mouvement. L’histoire est bien construite, les dessins sont très beau, le mélange action et comédie fonctionne très bien. Les personnages féminins sont largement plus intéressants et mis en valeur dans ce tome.

The Argonauts, de Maggie Nelson

Essai autobiographique sorti en 2015. L’autrice expose ses pensées sur le sujet de sa grossesse et de sa relation avec son partenaire, trans : leurs deux corps et leur relation et cellule familiale qui évoluent peu à peu lui évoque l’Argo restant le même bateau alors même que toutes ses parties sont peu à peu remplacées. C’est assez difficile à résumer, mais c’était intéressant, notamment les passages sur l’assignation à la maternité des femmes, et son opposé pour les personnes queer et la façon dont ça s’entrelace pour elle : en tant qu’universitaire son nouveau statut de mère est utilisé par certaines personnes pour tenter de la rabaisser, et elle assiste à des moments où inversement des femmes qui travaillent sur des sujets complexes et qui veulent s’intéresser à la maternité se font rabrouer : ce sujet est trop banal, ordinaire pour être digne d’étude. Et à la fois pour elle qui travaille sur la sexualité, la scène SM, on lui renvoie que c’est incompatible avec sa maternité, dans une espèce de panique morale. On retrouve la thématique de la maman et de la putain, qui devraient pour certaines personnes rester des facettes de la féminité totalement séparée. À l’inverse, Maggie Nelson parle de la figure de la sodomitical mother, qui mêle sexualité et maternité. Elle réclame notamment le fait de méler les deux aspects de sa vie (évidemment pas dans un sens pédophile, mais dans le fait qu’elle devrait pouvoir aller notamment voir un spectacle de cabaret avec un bébé (qui n’y comprendra rien) sans qu’on lui dise « euh non le bébé ça va ruiner l’atmosphère pour les autres personnes, c’est supposé être titillant »).

Forteresse Vauban

Quelques détails au hasard de notre promenade. C’est un gros ensemble de bâtiments classés patrimoine mondial de l’Unesco, répartis dans toute l’enceinte de la forteresse, avec des grandes étendues enherbées entre.

La lumière au bout du tunnel
Grille et jeux de lumière
Inscriptions
Cour abandonnée
Bâtiment abandonné
Une des entrées depuis les hauteurs (et les douves). Au loin, la Garonne

Ceux qui brûlent, de Nicolas Dehghani

Bande dessinée française sortie en 2021. Dans une ville industrielle sur le déclin, une flic qui sort juste de convalescence après un accident se voit obligée de faire équipe avec le boulet du commissariat, un flic tout pataud. Lancés sur la piste d’un tueur qui brûle ses victimes à l’acide, le duo va devoir affronter ses démons intérieurs : l’image du flic viril qu’il voudrait être pour Pouilloux, ses crises de vertige métaphysique pour Alex.

J’ai beaucoup aimé le dessin, les couleurs désaturées qui rendent très bien l’état de déclin de l’environnement urbain dans lequel prend place l’histoire. L’histoire est une enquête policière assez classique mais réussie dans sa mise en scène.

Blayais

Une journée dans le Blayais pour voir des ami.e.s. On a profité de la seule journée de beau temps sur le weekend de l’Ascension pour se balader un peu, et visiter notamment la forteresse Vauban qui surplombe la ville.

Un petit message à destination des capitalistes (Bordeaux)
Vue sur les toits de Bourg (le village qui voulait pas s’embêter pour trouver un nom)
Bourg toujours
Salle d’attente (du bac pour traverser l’estuaire)
Épave de bateau de la WWII

Coup de Torchon, de Bertrand Tavernier

All Colons Are Bastards.

Film français de 1981. Dans une petite ville d’Afrique Occidentale Française en 1938, Lucien Cordier est l’unique policier et représentant de l’ordre colonial. Ordinairement totalement amorphe, il décide un jour, poussé à bout par deux proxénètes et les moqueries de son supérieur de la grande ville, de faire le ménage dans les personnes qu’il considère comme mauvaises. Mais sa moralité est toute personnelle, et il va surtout éliminer celles et ceux qui le dérangent personnellement, sans remettre en question l’ordre en place quand il va dans son sens, tout en s’autopercevant comme une espèce de figure messianique.

J’ai bien aimé. C’est une ambiance assez particulière, un système colonial où l’on voit une petite notabilité blanche s’entredéchirer, sur fond de menace de guerre permanente et de délitement de toutes valeurs. L’espèce de croisade cheloue de Cordier peut faire un peu penser à un Apocalypse Now à la française – ou à un film sur un tueur en série, entrecoupé de scènes de séduction avec Isabelle Huppert.

Un ami à moi que nous nommerons Saul a aussi bien aimé. Il trouve que c’était « un peu comme un épisode de Rick & Morty », mais il n’a pas compris les scènes d’intro et de fin. « Ça illustrerait son passage en mode full nihilisme ? ». Une autre amie, Cénédicte , a trouvé ça un peu bizarre « mais a bien aimé Isabelle Huppert ».

Palm Springs, de Max Barbakow

Le Sens de la Fête x Groundhog Day

Film de boucle temporelle sorti en 2020. Nyles est à un mariage d’amis de sa femme. Et il est coincé dans une boucle temporelle. Lors d’une itération, il emporte accidentellement Sarah, la sœur de la mariée, dans la boucle. Ensemble, les deux vont tuer l’éternité comme il peuvent, s’entraînant dans une spirale nihiliste tout en profitant de la compagnie de la seule autre personne avec qui ils peuvent avoir une conversation originale.

C’était fort réussi. Une belle proposition sur le thème de la boucle temporelle, avec des personnages attachants et crédibles, terriblement imparfaits. J’ai beaucoup aimé la façon dont la boucle temporelle est finalement résolue. C’est pas un film particulièrement profond, mais il est réussi dans ce qu’il propose et joliment filmé tout en couleurs saturés