Archives de catégorie : Culture/Procrastination

Outer Range, de Brian Watkins

Série étatsunienne dont la première saison est sortie en 2022. Dans le Wyoming, la famille gère un ranch depuis des générations. Royal a été champion de rodéo, son fils Rhett est sur ses traces. Mais le ranch a connu des jours meilleurs, la femme de Perry (le second fils) a disparu du jour au lendemain, le ranch voisin réclame sur la fois de relevés cartographiques une énorme portion de terrain des Abbott. Oh et puis il y a le trou. Un trou immense qui est apparu sur le terrain, et qui mène quelques part. Et une hippie qui débarque un jour, avec des visions d’un ancien symbole indien qui apparait dans le paysage sur le ranch des Abbott.

Le trailer me faisait pas mal envie, et de fait c’est bien filmé. Le côté Amérique profonde, certains tropes de western réactualisés sont intéressants. Mais l’histoire ne fait pas grand sens ou n’avance pas : c’est joli mais ça n’a pas grand chose à dire. Dommage, parce qu’il y avait des éléments réussis : le personnage de Billy Tillerson, qui visiblement pense être dans une comédie musicale, les relations familiales des Abbott, certains cadrages et éclairages (la scène de duel dans le dernier épisode notamment marche très très bien). Mais bon, c’est noyé dans le gloubi-boulga général.

Magic for Liars, de Sarah Galey

Roman étatsunien de 2019. Ivy Gamble est détective privée. Elle sait que la magie existe, et pour cause : sa sœur dipose de pouvoirs, et est allé dans une école de magie, alors qu’elle même restait dans le monde normal. Mais elle tient enfin l’occasion d’entrer dans le monde magique : la principale de l’école où sa sœur enseigne désormais est venue la chercher pour enquêter sur une mort qu’elle ne pense pas accidentelle dans son école. Ivy va se perdre peu à peu dans ses relations avec les magiciens, imaginant la vie qu’elle aurait pu avoir, tout en enquêtant sur le meurtre…

La prémice était cool, mais assez déçu par l’exécution. La partie enquête policière fonctionne assez mal, on a le trope de la détective qui boit trop, mais l’enquête n’est pas très crédible, les motivations des personnages assez peu claires, et on n’a pas assez d’infos sur l’univers pour que la/le lecteurice ait l’impression de pouvoir trouver des trucs. De plus, la détective est parfois complétement clueless sur des trucs qui sont exposés de façon évidente à la lecteurice et ne suit pas certaines pistes (sans parler de filer tranquillement des infos sur l’enquête à la plupart des suspects). La relation d’Ivy à sa soeur est intéressante, mais beaucoup de trucs sont handwavés d’un « shut up it’s magical »

Bref, comme pour le roman précédent de Sarah Galey que j’avais lu, des idées cool mais faut largement plus travailler l’exécution.

Le Rapport de Brodeck, de Philippe Claudel

Roman français paru en 2007. Dans un village perdu en montagne, un crime a été commis, par l’ensemble des hommes du village. Brodeck est chargé d’en relater les circonstances, dans un rapport pour l’administration, pour expliquer les motivations des hommes. Mais en parallèle, il va rédiger un autre document, sa vision personnelle des choses à la fois sur le crime, sur les habitant.es du village et sur les événements qui ont agité le pays et sa vie. Parce que Brodeck occupe une place particulière dans le village. Rescapé enfant d’un pogrom où ses parents sont morts, il n’est pas originaire du village, il a été envoyé à la ville pour y avoir une éducation, et surtout, dénoncé aux occupants, il a vécu l’horreur dans un camp de concentration. Alors quand le village décide de tuer l’Anderer parce que sa différence est insupportable, Brodeck voit bien que c’est une fois de plus les mêmes vieux mécanismes qui sont à l’œuvre.

J’avais déjà lu l’adaptation en BD par Manu Larcenet, mais le livre est très bien aussi. Le style rend bien le petit village isolé et l’Europe sans aucun nom de pays ou de référence à des peuples ou événements mais qui est clairement la nôtre. Les descriptions sont très vivantes.

Je recommande, mais c’est tout sauf joyeux.

Nimona, de Troy Quane and Nick Bruno

Film d’animation adapté du comic éponyme de ND Stevenson. Dans un royaume de fantasy futuriste, les chevaliers protègent la population de toutes sortes de menaces. Pour la première fois, la reine va sacrer chevalier un roturier en plus de la promotion habituelle de nobles. Mais lors de la cérémonie, Ballister Blackheart tue la reine. Poursuivi par l’ensemble des chevaliers dont son petit ami, il va se découvrir un.e allié.e inattendu.e (et indésiré.e) sous la forme de Nimona, qui va se proposer spontanément pour être son sidekick et l’aider à se venger des chevaliers.

Je ne suis pas fan du design de Ballister et Ambrosius (les cheveux longs du comics marchaient mieux pour moi), mais sinon fort bonne adaptation, qui n’hésite pas à s’éloigner du matériel source pour raconter l’histoire un peu différemment en assumant que le changement de medium offre des possibilités différentes. Bonne bande-son, bonnes punchlines, bonne animation (du numérique très classique mais très bien maitrisé).

Je recommande.

Obsolescence des ruines, de Bruce Bégout

Essai publié en 2022, qui parle de comment l’architecture et la construction moderne (et le capitalisme et sa vision de l’immobilier comme un investissement parmi d’autres) empêchent la constitution de nouvelles ruines : les bâtiments de mauvaise qualité deviennent des décombres avant d’en passer par le stade de ruine. Alternativement, les bâtiments sont rénovés, réemployés ou détruits pour faire place à du neuf, ou encore ils sont construits de façon à être démontés (cabanes, habitat léger, habitat mobile), mais dans tous les cas n’ont pas la possibilité de vieillir et de devenir des ruines. Les ruines qui restent sont majoritairement celles des époques antiques ou modernes (il y a cependant des ruines contemporaines qui existent temporairement, les phénomènes décrits ne sont pas absolus).

Globalement, un peu trop d’approche philosophique à mon goût dans le bouquin, mais des passages très intéressants sur les explorateurs urbains et leurs motivations, les origines de la discipline avec le San Francisco Suicide Club, la volonté de sortir des normes marchandes et sociales mais qui finit par recréer une norme élitiste au sein de l’urbex. Je vois très bien l’idée derrière le « caractère révolutionnaire des pratiques extraquotidiennes » et de « l’exploration festive et risquée de l’espace » : sans adhérer à l’idée que ces pratiques puissent effectivement avoir un caractère révolutionnaire, l’échappée qu’elle permettent par rapport à l’ordre néolibéral ou même juste la routine est quelque chose que je ressens totalement, ainsi que la prise (maîtrisée) de risques (physiques ou judiciaires). L’idée de la tension entre prise de risque/sortie du quotidien d’un côté et planification méticuleuse de ces échappées est aussi quelque chose qui me parle : c’est la mobilisation d’une certaine expertise mise au service d’activités non-productives, mais qui peut facilement être récupérée par le capitalisme (qui est très bon a récupérer tous les divertissements, surtout quand ils génèrent leur propre marketing avec des photos esthétiques, une promesse d’adrénaline…). Il faut aussi avoir conscience que ça dérive facilement vers des postures validistes et masculinistes – et ne pas y céder.

Bégout souligne aussi que les expériences du SFSC et l’urbex à sa suite se présente comme une parenthèse dans une vie normée : malgré la revendication originelle d’un caractère révolutionnaire, toutes ces expériences ne recherchent pas à subvertir le monde : au contraire d’une manifestation (sauvage ou non) ou d’une grève, elles sont tout à fait à côté du fonctionnement du monde, elles ne prétendent pas remplacer un travail régulier ou en contester les règles, elles vont se faire dans les temps laissés libres : soirées, nuits, weekends. Ce qui explique aussi pourquoi les pratiquants sont souvent des cols blancs (et des hommes jeunes en raison des biais virilistes et validistes). Avec l’exemple de Access All Areas de Ninjalicious, Begout insiste aussi sur en quoi la communauté des urbexeurs propose une sorte de code d’honneur moderne (qui va très loin, à la limite de la secte dans AAA, mais plus généralement propose une échelle de valeurs alternatives à base de compétences physiques et techniques, de prestiges des lieux explorés, de charisme dans la communauté, mais qui reprend bcp des biais des hiérarchies dominantes). Les urbexeurs rejettent la légalité, mais pas la légitimité telle qu’ils l’entendent eux.

En prenant l’exemple de Philippe Vasset, il montre aussi comment la pratique de l’urbex passe aussi par la recherche de signes (repérage dans le paysages des lieux abandonnées, des traces, des indices de l’histoire d’un lieu, de chemin d’accès possibles). Il s’agit de redonner un sens au monde, à la fois d’un point de vue pratique (je peux rentrer par ce soupirail) et mystique (je détecte les traces de l’histoire dans cet escalier qui ne va nul part, je pense que le monde fait sens et est déterministe, je vois plus loin que les apparences). Ce qui peut mener vers une mise en récit (imaginer pour le plaisir des sectes secrètes dans des parkings désaffectés) ou du complotisme paranoïaque (ce carreau cassé est bien un signe que les illuminatis reptiliens contrôlent le monde et veulent faire advenir la ville du quart d’heure).

Extraordinary, d’Emma Moran

Série anglaise de 2023. Jen vit dans un monde où les gens acquièrent un super pouvoir autour de leur majorité. À 23 ans, le sien ne s’est toujours pas déclaré, ce qu’elle ne vit pas très bien. On voit sa vie entre ses colocs, le chat qu’elle vient de récupérer dans la rue, son PQR et son boulot dans une boutique de costumes.

J’ai beaucoup aimé. C’est un peu Misfits x Fleabag : une héroïne avec une vie chaotique dans un univers avec des superpouvoirs lowkey (mon headcanon est d’ailleurs qu’on est dans le futur de Misfits, où les superpouvoirs se sont généralisés). La série est bien écrite, les blagues fonctionnent bien, les personnages sont des désastres ambulants mais attachants.

Saison 2 [Edit 2024] :
More of the same, et ça fonctionne toujours aussi bien. La représentation de l’esprit de Jen en tant que librairie chaotique est très drôle. Pas mal d’émotions avec la résolution de la relation de Jen à son père. Je recommande toujours.

Emily the Criminal, de John Patton Ford

Film étatsunien de 2022. Emily (Aubrey Plaza) est diplômée d’une école d’art. Mais à cause d’une mention sur son casier judiciaire, elle galère à trouver un travail qui ne soit pas de l’autoentreprenariat merdique. Via un collègue, elle rentre en contact avec des arnaqueurs à la fausse carte bancaire. Elle va s’engouffrer dans cette voie, la seule qui lui permette de se faire de l’argent pour payer son prêt étudiant.

J’ai bien aimé. Aubrey Plaza porte le film, elle joue très bien la personne coincée dans une situation merdique. On voit ses tentatives de trouver des sources légitimes de revenus, sa peur et sa fébrilité lors des arnaques, et l’escalade de la situation. C’est un film avec beaucoup de tension, qui est très bien rendue, je me suis souvent retrouvé crispé sur mon siège.

Je recommande.

Les Braises, de Sándor Márai

Roman hongrois de 1942. A l’automne de sa vie, un aristocrate austro-hongrois reçoit chez lui son meilleur ami d’enfance, qu’il n’a pas revu depuis 41 ans. La conversation entre les deux hommes va éclairer les raisons de leur rupture, et leurs conceptions partagées et divergentes de la vie. La narration qui fait des allers retours entre la conversation entre les deux hommes et les détails de leur vie il y a tant d’années est réussie. Ça parle d’honneur, de triangle amoureux, de classes sociales. Márai réussit très bien à retranscrire les décors et les préoccupations des hommes, et à nous projeter dans cet empire austro-hongrois finissant. Un des thèmes du roman est d’ailleurs la fin d’un monde, les deux protagonistes se remémorant en 42 leur nation telle qu’elle était avant la première guerre mondiale ; le lire en 2023 quand le monde de l’après guerre a à son tour largement disparu est une mise en abyme intéressante.

Je recommande.

She who became the sun, de Shelley Parker-Chan

Roman de fantasy historique publié en 2021. Dans la Chine du 14e siècle sous domination mongole, une fille née dans un village reculé va s’emparer du destin promis à son frère, mort lors d’une famille. Déguisée en homme, elle va intégrer un monastère, puis rejoindre les insurgés, pour finalement prendre la tête de la rébellion contre le règne mongole.

Ça commençait bien et puis c’était sympa de lire de la fantasy basée sur autre chose que le Moyen-Âge européen, mais je trouve que y’a beaucoup trop de longueurs. Toute la partie une fois que Zhu est sortie du monastère, on se fait un peu chier le temps qu’elle réussisse ses manœuvres au sein des turbans rouges.