Archives de catégorie : Des livres et nous

Pour l’autodéfense féministe de Mathilde Blézat

Essai féministe de 2022. L’autrice a rencontré des formatrices et des participantes à des stages d’autodéfense féministe dans différents pays (principalement francophones) et se réclamant de différentes méthodes. Elle retrace l’histoire de ces formations, leur relation à d’autres courants du féminisme, la difficulté d’obtenir des subventions pour ces actions qui relèvent pourtant de la prévention contre les violences sexistes – difficulté qui existe partout mais est encore plus présente en France avec son obsession de l’universalisme et les cris d’horreurs dès qu’on évoque une activité en non-mixité.

Elle s’attarde sur l’impact de ces stages sur les participantes, comment le stage change leur relation à leur corps, à l’espace public, aux autres. Elle détaille aussi comment les formatrices sont en réflexion sur les modalités permettant d’organiser des stages spécifiquement à destination de certains publics : femmes mineures, âgées, handicapées, trans… pour permettre une plus grande inclusivité de ces stages.

C’était fort intéressant et sur un sujet que je ne connaissais pas, je recommande.

Serial Girls, de Martine Delvaux

Essai féministe paru en 2013 et republié en 2022 dans une édition augmentée. L’autrice parle de la question de la sérialité des femmes, vue comme des éléments interchangeables, leur individualité important moins que leurs éléments communs ou différents qui les font appartenir à cette série.

Le sujet avait l’air fort intéressant, et j’ai apprécié le chapitre sur le magazine Playboy, qui parle de ce sujet spécifiquement sous l’angle du male gaze et de la libération sexuelle proclamée qui a surtout été celles des hommes quand pour les femmes c’était une injonction à être de bonnes partenaires sexuelles disponibles pour les mecs, mais j’ai été beaucoup plus dubitatif pour le reste du bouquin, dont je trouve qu’il aligne les grandes déclarations sans faire de démonstrations claires, sans expliciter son propos et en se reposant beaucoup sur le péremptoire. Déception.

Impossible, de Erri de Luca

Court roman italien de 2019. On alterne entre des scènes d’interrogatoire d’un homme par un procureur et les lettres que cet homme compose dans sa cellule à l’attention de sa compagne. L’homme a appelé les secours en montagne pour la chute au fond d’un ravin d’un autre homme, avec qui il partageait un passé commun : ils ont milité dans les mêmes groupes d’extrême-gauche sous les années de plomb, et le mort a dénoncé ses camarades. Est-ce que sa mort est un accident ou un meurtre ? Le procureur essaye de trancher, face à un prévenu plus âgé que lui, témoin du passé de l’Italie, et connaisseur des risques de la montagne. Ils argumentent sur leur conception de la justice et de l’engagement politique.

J’ai bien aimé. C’était assez court mais sympa à lire. Faut dire qu’en combinant randonnée en montagne et discussion sur l’engagement politique à l’extrême-gauche, ça tapait dans mes sujets de cœur.

The Grace Year, de Kim Liggett

Dystopie US de 2019, assez décevante. On est dans un univers rural, où les femmes sont réputées développer des pouvoirs magiques à l’adolescence. Pour que ces pouvoirs ne détruisent pas la communauté, l’année de leur 16 ans (l’Année de Grâce du titre), toutes les adolescentes sont envoyées sur une île où elle vivront entre elles le temps que leur magie se manifeste puis s’épuise. Puis elle reviendront épouser un homme ou rejoindre une communauté de travailleuses. Cette question de l’année de Grâce et du mariage forcé ont toujours intrigué et révulsé Tiernay, l’héroïne, qui va chercher à comprendre ce que cachent ces rituels…

Sur le papier ça avait l’air cool, une dystopie féministe avec un côté Sa Majesté des Mouches/Yellowjackets/The Purge. Mais ça ne fonctionne pas bien, je pense par manque d’un sérieux travail d’édition. Il y a pas mal d’éléments intéressants dans le livre, mais il y a trop de trucs, trop d’éléments qui arrivent d’un coup, ne sont pas bien installés, bien explicités. La fin aurait dû arriver 40-50 pages plus tôt aussi. Soit il fallait couper des trucs, soit il fallait assumer d’en faire une trilogie et pas un seul roman où ça va à 4000 à l’heure. Là y’a un vrai problème d’écriture.

D’autant plus décevant qu’on voit le potentiel gâché. On a l’impression que l’idée de l’éditeur c’était que les dystopies féministes c’était bankable alors allons y sortons des trucs sans y regarder à deux fois. Mais The Handmaid’s Tale ça fonctionne parce que l’écriture et les personnages sont réussis.

American Hippo, de Sarah Galey

Deux novellas uchroniques états-unienne, paru en 2017 (River of Teeth et Taste of Marrow). Les États-Unis ont introduit des hippopotames en Louisiane pour en faire une source de viande. Des ranchs se sont créés, centrés autour des zones marécageuses. Toute une économie similaire à celle des troupeaux bovins et des cow-boys dans les Grandes Plaines s’est développée. Mais sur une portion du Mississipi, une population d’hippos sauvages échappés des ranchs règne sur les marais. Et les hippos étant des créatures dangereuses et vicieuses, c’est quelque peu un problème. Une équipe de hoppers (=des cowboys d’hippos) est engagée pour nettoyer la zone en sortant les hippos pour les amener sur la côte. Mais rien ne va se passer comme prévu.

C’était agréable à lire mais sans trop de fond. C’était trippant d’avoir tout ce délire sur les hippos américains, c’est un setup d’uchronie original, mais ça fait juste deux novellas marrante, j’ai pas trouvé le fond de l’histoire ou les personnages plus notables que ça.

Far from the Light of Heaven, de Tade Thompson

Au sortir d’un voyage interstellaire en animation suspendue, la capitaine du Ragtime découvre que l’IA de bord ne fonctionne plus et que 30 passagers ont été tués. La planète qu’elle orbite envoie un duo d’enquêteurs résoudre l’affaire.

Sur le papier ça avait l’air cool, mais ça souffre fortement du problème de l’auteur d’un autre genre que la SF qui se dit qu’il va révolutionner le genre parce qu’ils sont gentils avec leurs petits mickeys, et qui finit surtout par réinventer les poncifs. Autant j’avais beaucoup aimé la suite de novellas Molly Southbourne du même auteur, autant là c’était sans grand intérêt. Ça aligne les grands concepts – aliens ! trous de vers ! IA ! mégacorporations ! terraformation ! – sans en faire grand chose, y’a beaucoup trop de personnages qui sont introduits et mal développés, le côté chambre close fonctionne pas du tout… Bref c’est foutraque, et y’a pas eu de travail d’édition.

Demain, le jour, de Salomon de Izarra

Roman fantastique paru en 2022. Trois survivants d’un accident de train se retrouvent dans un village isolé des Vosges, en 1936. Ils vont découvrir que la population en a été décimé par deux monstres qui hantent le village à la nuit tombé, et tenter de les affronter. On suit en parallèle les points de vue des trois personnages tels que relatés dans leurs journaux intimes, qui détaillent à la fois leur vie depuis l’accident de train et leur passé.

Globalement j’ai bien aimé l’écriture, la triple narration et les effets permis par le fait que les persos racontent des événements passés mais détaillent aussi ce qui se passe au moment de l’écriture étaient intéressants (le fait que l’on apprenne au début du livre que Paul rédige depuis une cellule mais qu’il faille ensuite les 2/3 du livre pour que l’on ait les événements qui y ont mené). Par contre l’intrigue principale avait l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette. Il y a des monstres, ok, mais le pourquoi de leur existence est assez random, les interactions entre les personnages sont assez stéréotypées. Les passages les plus intéressants sont ceux qui détaillent le passé de Paul, la partie « fantastique du roman est finalement assez superflue.

Nickel Boys, de Colson Whitehead

Roman états-unien publié en 2019, inspiré de faits réels. On suit la vie d’Elwood Curtis durant son enfance à Tallahassee (Floride), durant son incarcération à la maison de redressement Nickel et durant sa vie d’adulte à New York des années plus tard. Nickel est un endroit atroce, où les enfants sont battus, et inspiré d’une maison de redressement réelle, Dozier. Le roman est court mais prenant (et secouant).

Je le rapproche de Delicious Foods pour le sujet traité, mais ce n’est pas la même période temporelle – et pas le même style d’écriture.

House of Suns, d’Alastair Reynolds

Space opera de 2008, qui n’a pas peur des gros concepts. Des millions d’années dans le futur, l’Humanité s’est répandue dans la Voie Lactée, où elle est la seule espèce biologique intelligente. De nombreux empires spatiaux ont émergé puis se sont effondrés. Les traversant et les appuyant, les Lignées sont un agent de stabilité dans la galaxie. Il s’agit de plusieurs groupes de clones d’humains ayant vécu dans le Système solaire originel. Chaque Lignée comportait à l’origine 1000 clones, qui voyagent à des vitesses quasi-luminiques et ont donc vécu des millions d’années en temps absolu, quelques centaines en temps subjectif. On suit Purslane et Campion, deux clones de la Lignée Gentienne qui se rendent au rassemblement de la Lignée. Mais le rassemblement a été attaqué et la Lignée ne compte plus que quelques dizaines de membres, qui doivent impérativement qui est derrière cette attaque et quels en sont les motifs.

J’ai bien aimé les concepts (des vies étendues sur des millions d’années ! Des vaisseaux spatiaux qui mesurent des dizaines de kilomètres ! Des intelligences qui se sont éloignées totalement de l’esprit humain originel !), mais les personnages sont un peu ratés. Les relations entre les membres de la lignée notamment sont pas du tout intéressantes alors qu’on parle de gens qui partagent des souvenirs communs et remélangent régulièrement leurs souvenirs : là iels ont juste des relations tout à fait classique de collègues de travail. Toute la partie dans la réalité virtuelle est aussi sans intérêt (surtout qu’elle se conclut sans vraiment apporter quelque chose à l’histoire plus large). Bref, de belles idées de SF qui marchent bien pour un space opera mais un besoin d’édition globale du bouquin pour mieux faire fonctionner le tout.

A Cosmology of Monsters, de Shaun Hamill

Roman de réalisme horrifique états-unien de 2019. On suit Noah Turner et quelques autres membres de sa famille qui vivent dans une petite ville texane. Noah est ami avec un monstre, une espèce de loup-garou que visiblement lui seul peut voir. Il travaille dans la maison hantée familiale, une attraction dans laquelle il joue le monstre qui poursuit les visiteurs, et a basé son costume sur l’apparence du monstre qu’il voit. On va découvrir au fil du livre la relation entre la famille de Noah et le monstre.

J’ai pas mal aimé, c’est assez original dans l’horrifique. On suit la famille Turner sur deux générations, le point de vue de la narration étant toujours celui de Noah qui raconte la vie de ses parents et parle de ses sœurs. Le côté éléments fantastiques se marrie bien avec la vie quotidienne des Turner, la passion du père pour les romans de Lovecraft et autres écrivains du genre, la difficulté de trouver une activité qui rapporte des revenus sans être un travail insupportable. Les explications du côté fantastique des choses restent seulement esquissées, mais ça fonctionne bien comme ça.

Je recommande si vous aimez le genre (rien de très gore dans le livre, c’est plus dans le style mystères inexpliqués, forces maléfiques, hantage).