Archives de catégorie : Des livres et nous

La Vraie Vie, d’Adeline Dieudonné

Roman sur une famille dysfonctionnelle. Un père violent, une mère complètement effacée, deux enfants, un petit frère qui commence à aller vraiment mal, et sa sœur, la narratrice déterminée à le sauver. C’est relativement court, ça se lit bien, y’a un certain style, quelques images et péripéties intéressantes, mais ça reste assez anecdotique (je pense qu’il m’avait été un peu survendu par sa hype à la rentrée littéraire)

La Révolte des Premiers de la Classe, de Jean-Laurent Cassely

Livre analysant le phénomène des personnes qui après avoir fait des études (et souvent quelques années de travail) orientées vers des parcours de cadres d’entreprise, décident de se réorienter vers des métiers plus manuels type garagiste, patissièr.e, vendeu/se/r en commerce de détail.

Le livre regarde quelle proportion des promotions de cadres font cette réorientation (une fraction, mais la France étant massivement cadrifiée, ça fait quand même des contingents non-négligeables), les raisons qui les ont poussés à (volonté de retrouver du sens dans le travail, sens perdu dans les métiers de cadre en raison de la bureaucratisation/mondialisation/financiarisation de l’économie), et quels nouveaux profils ça donne. Les deux points les plus intéressants sont pour moi que si ce mouvement est rapproché de celui du retour à la terre des années 60, d’une part il est fortement urbain contrairement au Retour à la Terre, et d’autre part il ne conteste pas le système : les « révoltés » veulent plus de sens dans leur travail personnel mais ils s’insèrent très bien dans une économie capitaliste, souvent même elle est assez indispensable à leurs nouvelles carrières, où ils vont se poser en curateurs et curatrices éclairé.e.s de produits, qu’iels vont proposer à la vente à leurs pairs CSP+, en jouant sur le côté « produit de qualité et d’exception, distinction de la masse, storytelling de la marchandise ». Ça nécessite donc une « élite éclairée » à qui vendre ces produits, avec un bon pouvoir d’achat. Ça n’est pas le cas de toutes ces reconversions (on peut aussi devenir garagiste avec des tarifs sociaux), mais c’est très facile d’introduire ces trajectoires dans la gentrification. Pour moi qui correspond pas mal à ce modèle, se pose donc la question de comment, si j’ai envie de me lancer dans ce genre de reconversion, le faire en promouvant plutôt des valeurs de gauche.

Le second point intéressant, lié au premier, est que ces « nouveaux manuels » intègrent toutes les compétences de leur parcours CSP+ dans leur nouveau métier ; des compétences de marketing, business plan, graphisme, mais aussi l’ethos des CSP+. Ils font donc advenir une montée en gamme des métiers manuels, et les CSP+ qui vont devenir leurs clients vont en général avoir plus envie de parlers aux « manuels CSP+ » qu’aux gens qui font un métier manuel après un parcours classique, pour des questions de proximité. Du coup, il y a un risque (sur le long terme, certes) de « gentrification des métiers », où pour investir ces métiers il faudra la double compétence grandes études/qualifications manuelles.

Politiques de l’extrême-centre, d’Alain Deneault

Court livre d’une soixantaine de pages qui met en lumière le paradoxe qui voudrait que les positions centristes soient raisonnables et modérées parce qu’une synthèse ou un compromis entre deux positions opposées. Sauf que dire que puisque c’est au milieu c’est bien, dire que ne pas prendre de positions fortes pour faire changer les choses dans une direction est en fait une position politique très forte, et s’y tenir à tous prix est en fait un extrême aussi.
Intéressant, après le texte un peu court.

L’autre siècle, de Xavier Delacroix

Recueil de textes uchroniques coordonnés, rédigés par des romancièr.e.s et historien.ne.s, à partir du point de divergence constitué par une victoire allemande lors de la bataille de la Marne. La guerre est finie en 1915, après des accords signés à Yalta, et s’ouvre la période des 30 Glorieuses. L’Allemagne se taille une sphère d’influence en Europe et en Afrique, le Reich de Guillaume II encourage la fondation d’une Union Européenne, la France définitivement amputée de l’Alsace et de la Lorraine compose avec des réparations de guerre, un jeu d’influence se trame dans l’établissement de protectorats et la négociation des décolonisations…

Le côté choral du livre est intéressant. Les historien.ne.s décrivent l’évolution de plusieurs parties du monde dans les années 20 et 30, les romancièr.e.s rajoutent le parcours de divers individus (on n’échappe pas hélas au passage sur la vie d’Hitler, dont tout le monde devrait se foutre). Deux chapitres sur l’évolution culturelle du monde, avec une Allemagne qui manie fort bien le softpower, mais se fait rattraper par la contre-culture franco-américaine.

Ça se lit vite, je recommande.

Gentrifications, de Marie Chabrol, Anaïs Collet, Matthieu Giroud, Lydie Launay, Max Rousseau et Hovig Ter Minassian.

Ouvrage collectif analysant les processus de gentrification à l’oeuvre dans différents quartiers en Europe. L’ouvrage mélange des analyses sociologiques et géographiques, pour défendre la thèse qu’on peut difficilement parler de LA gentrification : le processus, même s’il garde sa caractéristique centrale de l’installation dans un quartier de population avec un capital (financier, culturel) plus important que les populations déjà en place, est très divers.
Il peut être initié par des politiques publiques (qui le voient comme un instrument de renouvellement urbain), par différents acteurs privés (cadres sup, artistes, agents immobiliers), être encouragé ou rejeté par les populations déjà présente, aller jusqu’à son terme ou s’arrêter en chemin… Il touche différemment les îlots d’un même quartier, les immeubles d’un îlot selon leur position, les appartements d’un immeuble selon leur hauteur.
Un peu frustrant dans la diversité qu’il propose et l’exposition de situations locales par rapport à un ouvrage qui proposerait des lois générales applicables partout, mais c’est précisément sa thèse…

Bastard Battle, de Céline Minard

Un court roman écrit en français moyenâgeux (ou pseudo-moyenâgeux ? Je saurai pas dire) qui raconte comment en 1437, un seigneur (le Bastard du titre) terrorise la Lorraine et la Champagne en pillant le pays. Établi à Chaumont, il s’en fait chasser par une bande improbable de sept héros dont deux débarqués on ne sait comment d’Asie, une bande de sept samouraïs qui vont organiser la défense de la ville en autogestion.

Ça se lit vite, c’est intéressant mais je ne suis pas tombé à la renverse non plus.

Sovok, de Cédric Ferrand

Uchronie qui se passe dans une Russie post-URSS alternative. On suit la vie quotidienne de trois urgentistes travaillant pour Blijnni, une compagnie d’ambulances sous contrat avec le secteur public. Tout fonctionne au backchich, la rumeur dit que le Président du pays s’est enfui à l’étranger, les coupures d’électricité sont quotidiennes à Moscou, la police politique est partout. Et une nouvelle compagnie, européenne, profite de l’ouverture du pays pour concurrencer Blijnni sur sa mission.
C’est assez cool. Le livre n’expose pas de grands concepts, c’est juste la vie des trois urgentistes lors de leur service, avec une société déliquescente et de petites touches d’uchronies – pas trop mises en avant, juste en toile de fond – comme contexte.

Bâtir aussi, des Ateliers de l’Antémonde

Uchronie anarchiste. En 2011, le mouvement des printemps arabes gagne de l’ampleur et gagne l’Europe. Après une période de révolution assez dure et une transition subséquente assez violente en raison de l’effondrement brutal des circuits d’approvisionnements mondialisés et de la société capitaliste, l’Europe reprend le cours de sa vie. On découvre à travers 6 nouvelles la vie et les opinions d’habitant.e.s de cette nouvelle société, où la vie ne va pas de soi : la gestion de l’héritage de l’Antémonde (villes, pollutions, ressources, schémas mentaux) est délicate, et les questions d’organisation et d’articulation des collectifs omniprésentes. Le livre est parfois un peu didactique (surtout la première nouvelle, où certains extraits de dialogue font vraiment exposés de positions politiques décalquées d’un tract), mais globalement il est intéressant dans le fait qu’il montre le débat permanent qu’un tel monde demanderait, les différentes personnes et collectifs ayant des visions et des envies différentes, qu’il s’agit d’arbitrer sans autorité centrale. Ça parle réparation de lave-linge, manufacture de bicyclette, collectivisation des tâches pénibles, lutte contre le sexisme, collectifs lesbiens en non-mixité…
Je recommande.

Sorcières, la puissance invaincue des femmes, de Mona Chollet.

Essai qui parle des chasses aux sorcières de la Renaissance, de la figure de la sorcière dans la culture générale, et partant de là explore les questions de la place des femmes âgées dans la société et des médias, des femmes indépendantes, du mariage et de la maternité comme institution, et globalement de la place laissée aux femmes dans la société et de la pression mise sur elles pour qu’elles soient dépendantes de pouvoirs extérieurs plutôt que de pouvoir décider de leurs vies par elles-mêmes.

Comme toujours chez Mona Chollet c’est fort intéressant même si parfois j’aimerai une structure d’essai plus classique avec des thèses bien énoncées et des petites conclusions partielles, c’est mon côté scolaire.

Gun Machine, de Warren Ellis

Un roman policier se déroulant à NY. En répondant à un appel, un détective voit son partenaire tué et découvre un appartement rempli d’armes à feu. S’ensuit une enquête pour découvrir d’où viennent les armes, les premiers résultats ramenant beaucoup plus de questions que de réponses.

C’est un roman policier moderne relativement classique. J’ai bien aimé l’écriture et les personnages, ça se lit bien et c’est bien executé, après c’est pas un roman qui apporte quelque chose d’inédit pour autant.