Archives de catégorie : Culture/Procrastination

Black Narcissus, de Michael Powell et Emeric Pressburger

Film anglais de 1947. Dans l’Inde coloniale, un dignitaire indien offre à une congrégation de nonnes un ancien harem perdu dans les montagnes, pour qu’elles en fassent un monastère. Le seul européen en contact avec elle est un anglais débraillé au service du dignitaire indien, qui leur sert d’agent de liaison malgré son incompatibilité de caractère avec les religieuses. Dans cet environnement trop « intense », les bonnes sœurs vont avoir de plus en plus de mal à se conformer à leurs vœux.

C’était assez cool. On suit principalement la jeune mère supérieure qui a des réminiscences de sa vie avant les ordres et qui doit interagir avec Mr. Dean, l’agent de liaison, qui est de plus en plus dévêtu à chaque fois (et qui est à la fois la figure tentatrice et totalement ridicule quand il arrive en short sur un tout petit poney). Toutes les nonnes ont du mal à se conformer à leur voeux mais elles y réagissent différemment : la mère supérieure tente quand même de garder tout en ordre, la sœur jardinière demande à être transférée au plus vite dans un autre monastère, et une autre va se laisser sombrer dans la psychose, persuadé que la mère supérieure agit contre elle. Les nonnes doivent en parallèle gérer leur rapport à la population locale qui fréquente leur école et leur dispensaire, notamment une jeune indienne qu’elles hébergent, l’héritier du dignitaire qui vient assister à leurs cours, la factotum du harem… Ce qui rajoute des couches d’interaction qui n’ont rien à voir avec la bonne marche d’un monastère. Le crescendo final est très réussi, la tension prend bien. Le symbolisme n’est pas subtil (la pureté en blanc, la tentation en rouge ! Des gouttes de sueur en gros plan pour bien faire passer la maladie !) mais ça s’explique bien par la date de sortie du film, et ça marche toujours très bien en le regardant aujourd’hui.

Les montagnes d’arrière-plan sont très manifestement peintes mais ça rajoute du charme au film.

Fascisme Fossile, du collectif Zetkin

Essai sur les liens entre extractivisme des énergies fossiles (charbon, gaz, pétrole) et extrême-droite.

Les auteurices montrent que là où on agite souvent le fantasme d’une « dictature verte » (qui prendrait des mesures coercitives pour l’environnement en nous empêchant de manger trois steaks pendant nos voyages en avion quotidiens), en Europe et en Amérique du Nord les partis autoritaires se réclamant du fascisme ou de l’extrême droite sont très largement plus dans la défense des énergies fossiles et du statu quo actuel.

Iels reviennent sur les origines du négationnisme climatique poussé par les majors pétrolières dans les années 60, 70 et 80 puis abandonnées par elles au profit d’une posture de verdissement de façade de leurs activités et de la promotion du libéralisme pour régler la question du climat (à base de bourse du carbone et de banques de restauration écologique). Le négationnisme climatique reste un discours promu par l’extrême-droite jusque dans les années 2010 par contre, couplé à l’idée que la question du changement climatique serait un écran de fumée pour détourner le regard du vrai problème que serait l’immigration, voire pour culpabiliser l’Occident et donc faire accepter plus facilement l’immigration. Bref, ce ne serait qu’une attaque sur le mode de vie occidental et autre délires complotistes.

À partir de la seconde moitié des années 2010, même l’extrême-droite commence à reconnaître la réalité du CC, mais avec un discours comme quoi verrouiller les frontières et réprimer l’immigration serait la meilleure façon d’agir pour la planète : on protège le territoire national des espèces invasives et des populations pas de chez nous du même coup, dans un discours qui confond volontairement le biologique et le social. Entrelacement aussi des thématiques « préférence nationale » et « localisme », et discours sur les « enraciné·es » vs les « nomades » qui reprend la rhétorique antisémite et anti-élites du « cosmopolitisme ». Ce sont ces discours qui font le lien avec les tendances fachos de l’écologie intégrale et avec les stages de survivalisme/thèses effondristes. Intégration aussi d’un discours néomalthusien où le problème de surconsommation des ressources planétaires ne serait pas le consumérisme et le capitalisme mais « les Africains qui font trop d’enfants ». Tout ça est bien pratique pour quand on arrive au pouvoir, ne finalement rien faire sur les questions écologiques (exemple de la Finlande en 2015, où le parti d’ED dans la coalition au pouvoir, malgré son discours vert, n’a rien fait sur la réduction des GES mais a réprimé l’immigration). Bref, par rapport au négationnisme climatique c’est une autre stratégie pour atteindre les mêmes objectifs : promouvoir le racisme et laisser les énergies fossiles tranquilles.

Le fascisme prospère sur les crises. Pour les auteurices, deux types de crises écologiques peuvent faire avancer le fascisme fossile :

  1. Crise d’atténuation : un gouv écolo met en place des politiques contraignantes pour le secteur fossile : cette industrie est incitée à se tourner vers les partis fascistes comme alternative de gouvernement pour préserver leur rente (« plutôt Hitler que les Khmers verts »)
  2. Crise d’adaptation : les conséquences du CC érodent le niveau de vie, boostant l’attractivité des conservateurs ayant une rhétorique à base de « bon vieux temps » et de la défense de la Nation contre celleux qui sont à nos portes et veulent nous prendre le peu qu’il nous reste.

Attrait symbolique des fascistes pour les E. fossiles aussi car il s’agit d’un stock d’énergie vs les renouvelables qui sont des flux. La matérialité des fossiles permet de leur accrocher plus facilement une étiquette du style « notre énergie ». En plus il vient du sous-sol : ça rejoint tout le trip fasciste sur la terre qui ne ment pas, et on peut lui coller une origine géographique donnée (vs le vent et le soleil qui sont totalement indifférents aux frontières). Enfin, les fossiles sont liées à l’Histoire (et aux Mythes) de l’impérialisme et du colonialisme occidentale, avec l’établissement des rapports de domination sur le reste du monde permis par l’exploitation des moteurs à vapeur puis à explosion (les auteurices parlent de technoracisme). Face à ça, les renouvelables sont intangibles et intermittents : on peut plus difficilement leur coller une rhétorique de puissance, de maîtrise totale, de supériorité (les barrages hydroélectriques avec leur constance et leurs stocks d’eau sont d’ailleurs le renouvelable le plus accepté par les fascistes). En plus, pour pallier l’intermittence il est crucial d’avoir un grand réseau connecté : pour l’Europe ça veut dire collaborer entre pays, pas le plus gros trip des fascistes.

L’idéologie cartésienne de « se rendre maître et possesseur de la Nature » a dans pas mal de configurations englobé dans « la Nature » les populations locales non-blanches : il y avait exploitation simultanée du Capital que fournissait la Nature et du Travail des populations en question. De plus, la philosophie extractiviste est plus facile à faire passer en considérant que les locaux dont on pille les ressources et flingue l’environnement sont par essence inférieurs et incapable de bien gérer ces ressources par elleux-mêmes. Le racisme est un outil utile à l’extractivisme.

Célestopol, d’Emmanuel Chastellière

Recueil de nouvelles où la Russie tsariste a implanté une cité sur la Lune à la fin du XIXe siècle, visiblement à l’aide de canons tels que celui de De la Terre à la Lune.

Le pitch est alléchant, mais les nouvelles en soi ont franchement peu d’intérêt, ne développant pas un univers complet qui ne sert que de toile de fond, ne faisant même pas vraiment usage du contexte lunaire, et n’arrivant pas à choisir entre le fantastique, le steampunk, la SF, sans faire non plus un mélange réussi entre les genres. De plus tout est focalisé sur le dirigeant de la cité et plus généralement les élites, et leur terrible décadence, mais plus pour les détailler avec gourmandise que vraiment les dénoncer.

Bref, déception.

Godzilla: King of the Monsters, de Michael Dougherty

Film d’action américain de 2019. C’était assez mauvais. J’étais attiré par le côté « il y a une organisation gouvernementale qui étudie les kaijū pour les comprendre », mais en fait ça prend cinq minutes du film. Pour le reste, le scénario n’a aucun sens (y’a la Terre Creuse ! y’a de la fausse science ! y’a des gens qui se téléportent pour les besoins du scénario !), les personnages sont très peu crédibles, et malgré les gros moyens dans les effets spéciaux, si les deux monstres principaux (Godzilla et Gidorah) sont cools, le design des autres est assez raté. Regardez plutôt Pacific Rim pour un film de kaijū sympa.

Le poster est joli cependant.

Paris Police 1900, de Fabien Nury

En 1899, suite à la mort du président Faure, un nouveau gouvernement est formé, et Lépine est nommé préfet de police de Paris, alors que les ligues antisémites rallient leur troupe dans l’attente du second procès de Dreyfus. On suit les aventures de Lépine, de sa femme et de plusieurs policiers et informateurs de police dans ce contexte politique de plus en plus inflammable.

J’ai été déçu. La reproduction historique est réussie et semble bien documentée – depuis mon point de vue naïf sur la période. Mais la série se concentre surtout sur des hommes, policiers ou puissants, qui jouent des poings et croient en leurs valeurs : bref, c’est idéologiquement de droite. La série choisit aussi d’adopter une esthétique trash : y’a du sang, du sexe, de la boue, de la drogue, et on n’y va pas avec le dos de la cuillère. Et y’a évidemment beaucoup d’antisémitisme, et même s’il est montré pour le dénoncer, c’est quand même beaucoup montré et répété, j’ai pas trouvé ça fou d’un point de vue mise en scène. La série met brièvement en scène des anarchistes, des personnages de la communauté juive, mais ils sont toujours présents en temps que personnages secondaires, ceux que l’on suit vraiment se sont les policiers et les antisémites, c’est vraiment pas le cadrage le plus intéressant possible je trouve.

Dans le genre reconstitution historique européenne stylée avec des enquêtes de police au milieu, regardez plutôt Babylon Berlin.

Josep, d’Aurel

Dessin animé sorti en 2020, qui raconte l’histoire de Josep Bartoli, républicain espagnol et dessinateur célèbre. Le film se focalise principalement sur sa vie dans les camps de concentration établis par le gouvernement français pour gérer les réfugiés espagnols.

J’ai bien aimé – de base j’aime bien le dessin d’Aurel, qu’on retrouve notamment dans Politis et Le Monde. Là plusieurs styles de dessins sont mélangés, pour intégrer celui de Bartoli avec celui d’Aurel, et certains passages sont montrés en images fixes (ie on est plus sur du une image/seconde que du 24 images/seconde).

La mise en scène du récit est intéressante : on a des strates enchâssées, avec le thème de la passation de mémoire : on suit un adolescent qui rend visite à son grand père mourant qui va lui raconter sa jeunesse : on a des similitudes avec la façon dont Land and Freedom était présenté. Mais là le grand-père n’était pas dans les Brigades Internationales, il était un des gendarmes en charge de la surveillance des camps. Il va sympathiser avec les espagnols et surtout avec Josep, qui va lui raconter son histoire, mais il va aussi rester passif devant beaucoup de choses avant de se racheter en partie. Il va être témoin de certains événements, Josep va lui en raconter d’autres. Le film met en scène aussi de façon intéressante les défaillances de sa mémoire, avec des passages incohérents ou mélangeant plusieurs temporalités.

Je recommande.

Le Chant du Loup, d’Antonin Baudry

Film de guerre français sorti en 2019. On suit un analyste en guerre acoustique, ie un soldat capable de reconnaître à l’oreille une multitude de navires, embarqué à bord d’un sous-marin français. Alors que les tensions entre la Russie et l’UE s’intensifient, les sous-marins français qui sont un élément clef de la dissuasion nucléaire deviennent un enjeu clef, et l’analyste découvre un mystérieux sous-marin inconnu croisant dans les mêmes eaux que le sien.

J’ai bien aimé. C’est un film de guerre qui ne glorifie clairement pas la guerre et qui pose des questions sur le super concept de dissuasion nucléaire avec ordres de lancement irrévocables, un thème qu’on retrouve aussi dans Docteur Folamour. Le fait d’avoir un personnage principal qui n’est clairement pas dans le moule de l’armée permet de mettre plus facilement en scène ces côtés là.

Il y a quelques facilités de scénario et sa hiérarchie militaire passe beaucoup de chose au héros, les militaires sont quand même présentés comme sacrément sympa dans le film, et c’est un film assez viril (il y a une seule femme nommée, et c’est l’intérêt amoureux du héros), mais il met bien en scène son sujet, il fait très bien monter la tension, et les scènes en espace confiné dans les sous-marins sont très bien filmées.

Antoinette dans les Cévennes, de Caroline Vignal

Film français de 2020. Antoinette, maîtresse d’école, est l’amante du père d’un de ses élèves. Quand il lui annonce qu’au lieu de passer la semaine avec elle comme prévu, il part en vacances avec sa femme dans les Cévennes pour faire une randonnée avec un âne, elle décide de faire de même, dans l’espoir de le retrouver sur place et de profiter de sa présence. On se retrouve donc avec le setup d’une meuf pas préparée pour une rando, isolée, fragile psychologiquement, qui se balade sur les chemins cévenols. Ça aurait pu faire une bonne situation de thriller, mais en terme de comédie c’est assez gênant je trouve, la meuf est vraiment dans une situation de merde, même s’il y a quelques personnages bienveillants (les gardien.ne.s de gîte), elle est quand même livréee à elle-même, tout le monde sur le chemin à entendu parler d’elle et une opinion sur elle, y’a plusieurs mecs qui sont assez craignos (dont au premier plan le mec dont elle est amoureuse), bref, j’ai pas aimé. Les paysages sont jolis cependant.

Phare 23, d’Hugh Howey

Roman de SF états-unien. J’avais beaucoup aimé Silo du même auteur, mais celui-là m’a laissé plutôt froid. On suit la vie d’un ancien militaire qui veille sur un phare interstellaire, alors qu’une guerre interminable entre les humain.e.s et une espèce extraterrestre fait rage en arrière-plan. Sur le même thème, la Guerre Éternelle de Joe Haldeman était plus intéressant et le précède de quelques décennies.

Téléréalité, d’Aurélien Bellanger

Le dernier roman de Bellanger, sur le paysage audiovisuel français et l’irruption de la téléréalité dedans. Le roman suit la vie d’un drômois qui va monter à Paris et faire carrière dans le milieu de la télé, d’abord comme assistant d’un présentateur puis rapidement comme producteur. Dans l’ombre, il va accompagner les évolutions des programmes télé, puis être un des acteurs de l’introduction de la téléréalité en France.

Le roman reprend pas mal la structure de La Théorie de l’Information, en plus condensé (le roman est court), jusqu’à l’espèce de twist de fin. J’ai bien aimé, plus que ses précédents romans qui partaient un peu dans tous les sens, là on a un propos unique et linéaire. Par contre petit défi pour Bellanger : écrire un roman avec un personnage principal féminin avec la même voix intérieure que ses héros habituels, parce que là la part des persos féminins était assez étique.